
Le principe fondamental du droit des contrats en droit civil, aussi bien ivoirien que français, énonce que « le contrat est la loi des parties ». Cette formule consacrée signifie que le contrat crée des obligations juridiques entre les parties qui l’ont librement conclu, et que ces obligations s’imposent à elles comme la loi elle-même. Ainsi, même lorsque les stipulations d’un contrat sont désavantageuses pour l’une des parties, celles-ci s’appliquent dès lors qu’elles ont été librement consenties et ne sont pas contraires à la loi ou à l’ordre public[1].
Cependant, ce principe d’autonomie de la volonté, qui fonde la force obligatoire du contrat, connaît d’importantes atténuations et limites. En effet, il arrive que la réalité contractuelle crée une situation d’inégalité manifeste entre les parties, notamment lorsque l’une d’elles se trouve en situation de faiblesse économique, juridique ou psychologique. C’est le cas, par exemple, du consommateur face au professionnel, du salarié face à l’employeur, ou du client profane face à une banque ou un professionnel du droit.
Dans de telles situations, la question se pose de savoir si la loi ou le juge peuvent imposer à une partie des obligations qui ne sont pas expressément prévues par le contrat, dans un souci d’équité, de justice contractuelle ou de protection des plus faibles. La réponse est positive, mais elle mérite une analyse approfondie, tant les conditions d’une telle imposition sont strictes et encadrées par la jurisprudence et la doctrine.
I. La force obligatoire du contrat et ses limites
Le principe de la force obligatoire du contrat est énoncé en droit ivoirien par l’article 1134 alinéa 1er du Code civil, aux termes duquel « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites »[2]. Ce principe est également consacré en droit français à l’article 1103 du Code civil, issu de l’ordonnance de réforme du droit des contrats de 2016.
Cette règle signifie que les obligations contractuelles sont celles que les parties ont expressément stipulées. Les juges ne peuvent en principe ajouter de nouvelles obligations à celles qui résultent de l’accord de volonté, sous peine de méconnaître le principe d’autonomie contractuelle, pilier du droit des obligations[3].
Cependant, ce principe connaît des exceptions. En effet, certains textes du Code civil imposent aux parties des obligations qui ne sont pas nécessairement stipulées dans le contrat, mais qui sont inhérentes à sa nature ou qui résultent de l’équité, de l’usage ou de la loi. Ainsi, l’article 1135 du Code civil ivoirien dispose que « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature »[4][5]. Le Code civil français reprend exactement la même formulation à l’article 1194.
De plus, l’article 1104 du Code civil français dispose que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi », règle qualifiée d’ordre public[6]. Le droit ivoirien exprime la même exigence dans l’article 1134 alinéa 3. Cela signifie que même si une obligation n’a pas été stipulée, elle peut être imposée par le juge dès lors qu’elle découle de la bonne foi contractuelle.
II. Les obligations accessoires imposées par la jurisprudence
Les obligations imposées aux parties par le juge, sans qu’elles aient été prévues expressément dans le contrat, sont qualifiées d’obligations accessoires. Elles sont inhérentes à la nature du contrat ou résultent des usages professionnels. Elles visent à assurer l’efficacité et la moralité des rapports contractuels, ainsi qu’à protéger la partie faible.
La jurisprudence française et ivoirienne impose ainsi de nombreuses obligations accessoires, notamment :
- L’obligation de sécurité : dans les contrats de transport, l’organisateur est tenu d’assurer la sécurité des passagers, même si cette obligation n’est pas stipulée[7][8].
- L’obligation de renseignement et d’avertissement : la banque doit avertir l’emprunteur profane des risques d’une opération financière complexe[9].
- L’obligation de conseil : le professionnel (banquier, notaire, avocat, médecin) doit conseiller son client profane de manière adaptée à sa situation[10].
- L’obligation de surveillance : par exemple, la banque qui loue un coffre-fort doit veiller à sa sécurité[11].
- L’obligation de loyauté et de bonne foi : chaque partie doit coopérer loyalement à l’exécution du contrat, même si le texte ne le précise pas.
Ces obligations trouvent leur fondement dans l’article 1135 du Code civil ivoirien et l’article 1194 du Code civil français, qui imposent aux parties de respecter les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent au contrat[12]. Elles découlent également du principe de bonne foi contractuelle, consacré par l’article 1104 du Code civil français et l’article 1134 alinéa 3 du Code civil ivoirien.
