L’OHADA, créée par le Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993, s’est imposée comme un outil majeur d’intégration juridique et économique en Afrique subsaharienne. En offrant un cadre normatif unifié et moderne, elle vise à assurer la sécurité juridique et judiciaire des activités économiques dans les États membres. Parmi les domaines ayant bénéficié de cette harmonisation, le droit coopératif occupe une place singulière, tant il reflète la volonté d’adapter les mécanismes juridiques aux réalités socio-économiques africaines[1]. L’adoption de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives (AU-SC), à Lomé le 15 décembre 2010, constitue à cet égard une avancée déterminante. Entré en vigueur le 15 février 2011, cet Acte uniforme vise à doter les coopératives d’un cadre juridique moderne, équilibré et cohérent, tout en respectant les principes universels du mouvement coopératif. L’article 6 de l’AU-SC consacre ces principes fondamentaux : adhésion volontaire et ouverte, gestion démocratique, participation économique des membres, autonomie et indépendance, éducation et formation, ainsi que coopération entre les coopératives et engagement envers la communauté[2]. Par cette consécration, le législateur communautaire entend non seulement uniformiser les régimes juridiques nationaux, mais également garantir aux acteurs économiques une gouvernance inclusive et durable.
Dans cette perspective, le législateur OHADA a retenu une bipartition institutionnelle des sociétés coopératives, en instituant deux formes juridiques distinctes : la Société Coopérative Simplifiée (SCOOPS) et la Société Coopérative avec Conseil d’Administration (SCOOP-CA). Ce dualisme normatif répond à une double exigence : d’une part, offrir un cadre souple et accessible aux petites initiatives communautaires ; d’autre part, instaurer un modèle de gouvernance rigoureux et structuré pour les coopératives de plus grande envergure[3]. Cette distinction entre les deux formes coopératives traduit la volonté d’adapter le droit uniforme aux réalités économiques diversifiées des États membres. En effet, selon Hiez et Tadjudje, le législateur OHADA a conçu les SCOOPS pour intégrer les structures dites « para-coopératives » telles que les groupements d’intérêt commun (GIC) au Cameroun ou les groupements villageois en Guinée tout en réservant la forme SCOOP-CA aux coopératives « classiques » déjà structurées[4]. Cette distinction, bien que théorique, se justifie par des différences substantielles dans la taille des structures, la nature de leurs activités et la sophistication de leur organisation interne.
Toutefois, il convient de souligner que l’Acte uniforme ne fixe aucun critère obligatoire de choix entre la SCOOPS et la SCOOP-CA. Les coopérateurs jouissent d’une liberté totale pour opter pour l’une ou l’autre forme, en fonction de leurs besoins organisationnels et de leur vision stratégique. Cette liberté, si elle traduit une approche pragmatique et incitative, soulève néanmoins des interrogations doctrinales quant à l’articulation entre souplesse juridique et sécurité institutionnelle. En effet, l’absence de critères de différenciation stricts pourrait, dans certains contextes, engendrer une insécurité juridique ou un déséquilibre fonctionnel, notamment dans les coopératives de taille intermédiaire[5]. L’analyse de ce dualisme coopératif revêt donc un intérêt particulier. Elle permet de comprendre comment le législateur OHADA, tout en s’inspirant des principes du mouvement coopératif international, a tenté de concilier la flexibilité des structures locales avec la nécessité de transparence et de gouvernance institutionnelle. Au-delà de la simple coexistence formelle de deux modèles, il s’agit d’examiner la rationalité normative et économique de cette distinction et son impact sur le développement du secteur coopératif dans l’espace OHADA.
Ainsi, la problématique centrale qui se dégage est la suivante : en quoi le dualisme entre la SCOOPS et la SCOOP-CA traduit-il une hiérarchisation juridique et fonctionnelle du modèle coopératif dans l’espace OHADA, et comment contribue-t-il à la consolidation de la gouvernance coopérative africaine ?
