La vie juridique et économique repose sur une multitude de contrats qui, chaque jour, organisent les rapports entre les individus, les entreprises et l’État. Ces contrats prennent des formes variées : contrats de travail, de vente, de prêt, de bail, d’assurance, etc. Pourtant, une question revient régulièrement, notamment dans la pratique : faut-il nécessairement un document écrit pour qu’un contrat soit valable ?
À première vue, on pourrait croire que tout contrat doit être signé et consigné par écrit pour exister. En réalité, il n’en est rien. Le principe fondamental du droit des obligations est que le contrat se forme par le simple échange des consentements, indépendamment d’un écrit (art. 1101 et 1103 du Code civil français ; art. 1121 et s. du Code civil ivoirien)[1]. Dès lors que les parties se sont mises d’accord sur les éléments essentiels de leur engagement (objet, prix, prestations), le contrat est né, même sans écrit. Ce principe illustre la force de la liberté contractuelle, que les auteurs qualifient parfois de « pierre angulaire du droit privé moderne »[2].
Cependant, si l’écrit n’est pas une condition de validité du contrat, il joue un rôle essentiel à un autre niveau : celui de la preuve. En cas de contestation, il ne suffit pas de dire qu’un accord a été conclu : il faut pouvoir en apporter la démonstration devant un juge. Or, dans un monde où les litiges sont nombreux, la preuve devient aussi importante que l’existence du contrat lui-même. Comme le rappelle Philippe Malaurie, « le contrat sans preuve est un contrat sans force »[3].
Dès lors, la question n’est pas tant de savoir si l’écrit est obligatoire, mais dans quelles hypothèses il l’est, et surtout pourquoi le droit impose parfois aux parties d’écrire ce qu’elles auraient pu se contenter de dire oralement. C’est cette tension entre principe et exceptions que nous allons examiner.
Nous verrons dans un premier temps que l’écrit n’est pas, en principe, une condition de validité du contrat, mais qu’il peut être exigé dans certains cas pour la formation même de l’acte (I). Dans un second temps, nous analyserons la fonction de l’écrit comme moyen de preuve, en distinguant les cas où il est indispensable de ceux où d’autres modes de preuve sont admis (II). Enfin, nous verrons que le droit contemporain, à travers des exceptions jurisprudentielles et législatives, reconnaît la possibilité d’assouplir cette exigence en admettant des preuves alternatives (III).
I – L’écrit comme condition de validité du contrat dans certains cas : exceptions au consensualisme
Le droit des contrats, dans sa tradition civiliste, repose sur le principe du consensualisme : un contrat est formé dès que les parties sont d’accord, indépendamment de la forme qu’il revêt[4]. Ce principe est un corollaire direct de la liberté contractuelle, qui laisse aux individus la possibilité d’organiser eux-mêmes leurs relations. Toutefois, à côté de ce principe, le législateur a prévu un certain nombre d’exceptions. Dans des hypothèses précises, il exige que le contrat soit non seulement conclu par un échange de consentements, mais aussi constaté par écrit. Dans ces cas, l’écrit n’est plus une simple commodité probatoire, il devient une véritable condition de validité du contrat : à défaut, celui-ci est inexistant ou requalifié.
Ces exceptions sont motivées par plusieurs considérations : protéger la partie faible (notamment en droit du travail), garantir la sécurité juridique (en droit commercial), ou encore informer et alerter les parties des conséquences de leurs engagements (en droit civil).
On distinguera ici trois grandes catégories de contrats dans lesquels l’écrit est imposé : les contrats de travail spéciaux (A), les contrats de cession d’entreprises et assimilés (B), et les contrats nécessitant une information renforcée des parties (C).
A – Les contrats de travail spéciaux : la nécessité d’un écrit protecteur
Le premier domaine dans lequel l’écrit est imposé par la loi est celui du droit du travail, et plus particulièrement en matière de contrat à durée déterminée (CDD). En principe, le contrat de travail est consensuel : il peut se former oralement, dès que l’employeur et le salarié sont d’accord sur la prestation et la rémunération[5]. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’un CDD, la loi impose un écrit sous peine de requalification en contrat à durée indéterminée (CDI).