III. Illustration pratique : l’affaire M. AZALAKAPINHOU
Présentation des faits : M. AZALAKAPINHOU, homme âgé et sans emploi, a été sollicité par un professionnel de l’immobilier peu scrupuleux qui l’a incité à investir dans un projet aléatoire nécessitant un emprunt bancaire. Malgré sa précarité financière et l’absence de perspectives professionnelles, une banque lui a accordé un prêt de 30.000.000 FCFA. Incapable de rembourser, il fait désormais l’objet d’une procédure de saisie immobilière de son bien.
Analyse juridique : Dans cette affaire, la banque a-t-elle manqué à une obligation non stipulée mais qui s’imposait à elle ? La réponse est oui. La jurisprudence française considère depuis l’arrêt « Vilgrain » (Cass. com. 27 janvier 1998) que la banque a une obligation d’avertissement à l’égard de l’emprunteur profane. Elle doit vérifier sa capacité financière et l’avertir des risques de l’opération[13].
Ainsi, même si le contrat de prêt conclu entre M. AZALAKAPINHOU et la banque ne contenait aucune clause imposant à la banque de l’avertir, cette obligation lui était imposée par la jurisprudence au nom de la protection du consommateur et de l’équité contractuelle.
Conséquences pratiques : En cas de manquement à cette obligation d’avertissement, la banque engage sa responsabilité contractuelle. Elle peut être condamnée à indemniser l’emprunteur pour le préjudice subi, tel que la perte de son bien immobilier ou l’aggravation de son endettement. Le juge appréciera souverainement le montant de l’indemnisation, en fonction de la gravité de la faute et des conséquences économiques pour la victime[14].
IV. Limites et précautions pratiques
Il convient de souligner que toutes les obligations accessoires ne sont pas imposées par le juge. Le sentiment d’injustice ressenti par une partie ne suffit pas. Le juge impose ces obligations uniquement lorsqu’elles résultent de la nature du contrat, des usages professionnels ou des exigences de bonne foi et d’équité. Elles ne doivent pas être contraires à l’autonomie de la volonté, principe fondamental du droit des contrats[15].
Pour éviter des surprises ou des sanctions financières lourdes, il est essentiel de consulter un professionnel du droit (avocat ou juriste spécialisé) avant de conclure un contrat important, notamment lorsqu’il engage des sommes importantes ou qu’il est conclu avec un professionnel plus expérimenté.
V. Conclusion
L’idée selon laquelle le contrat crée uniquement les obligations expressément prévues par ses clauses est inexacte. Certes, le contrat est la loi des parties, mais cette loi contractuelle s’intègre dans l’ordre juridique global, qui impose des obligations inhérentes à la nature du contrat, à l’équité et à la bonne foi. La jurisprudence a ainsi dégagé un ensemble d’obligations accessoires, telles que l’obligation de conseil, de renseignement ou de loyauté, destinées à moraliser les relations contractuelles et à protéger la partie la plus faible.
Il convient donc, dans toute relation contractuelle, de veiller non seulement à la rédaction précise des clauses mais aussi au respect des obligations implicites imposées par la loi et la jurisprudence. C’est à cette condition que le contrat pourra pleinement produire ses effets dans un climat de sécurité juridique, d’équité et de loyauté.
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Me Luc KOUASSI
Juriste Consultant Bilingue | Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.
denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28
[1] Ph. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, LGDJ, 12e éd., 2021, p. 110.
[2] Code civil ivoirien, art. 1134.
[3] Y. Lequette, Droit des contrats, PUF, 2018, p. 97.
[4] Code civil ivoirien, art. 1135.
[5] Code civil français, art. 1194.
[6] Code civil français, art. 1104.
[7] Cass. civ. 1ère, 21 nov. 1968, Bull. civ. I, n° 366.
[8] J. Ghestin, Traité de droit civil, La formation du contrat, LGDJ, 1993, p. 978.
[9] Cass. com. 27 janv. 1998, n° 95-18692, Vilgrain.
[10] B. Teyssié, Droit des obligations, LexisNexis, 2020, p. 421.
[11] Cass. civ. 1ère, 15 nov. 1988, Bull. civ. I, n° 318.
[12] F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2018, p. 321.
[13] Cass. com. 27 janv. 1998, préc.
[14] Cass. com. 23 janv. 2007, n° 05-17200.
[15] J. Mestre, Les obligations, Dalloz, 2019, p. 212.