Pour y répondre, cette étude analysera, dans une démarche comparative, les principales différences entre les deux formes de sociétés coopératives, tant au niveau de leur constitution et de leur structure juridique (I) qu’en ce qui concerne leur organisation et leur fonctionnement (II).
I. Les différences tenant à la constitution et à la structure juridique des sociétés coopératives
Le dualisme entre la Société Coopérative Simplifiée (SCOOPS) et la Société Coopérative avec Conseil d’Administration (SCOOP-CA) se manifeste d’abord au niveau de leur constitution et de leur structure juridique. Ces différences, bien qu’apparemment formelles, traduisent en réalité des divergences philosophiques et fonctionnelles profondes. Alors que la SCOOPS répond à une logique de proximité et de flexibilité, la SCOOP-CA repose sur une exigence de représentativité et de formalisation accrue. Ainsi, l’analyse de leurs régimes juridiques met en lumière, d’une part, des distinctions relatives au nombre minimum de coopérateurs et à la représentativité (A), et d’autre part, des différences tenant au processus de constitution, de libération des fonds et de formalités institutionnelles (B), avant de souligner la finalité et la vocation économique distinctes de ces deux formes (C).
A. Le nombre minimal de coopérateurs : reflet d’une hiérarchisation de la représentativité
L’article 204 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives (AU-SC) prévoit que la SCOOPS peut être constituée par au moins cinq (5) personnes physiques ou morales, tandis que l’article 267 impose un minimum de quinze (15) membres pour la SCOOP-CA[6]. Ce simple écart numérique traduit une orientation juridique claire : la SCOOPS se veut une forme communautaire et accessible, alors que la SCOOP-CA s’inscrit dans une logique institutionnelle et représentative. La SCOOPS, par sa composition réduite, s’adapte aux petites initiatives économiques locales, notamment dans les milieux ruraux où la solidarité villageoise fonde l’activité coopérative. Cette approche favorise la constitution rapide de structures économiques de base, sans lourdeur administrative, permettant une participation directe de chaque membre à la gouvernance[7]. À l’inverse, le seuil élevé exigé pour la SCOOP-CA correspond à la volonté du législateur de réserver cette forme aux organisations plus importantes, regroupant un nombre significatif d’adhérents et gérant des volumes financiers plus conséquents.
Selon Hiez et Tadjudje, cette distinction témoigne d’une « graduation juridique volontaire », visant à différencier les coopératives selon leur degré de structuration et la complexité de leurs opérations[8]. En effet, la SCOOP-CA se destine à des coopératives de deuxième ou troisième niveau, souvent impliquées dans des activités interrégionales ou sectorielles. Ce modèle permet de renforcer la représentativité, en garantissant une gouvernance plus diversifiée et une gestion plus collégiale. D’un point de vue économique, cette hiérarchisation répond également à une rationalisation des risques : le regroupement de plusieurs dizaines de coopérateurs dans une SCOOP-CA favorise la mutualisation du capital et la dilution du risque financier individuel. À l’inverse, la SCOOPS maintient une responsabilité économique directe, favorisant une relation de confiance et une proximité décisionnelle entre membres.
Ainsi, la distinction entre cinq et quinze membres ne relève pas d’un simple choix arithmétique, mais traduit une véritable philosophie du droit coopératif OHADA, articulée autour de deux niveaux de structuration : l’un participatif, l’autre institutionnel.
B. L’assemblée constitutive et le dépôt des fonds : entre souplesse et formalisme
La constitution d’une société coopérative implique la réunion d’une assemblée constitutive, la libération des parts sociales et le dépôt des fonds auprès d’un établissement agréé. Sur ce point, le législateur OHADA a introduit une différenciation claire entre les deux formes de sociétés. Dans la SCOOPS, les fonds issus de la libération des parts sociales doivent être déposés immédiatement dans un établissement financier agréé[9]. Cette exigence vise à garantir la sincérité des apports dès la création et à prévenir toute manipulation financière. En outre, l’article 213 de l’AU-SC autorise le dépôt dans une banque, une société coopérative d’épargne et de crédit ou un centre de chèques postaux, ce qui traduit une volonté d’adapter la règle à la diversité des institutions financières locales. Cette flexibilité est essentielle dans des contextes où les infrastructures bancaires demeurent limitées.