Ainsi, en Côte d’Ivoire, l’article 15.2 du Code du travail dispose que « le contrat de travail à durée déterminée doit être établi par écrit »[6]. De même, en droit français, l’article L1242-12 du Code du travail précise que « le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif ; à défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée »[7].
Cette exigence d’écrit poursuit une finalité protectrice : le CDD étant un contrat précaire par nature, il doit être encadré afin d’éviter les abus. L’absence d’écrit entraîne une sanction radicale : la requalification en CDI, plus protecteur pour le salarié, avec toutes les conséquences attachées (ancienneté, indemnités de rupture, etc.).
La jurisprudence française a été constante en ce sens : la Cour de cassation a jugé qu’un CDD non écrit est réputé à durée indéterminée, et que l’absence de mention précise du motif du recours au CDD conduit également à la requalification[8]. La doctrine ivoirienne suit la même logique, insistant sur le rôle de l’écrit comme instrument de protection sociale.
B – Les contrats de cession d’entreprises et de fonds de commerce : un écrit pour sécuriser les transactions
Un second domaine où l’écrit est requis est celui des contrats commerciaux relatifs aux entreprises. Plus précisément, la vente d’un fonds de commerce doit obligatoirement être constatée par écrit et comporter certaines mentions légales.
En droit français, l’article L141-1 du Code de commerce impose que l’acte de vente mentionne notamment : le nom du précédent vendeur, la date et la nature de son acte d’acquisition, le prix de cession des éléments incorporels, du matériel et des marchandises, le chiffre d’affaires et les résultats d’exploitation réalisés au cours des trois exercices précédents[9]. Ces mentions visent à protéger l’acquéreur en lui garantissant une information suffisante sur la valeur réelle de ce qu’il achète.
En l’absence de ces mentions obligatoires, le contrat n’est pas nécessairement nul, mais l’acquéreur dispose d’une action en nullité relative, destinée à le protéger contre une information défaillante. La jurisprudence considère en effet que l’écrit a ici une fonction informative autant que probatoire[10].
En Côte d’Ivoire, le droit OHADA, bien que moins détaillé que le Code de commerce français, prévoit également l’exigence d’un écrit dans la cession d’un fonds de commerce, notamment pour des raisons de publicité et d’opposabilité aux tiers[11]. Cette exigence s’inscrit dans une logique de sécurité des transactions commerciales, où la clarté et la certitude sont essentielles pour garantir la confiance des acteurs économiques.
C – Les contrats d’information renforcée : un écrit pour alerter les parties
Enfin, certains contrats doivent être conclus par écrit parce qu’ils engagent les parties dans des obligations lourdes ou à long terme. L’écrit est alors imposé comme instrument de réflexion et de protection contre la précipitation.
C’est notamment le cas en matière de crédit à la consommation, où la loi française (art. L312-18 du Code de la consommation) impose un écrit contenant l’ensemble des conditions financières du prêt (taux, durée, échéances, coût total)[12]. De même, dans le domaine du droit immobilier, le contrat de bail de plus de 12 ans doit être établi par acte notarié pour être publié au service de la publicité foncière[13].
L’écrit n’est donc pas ici un simple instrument de preuve, mais une condition d’efficacité de l’acte, parfois même de validité. Comme l’explique Jacques Ghestin, « l’écrit imposé par la loi ne vise pas seulement à constater le contrat : il a pour fonction d’éclairer les volontés, d’informer, et de limiter les risques d’abus »[14].
Ainsi, si le principe demeure que l’écrit n’est pas une condition de validité du contrat, il existe de nombreuses exceptions, justifiées par des considérations de protection, de sécurité ou d’information. L’exigence d’un écrit apparaît comme une limite au consensualisme, mais une limite qui se veut pragmatique et équilibrée, afin de répondre à des besoins sociaux et économiques concrets.
II – L’écrit comme moyen de preuve : force probante et limites
Si l’écrit n’est pas toujours exigé comme condition de validité du contrat, il conserve une place essentielle dans le droit des obligations en tant que moyen de preuve. En d’autres termes, même si un contrat peut exister valablement sans écrit, il reste souvent difficile d’en prouver l’existence ou le contenu devant le juge sans un support écrit. L’écrit devient alors le pivot de la sécurité juridique : il permet de fixer la mémoire des conventions et de prévenir les contestations.
