Le dualisme des formes coopératives en droit OHADA : Analyse comparée de la SCOOPS et la SCOOP-CA

L’OHADA, créée par le Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993, s’est imposée comme un outil majeur d’intégration juridique et économique en Afrique subsaharienne. En offrant un cadre normatif unifié et moderne, elle vise à assurer la sécurité juridique et judiciaire des activités économiques dans les États membres. Parmi les domaines ayant bénéficié de cette harmonisation, le droit coopératif occupe une place singulière, tant il reflète la volonté d’adapter les mécanismes juridiques aux réalités socio-économiques africaines[1]. L’adoption de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives (AU-SC), à Lomé le 15 décembre 2010, constitue à cet égard une avancée déterminante. Entré en vigueur le 15 février 2011, cet Acte uniforme vise à doter les coopératives d’un cadre juridique moderne, équilibré et cohérent, tout en respectant les principes universels du mouvement coopératif. L’article 6 de l’AU-SC consacre ces principes fondamentaux : adhésion volontaire et ouverte, gestion démocratique, participation économique des membres, autonomie et indépendance, éducation et formation, ainsi que coopération entre les coopératives et engagement envers la communauté[2]. Par cette consécration, le législateur communautaire entend non seulement uniformiser les régimes juridiques nationaux, mais également garantir aux acteurs économiques une gouvernance inclusive et durable.

Dans cette perspective, le législateur OHADA a retenu une bipartition institutionnelle des sociétés coopératives, en instituant deux formes juridiques distinctes : la Société Coopérative Simplifiée (SCOOPS) et la Société Coopérative avec Conseil d’Administration (SCOOP-CA). Ce dualisme normatif répond à une double exigence : d’une part, offrir un cadre souple et accessible aux petites initiatives communautaires ; d’autre part, instaurer un modèle de gouvernance rigoureux et structuré pour les coopératives de plus grande envergure[3]. Cette distinction entre les deux formes coopératives traduit la volonté d’adapter le droit uniforme aux réalités économiques diversifiées des États membres. En effet, selon Hiez et Tadjudje, le législateur OHADA a conçu les SCOOPS pour intégrer les structures dites « para-coopératives » telles que les groupements d’intérêt commun (GIC) au Cameroun ou les groupements villageois en Guinée tout en réservant la forme SCOOP-CA aux coopératives « classiques » déjà structurées[4]. Cette distinction, bien que théorique, se justifie par des différences substantielles dans la taille des structures, la nature de leurs activités et la sophistication de leur organisation interne.

Toutefois, il convient de souligner que l’Acte uniforme ne fixe aucun critère obligatoire de choix entre la SCOOPS et la SCOOP-CA. Les coopérateurs jouissent d’une liberté totale pour opter pour l’une ou l’autre forme, en fonction de leurs besoins organisationnels et de leur vision stratégique. Cette liberté, si elle traduit une approche pragmatique et incitative, soulève néanmoins des interrogations doctrinales quant à l’articulation entre souplesse juridique et sécurité institutionnelle. En effet, l’absence de critères de différenciation stricts pourrait, dans certains contextes, engendrer une insécurité juridique ou un déséquilibre fonctionnel, notamment dans les coopératives de taille intermédiaire[5]. L’analyse de ce dualisme coopératif revêt donc un intérêt particulier. Elle permet de comprendre comment le législateur OHADA, tout en s’inspirant des principes du mouvement coopératif international, a tenté de concilier la flexibilité des structures locales avec la nécessité de transparence et de gouvernance institutionnelle. Au-delà de la simple coexistence formelle de deux modèles, il s’agit d’examiner la rationalité normative et économique de cette distinction et son impact sur le développement du secteur coopératif dans l’espace OHADA.

Ainsi, la problématique centrale qui se dégage est la suivante : en quoi le dualisme entre la SCOOPS et la SCOOP-CA traduit-il une hiérarchisation juridique et fonctionnelle du modèle coopératif dans l’espace OHADA, et comment contribue-t-il à la consolidation de la gouvernance coopérative africaine ?

Pour y répondre, cette étude analysera, dans une démarche comparative, les principales différences entre les deux formes de sociétés coopératives, tant au niveau de leur constitution et de leur structure juridique (I) qu’en ce qui concerne leur organisation et leur fonctionnement (II).

Le dualisme entre la Société Coopérative Simplifiée (SCOOPS) et la Société Coopérative avec Conseil d’Administration (SCOOP-CA) se manifeste d’abord au niveau de leur constitution et de leur structure juridique. Ces différences, bien qu’apparemment formelles, traduisent en réalité des divergences philosophiques et fonctionnelles profondes. Alors que la SCOOPS répond à une logique de proximité et de flexibilité, la SCOOP-CA repose sur une exigence de représentativité et de formalisation accrue. Ainsi, l’analyse de leurs régimes juridiques met en lumière, d’une part, des distinctions relatives au nombre minimum de coopérateurs et à la représentativité (A), et d’autre part, des différences tenant au processus de constitution, de libération des fonds et de formalités institutionnelles (B), avant de souligner la finalité et la vocation économique distinctes de ces deux formes (C).

L’article 204 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives (AU-SC) prévoit que la SCOOPS peut être constituée par au moins cinq (5) personnes physiques ou morales, tandis que l’article 267 impose un minimum de quinze (15) membres pour la SCOOP-CA[6]. Ce simple écart numérique traduit une orientation juridique claire : la SCOOPS se veut une forme communautaire et accessible, alors que la SCOOP-CA s’inscrit dans une logique institutionnelle et représentative. La SCOOPS, par sa composition réduite, s’adapte aux petites initiatives économiques locales, notamment dans les milieux ruraux où la solidarité villageoise fonde l’activité coopérative. Cette approche favorise la constitution rapide de structures économiques de base, sans lourdeur administrative, permettant une participation directe de chaque membre à la gouvernance[7]. À l’inverse, le seuil élevé exigé pour la SCOOP-CA correspond à la volonté du législateur de réserver cette forme aux organisations plus importantes, regroupant un nombre significatif d’adhérents et gérant des volumes financiers plus conséquents.