En revanche, pour la SCOOP-CA, l’article 274 de l’AU-SC accorde un délai de huit (8) jours aux mandataires pour procéder au dépôt des fonds. Cette souplesse temporelle est compensée par un formalisme plus rigoureux : le déposant doit remettre à l’institution financière une liste détaillée des souscripteurs, mentionnant l’identité de chacun et le montant versé. De plus, ce document doit être accessible à tout souscripteur qui en fait la demande, assurant ainsi la transparence du processus de constitution[10]. Cette double exigence : délai et traçabilité, traduit la conception institutionnelle de la SCOOP-CA : il s’agit d’une structure dont la taille et la complexité nécessitent un contrôle renforcé. Comme l’observe Thiam, cette distinction « consacre une hiérarchisation procédurale fondée sur le degré d’exposition économique de la coopérative »[11].
Ainsi, la SCOPS privilégie la rapidité et la proximité, tandis que la SCOPCA consacre la rigueur et la fiabilité institutionnelle. Cette opposition illustre parfaitement la tension inhérente au droit coopératif : concilier l’esprit communautaire et les exigences de sécurité juridique.
C. L’objet social et la vocation économique : une différenciation fonctionnelle
Outre les conditions de constitution, les deux formes de sociétés coopératives se distinguent également par la nature de leur objet social et leur vocation économique. L’article 5 de l’AU-SC prévoit que « les sociétés coopératives exercent leur action dans toutes les branches de l’activité humaine ». Cette disposition, à portée universelle, confère au mouvement coopératif une vocation multisectorielle. Toutefois, la distinction entre SCOOPS et SCOOP-CA implique une segmentation fonctionnelle : la première s’adresse aux initiatives économiques locales, tandis que la seconde vise les structures à portée régionale ou nationale.
Ainsi, la SCOOPS est le plus souvent choisie pour des activités de production, de transformation ou de distribution à petite échelle, où la proximité des membres garantit la cohésion et la réactivité décisionnelle. À l’inverse, la SCOOP-CA s’impose comme le modèle privilégié des coopératives de grande taille, notamment les coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC), pour lesquelles la taille financière et le volume des transactions exigent une gouvernance plus structurée et une supervision comptable permanente[12]. Cette dichotomie s’explique aussi par la finalité du droit OHADA : favoriser un développement économique inclusif tout en permettant aux coopératives performantes d’évoluer vers des modèles institutionnels plus solides. La SCOOPS représente ainsi la cellule de base du mouvement coopératif, un laboratoire de démocratie économique à petite échelle. La SCOOP-CA, pour sa part, constitue une structure d’intégration verticale, apte à fédérer plusieurs SCOOPS ou unions de base, conformément à la logique d’articulation entre coopératives primaires et faîtières.
Enfin, du point de vue doctrinal, ce passage d’un modèle simplifié à un modèle structuré illustre la progressivité du droit coopératif OHADA. Comme le souligne Tadjudje, cette approche « permet de préserver la diversité des pratiques nationales tout en établissant un langage juridique commun »[13]. Le dualisme ainsi instauré n’est donc pas une opposition, mais une complémentarité dynamique, garante de l’adaptabilité du système aux besoins différenciés des acteurs économiques africains.
Conclusion partielle : Au total, la comparaison des deux formes révèle que la SCOOPS se distingue par son accessibilité juridique, son ancrage communautaire et son faible niveau de formalisme, tandis que la SCOOP-CA, plus structurée, met l’accent sur la représentativité, la transparence et la sécurisation des opérations financières. Ces différences traduisent une hiérarchisation consciente du modèle coopératif africain, qui cherche à concilier participation populaire et rationalité institutionnelle. Ainsi, à travers les articles 204, 213, 267 et 274 de l’AU-SC, le législateur OHADA a voulu instaurer un équilibre entre la proximité et la performance, entre la liberté d’organisation et l’exigence de gouvernance. Ce premier axe du dualisme coopératif prépare la compréhension du second, relatif à l’organisation interne et au fonctionnement des deux formes, où se déploie toute la complexité de la gouvernance coopérative.