Ce rôle probatoire de l’écrit s’inscrit dans une architecture législative précise. Le Code civil français comme le Code civil ivoirien organisent un régime général de la preuve des actes juridiques, fondé sur le principe selon lequel tout acte dépassant une certaine valeur doit être prouvé par écrit[15]. Toutefois, cette règle connaît des tempéraments, afin d’éviter qu’elle ne conduise à des injustices ou à une rigidité excessive.
Nous envisagerons donc, d’une part, la primauté de l’écrit en matière de preuve (A), puis, d’autre part, les exceptions et limites apportées à cette primauté (B).
A – La primauté de l’écrit comme mode de preuve
En droit civil, l’écrit est traditionnellement considéré comme une preuve dite « parfaite », c’est-à-dire que le juge ne dispose en principe d’aucun pouvoir d’appréciation sur sa valeur, sauf en cas de contestation sur l’authenticité ou d’ambiguïté dans le contenu[16].
L’article 1359 du Code civil français pose une règle fondamentale : tout acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit, sous signature privée ou authentique. Le Code de procédure civil ivoirien reprend le même esprit en exigeant un écrit pour les actes juridiques dépassant la somme de 500 francs CFA. Ainsi, dans notre exemple introductif du prêt de dix millions de francs CFA consenti par M. EMBONPOINT à sa nièce, la loi exige en principe un écrit pour prouver le contrat.
L’écrit confère donc une stabilité aux relations contractuelles. Comme le souligne Philippe Malaurie, « l’écrit cristallise la convention, il fixe dans le temps l’accord des volontés et le soustrait aux incertitudes de la mémoire »[17].
Le droit distingue plusieurs types d’écrits pouvant servir de preuve :
- L’acte authentique, rédigé par un officier public (notaire, officier d’état civil, huissier) et doté d’une force probante renforcée. Sa valeur probante s’impose au juge tant qu’il n’est pas attaqué par la voie de l’inscription de faux[18].
- L’acte sous seing privé, établi par les parties elles-mêmes, qui n’a pas la même force probante que l’acte authentique mais reste une preuve parfaite, sauf si sa signature est contestée.
- L’écrit électronique, désormais reconnu par les législations modernes (art. 1366 Code civil français), qui a la même valeur probante que l’écrit papier à condition que l’identité du signataire soit garantie et que le support assure l’intégrité du contenu[19].
Cette diversification des supports reflète une adaptation du droit aux évolutions technologiques et aux besoins des relations économiques contemporaines.
Le principe de la force probante de l’écrit se traduit également par la règle d’exclusivité : il ne peut être prouvé « outre ou contre un écrit » que par un autre écrit. L’article 1359, alinéa 2 du Code civil français dispose expressément que l’on ne peut pas établir par témoignage ou par présomptions ce qui contredit un acte écrit[20].
Cette règle a pour finalité de protéger la stabilité et la cohérence des relations contractuelles. Comme le rappelle la jurisprudence, admettre systématiquement la preuve par témoins contre un écrit reviendrait à vider ce dernier de sa substance et à fragiliser la sécurité juridique[21].
B – Les limites et tempéraments à la primauté de l’écrit
La rigueur de la règle du « tout écrit » ne pouvait toutefois être appliquée sans nuances, au risque de conduire à des injustices. C’est pourquoi le Code civil et la jurisprudence ont prévu plusieurs exceptions permettant de suppléer l’absence d’écrit ou de contourner l’exigence légale.
L’article 1360 du Code civil français prévoit que les règles de preuve par écrit « reçoivent exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ».
L’impossibilité matérielle vise des situations concrètes : par exemple, un contrat conclu dans l’urgence, comme lors d’une hospitalisation soudaine, où l’établissement d’un écrit aurait été impossible. L’impossibilité morale renvoie à des cas où la nature de la relation entre les parties rendait inapproprié de demander un écrit. La jurisprudence française a admis qu’un prêt conclu entre membres d’une même famille pouvait relever de cette exception, l’existence d’un lien affectif fort constituant une impossibilité morale de réclamer un écrit[22].
Dans l’affaire de M. EMBONPOINT, la relation familiale et affective avec sa nièce pourrait justifier l’absence d’écrit, et permettre au juge d’admettre des témoignages comme preuve du prêt.