Selon Hiez et Tadjudje, cette distinction témoigne d’une « graduation juridique volontaire », visant à différencier les coopératives selon leur degré de structuration et la complexité de leurs opérations[8]. En effet, la SCOOP-CA se destine à des coopératives de deuxième ou troisième niveau, souvent impliquées dans des activités interrégionales ou sectorielles. Ce modèle permet de renforcer la représentativité, en garantissant une gouvernance plus diversifiée et une gestion plus collégiale. D’un point de vue économique, cette hiérarchisation répond également à une rationalisation des risques : le regroupement de plusieurs dizaines de coopérateurs dans une SCOOP-CA favorise la mutualisation du capital et la dilution du risque financier individuel. À l’inverse, la SCOOPS maintient une responsabilité économique directe, favorisant une relation de confiance et une proximité décisionnelle entre membres.

Ainsi, la distinction entre cinq et quinze membres ne relève pas d’un simple choix arithmétique, mais traduit une véritable philosophie du droit coopératif OHADA, articulée autour de deux niveaux de structuration : l’un participatif, l’autre institutionnel.

La constitution d’une société coopérative implique la réunion d’une assemblée constitutive, la libération des parts sociales et le dépôt des fonds auprès d’un établissement agréé. Sur ce point, le législateur OHADA a introduit une différenciation claire entre les deux formes de sociétés. Dans la SCOOPS, les fonds issus de la libération des parts sociales doivent être déposés immédiatement dans un établissement financier agréé[9]. Cette exigence vise à garantir la sincérité des apports dès la création et à prévenir toute manipulation financière. En outre, l’article 213 de l’AU-SC autorise le dépôt dans une banque, une société coopérative d’épargne et de crédit ou un centre de chèques postaux, ce qui traduit une volonté d’adapter la règle à la diversité des institutions financières locales. Cette flexibilité est essentielle dans des contextes où les infrastructures bancaires demeurent limitées.

En revanche, pour la SCOOP-CA, l’article 274 de l’AU-SC accorde un délai de huit (8) jours aux mandataires pour procéder au dépôt des fonds. Cette souplesse temporelle est compensée par un formalisme plus rigoureux : le déposant doit remettre à l’institution financière une liste détaillée des souscripteurs, mentionnant l’identité de chacun et le montant versé. De plus, ce document doit être accessible à tout souscripteur qui en fait la demande, assurant ainsi la transparence du processus de constitution[10]. Cette double exigence : délai et traçabilité, traduit la conception institutionnelle de la SCOOP-CA : il s’agit d’une structure dont la taille et la complexité nécessitent un contrôle renforcé. Comme l’observe Thiam, cette distinction « consacre une hiérarchisation procédurale fondée sur le degré d’exposition économique de la coopérative »[11].

Ainsi, la SCOPS privilégie la rapidité et la proximité, tandis que la SCOPCA consacre la rigueur et la fiabilité institutionnelle. Cette opposition illustre parfaitement la tension inhérente au droit coopératif : concilier l’esprit communautaire et les exigences de sécurité juridique.

Outre les conditions de constitution, les deux formes de sociétés coopératives se distinguent également par la nature de leur objet social et leur vocation économique. L’article 5 de l’AU-SC prévoit que « les sociétés coopératives exercent leur action dans toutes les branches de l’activité humaine ». Cette disposition, à portée universelle, confère au mouvement coopératif une vocation multisectorielle. Toutefois, la distinction entre SCOOPS et SCOOP-CA implique une segmentation fonctionnelle : la première s’adresse aux initiatives économiques locales, tandis que la seconde vise les structures à portée régionale ou nationale.

Ainsi, la SCOOPS est le plus souvent choisie pour des activités de production, de transformation ou de distribution à petite échelle, où la proximité des membres garantit la cohésion et la réactivité décisionnelle. À l’inverse, la SCOOP-CA s’impose comme le modèle privilégié des coopératives de grande taille, notamment les coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC), pour lesquelles la taille financière et le volume des transactions exigent une gouvernance plus structurée et une supervision comptable permanente[12]. Cette dichotomie s’explique aussi par la finalité du droit OHADA : favoriser un développement économique inclusif tout en permettant aux coopératives performantes d’évoluer vers des modèles institutionnels plus solides. La SCOOPS représente ainsi la cellule de base du mouvement coopératif, un laboratoire de démocratie économique à petite échelle. La SCOOP-CA, pour sa part, constitue une structure d’intégration verticale, apte à fédérer plusieurs SCOOPS ou unions de base, conformément à la logique d’articulation entre coopératives primaires et faîtières.

Enfin, du point de vue doctrinal, ce passage d’un modèle simplifié à un modèle structuré illustre la progressivité du droit coopératif OHADA. Comme le souligne Tadjudje, cette approche « permet de préserver la diversité des pratiques nationales tout en établissant un langage juridique commun »[13]. Le dualisme ainsi instauré n’est donc pas une opposition, mais une complémentarité dynamique, garante de l’adaptabilité du système aux besoins différenciés des acteurs économiques africains.

Conclusion partielle : Au total, la comparaison des deux formes révèle que la SCOOPS se distingue par son accessibilité juridique, son ancrage communautaire et son faible niveau de formalisme, tandis que la SCOOP-CA, plus structurée, met l’accent sur la représentativité, la transparence et la sécurisation des opérations financières. Ces différences traduisent une hiérarchisation consciente du modèle coopératif africain, qui cherche à concilier participation populaire et rationalité institutionnelle. Ainsi, à travers les articles 204, 213, 267 et 274 de l’AU-SC, le législateur OHADA a voulu instaurer un équilibre entre la proximité et la performance, entre la liberté d’organisation et l’exigence de gouvernance. Ce premier axe du dualisme coopératif prépare la compréhension du second, relatif à l’organisation interne et au fonctionnement des deux formes, où se déploie toute la complexité de la gouvernance coopérative.