II. Les différences relatives à l’organisation et au fonctionnement des sociétés coopératives
Si la distinction entre la Société Coopérative Simplifiée (SCOOPS) et la Société Coopérative avec Conseil d’Administration (SCOOP-CA) se manifeste dès leur constitution, elle se révèle plus nettement encore dans leurs modes d’organisation et de fonctionnement. L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives (AU-SC) institue en effet deux modèles de gouvernance correspondant à deux degrés de structuration : la SCOOPS, de dimension restreinte et à gouvernance directe, et la SCOOP-CA, plus complexe, où s’imposent des organes hiérarchisés et une gestion déléguée[14]. Cette distinction repose sur un principe fondamental : plus la société coopérative croît en taille et en activité, plus le législateur exige un encadrement institutionnel formel. En cela, la SCOOPS se veut une structure participative, tandis que la SCOOP-CA s’apparente à une société organisée sur un modèle quasi-sociétaire. L’analyse met en évidence cette opposition à travers la place spécifique de la SCOOP-CA comme cadre juridique obligatoire des structures faîtières (A), la composition et la répartition des pouvoirs entre les organes sociaux (B), le régime des assemblées générales et du droit à l’information (C), ainsi que la discipline du cumul des mandats et des incompatibilités (D).
A. La SCOOP-CA, cadre juridique obligatoire des structures faîtières
Le législateur OHADA a expressément réservé la forme SCOOP-CA aux structures faîtières, unions, fédérations et confédérations en raison de leur envergure et de la complexité de leurs fonctions[15]. Ces structures ont pour mission de coordonner, représenter et soutenir les sociétés coopératives de base (SCOOPS ou SCOOP-CA primaires) au niveau national ou régional.
L’AU-SC précise que les sociétés faîtières sont régies par les règles de la société coopérative avec conseil d’administration, et en cas d’insuffisance des textes, il est expressément renvoyé aux dispositions applicables aux SCOOP-CA[16]. Cette hiérarchie normative témoigne d’une volonté de professionnaliser la gouvernance coopérative de second et troisième degré. En effet, à la différence des coopératives primaires, les unions et fédérations ont des enjeux de représentation institutionnelle, de gestion financière inter-coopérative et d’intégration verticale des filières économiques. Dès lors, il est logique que le législateur ait opté pour la forme SCOOP-CA, caractérisée par une administration collective, un contrôle hiérarchisé et une transparence renforcée.
Cette orientation traduit un choix stratégique : faire de la SCOOP-CA le socle du mouvement coopératif intégré dans l’espace OHADA. En rendant cette forme obligatoire pour les faîtières, le législateur consacre la SCOOP-CA comme la « forme juridique de maturité coopérative », apte à représenter le secteur face aux institutions publiques, aux bailleurs et aux partenaires économiques[17]. Ainsi, au sein du système OHADA, la SCOOP-CA devient l’instrument de gouvernance inter-coopérative, tandis que la SCOPS demeure la cellule de base de la participation locale.
B. La composition et la répartition des pouvoirs entre les organes sociaux
L’un des apports majeurs de l’Acte uniforme réside dans la différenciation des organes sociaux des deux formes de sociétés coopératives. Cette distinction reflète la philosophie de la gouvernance coopérative : autogestion dans la SCOOPS, administration hiérarchisée dans la SCOOP-CA.