Le même article 1360 prévoit deux autres cas d’exception : lorsque l’usage exclut l’écrit, et lorsque l’écrit a été perdu par force majeure.
- Les usages : certains milieux professionnels ou certaines pratiques sociales n’impliquent pas la formalisation écrite des accords. Dans le commerce de détail, par exemple, les achats sont rarement constatés par un écrit.
- La perte de l’écrit : lorsqu’un contrat avait bien été formalisé mais que l’écrit a été détruit accidentellement (incendie, inondation, etc.), la loi permet aux parties de recourir à d’autres modes de preuve.
L’article 1362 du Code civil français définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué ». Par exemple, une lettre, un courriel ou un reçu signé peuvent constituer un commencement de preuve par écrit.
Ce commencement doit toutefois être corroboré par un autre mode de preuve (témoignages, présomptions) pour emporter la conviction du juge. Ce mécanisme permet une certaine souplesse, tout en préservant la prééminence de l’écrit.
L’article 1361 du Code civil français admet que l’écrit peut être suppléé par des modes de preuve solennels tels que l’aveu judiciaire ou le serment décisoire. Ces mécanismes permettent d’éviter un formalisme excessif, tout en garantissant une valeur probatoire équivalente à l’écrit.
L’écrit apparaît ainsi comme le pilier de la preuve contractuelle : il constitue la preuve parfaite des conventions, et son absence expose les parties à de grandes difficultés probatoires. Toutefois, afin d’éviter que la rigueur de cette exigence ne mène à des injustices, la loi et la jurisprudence ont prévu de nombreuses exceptions, notamment en cas d’impossibilité morale, d’usages, ou par le recours au commencement de preuve par écrit.
Le système de preuve en droit civil illustre donc une tension permanente entre deux objectifs : la sécurité juridique par l’écrit et la souplesse des relations sociales et économiques.
III – Les autres modes de preuve supplétifs : témoignage, présomptions et preuve électronique
Si l’écrit occupe une place centrale dans le système probatoire des contrats, il ne constitue pas l’unique instrument de preuve. Le droit civil, conscient de la diversité des situations de la vie sociale, a admis des modes de preuve supplétifs permettant de compléter ou, parfois, de remplacer l’écrit. Ces mécanismes viennent tempérer la rigidité de la règle du « tout écrit » et offrir une certaine souplesse aux parties, en particulier lorsqu’il leur est difficile d’obtenir un document écrit.
Ainsi, en dehors de l’écrit, les parties peuvent recourir à trois grands types de preuves supplétives : le témoignage, les présomptions et la preuve électronique. Chacun de ces modes, bien que moins « parfaits » que l’écrit, est encadré par la loi et la jurisprudence, afin de garantir un équilibre entre la recherche de vérité et la sécurité juridique.
A – Le témoignage : la parole humaine comme preuve
Le témoignage consiste en la déclaration faite par une personne, sous serment, sur des faits dont elle a eu connaissance personnelle. Le Code civil français (art. 1381 et s.) comme le Code civil ivoirien reconnaissent le témoignage comme un mode de preuve recevable, mais qui demeure une preuve « imparfaite » : le juge conserve un pouvoir souverain d’appréciation sur sa valeur probante[23].
Ce caractère imparfait s’explique par les risques d’altération de la mémoire, de partialité ou encore de pressions exercées sur les témoins. Comme l’a souligné un arrêt ancien mais constant de la Cour de cassation, « le témoignage est une preuve sujette à caution, que le juge doit apprécier avec une particulière prudence »[24].
Le témoignage est souvent admis lorsque l’écrit fait défaut, mais uniquement dans les cas prévus par la loi, comme l’impossibilité morale d’obtenir un écrit (cf. supra). Dans l’affaire de M. EMBONPOINT, par exemple, les témoins présents au moment du prêt pourraient utilement attester de la réalité de l’accord verbal. Toutefois, ces témoignages n’auraient de valeur probante qu’à condition d’être corroborés par d’autres éléments (commencement de preuve par écrit, présomptions, etc.)[25].
La jurisprudence ivoirienne a également admis l’usage du témoignage pour suppléer un écrit lorsque les circonstances rendaient impossible la formalisation du contrat, notamment dans le cadre des relations familiales ou des échanges coutumiers.
