Le vendredi 13 octobre 2023, à 19h GMT, un séminaire juridique en ligne a été organisé via Google Meet par la Documentation Juridique (LDJ). Ce séminaire avait pour thème principal « LA PLACE ET LE RÉGIME DE L’EXÉCUTON FORCÉE EN DROIT DES SOCIÉTÉS« . Le Dr Anas OUAFFI, un expert renommé en droit des sociétés, était le conférencier principal de cet événement, soutenu par le modérateur Me Luc kouassi, fondateur de la plate-forme la Documentation Juridique.
1. Objectif et intérêts du choix du sujet :
Sont nombreux les travaux et recherches qui ont traité l’exécution forcée, mais spécifiquement en droit civil, hormis sont rares les études qui le traitent en droit des sociétés, notamment la question de la spécificité de « l’exécution forcée en droit des sociétés marocain » relevant de sa portée institutionnelle et contractuelle qui demeure loin des préoccupations scientifiques des juristes marocains, malgré son importance.
Le choix de ce sujet était dominé par un double intérêt théorique et pratique. Au niveau théorique, ce travail contribuera à réexaminer sous un angle habituel, la question de la nature dualiste de la société qui tient à la fois de l’institution et du contrat.
L’intérêt de ce sujet, apparaît aussi au niveau pratique, dont il importe de déterminer si l’exécution forcée constitue une sanction efficace en cas de non-exécution des obligations à caractère contractuel ou légal imposée à la société et à ses acteurs.
Pour rendre notre intervention plus concrète, nous présenterons une étude de cas fictive où l’exécution forcée a été utilisée dans le contexte des sociétés.
2. Étude de cas :
Situation de base :
Supposons Une société, appelée ABC trading, et constituée de trois associés : A, B, C.
Les trois associés ont convenu qu’ils contribueraient chacun à une somme de 100000DH pour le capital initial de la société.
A et B ont effectué leur contribution promise, mais C refuse de libérer les fonds promis.
c’est ansi que A et B exposent à C leur demande de versement des fonds dans les délais prévus. C persiste dans son refus.
A et B envoient à C une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, stipulant que C doit libérer les fonds dans un délai de 15jours à compter de la réception de la lettre.
La lettre précise également les conséquences juridiques de l’inexécution de cette obligation.
Si C ne répond pas ou persiste dans son refus après le délai imparti, A et B peuvent prendre des mesures juridiques pour forcer l’exécution de l’obligation.
Introduction d’une action en justice :
À cet effet, A et B engagent une action en justice contre C pour contraindre ce dernier à libérer les fonds promis.
Devant le tribunal, A et B présentèrent tous les documents et les preuves nécessaires pour démontrer que C a une obligation contractuelle de libération des fonds promis et qu’il n’avait pas respecté cette obligation, conformément aux termes de l’accord entre les associés.
Le tribunal étudia attentivement l’affaire et les preuves fournies par A et B, notamment l’accord écrit et la correspondance des parties.
En fin, si le tribunal est convaincu de l’existence d’un contrat et de l’obligation de C de libérer les fonds, il peut émettre une ordonnance d’exécution forcée et contraindre C de s’acquitter de sa dette et libérer les fonds promis.
3. Explication du cas pratique :
Ce cas pratique illustre la manière dont le droit des sociétés prévoit des mécanismes pour garantir le respect des obligations des associés. L’exécution forcée est l’une de ces mesures, qui permet à un associé lésé de faire valoir ses droits et d’obtenir la réalisation de ce qui a été convenu.
Dans cette optique, le législateur marocain a consacré en droit des sociétés une place importante à l’exécution forcée comme étant une sanction plus adéquate au non-respect des obligations imposées à la société, aux associés et aux dirigeants que les dommages et intérêts, les nullités, et les sanctions pénales. Une sanction parfaite aussi pour que l’intérêt social prime au sein de la société en utilisant certaines techniques telles que le référé -injonction de faire et du mandataire ad hoc prévues par certaines lois récentes ayant pour objet la modernisation du droit des sociétés marocain notamment la loi 17-95 sur la société anonyme telle qu’elle a été modifiée et complétée et la loi 5-96 sur la SARL et les autres formes de société).