Dans la SCOOPS, la gestion quotidienne est assurée par un comité de gestion, composé de trois membres au plus, exclusivement des personnes physiques, nombre pouvant être porté à cinq lorsque les coopérateurs atteignent ou dépassent la centaine (article 223 AU-SC). Ce comité, élu par l’assemblée générale, incarne la démocratie directe et la proximité décisionnelle. Il traduit l’esprit originel du mouvement coopératif : la gestion collective des ressources par les membres eux-mêmes[18]. En revanche, dans la SCOOP-CA, la gestion est confiée à un conseil d’administration composé de trois à douze membres, personnes physiques ou morales (article 292 AU-SC). Cette composition reflète un niveau supérieur de professionnalisation, autorisant la participation d’organisations associées ou de coopératives membres. Le législateur OHADA a également prévu des organes de contrôle distincts : une commission de surveillance dans la SCOOPS et un conseil de surveillance dans la SCOOP-CA (articles 257 et 334 AU-SC). Le rôle de ce dernier est plus étendu : il surveille la gestion du conseil d’administration, examine les comptes et formule des recommandations. Dans la SCOOP-CA, le contrôle peut être renforcé par la désignation de commissaires aux comptes et, le cas échéant, de commissaires aux apports, conformément aux articles 351 et 352 de l’AU-SC[19].
Ce schéma d’organisation montre que la SCOOP-CA adopte une architecture plus complète, inspirée des sociétés commerciales à conseil d’administration. Comme le relève l’ERSUMA, « la SCOOP-CA emprunte au modèle sociétaire la rigueur des contrôles, sans renoncer à l’esprit participatif qui fonde la coopération »[20]. La SCOOPS, quant à elle, demeure fidèle à la simplicité et à la collégialité, convenant aux structures de taille limitée et à gouvernance horizontale. Ainsi, la différence essentielle tient au degré de délégation du pouvoir : dans la SCOOPS, le pouvoir est directement exercé par les membres via le comité de gestion ; dans la SCOOP-CA, il est médiatisé par le conseil d’administration, qui représente la coopérative vis-à-vis des tiers et des institutions. Cette délégation crée une distance décisionnelle nécessaire à la gestion d’entités complexes, mais pose aussi la question du contrôle démocratique effectif des dirigeants par les membres[21].
C. Le régime des assemblées générales et du droit à l’information
Les assemblées générales constituent le cœur de la gouvernance démocratique des sociétés coopératives. Elles garantissent l’exercice du pouvoir collectif des membres, selon le principe « un homme, une voix ». Toutefois, la configuration de ces assemblées diffère sensiblement entre la SCOOPS et la SCOOP-CA, tant dans leur régime de convocation que dans les conditions de quorum et de majorité.
Dans la SCOOPS, l’article 237 de l’AU-SC dispose que l’assemblée générale ordinaire délibère valablement lorsque la moitié au moins des coopérateurs sont présents lors de la première convocation. En cas de seconde convocation, aucun quorum n’est requis, sauf stipulation contraire des statuts. Cette souplesse vise à faciliter la prise de décision et à éviter la paralysie des petites coopératives[22]. En revanche, pour la SCOOP-CA, le même article (364 AU-SC) fixe un cadre plus strict : la première convocation exige également la présence de la moitié des membres, mais la seconde requiert la présence d’un quart au moins des coopérateurs. Dans les structures comptant plus de mille membres, les statuts peuvent prévoir un quorum réduit. Ce dispositif traduit la volonté de maintenir la légitimité démocratique tout en tenant compte de la difficulté matérielle de réunir tous les membres. S’agissant de la majorité requise, la règle générale de la majorité simple s’applique dans les deux formes. Cependant, dans la SCOOPS, certaines décisions, notamment la révocation du président ou des membres du comité de gestion, nécessitent une majorité qualifiée de deux tiers (article 244 AU-SC). Cette exigence traduit la recherche d’un équilibre entre stabilité de la gouvernance et contrôle démocratique.
Quant au droit à l’information, il illustre parfaitement le degré d’institutionnalisation différencié des deux formes. Dans la SCOOPS, les articles 237 et 238 de l’AU-SC reconnaissent aux coopérateurs un droit d’information permanent sur les affaires de la société, ainsi qu’un droit de communication des documents essentiels avant chaque assemblée générale. Cette information est cependant limitée à la préparation des délibérations. En revanche, dans la SCOOP-CA, les articles 351 et 352 de l’AU-SC consacrent un droit d’information renforcé et permanent, listant de manière exhaustive les documents accessibles : rapports de gestion, états financiers, procès-verbaux, inventaires, conventions, etc. Ce droit vise à instaurer une transparence institutionnelle continue, essentielle dans les coopératives à fort effectif et à enjeux financiers importants[23].
