Le contrat repose sur une idée simple mais essentielle : il ne lie que ceux qui l’ont conclu. Ce principe, appelé effet relatif des conventions, signifie que seuls les cocontractants sont à la fois créanciers et débiteurs des obligations convenues. Une personne étrangère au contrat, appelée « tiers », n’a donc en principe aucun droit d’exiger l’exécution de ce contrat, ni aucune obligation d’y participer. Cette règle est expressément énoncée à dans le Code civil ivoirien. Ainsi, le législateur ivoirien a adopté une vision claire et ferme du principe : le contrat est un lien de droit limité à son cercle de formation. Cette disposition, directement héritée du Code civil napoléonien, est identique à celle que l’on retrouvait en France à l’ancien article 1165, et qui a été reformulée à l’article 1199 du Code civil français.
La jurisprudence a souvent confirmé cette logique en soulignant que « nul ne peut se voir imposer des obligations contractuelles sans y avoir consenti », ce qui s’inscrit dans le droit fil de la liberté contractuelle[1]. Toutefois, ce principe n’est pas absolu. Le législateur, soucieux de protéger les intérêts légitimes des tiers ou de faciliter la circulation économique, a prévu des mécanismes qui permettent, dans certaines hypothèses, à une personne étrangère au contrat d’en exiger l’exécution. Ces mécanismes sont de deux ordres : d’une part, la stipulation pour autrui, qui constitue l’exception « volontaire » la plus connue ; d’autre part, les actions légales (telles que l’action oblique ou l’action directe), qui permettent à un tiers, le plus souvent un créancier, d’agir à la place de son débiteur ou contre le cocontractant de celui-ci.
L’enjeu de cette problématique est double. D’une part, il s’agit de préserver le principe de l’effet relatif du contrat, garant de la sécurité juridique et de la stabilité des relations contractuelles. D’autre part, il convient d’admettre que dans certaines situations, la rigidité de ce principe pourrait créer des injustices ou des blocages économiques, et qu’il faut alors ouvrir une brèche en faveur des tiers, pour rétablir un équilibre entre justice et sécurité des relations contractuelles.
I. Le principe : l’effet relatif des conventions
Le droit des obligations repose sur l’idée de l’autonomie de la volonté. En vertu de ce principe, chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, mais également de déterminer le contenu du contrat. De cette liberté découle logiquement l’effet relatif : nul ne peut être contraint par un contrat auquel il n’a pas consenti. Cette règle est affirmée par l’article 1165 du Code civil, qui dispose que : « Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point aux tiers, et elles ne leur profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 »[2]. Ainsi, le législateur ivoirien a adopté une vision claire et ferme du principe : le contrat est un lien de droit limité à son cercle de formation. Ainsi, non seulement les tiers sont protégés contre toute immixtion injustifiée dans un contrat qui ne les concerne pas, mais encore ils ne peuvent en revendiquer l’exécution à leur profit, sauf exception prévue par la loi. En France, la réforme du droit des obligations intervenue en 2016 a consacré ce principe à l’article 1199 du Code civil en ces termes : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat, ni se voir contraints de l’exécuter »[3]. en précisant que les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat, ni se voir contraints de l’exécuter. La formulation française, plus explicite, renforce la protection des tiers en consacrant leur indifférence par rapport aux contrats d’autrui[4].
Cette règle n’est pas une simple construction théorique. Elle est au cœur de la cohérence du droit des contrats : si un tiers pouvait systématiquement exiger l’exécution d’un contrat, la liberté contractuelle des parties serait directement compromise. La doctrine insiste sur ce point en soulignant que « l’effet relatif est le corollaire indispensable de la force obligatoire du contrat »[5]. Par ailleurs, la jurisprudence ivoirienne a régulièrement rappelé cette règle, notamment dans les litiges relatifs aux baux ou aux conventions d’affaires. Elle a jugé, à l’instar de la jurisprudence française, que le tiers à un contrat ne peut ni en contester la validité ni en exiger l’exécution, sauf à démontrer un droit particulier qui lui a été reconnu.