B – Les présomptions : le raisonnement du juge comme instrument de preuve
La présomption se définit comme un raisonnement par lequel le juge déduit l’existence d’un fait inconnu à partir d’un fait connu. Le Code civil distingue deux catégories :
- Les présomptions légales, prévues par la loi elle-même, qui s’imposent au juge (par exemple, la présomption de paternité du mari, art. 312 C. civ. fr.).
- Les présomptions judiciaires, que le juge déduit librement de l’ensemble des circonstances de la cause (art. 1382 C. civ. fr.).
En matière contractuelle, ce sont principalement les présomptions judiciaires qui jouent un rôle, car elles permettent au juge de pallier l’absence d’écrit ou de confirmer un commencement de preuve.
Un exemple typique de présomption judiciaire est celui du paiement constaté par le créancier. Si celui-ci restitue volontairement une reconnaissance de dette ou un titre, le juge peut présumer que la dette a été payée.
Dans le cas de M. EMBONPOINT, si sa nièce avait adressé un message écrit ou tenu des propos reconnaissant le prêt, le juge pourrait, à partir de ce fait connu, présumer l’existence de l’accord initial. Cette utilisation des présomptions démontre leur rôle complémentaire dans l’architecture probatoire.
Les présomptions judiciaires ne valent que comme preuves imparfaites, soumises à l’appréciation souveraine des juges du fond[26]. Toutefois, elles constituent un outil précieux pour trancher des litiges où l’écrit fait défaut.
C – La preuve électronique : une modernisation de la preuve contractuelle
La révolution numérique a profondément bouleversé la notion d’écrit. Désormais, l’écrit ne se réduit plus au support papier. L’article 1366 du Code civil français dispose que « l’écrit sous forme électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier », à condition que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et que l’intégrité du document soit garantie.
Le droit OHADA, dans l’Acte uniforme révisé sur le droit commercial général, a également reconnu la valeur juridique des communications électroniques dans les relations commerciales[27]. Cette évolution a été déterminante pour sécuriser les transactions modernes, notamment dans le commerce international et le secteur bancaire.
La signature électronique est l’élément central qui confère à l’écrit électronique sa force probante. La loi française (art. 1367 C. civ.) et la législation ivoirienne, à travers la loi n° 2013-546 relative aux transactions électroniques, encadrent strictement son usage. Pour être valable, la signature électronique doit être « fiable », ce qui implique un procédé d’identification garantissant le lien entre le signataire et l’acte signé[28].
Dans la pratique, les signatures électroniques certifiées par des tiers de confiance (par exemple, les certificats numériques délivrés par des autorités agréées) sont reconnues par les juridictions comme ayant une valeur probante équivalente à celle d’une signature manuscrite[29].
Si la preuve électronique constitue une avancée majeure, elle n’est pas exempte de difficultés. Les contestations portent souvent sur la sécurité du procédé (usurpation d’identité, altération du document) ou sur la pérennité des supports numériques. Comme l’a souligné un rapport de l’OHADA, « la preuve électronique appelle une vigilance accrue afin que la modernité technologique ne devienne pas une source d’insécurité juridique ».
Les modes de preuve supplétifs notamment témoignage, présomptions et preuve électronique démontrent que le système probatoire en droit civil n’est pas figé dans un formalisme rigide. Si l’écrit conserve la primauté, ces instruments permettent d’adapter la preuve aux réalités sociales, psychologiques et technologiques.
Ils participent ainsi à l’équilibre recherché entre sécurité juridique (garantie par l’écrit) et souplesse des rapports sociaux et économiques (assurée par les preuves supplétives).
Conclusion
L’étude de la question de savoir si un contrat doit nécessairement être constaté par écrit met en lumière les tensions permanentes du droit des obligations entre deux exigences contradictoires : d’une part, la sécurité juridique, qui impose la traçabilité et la précision des engagements contractuels, et, d’autre part, la souplesse des rapports sociaux, qui rend nécessaire la reconnaissance de formes alternatives de preuve.