Selon Tchamba, ce dispositif consacre « une véritable culture de la reddition de comptes, indispensable à la confiance coopérative dans les structures à grande échelle »[24]. Il marque l’évolution du mouvement coopératif africain vers une gouvernance professionnelle, inspirée du droit des sociétés commerciales, sans pour autant renoncer à sa finalité sociale.
D. Le cumul des mandats et les incompatibilités : un encadrement différencié de la responsabilité
La question du cumul des mandats et des incompatibilités occupe une place centrale dans la gouvernance coopérative. Elle vise à prévenir la concentration du pouvoir, les conflits d’intérêts et les dérives managériales.
Dans la SCOOPS, le régime est relativement souple. L’article 223 de l’AU-SC autorise le président du comité de gestion à être membre du conseil d’administration d’une SCOOP-CA, mais il ne peut en exercer la présidence. Il peut également être membre d’autres comités de gestion, sans pouvoir cumuler plusieurs fonctions de président. Cette flexibilité s’explique par la nature participative de la SCOOPS, où la gestion repose sur l’engagement bénévole des membres[25]. À l’inverse, dans la SCOOP-CA, le législateur a instauré un régime d’incompatibilités strict. Les administrateurs ne peuvent appartenir à un autre conseil d’administration de SCOOP-CA ayant son siège dans le même État partie. Quant au président du conseil d’administration, il ne peut exercer simultanément un autre mandat de président ni au sein d’un autre conseil d’administration, ni d’un comité de gestion (article 326 AU-SC). Cette interdiction vise à assurer une clarté hiérarchique et à prévenir les risques de conflits d’intérêts inter-coopératifs[26].
Ce dispositif consacre la logique de spécialisation fonctionnelle : la SCOOPS repose sur la polyvalence et la flexibilité, tandis que la SCOOP-CA requiert une stricte discipline institutionnelle. Cette asymétrie traduit une conception pragmatique du législateur OHADA, qui cherche à adapter les obligations à la taille et à la complexité des structures. Enfin, cette réglementation renforce la responsabilité personnelle des dirigeants : la SCOOP-CA, en raison de son rôle inter-coopératif et de son exposition financière, exige des administrateurs une disponibilité et une intégrité accrues, sous peine d’engager leur responsabilité civile et pénale en cas de faute de gestion[27].
Conclusion partielle : L’étude des différences d’organisation et de fonctionnement révèle que le législateur OHADA a voulu établir une graduation dans la gouvernance coopérative : la SCOOPS incarne la démocratie directe et la flexibilité, tandis que la SCOOP-CA institue la démocratie représentative et la rigueur institutionnelle. Cette hiérarchie répond à la nécessité de concilier la participation des membres avec la sécurisation des opérations et la transparence financière. En somme, la SCOOPS favorise l’autogestion et la proximité, la SCOOP-CA assure la stabilité, le contrôle et la crédibilité externe. L’une nourrit la vitalité du tissu économique local, l’autre structure la compétitivité des réseaux coopératifs régionaux.
Conclusion
L’analyse du dualisme des formes coopératives dans le droit OHADA révèle une architecture juridique à la fois ingénieuse et pragmatique, conçue pour répondre à la diversité des réalités économiques africaines. En instituant deux modèles distincts, la Société Coopérative Simplifiée (SCOOPS) et la Société Coopérative avec Conseil d’Administration (SCOOP-CA), le législateur communautaire a cherché à concilier inclusion économique et rigueur institutionnelle, en adaptant le droit coopératif aux différents degrés de maturité organisationnelle des acteurs. Ce dualisme, loin d’être une simple distinction formelle, traduit une philosophie juridique évolutive : permettre aux coopératives de croître selon un cycle de développement progressif, allant de la structure communautaire à la structure institutionnelle. La SCOOPS constitue ainsi la forme embryonnaire du mouvement coopératif, caractérisée par la participation directe, la proximité et la flexibilité des règles. À mesure que les besoins se complexifient et que les activités s’étendent, la SCOOP-CA offre un cadre de structuration avancée, assurant la transparence, la collégialité et la représentativité à grande échelle.