Si la distinction entre la Société Coopérative Simplifiée (SCOOPS) et la Société Coopérative avec Conseil d’Administration (SCOOP-CA) se manifeste dès leur constitution, elle se révèle plus nettement encore dans leurs modes d’organisation et de fonctionnement. L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives (AU-SC) institue en effet deux modèles de gouvernance correspondant à deux degrés de structuration : la SCOOPS, de dimension restreinte et à gouvernance directe, et la SCOOP-CA, plus complexe, où s’imposent des organes hiérarchisés et une gestion déléguée[14]. Cette distinction repose sur un principe fondamental : plus la société coopérative croît en taille et en activité, plus le législateur exige un encadrement institutionnel formel. En cela, la SCOOPS se veut une structure participative, tandis que la SCOOP-CA s’apparente à une société organisée sur un modèle quasi-sociétaire. L’analyse met en évidence cette opposition à travers la place spécifique de la SCOOP-CA comme cadre juridique obligatoire des structures faîtières (A), la composition et la répartition des pouvoirs entre les organes sociaux (B), le régime des assemblées générales et du droit à l’information (C), ainsi que la discipline du cumul des mandats et des incompatibilités (D).

Le législateur OHADA a expressément réservé la forme SCOOP-CA aux structures faîtières, unions, fédérations et confédérations en raison de leur envergure et de la complexité de leurs fonctions[15]. Ces structures ont pour mission de coordonner, représenter et soutenir les sociétés coopératives de base (SCOOPS ou SCOOP-CA primaires) au niveau national ou régional.

L’AU-SC précise que les sociétés faîtières sont régies par les règles de la société coopérative avec conseil d’administration, et en cas d’insuffisance des textes, il est expressément renvoyé aux dispositions applicables aux SCOOP-CA[16]. Cette hiérarchie normative témoigne d’une volonté de professionnaliser la gouvernance coopérative de second et troisième degré. En effet, à la différence des coopératives primaires, les unions et fédérations ont des enjeux de représentation institutionnelle, de gestion financière inter-coopérative et d’intégration verticale des filières économiques. Dès lors, il est logique que le législateur ait opté pour la forme SCOOP-CA, caractérisée par une administration collective, un contrôle hiérarchisé et une transparence renforcée.

Cette orientation traduit un choix stratégique : faire de la SCOOP-CA le socle du mouvement coopératif intégré dans l’espace OHADA. En rendant cette forme obligatoire pour les faîtières, le législateur consacre la SCOOP-CA comme la « forme juridique de maturité coopérative », apte à représenter le secteur face aux institutions publiques, aux bailleurs et aux partenaires économiques[17]. Ainsi, au sein du système OHADA, la SCOOP-CA devient l’instrument de gouvernance inter-coopérative, tandis que la SCOPS demeure la cellule de base de la participation locale.

L’un des apports majeurs de l’Acte uniforme réside dans la différenciation des organes sociaux des deux formes de sociétés coopératives. Cette distinction reflète la philosophie de la gouvernance coopérative : autogestion dans la SCOOPS, administration hiérarchisée dans la SCOOP-CA.

Dans la SCOOPS, la gestion quotidienne est assurée par un comité de gestion, composé de trois membres au plus, exclusivement des personnes physiques, nombre pouvant être porté à cinq lorsque les coopérateurs atteignent ou dépassent la centaine (article 223 AU-SC). Ce comité, élu par l’assemblée générale, incarne la démocratie directe et la proximité décisionnelle. Il traduit l’esprit originel du mouvement coopératif : la gestion collective des ressources par les membres eux-mêmes[18]. En revanche, dans la SCOOP-CA, la gestion est confiée à un conseil d’administration composé de trois à douze membres, personnes physiques ou morales (article 292 AU-SC). Cette composition reflète un niveau supérieur de professionnalisation, autorisant la participation d’organisations associées ou de coopératives membres. Le législateur OHADA a également prévu des organes de contrôle distincts : une commission de surveillance dans la SCOOPS et un conseil de surveillance dans la SCOOP-CA (articles 257 et 334 AU-SC). Le rôle de ce dernier est plus étendu : il surveille la gestion du conseil d’administration, examine les comptes et formule des recommandations. Dans la SCOOP-CA, le contrôle peut être renforcé par la désignation de commissaires aux comptes et, le cas échéant, de commissaires aux apports, conformément aux articles 351 et 352 de l’AU-SC[19].

Ce schéma d’organisation montre que la SCOOP-CA adopte une architecture plus complète, inspirée des sociétés commerciales à conseil d’administration. Comme le relève l’ERSUMA, « la SCOOP-CA emprunte au modèle sociétaire la rigueur des contrôles, sans renoncer à l’esprit participatif qui fonde la coopération »[20]. La SCOOPS, quant à elle, demeure fidèle à la simplicité et à la collégialité, convenant aux structures de taille limitée et à gouvernance horizontale. Ainsi, la différence essentielle tient au degré de délégation du pouvoir : dans la SCOOPS, le pouvoir est directement exercé par les membres via le comité de gestion ; dans la SCOOP-CA, il est médiatisé par le conseil d’administration, qui représente la coopérative vis-à-vis des tiers et des institutions. Cette délégation crée une distance décisionnelle nécessaire à la gestion d’entités complexes, mais pose aussi la question du contrôle démocratique effectif des dirigeants par les membres[21].

Les assemblées générales constituent le cœur de la gouvernance démocratique des sociétés coopératives. Elles garantissent l’exercice du pouvoir collectif des membres, selon le principe « un homme, une voix ». Toutefois, la configuration de ces assemblées diffère sensiblement entre la SCOOPS et la SCOOP-CA, tant dans leur régime de convocation que dans les conditions de quorum et de majorité.