Enfin, l’effet relatif vise également à garantir la sécurité des échanges : si les contrats pouvaient déployer des effets illimités sur des tiers, la prévisibilité des relations économiques et sociales s’effondrerait. Comme l’écrit F. Terré, « l’effet relatif permet de contenir le contrat dans son cercle naturel, et de protéger l’ordre juridique contre une inflation d’obligations incontrôlées »[6].
II. Les exceptions volontaires : la stipulation pour autrui
La stipulation pour autrui constitue la plus connue des exceptions au principe de l’effet relatif des conventions. Elle se définit comme l’opération par laquelle une partie à un contrat (le stipulant) conclut une convention avec une autre partie (le promettant) afin que cette dernière exécute une prestation au profit d’un tiers, dit bénéficiaire. Autrement dit, le tiers, bien qu’étranger à la formation du contrat, se voit reconnaître un véritable droit, qu’il pourra directement faire valoir contre le promettant. Ce mécanisme rompt avec la logique classique du contrat, qui ne devait lier que les cocontractants.
En droit ivoirien, cette possibilité est expressément consacrée par l’article 1121 du Code civil, qui dispose : « On peut pareillement stipuler au profit d’un tiers, lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre. Celui qui a fait cette stipulation ne peut la révoquer, si le tiers a déclaré vouloir en profiter. »[7]. Ce texte consacre donc clairement le droit du tiers bénéficiaire, en précisant même que l’irrévocabilité de la stipulation est acquise dès lors qu’il a manifesté sa volonté d’en tirer profit. L’exemple le plus illustratif est celui de l’assurance-vie ou assurance-décès. Dans ce contrat, l’assuré (stipulant) conclut avec l’assureur (promettant) un contrat qui produira des effets au profit d’un bénéficiaire désigné (tiers). Bien que le bénéficiaire n’ait pas participé à la formation du contrat, il pourra, au décès de l’assuré, exiger directement de l’assureur le versement du capital garanti[8]. La doctrine a souligné que la stipulation pour autrui permet de concilier deux impératifs : le respect de l’autonomie de la volonté (puisque ce sont les parties qui décident volontairement d’accorder un droit à un tiers), et la protection des intérêts légitimes de celui-ci[9].
Comme on l’a vu, l’article 1121 du Code civil (droit ivoirien) constitue le socle du mécanisme. Il est souvent mobilisé en droit des assurances, mais aussi en droit des contrats de bail ou des conventions de services. La jurisprudence a eu l’occasion de reconnaître que lorsqu’un contrat est conclu pour le bénéfice d’un tiers, celui-ci peut, dès qu’il exprime sa volonté, se substituer aux parties pour exiger l’exécution de l’obligation prévue. En France, la réforme de 2016 a clarifié et modernisé le mécanisme en l’inscrivant à l’article 1205 du Code civil, qui précise désormais que « l’un des contractants peut stipuler au profit d’un tiers ». L’article 1206 ajoute que « le bénéficiaire est investi d’un droit contre le promettant dès la stipulation », consacrant ainsi l’autonomie du droit du tiers.
La comparaison entre le droit ivoirien et le droit français montre donc une convergence évidente : dans les deux systèmes, le législateur reconnaît au tiers un droit propre, autonome, qui découle de la volonté des parties. Toutefois, le Code civil ivoirien, héritier du texte napoléonien originel, présente une formulation plus ancienne et plus concise, tandis que la réforme française a clarifié les conditions et les effets de la stipulation pour autrui. La doctrine reconnaît que la stipulation pour autrui constitue une « brèche volontaire » dans le principe de l’effet relatif. Comme le souligne J. Ghestin, elle ne contredit pas l’effet relatif mais en constitue une exception admise par la volonté des parties elles-mêmes[10]. Ainsi, le tiers ne tire pas son droit du contrat en général, mais d’une stipulation spécifique insérée par les cocontractants.
