
L’accès à l’emploi, en tant que première étape du rapport de travail, est un domaine hautement encadré par le législateur ivoirien, qui cherche à concilier la liberté d’entreprendre des employeurs et la protection des travailleurs contre certaines dérives. La législation du travail, notamment dans son volet relatif au recrutement, illustre parfaitement cet équilibre. Cet article se propose d’analyser, dans une perspective scientifique et pédagogique, la liberté d’embaucher, l’interdiction du débauchage illicite et la clause de non-concurrence telles qu’organisées par le Code du travail ivoirien.
I. La liberté d’embaucher et ses limites
La liberté d’embauche est un corollaire de la liberté d’entreprendre. Elle signifie que tout employeur est libre de choisir ses collaborateurs selon ses besoins et la politique de développement de son entreprise. L’article 11.1 du Code du travail ivoirien consacre explicitement cette liberté en prévoyant que l’employeur peut embaucher directement ses travailleurs[1]. Il peut également recourir aux services de l’organisme public de placement (notamment l’Agence Emploi Jeunes) ou à ceux des bureaux ou offices privés de placement agréés[2]. Cette liberté assure la fluidité du marché du travail et permet à l’employeur d’adapter son personnel aux évolutions technologiques et économiques.
Cependant, cette liberté n’est pas absolue. Elle est encadrée par un ensemble de mesures destinées à protéger l’accès des nationaux à l’emploi. Ainsi, avant tout recrutement, l’employeur doit effectuer une déclaration de vacance de poste auprès de l’organisme public de placement[3]. Cette formalité administrative permet aux autorités de disposer de statistiques fiables sur les emplois disponibles et de réguler l’offre et la demande d’emploi. Par ailleurs, l’employeur est tenu de publier l’offre dans un quotidien national à grand tirage. L’objectif est de garantir une diffusion large et accessible à tous les candidats potentiels, contribuant ainsi à l’égalité des chances sur le marché du travail[4].
La législation ivoirienne établit un principe de priorité nationale. Ainsi, ce n’est qu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la première publication de l’offre d’emploi et si aucun national ne satisfait au profil requis, que l’employeur peut recruter un travailleur étranger[5]. Cette règle traduit la volonté du législateur de protéger l’emploi des nationaux, tout en maintenant une ouverture raisonnée au recrutement international lorsque la compétence requise n’est pas disponible localement. Ce mécanisme d’équilibre est conforme aux standards internationaux qui recommandent aux États de veiller prioritairement à l’insertion professionnelle de leurs ressortissants tout en évitant toute discrimination excessive à l’égard des étrangers qualifiés[6].
II. La prohibition du débauchage illicite : protection de la stabilité contractuelle
Le débauchage illicite désigne la situation dans laquelle un employeur engage un travailleur qui a rompu de façon abusive son contrat de travail avec un précédent employeur. Le législateur ivoirien, à travers l’article 14.7 du Code du travail, incrimine ce comportement en instituant une responsabilité solidaire du nouvel employeur avec le travailleur fautif[7]. Cette disposition vise à protéger la stabilité des contrats de travail et à prévenir la concurrence déloyale entre entreprises.
Trois hypothèses sont prévues par la loi. La première survient lorsque le nouvel employeur est intervenu activement dans le processus de débauchage, par exemple en incitant le salarié à rompre son contrat sans respecter la procédure de démission[8]. La deuxième concerne le cas où l’employeur recrute sciemment un salarié encore lié par un contrat de travail en cours. À cet égard, le nouvel employeur a l’obligation de vérifier la situation juridique du candidat avant son embauche[9]. Enfin, la troisième hypothèse correspond au maintien du salarié à son poste par le nouvel employeur après avoir appris que celui-ci était toujours lié à son ancien employeur. Cependant, la responsabilité n’est pas engagée si, à la date où l’employeur est averti, le contrat de travail initial est arrivé à expiration, soit par terme (pour un CDD), soit par expiration du préavis, ou si un délai de quinze jours s’est écoulé depuis la rupture du contrat[10].