Dans la SCOOPS, l’article 237 de l’AU-SC dispose que l’assemblée générale ordinaire délibère valablement lorsque la moitié au moins des coopérateurs sont présents lors de la première convocation. En cas de seconde convocation, aucun quorum n’est requis, sauf stipulation contraire des statuts. Cette souplesse vise à faciliter la prise de décision et à éviter la paralysie des petites coopératives[22]. En revanche, pour la SCOOP-CA, le même article (364 AU-SC) fixe un cadre plus strict : la première convocation exige également la présence de la moitié des membres, mais la seconde requiert la présence d’un quart au moins des coopérateurs. Dans les structures comptant plus de mille membres, les statuts peuvent prévoir un quorum réduit. Ce dispositif traduit la volonté de maintenir la légitimité démocratique tout en tenant compte de la difficulté matérielle de réunir tous les membres. S’agissant de la majorité requise, la règle générale de la majorité simple s’applique dans les deux formes. Cependant, dans la SCOOPS, certaines décisions, notamment la révocation du président ou des membres du comité de gestion, nécessitent une majorité qualifiée de deux tiers (article 244 AU-SC). Cette exigence traduit la recherche d’un équilibre entre stabilité de la gouvernance et contrôle démocratique.

Quant au droit à l’information, il illustre parfaitement le degré d’institutionnalisation différencié des deux formes. Dans la SCOOPS, les articles 237 et 238 de l’AU-SC reconnaissent aux coopérateurs un droit d’information permanent sur les affaires de la société, ainsi qu’un droit de communication des documents essentiels avant chaque assemblée générale. Cette information est cependant limitée à la préparation des délibérations. En revanche, dans la SCOOP-CA, les articles 351 et 352 de l’AU-SC consacrent un droit d’information renforcé et permanent, listant de manière exhaustive les documents accessibles : rapports de gestion, états financiers, procès-verbaux, inventaires, conventions, etc. Ce droit vise à instaurer une transparence institutionnelle continue, essentielle dans les coopératives à fort effectif et à enjeux financiers importants[23].

Selon Tchamba, ce dispositif consacre « une véritable culture de la reddition de comptes, indispensable à la confiance coopérative dans les structures à grande échelle »[24]. Il marque l’évolution du mouvement coopératif africain vers une gouvernance professionnelle, inspirée du droit des sociétés commerciales, sans pour autant renoncer à sa finalité sociale.

La question du cumul des mandats et des incompatibilités occupe une place centrale dans la gouvernance coopérative. Elle vise à prévenir la concentration du pouvoir, les conflits d’intérêts et les dérives managériales.

Dans la SCOOPS, le régime est relativement souple. L’article 223 de l’AU-SC autorise le président du comité de gestion à être membre du conseil d’administration d’une SCOOP-CA, mais il ne peut en exercer la présidence. Il peut également être membre d’autres comités de gestion, sans pouvoir cumuler plusieurs fonctions de président. Cette flexibilité s’explique par la nature participative de la SCOOPS, où la gestion repose sur l’engagement bénévole des membres[25]. À l’inverse, dans la SCOOP-CA, le législateur a instauré un régime d’incompatibilités strict. Les administrateurs ne peuvent appartenir à un autre conseil d’administration de SCOOP-CA ayant son siège dans le même État partie. Quant au président du conseil d’administration, il ne peut exercer simultanément un autre mandat de président ni au sein d’un autre conseil d’administration, ni d’un comité de gestion (article 326 AU-SC). Cette interdiction vise à assurer une clarté hiérarchique et à prévenir les risques de conflits d’intérêts inter-coopératifs[26].

Ce dispositif consacre la logique de spécialisation fonctionnelle : la SCOOPS repose sur la polyvalence et la flexibilité, tandis que la SCOOP-CA requiert une stricte discipline institutionnelle. Cette asymétrie traduit une conception pragmatique du législateur OHADA, qui cherche à adapter les obligations à la taille et à la complexité des structures. Enfin, cette réglementation renforce la responsabilité personnelle des dirigeants : la SCOOP-CA, en raison de son rôle inter-coopératif et de son exposition financière, exige des administrateurs une disponibilité et une intégrité accrues, sous peine d’engager leur responsabilité civile et pénale en cas de faute de gestion[27].

Conclusion partielle : L’étude des différences d’organisation et de fonctionnement révèle que le législateur OHADA a voulu établir une graduation dans la gouvernance coopérative : la SCOOPS incarne la démocratie directe et la flexibilité, tandis que la SCOOP-CA institue la démocratie représentative et la rigueur institutionnelle. Cette hiérarchie répond à la nécessité de concilier la participation des membres avec la sécurisation des opérations et la transparence financière. En somme, la SCOOPS favorise l’autogestion et la proximité, la SCOOP-CA assure la stabilité, le contrôle et la crédibilité externe. L’une nourrit la vitalité du tissu économique local, l’autre structure la compétitivité des réseaux coopératifs régionaux.

L’analyse du dualisme des formes coopératives dans le droit OHADA révèle une architecture juridique à la fois ingénieuse et pragmatique, conçue pour répondre à la diversité des réalités économiques africaines. En instituant deux modèles distincts, la Société Coopérative Simplifiée (SCOOPS) et la Société Coopérative avec Conseil d’Administration (SCOOP-CA), le législateur communautaire a cherché à concilier inclusion économique et rigueur institutionnelle, en adaptant le droit coopératif aux différents degrés de maturité organisationnelle des acteurs. Ce dualisme, loin d’être une simple distinction formelle, traduit une philosophie juridique évolutive : permettre aux coopératives de croître selon un cycle de développement progressif, allant de la structure communautaire à la structure institutionnelle. La SCOOPS constitue ainsi la forme embryonnaire du mouvement coopératif, caractérisée par la participation directe, la proximité et la flexibilité des règles. À mesure que les besoins se complexifient et que les activités s’étendent, la SCOOP-CA offre un cadre de structuration avancée, assurant la transparence, la collégialité et la représentativité à grande échelle.

