La responsabilité pénale des personnes morales est le fait d’obliger toute société, groupement ou structure de droit privé dotée de la personnalité morale, de répondre aux infractions commises par ses dirigeants et qui engage leur responsabilité. Ce principe a été introduit en France par le Code pénal de 1994, qui dispose que « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants » (article 121-2 alinéa 1 du Code pénal). Il s’agit d’une innovation majeure dans le droit pénal français, qui rompt avec le principe traditionnel selon lequel « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » (article 121-1 du Code pénal). La responsabilité pénale des personnes morales présente un intérêt pratique indéniable, car elle permet de sanctionner les entités qui profitent des infractions commises par leurs agents, et de renforcer la prévention et la répression de la délinquance économique et financière. Toutefois, elle soulève aussi des difficultés théoriques et pratiques, liées à la définition de son champ d’application, à la détermination des conditions de son engagement, et à la fixation des peines applicables.
Dans cet article, nous allons examiner les règles qui régissent la responsabilité pénale des personnes morales en France, en analysant successivement son domaine (I), ses conditions (II) et ses conséquences (III).
NB : Analyse basée sur le droit positif français
I. Le domaine de la responsabilité pénale des personnes morales
Le domaine de la responsabilité pénale des personnes morales comprend les personnes morales susceptibles d’être pénalement responsables (A) et les infractions susceptibles de leur être reprochées (B).
A. Les personnes morales susceptibles d’être pénalement responsables
L’article 121-2 du Code pénal vise les « personnes morales », et non les groupements. Il faut donc que la personne poursuivie soit dotée de la personnalité morale, c’est-à-dire qu’elle soit reconnue comme un sujet de droit distinct des personnes physiques qui la composent. Ainsi, ne peuvent pas voir leur responsabilité pénale engagée :
- Les sociétés en participation ;
- Les sociétés créées de fait ;
- Les groupes de sociétés (bien entendu, il est possible d’engager la responsabilité pénale d’une société au sein de ce groupe de sociétés).
A l’inverse, toutes les personnes morales, de droit privé ou de droit public, peuvent être pénalement responsables, à l’exception de l’État. En effet, l’article 121-2 du Code pénal exclut expressément l’État du champ de la responsabilité pénale des personnes morales, en raison du principe de souveraineté de l’État et du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.
Les personnes morales de droit privé comprennent notamment les sociétés civiles ou commerciales, les groupements d’intérêt économique, les associations, les syndicats, les fondations, les partis politiques, les institutions représentatives du personnel, etc. Peu importe que ces personnes morales aient ou non un but lucratif, ou qu’elles soient de nationalité française ou étrangère.
Les personnes morales de droit public comprennent notamment les collectivités territoriales, les établissements publics, les organismes consulaires, etc. Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables que pour les infractions commises dans l’exercice des activités susceptibles de faire l’objet de délégation de service public, c’est-à-dire les activités pouvant être concédées à des personnes privées, comme par exemple les transports en commun, la distribution d’eau, les cantines scolaires, ou encore le ramassage des ordures ménagères. En revanche, les activités ne pouvant pas être concédées, généralement caractérisées par des prérogatives de puissance publique, comme l’enseignement public par exemple, ne permettent pas d’engager la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements.
B. Les infractions susceptibles d’être reprochées aux personnes morales
Lors de l’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales en 1994, le législateur avait posé une limite quant aux infractions susceptibles d’être imputées à une personne morale. Il s’agissait du principe de spécialité, selon lequel une personne morale ne pouvait être pénalement responsable que « dans les cas prévus par la loi ou le règlement » (article 121-2 alinéa 2 du Code pénal dans sa version initiale). Ainsi, seules les infractions expressément visées par un texte pouvaient donner lieu à la responsabilité pénale des personnes morales, ce qui limitait considérablement le champ d’application de ce principe.