Cette réglementation s’explique par la nécessité d’assurer la sécurité juridique des relations de travail. Le contrat de travail, en tant qu’accord bilatéral, crée des obligations réciproques dont la violation peut causer un préjudice économique à l’entreprise. La solidarité instaurée par l’article 14.7 sanctionne le comportement du nouvel employeur qui, en profitant d’une rupture abusive, participe indirectement au dommage subi par l’ancien employeur[11]. Elle vise également à promouvoir une éthique des affaires fondée sur la loyauté et la concurrence saine.
III. La clause de non-concurrence : encadrement juridique et protection de la liberté professionnelle
Le Code du travail ivoirien reconnaît au salarié la liberté d’exercer, en dehors de son temps de travail, toute activité professionnelle qui ne concurrence pas son employeur et n’entrave pas l’exécution correcte de ses obligations principales[12]. Cette disposition consacre le principe de liberté du travail, permettant au salarié de diversifier ses sources de revenus, notamment dans un contexte socio-économique marqué par la recherche de la pluriactivité pour faire face aux charges sociales et familiales[13].
En revanche, l’article 16.5 du Code du travail interdit formellement toute clause interdisant au salarié d’exercer une quelconque activité à l’expiration de son contrat[14]. Une telle clause est frappée de nullité absolue. Cette prohibition vise à préserver la liberté fondamentale du travailleur d’exercer une activité professionnelle pour subvenir à ses besoins après la rupture de son contrat de travail[15]. Elle empêche ainsi l’employeur d’imposer une forme d’asservissement économique au-delà de la relation contractuelle.
Il convient toutefois de préciser qu’une clause de non-concurrence peut être admise si elle répond à des conditions strictes de validité, notamment la limitation dans le temps et dans l’espace ainsi que le versement d’une contrepartie financière au salarié, conditions exigées par la jurisprudence et la doctrine comparée en droit OHADA et français[16][17]. Cette position, bien que non explicitement prévue par le Code du travail ivoirien, s’inscrit dans une logique de protection équilibrée des intérêts légitimes de l’employeur (protection du savoir-faire, de la clientèle, des secrets d’affaires) et du droit fondamental du travailleur à l’emploi.
IV. Conclusion
Ainsi, la législation ivoirienne en matière d’accès à l’emploi consacre une liberté de recrutement tout en imposant des limites destinées à préserver l’ordre public social et la stabilité des relations contractuelles. L’encadrement strict du débauchage illicite et la nullité des clauses de non-concurrence absolues illustrent la volonté du législateur d’assurer un équilibre entre les intérêts économiques de l’employeur et la protection du salarié. Ce cadre juridique répond aux exigences d’un droit du travail moderne, garant d’une économie compétitive mais socialement responsable.
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Me Luc KOUASSI
Juriste Consultant Bilingue | Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.
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[1] Article 11.1, Code du travail ivoirien.
[2] Article 11.2, Code du travail ivoirien.
[3] Ibid.
[4] KONE, Karamoko, Droit du travail ivoirien, Abidjan : CERAP Editions, 2020, p. 73.
[5] Article 11.1, alinéa 4, Code du travail ivoirien.
[6] OIT, Liberté d’emploi et priorités nationales, Rapport général, Conférence internationale du Travail, Genève, 2016.
[7] Article 14.7, Code du travail ivoirien.
[8] DAOUDA, Kouakou, Le droit du travail ivoirien commenté, Les Classiques Africains, 2018, p. 85.
[9] Ibid.
[10] Article 14.7, Code du travail ivoirien.
[11] TIA, Lucien, Traité de droit du travail ivoirien, L’Harmattan, 2019, p. 145.
[12] Article 16.4, Code du travail ivoirien.
[13] YAPO, Martial, Droit du travail et pluriactivité en Côte d’Ivoire, Revue ivoirienne de droit, n°12, 2019, p. 22.
[14] Article 16.5, Code du travail ivoirien.
[15] OIT, Liberté de travail et clauses restrictives, Recommandation n°198, Genève, 2006.
[16] Voir en ce sens : Cass. soc. France, 10 juillet 2002, n° 00-45135.
[17] TIA, Lucien, op. cit., p. 147.