Sur le plan normatif, le droit OHADA a réussi à unifier le régime juridique coopératif dans un espace caractérisé auparavant par la pluralité et l’hétérogénéité des législations nationales. Cette uniformisation a permis de clarifier le statut des coopératives, d’assurer leur reconnaissance légale et de favoriser leur intégration dans les circuits économiques formels. La reconnaissance des principes coopératifs à l’article 6 de l’AU-SC constitue, à cet égard, une avancée majeure vers la consolidation d’un droit coopératif africain moderne. Cependant, sur le plan de l’effectivité, des défis persistent. La distinction SCOOPS/SCOOP-CA, bien que cohérente dans son inspiration, demeure parfois mal comprise ou mal appliquée dans les États membres. De nombreuses coopératives continuent d’évoluer en marge du cadre OHADA, notamment en raison du manque de sensibilisation juridique et de la complexité administrative des procédures d’immatriculation. Ce constat est particulièrement visible dans les zones rurales, où la méconnaissance de la législation et la rareté des structures d’appui limitent la formalisation des SCOOPS.

De plus, certaines coopératives de grande taille demeurent enregistrées sous forme de SCOOPS, faute d’accompagnement technique pour la transition vers la SCOOP-CA, compromettant ainsi la cohérence du modèle. Ce décalage entre la norme et la pratique met en évidence la nécessité de renforcer les capacités institutionnelles et juridiques des acteurs coopératifs.

Le premier défi demeure celui de la formation juridique, managériale et comptable des dirigeants coopératifs. Le succès de la SCOOP-CA, en particulier, repose sur la maîtrise des mécanismes de gouvernance, de planification stratégique et de gestion financière. Or, dans nombre d’États membres, la formation des acteurs reste insuffisante, conduisant à des dérives administratives et à des défaillances de gouvernance. Il est donc impératif de renforcer les programmes de formation continue à travers les écoles de commerce, les universités et surtout l’École Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA), qui pourrait jouer un rôle pilote dans la diffusion de la culture coopérative. Une formation adaptée permettrait de transformer la SCOOPS en véritable école de gouvernance participative, et la SCOOP-CA en modèle de gestion partagée, capable de rivaliser avec les entreprises classiques tout en préservant les valeurs de solidarité.

Le second défi concerne la digitalisation de la gestion coopérative. Dans un contexte marqué par la transition numérique et la montée des fintechs, l’intégration d’outils numériques dans les procédures de gestion, de comptabilité et de communication devient indispensable. La digitalisation pourrait non seulement simplifier les procédures administratives (immatriculation, suivi des assemblées, accès à l’information), mais aussi améliorer la transparence et la traçabilité des opérations, réduisant ainsi les risques de fraude ou de mauvaise gouvernance. Par ailleurs, la mise en place de bases de données nationales interconnectées des coopératives permettrait aux États et aux organismes régionaux de mieux suivre l’évolution du secteur et de renforcer la coopération entre structures.

Le troisième défi est celui de la transparence institutionnelle. Si l’AU-SC a introduit des mécanismes de contrôle, leur effectivité dépend de la rigueur dans la tenue des assemblées générales, de la publication des rapports financiers et du respect du droit d’information des membres. Or, dans plusieurs pays, les audits restent rares, les documents comptables incomplets, et les membres peu informés des décisions majeures. L’avenir du mouvement coopératif OHADA passe par la mise en œuvre de mécanismes de reddition de comptes, la formation de commissaires aux comptes spécialisés en droit coopératif et la promotion d’une culture de gouvernance éthique.

Enfin, l’un des enjeux majeurs réside dans la construction d’un véritable réseau coopératif régional, capable de dépasser les frontières nationales. La SCOOP-CA, par sa vocation faîtière, offre un cadre juridique propice à la coopération inter-coopérative et à la constitution de fédérations transnationales. L’objectif à terme serait de faire émerger, dans l’espace OHADA, des pôles coopératifs régionaux intégrés, jouant un rôle clé dans les filières agricoles, financières et industrielles. Une telle évolution renforcerait la résilience économique des communautés africaines et la souveraineté productive des États, tout en consolidant le marché commun africain prévu par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).

En définitive, le dualisme SCOPS/SCOPCA apparaît comme un outil juridique de progression économique. Il incarne un modèle gradué, où la flexibilité de la SCOOPS prépare la structuration institutionnelle de la SCOOP-CA. Toutefois, cette architecture ne produira pleinement ses effets que si elle s’accompagne d’une volonté politique forte, d’une formation soutenue des acteurs et d’une adaptation constante aux mutations économiques et technologiques. Ainsi, le véritable défi de la gouvernance coopérative dans l’espace OHADA ne réside pas tant dans la qualité de la norme que dans sa mise en œuvre effective, sa vulgarisation et son appropriation par les populations.
Le droit coopératif OHADA doit désormais entrer dans une phase de maturation institutionnelle, où les principes de solidarité, de démocratie et de responsabilité deviennent les piliers d’une économie coopérative africaine moderne, inclusive et durable.


Luc KOUASSI

Juriste Consultant Polyglotte | Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.


[1] DIOUF (S.), L’Intégration Juridique en Afrique : L’exemple de l’UEMOA et de l’OHADA, Université Cheikh ANTA Diop de DAKAR Ecole Doctorale Régionale Africaine (EDRA) – DEA en Droit de l’Intégration et du système OMC 2005, p. 15.

[2] Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives, art. 6, Journal officiel de l’OHADA n° 23 du 15 février 2011.

[3] THIAM (A. B.), Aspects conceptuels et évaluation de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif aux Sociétés Coopératives, Revue de l’ERSUMA, N° spécial Novembre-Décembre 2011, p. 99 – Voir Ohadata D-12

[4] HIEZ (D.) et TADJUDJE (W.), Analyse des différences entre la SCOPS et la SCOPCA, Université du Luxembourg, septembre 2012, p. 1.