L’étude de la place et du régime de l’exécution forcée en droit des sociétés marocain conduit à s’interroger sur plusieurs questions, à savoir :
Qu’est-ce que l’exécution forcée ?
Existe-t-il une spécificité de l’exécution forcée en droit des sociétés marocain ?
Est-ce que l’exécution constitue une sanction efficace en cas de non-respect des obligations imposées à la société et à ses membres ? Quels peuvent être les obstacles et les limites rencontrés lors de la mise en œuvre de l’exécution forcée ?
4.Définition générale de l’exécution forcée :
Sens étymologique : L’exécution demeure un concept revêtant plusieurs sens. C’est-à-dire, « l’action d’exécuter quelque chose, de passer à l’acte ou à l’accomplissement ». L’exécution signifie également l’accomplissement de ce qui est convenu. Ainsi, les actes d’exécution signifient le fait d’imposer au débiteur une obligation à exécuter les clauses insérées dans la convention ou les dispositions du jugement.
En droit civil veut dire « l’accomplissement du contrat établi entre le débiteur et le créancier visant à satisfaire ce dernier ». Dans ces conditions, concernant le débiteur obligé d’exécuter une décision, un acte ou sa dette, nous parlons « d’exécution forcée ». L’adjectif « forcée » est l’opposé du « volontaire ». Qui dit forcée dit « ce qui est obligé par la force des hommes ou des choses ». Dès lors que l’obligation intervient pour faire exécuter le terme de contrat, nous pouvons dire qu’elle est « forcée ».
En droit marocain :
• Selon le dahir des obligations et des contrats : L’exécution ne veut ni plus ni moins dire qu’exécuter un contrat. la législation, à l’article 230 du Dahir des obligations et des contrat, précise avec netteté que les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi. Le contrat s’impose aux parties impérativement au moment de sa formation. On parle du principe de la force obligatoire du contrat (le contrat est la loi des parties).
Dans ce sens, l’exécution forcée est un mécanisme juridique permettant de contraindre une personne à se conformer à une obligation prévue par la loi.
• Dans le contexte du droit des sociétés, cela concerne principalement les obligations de la société, des associés et des dirigeants
5.Techniques / ou méthodes d’exécutions forcée :
En matière civile :
➢ Conditions d’exercice de la responsabilité contractuelle :
• Mise en demeure du créancier par le débiteur
➢ Les effets de la responsabilité contractuelle :
Régime Juridique :
1.Exécution en nature :
• Selon le DOC, lorsque le débiteur est en demeure(informé), le créancier a le droit de le contraindre à exécuter son obligation , si l’exécution est possible.
• Si l’exécution n’est pas , le créancier peut demander la résolution du contrat et des dommages-intérêts.
• Lorsque l’exécution n’est plus possible qu’en partie, le créancier peut demander, soit l’exécution du contrat pour la partie qui est encore possible, soit la résolution du contrat, avec dommages-intérêts.
• La réparation en nature s’applique dans l’obligation de ne pas faire et l’obligation de faire quand son exécution est possible
2.Exécution par équivalent :
• La détermination du montant des dommages-intérêts est soumise au principe de la réparation intégrale du préjudice.
• Selon le DOC « Les dommages sont la perte effective que le créancier a éprouvée et le gain dont il a été privé, et qui sont la conséquence directe de l’inexécution de l’obligation.
• Le montant prononcé pour la réparation du préjudice doit couvrir l’intégralité du préjudice subi par le créancier sans le dépasser .
• Selon le DOC, la réparation prononcée par le juge prend la forme de dommages-intérêts compensatoires et/ou moratoires. ا
• Les dommages-intérêts compensatoires ont pour objet la réparation de l’inexécution ou de la mauvaise exécution des obligations contractuelles du débiteur.
• Pour ce qui est des dommages-intérêts moratoires, leur objet vise la réparation du retard dans l’exécution de l’obligation.
• Le Taux des dommages et intérêts moratoire peut être fixé par les parties dans le contrat, si non c’est le taux légal qui s’applique (fixé par arrêté conjoint).
• En droit des sociétés Marocain : (la loi 17-95 sur la société anonyme telle qu’elle a été modifiée et complétée et la loi 5-96 sur la SARL et les autres formes de société).