En 2004, le législateur a supprimé cette restriction, et a adopté le principe de généralité, selon lequel les personnes morales sont responsables pénalement de toutes les infractions commises, sauf exceptions. L’article 121-2 du Code pénal, dans sa version actuelle, dispose en effet que « les personnes morales sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Il n’y a donc plus besoin que la loi ou le règlement prévoie expressément la responsabilité pénale des personnes morales pour une infraction donnée, sauf dans les cas suivants :
- Les contraventions, pour lesquelles la responsabilité pénale des personnes morales n’est possible que si la loi le prévoit expressément ;
- Les infractions pour lesquelles la loi exclut expressément la responsabilité pénale des personnes morales, comme par exemple le harcèlement moral, le harcèlement sexuel, la discrimination, ou encore le blanchiment.
Par ailleurs, il faut noter que la responsabilité pénale des personnes morales ne se substitue pas à celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, mais s’y ajoute. L’article 121-2 alinéa 3 du Code pénal dispose en effet que « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 ». Ainsi, il est possible de poursuivre et de condamner à la fois la personne morale et la personne physique qui a agi pour son compte, sauf si cette dernière a agi sans intention de nuire, au sens de l’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal.
II. Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales
La responsabilité pénale des personnes morales suppose la réunion de deux conditions : l’existence d’une infraction commise pour le compte de la personne morale (A) et l’identification d’un organe ou d’un représentant de la personne morale comme auteur ou complice de l’infraction (B).
A. L’existence d’une infraction commise pour le compte de la personne morale
La première condition de la responsabilité pénale des personnes morales est qu’il faut qu’une infraction ait été commise. Il s’agit d’un élément matériel, qui implique la réalisation d’un fait interdit par la loi pénale, et qui peut être une action ou une omission. L’infraction peut être de nature criminelle, délictuelle ou contraventionnelle, sous réserve des exceptions mentionnées précédemment.
La seconde condition de la responsabilité pénale des personnes morales est que l’infraction ait été commise pour le compte de la personne morale. Il s’agit d’un élément moral, qui implique un lien de rattachement entre l’infraction et la personne morale. Ce lien peut être établi de deux manières :
– Soit l’infraction a été commise dans l’intérêt de la personne morale, c’est-à-dire qu’elle lui a procuré ou devait lui procurer un avantage quelconque, financier ou non ;
– Soit l’infraction a été commise dans le cadre de l’activité de la personne morale, c’est-à-dire qu’elle a été réalisée en relation avec les fonctions ou les missions de la personne morale.
Il n’est pas nécessaire que l’infraction ait été commise avec l’accord ou la complicité de la personne morale, ni qu’elle ait effectivement profité à la personne morale. Il suffit que l’infraction ait été commise pour son compte, c’est-à-dire dans son intérêt ou dans le cadre de son activité.
B. L’identification d’un organe ou d’un représentant de la personne morale comme auteur ou complice de l’infraction
La troisième condition de la responsabilité pénale des personnes morales est qu’il faut qu’un organe ou un représentant de la personne morale ait été l’auteur ou le complice de l’infraction. Il s’agit d’un élément personnel, qui implique l’identification d’une personne physique agissant au nom et pour le compte de la personne morale.
Un organe de la personne morale est une personne physique qui détient un pouvoir de décision ou de direction au sein de la personne morale, comme par exemple le président, le directeur général, le gérant, le conseil d’administration, etc. Un représentant de la personne morale est une personne physique qui agit au nom et sous l’autorité de la personne morale, comme par exemple un salarié, un mandataire, un préposé, etc.
L’organe ou le représentant de la personne morale doit avoir commis l’infraction en tant qu’auteur ou complice, c’est-à-dire qu’il doit avoir participé volontairement et sciemment à la réalisation du fait interdit. Il n’est pas nécessaire que l’organe ou le représentant ait agi dans l’intérêt de la personne morale, ni qu’il ait été poursuivi ou condamné personnellement. Il suffit qu’il ait agi pour le compte de la personne morale, c’est-à-dire dans le cadre de ses fonctions ou de ses missions.