[5] TADJUDJE (W.), Le droit des coopératives en Afrique – Réflexions sur l’Acte uniforme de l’OHADA, EPURE (Editions et presses universitaires de Reims), Collection RESSOR, 2021, p. 62.

[6] AU-SC, art. 204 et 267.

[7] GNING (T.) & LARUE (F.), Le nouveau modèle coopératif dans l’espace OHADA : un outil pour la professionnalisation des organisations paysannes ?, Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde, 2014, 126 p.

[8] HIEZ (D.) & TADJUDJE (W.), Op. cit, p. 3.

[9] AU-SC, art. 213.

[10] AU-SC, art. 274.

[11] THIAM (A. B.), Op. cit.

[12] TCHAMBA (S.), La gouvernance des sociétés coopératives financières dans l’espace OHADA, Mémoire de Master, Université de Yaoundé II, 2017, p. 54.

[13] TADJUDJE (W.), Le droit des coopératives et des mutuelles dans l’espace OHADA, Larcier, 2015, p. 72.

[14] AU-SC, préambule et art. 204 à 305.

[15] AU-SC, art. 267 et s.

[16] AU-SC, art. 364.

[17] HIEZ (D.) & TADJUDJE (W.), Op. cit, p. 2.

[18] AU-SC, art. 223.

[19] AU-SC, art. 351 et 352.

[20] THIAM (A. B.), Op. cit.

[21] TADJUDJE (W.), Op. cit., p. 96.

[22] AU-SC, art. 237.

[23] AU-SC, art. 351-352.

[24] TCHAMBA (S.), Op. cit., p. 57.

[25] AU-SC, art. 223.

[26] AU-SC, art. 326.

[27] AKAM (A. A.), La responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit OHADA, Revue Internationale de Droit Economique, t. XXI, 2(2), pp. 211-243.

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La propriété intellectuelle à l’ère numérique en Afrique : défis et solutions stratégiques

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In the context of the digital economy fundamentally reshaping content creation and distribution models, intellectual property systems in Africa, particularly within the African Intellectual Property Organization (OAPI) framework, are confronted with unprecedented challenges. This article critically examines the existing regulatory gaps and the specific threats facing African creative works in the evolving digital environment. It further proposes targeted recommendations to enhance the protection and enforcement of intellectual property rights, thereby supporting the sustainable development of creativity on the continent.

Mots-clés : Droit d’auteur numérique, cybersquatting, blockchain, smart contracts,  noms de domaine.

La révolution numérique bouleverse les paradigmes traditionnels de la propriété intellectuelle (PI). Dans l’espace de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), regroupant 17 pays africains francophones[1], les créateurs et entrepreneurs évoluent dans un environnement juridique souvent inadapté aux réalités numériques transfrontalières. L’Accord de Bangui révisé en 2015, bien qu’entré en vigueur en 2020, ne prévoit pas de régime dédié aux noms de domaine[2], créant une insécurité juridique majeure face à la digitalisation croissante des entreprises africaines.

Dans ce contexte, la Stratégie de Transformation Numérique de l’Union africaine (2020-2030) ambitionne un marché numérique unique[3], conditionnant la compétitivité de l’innovation et la captation de valeur par les créateurs africains. Entre absence d’harmonisation, multiplication des contrefaçons en ligne et obsolescence des mécanismes de protection, une réforme urgente s’impose pour permettre une protection efficace des droits intellectuels en Afrique. Présentation générale. Cet article portera sur la propriété intellectuelle à l’ère du numérique, en se concentrant sur les nouveaux défis rencontrés par les créateurs africains, notamment les jeunes entrepreneurs, juristes, porteurs de projets et innovateurs. Il paraît opportun de circonscrire certaines comme la propriété intellectuelle (PI) qui peut être comprise comme l’ensemble des droits exclusifs accordés sur les créations de l’esprit (œuvres artistiques, inventions, marques, etc.). L’économie numérique s’entend quant à elle à toute activité économique fondée sur les technologies de l’information et de la communication. Deux autres notions méritent d’être précisées dans le cadre de cette étude, d’une part le cybersquatting qui renvoie à l’enregistrement abusif de noms de domaine dans le but d’en tirer profit, en violation des droits de propriété intellectuelle préexistants. D’autre part, il la Blockchain et les smart contracts qui sont technologies permettant une sécurisation et une automatisation des droits numériques.

L’Afrique a vu une expansion rapide de l’utilisation des technologies numériques, mais les cadres juridiques régionaux, notamment via l’OAPI, peinent à s’adapter à ces innovations. Une meilleure compréhension de la PI à l’ère du numérique est cruciale pour permettre aux créateurs africains de protéger leurs innovations et de participer pleinement à cette nouvelle économie mondiale. Comment les jeunes créateurs et porteurs de projets africains peuvent-ils comprendre, anticiper et sécuriser leurs droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique dans un cadre juridique encore en évolution ? Une adaptation ciblée des cadres législatifs et l’utilisation des technologies innovantes peuvent offrir des solutions efficaces aux défis actuels de protection des droits numériques en Afrique.Equiper les jeunes acteurs africains du numérique des connaissances pratiques pour protéger leurs créations et anticiper les risques liés à la propriété intellectuelle ne serait pas anodin. Dans le cadre de cette étude, il s’agira d’identifier les principaux défis de la PI numérique en Afrique, d’expliquer les droits applicables aux créations numériques et en de proposer des stratégies et outils concrets pour sécuriser les projets innovants.Le développement s’articulera autour de deux grandes parties : les défis contemporains de la propriété intellectuelle à l’ère numérique (I) ainsi que les clés pour comprendre et sécuriser ses droits dans cet environnement digital (II).