Les applications de la stipulation pour autrui sont nombreuses en pratique. En matière d’assurances, l’assurance-décès ou l’assurance-vie sont des illustrations majeures. En matière de contrat de transport, la clause prévoyant le bénéfice d’une livraison au profit d’un tiers bénéficiaire constitue également une stipulation pour autrui. Enfin, dans les contrats de bail, il n’est pas rare de rencontrer des stipulations insérées au bénéfice d’un tiers (par exemple un occupant désigné qui pourra faire valoir un droit d’usage).
Ces exemples montrent que la stipulation pour autrui, loin d’être une curiosité théorique, est un instrument essentiel de la pratique contractuelle moderne, tant en droit ivoirien qu’en droit français.
III. Les exceptions légales : action oblique et action directe
L’action oblique est un mécanisme particulièrement utile pour le créancier qui voit son débiteur négliger ou refuser d’exercer ses droits patrimoniaux, au risque de compromettre la sauvegarde de son patrimoine. Comme l’énonce la doctrine, elle permet au créancier « d’exercer les droits et actions de son débiteur, afin de préserver l’assiette de son gage »[11].
En droit ivoirien, cette action est prévue à l’article 1166 du Code civil, selon lequel « les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne ». Cette règle, directement héritée du Code napoléonien, met en lumière deux conditions : d’une part, il doit s’agir d’un droit à caractère patrimonial ; d’autre part, le débiteur doit être inactif, et sa carence doit mettre en péril les droits du créancier. Ainsi, si un débiteur refuse de réclamer le paiement d’une créance dont il est titulaire, le créancier peut se substituer à lui pour agir en justice et obtenir ce paiement. Cette faculté vise à éviter que l’inertie ou la mauvaise foi du débiteur ne nuise aux intérêts légitimes de ses créanciers. En revanche, les droits strictement attachés à la personne, comme la pension alimentaire ou l’action en divorce, échappent à ce mécanisme, car ils relèvent d’un intérêt moral ou familial indisponible[12].
Le droit français admet exactement la même logique à l’article 1341-1 du Code civil (ancien article 1166 avant la réforme de 2016), qui autorise le créancier à agir pour le compte de son débiteur, mais interdit l’exercice des droits « exclusivement rattachés à sa personne ». La jurisprudence française, comme ivoirienne, a constamment rappelé que l’action oblique est un instrument de protection patrimoniale, et non un moyen de contourner les choix personnels du débiteur[13].
L’action directe, plus radicale que l’action oblique, confère au créancier la faculté d’agir directement contre le cocontractant de son débiteur, sans passer par ce dernier. Elle constitue donc une véritable arme procédurale, permettant au créancier d’obtenir un paiement ou l’exécution d’une obligation directement auprès de celui qui, en principe, n’a de lien qu’avec son débiteur. En droit ivoirien, l’exemple classique est donné par l’article 1753 du Code civil, identique à son homologue français, qui dispose que « le sous-locataire n’est tenu envers le propriétaire que jusqu’à concurrence du prix de sa sous-location dont il peut être débiteur au moment de la saisie ». Autrement dit, le bailleur peut agir directement contre le sous-locataire pour obtenir le paiement du loyer, dans la limite du montant du sous-loyer[14]. Ce mécanisme protège le propriétaire contre l’insolvabilité éventuelle de son locataire principal.