En principe, le droit civil, qu’il soit français, ivoirien ou même dans l’espace OHADA, repose sur le principe du consensualisme : le contrat naît du simple échange de consentements, sans qu’un écrit soit exigé[30]. Ce principe, hérité du Code civil napoléonien de 1804 et repris dans le Code civil ivoirien (art. 1101 et s.), constitue une véritable conquête doctrinale, en ce qu’il consacre l’autonomie de la volonté comme fondement du droit des contrats[31]. Toutefois, cette autonomie se heurte à la nécessité de fixer des limites, notamment dans un souci de protection des parties les plus vulnérables et de préservation de l’ordre public économique.
Ainsi, dans un premier temps, nous avons constaté que l’écrit est parfois érigé en condition de validité du contrat, ce qui constitue une dérogation au consensualisme. C’est le cas, par exemple, du contrat de travail à durée déterminée en Côte d’Ivoire (art. 15.2 C. trav. CI) ou encore de la vente de fonds de commerce en France (art. L141-1 C. com. fr.), où l’exigence d’un écrit vise à éviter les litiges en fixant par avance les conditions essentielles de l’accord. Ces formalismes imposés traduisent une logique protectrice : protéger le salarié contre un contrat précaire non consenti, ou encore protéger l’acquéreur d’un fonds contre les pratiques abusives du vendeur.
Dans un second temps, nous avons relevé que l’écrit constitue avant tout un instrument probatoire, reconnu comme une preuve parfaite. Le Code civil français (art. 1359 et s.) et le Code civil ivoirien prévoient ainsi que les actes juridiques portant sur des sommes supérieures à un certain seuil (1 500 € en France, 500 F CFA en Côte d’Ivoire) doivent être prouvés par écrit. Cette exigence permet d’éviter la volatilité des engagements verbaux et d’assurer une sécurité dans les relations patrimoniales. Cependant, elle n’est pas absolue : le législateur admet des exceptions fondées sur l’impossibilité matérielle ou morale d’obtenir un écrit (art. 1360 C. civ. fr.), ainsi que sur l’usage social ou la force majeure. Cette souplesse reflète une adaptation pragmatique du droit à la réalité des rapports humains, notamment lorsqu’il s’agit de relations familiales empreintes de confiance, comme dans le cas fictif mais réaliste de M. EMBONPOINT et de sa nièce.
Dans un troisième temps, nous avons vu que d’autres modes de preuve supplétifs complètent l’écrit. Le témoignage, les présomptions judiciaires et la preuve électronique forment un ensemble hétérogène, mais nécessaire, de moyens permettant de pallier l’absence d’acte écrit. Si le témoignage et les présomptions appartiennent à la tradition classique du droit de la preuve, la reconnaissance de la preuve électronique marque une véritable révolution juridique, en phase avec la transformation numérique des échanges économiques. La consécration légale de l’écrit électronique et de la signature électronique, aussi bien en droit français (art. 1366 et 1367 C. civ.) qu’en droit ivoirien (loi n° 2013-546 relative aux transactions électroniques), ouvre la voie à une contractualisation dématérialisée et transfrontalière, tout en posant de nouveaux défis de sécurité et de fiabilité.
L’ensemble de ces développements met en évidence une dialectique fondamentale du droit des contrats : comment concilier la liberté contractuelle, expression de l’autonomie individuelle, avec la nécessité d’encadrer cette liberté pour protéger les plus faibles et garantir la sécurité juridique des échanges ? Cette question trouve un écho particulier dans les travaux doctrinaux contemporains qui insistent sur la dimension éthique et sociale du contrat. Comme le souligne Geneviève Viney, « la contractualisation moderne n’est plus seulement un acte privé, mais un fait social qui engage l’ensemble de la collectivité »[32].
Enfin, au-delà du bilan, une mise en perspective critique s’impose. Si l’écrit reste au cœur de la preuve contractuelle, son avenir pourrait être bouleversé par les évolutions technologiques. La preuve électronique, notamment à travers les smart contracts fondés sur la blockchain, pourrait redéfinir le rôle de l’écrit dans les années à venir[33]. Ces nouveaux instruments garantissent non seulement l’existence du contrat, mais automatisent aussi son exécution, réduisant encore davantage la place du juge dans l’interprétation des engagements. Toutefois, cette dématérialisation radicale soulève des inquiétudes quant à la protection des consommateurs, au respect de la vie privée et à la persistance des inégalités d’accès au numérique dans les pays en développement, y compris au sein de l’espace OHADA.