Abordons tout d’abord les défis contemporains de la propriété intellectuelle à l’ère numérique, défis qui soulignent la nécessité d’une réforme profonde. Pour commencer, en premier lieu, abordons tout d’abord le décalage du cadre juridique avec la réalité numérique.

Attardons-nous sur le premier défi structurel : Un cadre juridique en décalage avec la réalité numérique. Ce constat s’illustre, en premier lieu, par l’absence d’harmonisation réglementaire efficace au sein de l’espace OAPI.

L’analyse comparative des textes OAPI et des besoins réels issus des pratiques numériques africaines révèle un fossé préoccupant. Dans l’espace OAPI, aucune réglementation spécifique n’a encore été consacrée aux noms de domaine, bien qu’on puisse trouver çà et là des règles nationales, régionales ou internationales susceptibles d’adresser certains aspects de cette matière[4]. Cette absence d’harmonisation crée une insécurité juridique majeure pour les créateurs et entrepreneurs africains qui évoluent dans un environnement numérique transfrontalier.

Le cadre législatif traditionnel ne répond pas aux réalités actuelles telles que la diffusion en ligne, le streaming et les ventes numériques. La coexistence difficile entre le régime de droit d’auteur et celui de la propriété industrielle ajoute des zones grises propices aux abus. Le régime du droit d’auteur, par sa nature personnaliste, tend à favoriser l’auteur, tandis que le régime de la propriété industrielle vise plutôt à inciter les entreprises à investir dans la recherche[5]. Cette dualité ne concilie pas les mêmes intérêts et génère des zones grises, notamment concernant la titularité des créations intellectuelles des salariés, où la dépendance juridique et économique peut être source d’abus et de marginalisation.

Il est donc clair que cette lacune réglementaire OAPI génère un vide juridique préjudiciable aux acteurs du numérique. De plus, dans le prolongement de ce qui précède, il faut noter l’inadaptation des législations traditionnelles face aux nouveaux modes de diffusion.

Les lois nationales ou régionales sur le droit d’auteur doivent être régulièrement revues pour relever les défis des nouvelles technologies[6]. L’avènement des réseaux numériques et d’Internet entraîne des bouleversements dont les répercussions se font sentir non seulement au niveau de la création des contenus mis en ligne, mais aussi sur la question des droits applicables.

Les transformations induites par Internet et les réseaux numériques, telles que la désintermédiation et la dématérialisation, rendent difficile le contrôle de l’utilisation des œuvres par les auteurs[7]. De plus, l’illusion du « libre accès » favorise la violation systématique des droits d’auteur. Internet est fréquemment perçu comme un espace où tout est accessible sans contrainte, remettant en cause l’équilibre entre l’intérêt des auteurs et le droit du public à accéder à la culture.

L’émergence de modèles économiques novateurs (streaming, abonnement, freemium, premium) n’est pas encore pleinement encadrée juridiquement dans l’espace OAPI[8]. Les traités Internet de l’OMPI (WCT/WPPT) encadrent la protection à l’ère digitale, notamment concernant les mesures techniques de protection, l’information sur le régime des droits, les programmes d’ordinateur et les bases de données[9], mais la transposition effective et l’articulation avec les usages contemporains restent inégales. Cette incomplétude normative fragilise l’équilibre entre l’accès du public et les droits des auteurs, et contribue à la dilution des redevances sur des plateformes à gouvernance extra-régionale.

Ainsi, face à la désintermédiation et aux modèles économiques émergents, l’obsolescence des textes traditionnels est avérée. Enfin, il convient d’évoquer également une menace spécifique et grandissante : le cybersquatting, une menace insuffisamment sanctionnée.

Le cybersquatting se définit comme l’enregistrement intentionnel d’un nom de domaine reproduisant une marque utilisée par un tiers, dans le but d’empêcher le propriétaire légitime d’établir un site web identifié par un nom de domaine identique[10]. Les objectifs sont multiples : générer des clics publicitaires, revendre le nom de domaine au plus offrant, ou vendre des produits similaires.

Le cybersquatting peut prendre différentes formes :

  • Utilisation d’une extension différente (exemple : www.jumya.cm au lieu de www.jumia.com)
  • Ajout d’une faute de frappe intentionnelle (typosquatting)
  • Ajout d’un pluriel (www.jumias.cm)
  • Séparation des mots par tirets
  • Inversion des mots
  • Le cybersquatting est difficilement sanctionné dans l’espace OAPI, notamment du fait de l’absence d’une procédure accélérée et indemnisatrice comparable à l’UDRP applicable aux gTLD[11]. Le système des noms de domaine repose sur la règle du « Premier arrivé, premier servi », ce qui entraîne inévitablement des conflits avec les droits antérieurs (marques, noms commerciaux). De plus, le nom de domaine, bien que reconnu comme signe distinctif, n’est pas assimilé juridiquement à une marque et ne bénéficie ni des principes de spécialité ni de territorialité des marques[12].

Les mécanismes de résolution existants présentent des limites importantes :

La procédure UDRP (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy) de l’ICANN ne vise que certains noms de domaine génériques (.com, .net, .org) et ne permet pas d’indemnisation pécuniaire, ce qui limite l’effet dissuasif face aux comportements opportunistes[13].

Pour les ccTLD (country-code top-level domains), des politiques locales existent (exemple : Cameroun .cm géré par l’ANTIC) avec des régimes et prestataires variables, pouvant créer des brèches de typosquatting et de parasitisme selon l’extension ciblée[14].

Cette lacune nuit gravement à la reconnaissance et à la valorisation des marques africaines en ligne. La juxtaposition du principe « premier arrivé, premier servi » et des droits antérieurs de marque appelle une procédure OAPI inspirée de l’UDRP, complétée par des voies indemnitaires et des mesures conservatoires adaptées à l’environnement numérique.

En conclusion de cette première partie, l’absence d’un mécanisme indemnitaire adéquat fait du cybersquatting une menace persistante contre l’identité numérique des marques africaines. L’examen de ces multiples contraintes et vulnérabilités met en lumière la complexité du paysage et la nécessité impérieuse de moderniser le droit de la PI.