Sur le plan normatif, le droit OHADA a réussi à unifier le régime juridique coopératif dans un espace caractérisé auparavant par la pluralité et l’hétérogénéité des législations nationales. Cette uniformisation a permis de clarifier le statut des coopératives, d’assurer leur reconnaissance légale et de favoriser leur intégration dans les circuits économiques formels. La reconnaissance des principes coopératifs à l’article 6 de l’AU-SC constitue, à cet égard, une avancée majeure vers la consolidation d’un droit coopératif africain moderne. Cependant, sur le plan de l’effectivité, des défis persistent. La distinction SCOOPS/SCOOP-CA, bien que cohérente dans son inspiration, demeure parfois mal comprise ou mal appliquée dans les États membres. De nombreuses coopératives continuent d’évoluer en marge du cadre OHADA, notamment en raison du manque de sensibilisation juridique et de la complexité administrative des procédures d’immatriculation. Ce constat est particulièrement visible dans les zones rurales, où la méconnaissance de la législation et la rareté des structures d’appui limitent la formalisation des SCOOPS.
De plus, certaines coopératives de grande taille demeurent enregistrées sous forme de SCOOPS, faute d’accompagnement technique pour la transition vers la SCOOP-CA, compromettant ainsi la cohérence du modèle. Ce décalage entre la norme et la pratique met en évidence la nécessité de renforcer les capacités institutionnelles et juridiques des acteurs coopératifs.
Le premier défi demeure celui de la formation juridique, managériale et comptable des dirigeants coopératifs. Le succès de la SCOOP-CA, en particulier, repose sur la maîtrise des mécanismes de gouvernance, de planification stratégique et de gestion financière. Or, dans nombre d’États membres, la formation des acteurs reste insuffisante, conduisant à des dérives administratives et à des défaillances de gouvernance. Il est donc impératif de renforcer les programmes de formation continue à travers les écoles de commerce, les universités et surtout l’École Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA), qui pourrait jouer un rôle pilote dans la diffusion de la culture coopérative. Une formation adaptée permettrait de transformer la SCOOPS en véritable école de gouvernance participative, et la SCOOP-CA en modèle de gestion partagée, capable de rivaliser avec les entreprises classiques tout en préservant les valeurs de solidarité.
Le second défi concerne la digitalisation de la gestion coopérative. Dans un contexte marqué par la transition numérique et la montée des fintechs, l’intégration d’outils numériques dans les procédures de gestion, de comptabilité et de communication devient indispensable. La digitalisation pourrait non seulement simplifier les procédures administratives (immatriculation, suivi des assemblées, accès à l’information), mais aussi améliorer la transparence et la traçabilité des opérations, réduisant ainsi les risques de fraude ou de mauvaise gouvernance. Par ailleurs, la mise en place de bases de données nationales interconnectées des coopératives permettrait aux États et aux organismes régionaux de mieux suivre l’évolution du secteur et de renforcer la coopération entre structures.
Le troisième défi est celui de la transparence institutionnelle. Si l’AU-SC a introduit des mécanismes de contrôle, leur effectivité dépend de la rigueur dans la tenue des assemblées générales, de la publication des rapports financiers et du respect du droit d’information des membres. Or, dans plusieurs pays, les audits restent rares, les documents comptables incomplets, et les membres peu informés des décisions majeures. L’avenir du mouvement coopératif OHADA passe par la mise en œuvre de mécanismes de reddition de comptes, la formation de commissaires aux comptes spécialisés en droit coopératif et la promotion d’une culture de gouvernance éthique.