Une autre illustration importante se trouve en matière d’assurance. Le Code des assurances français, à l’article L124-3, reconnaît à la victime d’un dommage un droit d’action directe contre l’assureur du responsable. Cette disposition, transposée dans le Code des assurances CIMA applicable en Côte d’Ivoire, permet à la victime de réclamer directement à l’assureur l’indemnisation des conséquences financières du sinistre. Ce droit autonome du tiers lésé renforce sa protection en évitant que sa réparation ne dépende de la solvabilité de l’auteur du dommage. Enfin, en matière de sous-traitance, l’action directe a également été consacrée. En France, la loi du 31 décembre 1975 a instauré un droit d’action directe du sous-traitant contre le maître d’ouvrage. Dans l’espace ivoirien et plus largement dans l’espace OHADA, la jurisprudence admet également que le sous-traitant puisse demander paiement au maître d’ouvrage, notamment lorsque l’entrepreneur principal est défaillant[15]. Ces exemples montrent que l’action directe n’est pas générale, mais strictement encadrée par la loi. Elle constitue une dérogation à l’effet relatif des conventions, justifiée par la nécessité de protéger certains créanciers ou victimes.
IV. Analyse critique : équilibre entre rigidité et souplesse
L’effet relatif des conventions, en consacrant le principe selon lequel seuls les contractants sont liés par les obligations issues de leur accord, constitue l’un des piliers de la sécurité juridique. Il garantit que nul ne peut être entraîné dans un lien contractuel auquel il n’a pas consenti, ce qui reflète la primauté de la liberté individuelle et de l’autonomie de la volonté. Cette exigence est consacrée par l’article 1165 du Code civil, qui reprend la formulation classique : « Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 ». Cette disposition établit donc une frontière claire entre les cocontractants et les tiers, assurant que le contrat demeure un espace privé réservé aux volontés exprimées. Cependant, si la rigidité de ce principe est un gage de sécurité, elle peut aussi devenir un facteur d’injustice. L’économie moderne, marquée par des relations juridiques de plus en plus complexes et interconnectées, a progressivement imposé des assouplissements. La stipulation pour autrui, l’action oblique et l’action directe apparaissent ainsi comme des brèches organisées dans la forteresse du principe, permettant à certains tiers d’agir ou de bénéficier d’un contrat dont ils ne sont pas directement parties. Ces mécanismes ont été pensés pour concilier la sécurité juridique avec les exigences de la justice contractuelle et de l’efficacité économique.
La doctrine ivoirienne souligne que l’enjeu est de trouver un équilibre entre la préservation de l’intangibilité du contrat et la nécessaire adaptation du droit aux réalités pratiques[16]. Trop de rigidité risquerait de paralyser certaines situations, par exemple lorsqu’un débiteur inactif refuse d’exercer ses droits, menaçant ainsi le recouvrement de ses créanciers. Trop de souplesse, en revanche, fragiliserait la force obligatoire du contrat et pourrait ouvrir la voie à une multiplication incontrôlée de litiges émanant de tiers[17]. La jurisprudence ivoirienne, tout comme la française, a donc cherché à tracer une ligne médiane. Ainsi, l’action oblique est autorisée pour préserver le gage des créanciers, mais interdite dès lors qu’il s’agit de droits strictement personnels, comme la pension alimentaire. De même, l’action directe est admise uniquement dans les cas expressément prévus par la loi, afin d’éviter qu’elle ne devienne une voie générale permettant à tout tiers de revendiquer l’exécution d’un contrat.
Ce mouvement de balancier illustre la capacité du droit des contrats à s’adapter. Comme l’écrit le professeur Fages, « l’effet relatif n’est plus une citadelle imprenable, mais une règle soumise à des tempéraments dictés par la justice contractuelle et les nécessités économiques »[18]. Dans cette perspective, les systèmes juridiques francophones, et notamment ivoirien, oscillent entre deux pôles : la protection des tiers lésés et la protection des parties contractantes. L’analyse comparée montre que la France, avec sa réforme du droit des obligations en 2016, a renforcé la place des tiers dans la dynamique contractuelle, en consacrant plus clairement les mécanismes de stipulation pour autrui, d’action oblique et d’action directe. La Côte d’Ivoire, de son côté, conserve un Code civil hérité du modèle napoléonien, mais qui intègre déjà ces solutions dans leur version originelle. La jurisprudence ivoirienne tend à interpréter ces dispositions de manière pragmatique, tout en restant fidèle au principe fondateur de l’effet relatif. Il apparaît donc que l’avenir du droit des contrats, en Côte d’Ivoire comme ailleurs, réside dans une approche nuancée : maintenir l’effet relatif comme principe, tout en acceptant qu’il soit assoupli par des exceptions soigneusement encadrées. Ces exceptions doivent demeurer l’exception et non devenir la règle, afin que la sécurité des relations contractuelles soit préservée, mais sans sacrifier l’équité et l’efficacité économique.