En définitive, la réponse à la question initiale doit-on nécessairement signer un document écrit pour qu’un contrat existe ? est nuancée. Le droit apporte une réponse claire : non, l’écrit n’est pas toujours nécessaire, mais il est souvent indispensable. Indispensable lorsqu’il conditionne la validité de certains contrats, indispensable lorsqu’il constitue la preuve principale d’un engagement, et indispensable enfin lorsqu’il rassure les parties elles-mêmes. Le contrat n’a donc pas besoin d’un écrit pour exister, mais il a besoin de l’écrit pour durer.
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Me Luc KOUASSI
Juriste Consultant Polyglotte| Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.
denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28
[1] Code civil français, art. 1101 et 1103, Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats ; Code civil ivoirien, art. 1121 et suivants.
[2] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil : Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2022, p. 61 : « La liberté contractuelle constitue la pierre angulaire du droit des obligations et un instrument d’autonomie de la volonté ».
[3] Ph. Malaurie, L. Aynès, Les obligations, 11e éd., LGDJ, 2021, p. 312.
[4] J.-L. Aubert, É. Savaux, Droit des obligations, 15e éd., Sirey, 2020, p. 101.
[5] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil : Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2022, p. 123.
[6] Code du travail ivoirien, art. 15.2.
[7] Code du travail français, art. L1242-12.
[8] Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-15.033 : un CDD conclu sans écrit est réputé CDI. ; Cass. soc., 23 janv. 2008, n° 06-44.239 : absence de mention du motif = requalification en CDI.
[9] Code de commerce français, art. L141-1.
[10] Cass. com., 10 mai 1994, n° 92-17.525. Voir : M. Cabrillac, Droit commercial, Litec, 2020, p. 411.
[11] Acte uniforme OHADA relatif au droit commercial général, 2010, art. 135 et s.
[12] Code de la consommation français, art. L312-18.
[13] Code civil français, art. 1198, combiné avec Code de la construction et de l’habitation, art. L111-5.
[14] J. Ghestin, La formation du contrat, LGDJ, 1998, p. 512.
[15] Code civil français, art. 1359 ; Code civil ivoirien, art. 1102 et s.
[16] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil : Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2022, p. 451.
[17] P. Malaurie, L. Aynès, P. Stoffel-Munck, Les obligations, 12e éd., LGDJ, 2021, p. 367.
[18] Code civil français, art. 1369 ; Cass. civ. 1re, 18 nov. 1997, n°95-18.210.
[19] Code civil français, art. 1366 : reconnaissance de l’écrit électronique. Voir : B. Fauvarque-Cosson, Le droit à l’épreuve du numérique, RTD civ., 2017, p. 451.
[20] Code civil français, art. 1359, al. 2.
[21] Cass. civ. 1re, 19 déc. 1995, n°93-20.561.
[22] Cass. civ. 1re, 25 févr. 1997, n°94-17.818 : impossibilité morale admise pour un prêt familial.
[23] Code civil français, art. 1381 et s. ; Code civil ivoirien
[24] Cass. civ. 1re, 12 juin 1911, DP 1912.1.45.
[25] Cass. civ. 1re, 25 févr. 1997, n°94-17.818 : admission de témoignages corroborés par un commencement de preuve par écrit.
[26] Cass. civ. 1re, 13 juill. 1983, n°82-11.419.
[27] Acte uniforme OHADA révisé portant sur le droit commercial général, 15 déc. 2010, art. 5.
[28] Code civil français, art. 1367 ; Loi ivoirienne n° 2013-546 du 30 juillet 2013 relative aux transactions électroniques.
[29] Cass. civ. 1re, 6 avr. 2016, n°15-11.048 : valeur probante d’une signature électronique certifiée.
[30] Code civil français, art. 1101 et 1102 ; Code civil ivoirien, art. 1134.
[31] R. Demogue, Traité des obligations en général, Paris, 1923, t. I, p. 17.
[32] G. Viney, La fonction sociale du contrat, RTD civ. 1998, p. 1.
[33] F. Ewald et M. Fleurbaey, Smart contracts et blockchain : quel avenir pour la preuve contractuelle ?, Revue des contrats, 2020, p. 215.