Enfin, l’un des enjeux majeurs réside dans la construction d’un véritable réseau coopératif régional, capable de dépasser les frontières nationales. La SCOOP-CA, par sa vocation faîtière, offre un cadre juridique propice à la coopération inter-coopérative et à la constitution de fédérations transnationales. L’objectif à terme serait de faire émerger, dans l’espace OHADA, des pôles coopératifs régionaux intégrés, jouant un rôle clé dans les filières agricoles, financières et industrielles. Une telle évolution renforcerait la résilience économique des communautés africaines et la souveraineté productive des États, tout en consolidant le marché commun africain prévu par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
En définitive, le dualisme SCOPS/SCOPCA apparaît comme un outil juridique de progression économique. Il incarne un modèle gradué, où la flexibilité de la SCOOPS prépare la structuration institutionnelle de la SCOOP-CA. Toutefois, cette architecture ne produira pleinement ses effets que si elle s’accompagne d’une volonté politique forte, d’une formation soutenue des acteurs et d’une adaptation constante aux mutations économiques et technologiques. Ainsi, le véritable défi de la gouvernance coopérative dans l’espace OHADA ne réside pas tant dans la qualité de la norme que dans sa mise en œuvre effective, sa vulgarisation et son appropriation par les populations.
Le droit coopératif OHADA doit désormais entrer dans une phase de maturation institutionnelle, où les principes de solidarité, de démocratie et de responsabilité deviennent les piliers d’une économie coopérative africaine moderne, inclusive et durable.
Luc KOUASSI
Juriste Consultant Polyglotte | Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.
[1] DIOUF (S.), L’Intégration Juridique en Afrique : L’exemple de l’UEMOA et de l’OHADA, Université Cheikh ANTA Diop de DAKAR Ecole Doctorale Régionale Africaine (EDRA) – DEA en Droit de l’Intégration et du système OMC 2005, p. 15.
[2] Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives, art. 6, Journal officiel de l’OHADA n° 23 du 15 février 2011.
[3] THIAM (A. B.), Aspects conceptuels et évaluation de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif aux Sociétés Coopératives, Revue de l’ERSUMA, N° spécial Novembre-Décembre 2011, p. 99 – Voir Ohadata D-12
[4] HIEZ (D.) et TADJUDJE (W.), Analyse des différences entre la SCOPS et la SCOPCA, Université du Luxembourg, septembre 2012, p. 1.
[5] TADJUDJE (W.), Le droit des coopératives en Afrique – Réflexions sur l’Acte uniforme de l’OHADA, EPURE (Editions et presses universitaires de Reims), Collection RESSOR, 2021, p. 62.
[6] AU-SC, art. 204 et 267.
[7] GNING (T.) & LARUE (F.), Le nouveau modèle coopératif dans l’espace OHADA : un outil pour la professionnalisation des organisations paysannes ?, Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde, 2014, 126 p.
[8] HIEZ (D.) & TADJUDJE (W.), Op. cit, p. 3.
[9] AU-SC, art. 213.
[10] AU-SC, art. 274.
[11] THIAM (A. B.), Op. cit.
[12] TCHAMBA (S.), La gouvernance des sociétés coopératives financières dans l’espace OHADA, Mémoire de Master, Université de Yaoundé II, 2017, p. 54.
[13] TADJUDJE (W.), Le droit des coopératives et des mutuelles dans l’espace OHADA, Larcier, 2015, p. 72.
[14] AU-SC, préambule et art. 204 à 305.
[15] AU-SC, art. 267 et s.
[16] AU-SC, art. 364.
[17] HIEZ (D.) & TADJUDJE (W.), Op. cit, p. 2.
[18] AU-SC, art. 223.
[19] AU-SC, art. 351 et 352.
[20] THIAM (A. B.), Op. cit.
[21] TADJUDJE (W.), Op. cit., p. 96.
[22] AU-SC, art. 237.
[23] AU-SC, art. 351-352.
[24] TCHAMBA (S.), Op. cit., p. 57.
[25] AU-SC, art. 223.
[26] AU-SC, art. 326.
[27] AKAM (A. A.), La responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit OHADA, Revue Internationale de Droit Economique, t. XXI, 2(2), pp. 211-243.