III. Les conséquences de la responsabilité pénale des personnes morales
La responsabilité pénale des personnes morales entraîne des conséquences de nature pénale (A) et de nature civile (B).
A. Les conséquences de nature pénale
Les conséquences de nature pénale sont les peines applicables aux personnes morales reconnues coupables d’une infraction. Ces peines sont prévues par l’article 131-38 du Code pénal, qui dispose que « les personnes morales encourent, selon les distinctions prévues à l’article 121-2, les peines suivantes :
1° L’amende, suivant les modalités prévues par l’article 131-41 ;
2° Les peines mentionnées aux 2° à 9° de l’article 131-39.
Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables dans les conditions prévues par l’article 121-2 du présent code des infractions commises au titre des contraventions de la cinquième classe. »
Les peines applicables aux personnes morales sont donc les suivantes :
- L’amende, qui est la peine principale, et qui peut être portée jusqu’au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques, sauf en matière contraventionnelle où elle est égale à celle prévue pour les personnes physiques ;
- Les peines complémentaires, qui sont des mesures restrictives ou privatives de droits, et qui peuvent être prononcées seules ou en accompagnement de l’amende. Ces peines sont les suivantes :
- La dissolution de la personne morale, si elle a été créée pour commettre l’infraction ou si elle a été détournée de son objet pour commettre l’infraction ;
- L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;
- Le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ;
- La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ;
- L’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus ;
- L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de faire appel public à l’épargne ;
- La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit ;
- L’affichage ou la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues par l’article 131-35.
B. Les conséquences de nature civile
Les conséquences de nature civile sont les obligations de réparation du dommage causé par l’infraction. Ces obligations sont prévues par l’article 121-3 alinéa 5 du Code pénal, qui dispose que « la responsabilité civile des personnes morales peut être engagée du fait des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».
Ainsi, la personne morale reconnue pénalement responsable d’une infraction peut être condamnée à indemniser les victimes de cette infraction, qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales. La réparation du dommage peut prendre la forme d’une restitution, d’une réparation en nature, ou d’une indemnisation pécuniaire.
La responsabilité civile de la personne morale ne se substitue pas à celle de la personne physique auteur ou complice de l’infraction, mais s’y ajoute. Ainsi, la victime peut demander réparation à l’un ou l’autre, ou aux deux, selon les cas.
La responsabilité pénale des personnes morales est un principe qui permet de sanctionner les entités juridiques qui profitent ou participent aux infractions commises par leurs agents. Ce principe, introduit en 1994, a été étendu en 2004 à toutes les infractions, sauf exceptions. Il repose sur deux conditions : l’existence d’une infraction commise pour le compte de la personne morale, et l’identification d’un organe ou d’un représentant de la personne morale comme auteur ou complice de l’infraction. Il entraîne des conséquences de nature pénale, sous forme de peines, et de nature civile, sous forme de réparation. Il n’exclut pas la responsabilité pénale et civile des personnes physiques impliquées dans les mêmes faits.
Références :
- Point sur la responsabilité pénale des personnes morales. https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/point-sur-la-responsabilite-penale-des-personnes-morales/h/051d2af9e957e9d7d0f7bb3240fd1376.html.
- Point sur la responsabilité pénale des personnes morales. https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/point-sur-la-responsabilite-penale-des-personnes-morales/h/051d2af9e957e9d7d0f7bb3240fd1376.html.
- La responsabilité pénale des personnes morales – Fiches-droit.com. https://fiches-droit.com/responsabilite-penale-personnes-morales.
- La responsabilité pénale des personnes morales – Fiches-droit.com. https://fiches-droit.com/responsabilite-penale-personnes-morales.
- Responsabilité pénale des personnes morales | Droit français. https://novataux.com/responsabilite-penale-personnes-morales/.