V. Cas pratique
- Exposé du cas : Mademoiselle SOUTENUE est une jeune étudiante en école d’infirmière (INFAS). Son père, qu’elle adore profondément, lui verse une pension alimentaire dont le montant a été fixé par le juge aux affaires familiales au moment du divorce de ses parents. Bien que confronté à de sérieuses difficultés financières, il refuse de stopper le versement de cette contribution, malgré les insistances de sa fille. L’un de ses créanciers, bien informé, estime qu’il n’a plus l’obligation de contribuer à son entretien compte tenu de l’évolution de sa situation. Il vient d’ailleurs de saisir le juge afin qu’il ordonne la suppression de cette pension, en se fondant sur le mécanisme de l’action oblique, en avançant qu’il pouvait l’exercer à sa place étant donné qu’il était inactif. À votre avis, le juge admettra-t-il cette intervention ?
- Commentaires : L’exercice de l’action oblique décrite ci-dessus est soumis à certaines conditions. Ainsi, le Code civil ne permet pas au créancier d’exercer à la place de son débiteur une action exclusivement attachée à sa personne. La contribution d’un parent à l’égard de ses enfants est largement fondée sur un intérêt moral. Aussi, il apparaît évident qu’elle est entièrement attachée à sa personne (cette obligation alimentaire n’est d’ailleurs pas cessible). C’est ce que reconnaît la jurisprudence depuis très longtemps. En l’espèce, l’action oblique intentée par un créancier à l’encontre de la fille de son débiteur pour stopper le versement d’une pension alimentaire n’est clairement pas possible. De manière bien plus efficace que l’action oblique, certaines mesures, expressément prévues par la loi, permettent à une personne d’agir directement contre le cocontractant de son débiteur. Ainsi, la loi envisage l’action directe en paiement du bailleur à l’encontre du sous-locataire (le locataire du locataire). Elle permet également à la victime d’un accident de la circulation d’agir directement à l’encontre de l’assureur du responsable de l’accident. Elle permet encore au sous-traitant d’obtenir le paiement des travaux qu’il a effectués directement auprès de la personne pour laquelle ils ont été réalisés.
- Conseil : Dans le cadre de l’action directe en paiement, il n’est pas toujours possible d’obtenir la totalité des sommes qui nous sont dues. Le contrat sur lequel repose la dette du débiteur de notre débiteur nous est effectivement opposable. Ainsi, lorsque l’on formule une demande à cet égard, il ne faut pas demander plus que ce qui est dû à notre propre débiteur. Par exemple, si notre locataire nous doit 150.000 FCFA à titre de loyer et que le sous-locataire lui doit en revanche seulement 100.000 FCFA, on ne pourra pas exiger de ce dernier plus que 100.000 FCFA. On ne pourra d’ailleurs pas lui demander plus que ce qu’il nous est dû (les 150.000 FCFA).
Conclusion
L’étude de la question de savoir si une personne étrangère à la relation contractuelle peut en exiger l’exécution révèle toute la richesse et la complexité du droit des obligations. Le principe cardinal, hérité du Code civil napoléonien et encore en vigueur en Côte d’Ivoire, demeure celui de l’effet relatif des conventions. Ce principe, énoncé à l’article 1165 du Code civil ivoirien, protège les tiers de toute immixtion indue dans un contrat auquel ils n’ont pas consenti, et garantit ainsi la sécurité et la prévisibilité des relations juridiques. En ce sens, il constitue une traduction concrète du respect de la liberté contractuelle et de l’autonomie de la volonté. Toutefois, comme l’ont montré les développements précédents, la rigidité absolue de ce principe aurait été source de blocages et d’injustices. C’est pourquoi le législateur et la jurisprudence ont admis des exceptions soigneusement encadrées. Certaines sont volontaires, à l’image de la stipulation pour autrui, qui permet à un tiers désigné par les parties de bénéficier directement du contrat et d’en exiger l’exécution. D’autres sont légales, telles que l’action oblique, par laquelle un créancier agit à la place de son débiteur défaillant, ou encore l’action directe, qui autorise, dans des hypothèses précises, un tiers à s’adresser directement au cocontractant de son débiteur.