Nous constatons l’apparition de nouvelles dispositions, plus efficaces et plus rapides, leur admission n’est possible que dans le cadre des obligations de donner, il s’agit des techniques du référé injonction de faire sous astreinte, mandataire ad hoc qui vise assurer la survie de la société et à protéger l’intérêt social.
➢ NB/Leur efficacité est limitée par la nature de l’obligation.
• Nomination du mandataire ad hoc :
(En s’inspirant du modèle français, le droit marocain envisage également la condition d’urgence dans la nomination du mandataire ad hoc. Ainsi, la législation confère à tout intéressé le droit de demander au tribunal statuant en référé de nommer un mandataire pour la convocation de l’assemblée.
Dans ce sens, le juge marocain « devra vérifier l’existence de l’urgence conformément à l’article 116 de la loi 17-95 telle qu’elle a été modifiée et complétée ».
• Injonction de faire sous astreinte : le refus de communiquer des documents confère par exemple « le droit à l’actionnaire en cas de refus de demander au Président du tribunal, statuant en référé, d’ordonner à la société, sous astreinte, de communiquer les documents ».
6. Limites et obstacles de l’exécution forcée :
• Obligation de faire et obligation de ne pas faire : (l’exécution forcée n’est pas acceptée)
Le droit marocain en revanche, dans ses articles 261 et 262 du DOC, ne s’aligne pas sur ces principes français. À ce titre, il mentionne : « L’obligation de faire se résout en dommages-intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur et lorsque l’obligation consiste à ne pas faire, le débiteur est tenu des dommages-intérêts par le seul fait de la contravention ».
Les articles 261 et 262 du DOC interdisent « tout type d’exécution sur la personne de nature à toucher à sa liberté individuelle ».
Les exemples :
• L’apport en industrie : A contrario, l’affectio societatis est susceptible d’entraver l’exécution forcée en nature des obligations statutaires. Par exemple, « l’apport en industrie ou l’obligation de bonne foi ». Dans cette hypothèse, « l’exécution par équivalent se substituera à l’exécution forcée en nature comme mesure d’exception pesant sur le débiteur ».« l’apport en industrie reste spécifique, car ce dernier « n’existe pas en lui-même matériellement, et rien ne permet de garantir que l’associé tiendra sa promesse ». De plus, l’apporteur de service s’engage à fournir « un travail qui du fait de son caractère personnel et successif rend son évaluation difficile »
• L’aide financière volontaire
Même si l’intérêt social est menacé, le droit des sociétés ne justifie pas d’obliger « l’associé à contribuer financièrement et supplémentairement en vertu du principe de l’intangibilité des engagements de l’associé de l’article 1034 du DOC ».
• Le devoir de coopération de l’associé à la société est plus d’ordre moral et financier. Du point de vue de la loyauté, ce dernier « doit respecter la volonté majoritaire et de ne pas adopter d’attitude contradictoire à l’intérêt social. »
• La bonne foi de l’associé et du dirigeant a pour trait commun d’être globalement incompatible avec l’exécution forcée. Il conviendra donc dans ce cas de vérifier l’impossibilité de l’exécution forcée dans le cas d’un conflit d’intérêts non révélé par le dirigeant.
• L’exécution forcée en matière de distribution de dividendes n’est pas envisagée. Par principe, l’assemblée décide du dividende. Néanmoins, le refus de distribuer le dividende voté va à l’encontre de l’intérêt social ; il constitue de ce fait une source conflictuelle entre les parties. L’intervention du tribunal est complexe, car il s’immisce dans la société ; si la décision sociale est irrégulière ou abusive, l’application du droit commun semble effectivement suffisante pour forcer la société à payer les dividendes.
En guise de conclusion, l’étude de la place et du régime de l’exécution forcée en droit des sociétés aura pu susciter : l’étonnement, la déception et l’espoir.
L’étonnement, tout d’abord, parce que l’exécution forcée était, jusqu’à une période récente, une sanction quasi-absente du droit des sociétés alors que la sanction pénale était omniprésente.
Grande est alors la déception des praticiens, dans la mesure où le droit des sociétés n’a pas appliqué le même régime aux obligations extrastatutaires. Il était pourtant concevable, là aussi, de créer un régime spécifique de l’exécution forcée puisque le droit commun n’était pas suffisant,
L’espoir, en définitive, peut naître de l’utilisation de la société « contractuelle ».