- Responsabilité pénale des personnes morales | Droit français. https://novataux.com/responsabilite-penale-personnes-morales/.
- La responsabilité pénale des personnes morales Fiches/Cours. https://cours-de-droit.net/responsabilite-penale-personnes-morales/.
- La responsabilité pénale des personnes morales Fiches/Cours. https://cours-de-droit.net/responsabilite-penale-personnes-morales/.
- La responsabilité pénale des personnes morales | Aideauxtd.com. https://aideauxtd.com/la-responsabilite-penale-des-personnes-morales/.
Droit OHADA
La responsabilité pénale des personnes morales en droit OHADA est un sujet complexe et controversé, qui n’a pas encore été clairement tranché par le législateur communautaire. En effet, le droit OHADA ne prévoit pas expressément la possibilité de sanctionner pénalement les personnes morales, mais se contente d’incriminer certaines infractions commises dans le cadre des activités économiques. Ainsi, seules les personnes physiques, notamment les dirigeants, les commerçants ou les commissaires aux comptes, peuvent être pénalement responsables des infractions du droit OHADA.
Toutefois, certains auteurs plaident pour l’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales en droit OHADA, afin de renforcer la sécurité juridique et judiciaire, de prévenir de nouvelles formes de criminalité, et de protéger les intérêts des acteurs du monde des affaires. Ils proposent de s’inspirer des modèles existants dans d’autres systèmes juridiques, comme le droit français ou le droit européen, qui ont consacré le principe de la responsabilité pénale des personnes morales, en tenant compte des spécificités du droit OHADA. Ils suggèrent également de définir les conditions et les modalités de la mise en œuvre de cette responsabilité, notamment les modes de participation des personnes morales à l’infraction, les critères d’imputation, les sanctions applicables, et les garanties procédurales.
Voici quelques références de documents qui traitent de ce sujet :
- Nouvel ouvrage OHADA : La nécessité de la responsabilité pénale de la personne morale à l’épreuve du législateur OHADA, par Me Peter II MUTOLO OWANGA, aux Editions Universitaires Européenne.
- Plaidoyer pour une responsabilité pénale des personnes morales en droit Ohada, par Kodjo Patrice TOSSAVI, dans la Revue de l’ERSUMA, n°2, mars 2013.
- Un autre regard sur la responsabilité pénale des personnes morales en droit OHADA, par Koffi KOUADIO, dans la Revue Juridique et Politique, Indépendance et Coopération, vol. 72, n°2, 2018.
- De la responsabilité pénale des commissaires aux comptes en droit OHADA, par Jean-Pierre KABONGO KALALA, dans Mémoire Online, 2014.
Droit positif ivoirien
Voici les points essentiels à retenir :
- La responsabilité pénale des personnes morales est un principe consacré par l’article 96 du code pénal ivoirien, qui a été récemment réformé par la loi du 29 juillet 2019.
- Ce principe repose sur l’idée que les personnes morales peuvent être auteurs ou complices d’infractions qui portent atteinte à l’ordre public ou à la paix sociale.
- Cette n’est pas générale, mais limitée aux cas où les infractions ont été commises pour leur compte, c’est-à-dire dans leur intérêt ou dans le cadre de leur activité, par leurs organes ou représentants. Et surtout, elle exclue l’État et ses démembrements.
- Elle est également subsidiaire, car elle n’exclut pas celle des personnes physiques qui ont participé aux mêmes faits, soit comme auteurs, soit comme complices.
- La responsabilité pénale des personnes morales est enfin spéciale, car elle n’entraîne que la peine d’amende, qui est la seule peine principale applicable aux personnes morales. Cette peine d’amende peut être aggravée jusqu’à cinq fois le montant prévu pour la même infraction commise par une personne physique, afin de tenir compte de la capacité financière de la personne morale et de l’effet dissuasif de la sanction.
Par Luc KOUASSI, Juriste, Politiste, rédacteur de contenus