Ces exceptions révèlent une tension permanente entre deux exigences contradictoires : d’un côté, la rigueur du principe de l’effet relatif, qui fonde la sécurité juridique et limite les effets du contrat à son cercle d’auteurs ; de l’autre, la souplesse des tempéraments, dictée par des impératifs d’équité et d’efficacité économique. Le droit ivoirien, fidèle à sa tradition civiliste, se situe dans une ligne de continuité avec le droit français, tout en restant attaché aux formulations classiques du Code civil. Le droit français, notamment depuis la réforme de 2016, a modernisé sa rédaction et renforcé la clarté des exceptions, mais l’esprit demeure identique. L’analyse critique met en lumière la pertinence de cet équilibre. L’effet relatif ne doit pas être compris comme une barrière infranchissable, mais comme un principe directeur assorti d’exceptions limitées. Ces dernières ne doivent pas se transformer en un droit général pour les tiers d’agir en justice, sous peine de fragiliser la force obligatoire des contrats. Elles doivent rester encadrées, précisément définies, et réservées aux hypothèses où elles servent l’intérêt général (protection des créanciers, sécurité des transactions, solidarité familiale ou économique).
En définitive, la règle de l’effet relatif demeure un pilier de la stabilité contractuelle, mais elle s’accommode d’assouplissements pragmatiques. Ces assouplissements traduisent une évolution du droit vers un modèle plus équilibré, où la justice contractuelle complète la sécurité juridique. L’avenir du droit ivoirien, à l’instar de celui du droit français, sera sans doute marqué par une accentuation de cette tendance : préserver le socle traditionnel de l’effet relatif, tout en ouvrant davantage la porte à des interventions extérieures justifiées par l’équité ou par les réalités économiques contemporaines.
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Me Luc KOUASSI
Juriste Consultant Polyglotte| Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.
denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28
[1] Cass. civ. 3e, n° 92-12.674, 15 déc. 1993.
[2] Code civil ivoirien, art. 1165.
[3] Code civil français, art. 1199 (issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016).
[4] P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, LGDJ, 13e édition, 2024, p. 273.
[5] E. Martin-Hocquenghem, Droit des obligations : Le contrat. Licence, Thèse de doctorat, Université Paris Panthéon Assas, France, 2025, 483 p.
[6] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil : Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2018, p. 341.
[7] Code civil ivoirien, art. 1121.
[8] P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Op. cit., p. 278.
[9] J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, Revue internationale de droit comparé, 1987, 39-4, pp. 994-995
[10] J. Ghestin, Traité de droit civil, LGDJ, Tome 1, 4e édition, 2013, p. 43.
[11] E. Martin-Hocquenghem, Op. cit.
[12] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Op. cit.
[13] Cass. civ. 1re, D. 1966, jurispr. p. 47, 14 décembre 1965, (principe réaffirmé en droit français, équivalent admis en jurisprudence ivoirienne).
[14] Code civil ivoirien, art. 1753 ; Code civil français, art. 1753.
[15] Loi française du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance
[16] A.-M. H. Assi-Esso, Précis de droit civil ivoirien : Les personnes, la famille, Abidjan, LDI, 1997, p. 254.
[17] P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Op. cit., p. 365.
[18] B. Fages, Droit des obligations, LGDJ, 9e édition, 2019, 602 p.