Au-delà des limites structurelles du cadre juridique, passons maintenant à l’analyse des menaces spécifiques à la création africaine dans le digital. En ce sens, le premier risque identifié est la vulnérabilité face aux contrefaçons facilitées par les plateformes en ligne.

1. Vulnérabilité face aux contrefaçons facilitées par les plateformes en ligne

Internet a créé des capacités prodigieuses de stockage, de diffusion et de récupération des informations, mais dans le même temps, les possibilités de contrefaçon des œuvres protégées se sont largement développées[15]. La mondialisation des échanges commerciaux et le développement des nouvelles technologies ont conduit à un accroissement inévitable de la contrefaçon sur Internet et à une difficulté accrue d’appréhension de celle-ci.

La diffusion rapide et souvent éphémère des contenus sur Internet complique l’identification des contrefacteurs. La difficulté majeure réside dans la matérialisation des actes de contrefaçon commis en ligne[16]. L’exemple des « ventes flash » témoigne de ces difficultés : l’auteur de l’offre contrefaisante est extrêmement difficile à identifier avant que l’offre ne disparaisse.

La responsabilité limitée des intermédiaires techniques (hébergeurs, fournisseurs d’accès) freine les actions en contrefaçon et la suppression des contenus illicites[17]. Les fournisseurs d’accès et les hébergeurs bénéficient d’un régime favorable de responsabilité : ils ne sont pas responsables des contenus dont ils permettent l’accès et ne sont pas tenus d’une obligation générale de surveillance. Cette exemption limite considérablement la capacité des titulaires de droits à obtenir des réparations rapides et efficaces.

Les difficultés juridiques transfrontalières compliquent encore la situation. Déterminer la loi applicable en cas de contrefaçon est complexe, car les actes peuvent impliquer plusieurs pays simultanément[18]. La règle de la focalisation (application de la loi du pays où la protection est réclamée) implique des analyses détaillées et coûteuses pour chaque cas.

L’impact économique de la contrefaçon numérique en Afrique est considérable : elle impacte gravement la rémunération des artistes et développeurs, créant des pertes financières substantielles et décourageant l’innovation locale[19].

En somme, la contrefaçon en ligne, compliquée par la difficulté de matérialisation et le régime des intermédiaires, impacte gravement la chaîne de valeur créative africaine. De surcroît, il est nécessaire de souligner les limites des systèmes actuels de gestion collective.

Les sociétés de gestion collective peinent à s’adapter aux nouvelles technologies numériques, notamment pour la collecte transfrontalière des droits en streaming[20]. Les systèmes actuels de gestion collective sont limités et mal adaptés à un contexte de globalisation numérique. La rupture du contrôle des œuvres due à la désintermédiation et à la dématérialisation rend difficile le contrôle de l’utilisation et de la distribution des œuvres par les auteurs.

L’interopérabilité des sociétés de gestion avec les grandes plateformes et les schémas de micro-rémunération demeure insuffisante, ce qui freine la collecte transfrontalière en régime de streaming[21]. Une plateforme régionale de gestion collective numérique interopérable avec les grandes plateformes internationales serait un levier stratégique pour améliorer la transparence et la rémunération[22]. Des outils numériques OAPI (horodatage, dépôts électroniques et reporting standardisé) et des accords techniques régionaux pourraient améliorer la répartition et la transparence des flux. En conclusion, l’insuffisante interopérabilité des OGC constitue un frein majeur à la juste rémunération des auteurs à l’ère du streaming. Pour illustrer ces difficultés de manière concrète, prenons l’exemple pratique : la protection insuffisante des droits d’auteur.

Un cas concret illustre ces défaillances : un musicien africain victime de streaming illégal sur des plateformes internationales subit une perte financière aggravée par l’absence de contrepartie ou de recours juridique rapide[23]. Les œuvres circulent librement sur Internet sans autorisation, générant des revenus substantiels pour les plateformes mais rien pour les créateurs originaux.

Les problèmes de gestion des exceptions au droit d’auteur se posent également : des actes tels que la reproduction provisoire, le « caching », le « browsing » ou le « text and data mining » peuvent porter atteinte aux droits d’auteur et nécessitent des adaptations législatives pour préserver l’équilibre entre créateurs et utilisateurs[24]. Certains pays comme la France ont mis en place des mécanismes (HADOPI) dont l’efficacité fait débat, mais aucun système similaire n’existe dans l’espace OAPI, laissant les créateurs africains particulièrement vulnérables.

Cet exemple pratique vient clore cette analyse des menaces et confirme l’urgence d’établir des mécanismes de recours et de protection efficaces dans l’espace OAPI. Pour conclure la section B, ces vulnérabilités prouvent que la création africaine est exposée à un risque systémique qui nécessite des solutions ciblées et régionales.

Face à ces défis, il est essentiel d’examiner les clés pour comprendre et sécuriser ses droits dans l’environnement digital. Commençons par la Compréhension des droits et des mécanismes de protection adaptés.

Cette compréhension passe par la distinction des Droits fondamentaux : droit d’auteur, marques, brevets et noms de domaine.

Précisons d’abord l’application du droit d’auteur à l’ère numérique.

a) Le droit d’auteur à l’ère numérique

Le droit d’auteur protège les créations littéraires et artistiques. Dans le contexte numérique, il doit garantir les intérêts légitimes des auteurs sans frustrer un public toujours plus nombreux, avide d’accéder aux connaissances[25]. Les réalités de l’utilisation des contenus culturels se trouvent radicalement bouleversées : ce qui aurait été payé pour l’acquisition de l’œuvre prend désormais la forme du prix de l’accès et de l’utilisation.

Les traités OMPI (WCT/WPPT) renforcent la protection à l’ère digitale en consacrant la protection des œuvres numériques et en renforçant l’effectivité des droits, impliquant pour les auteurs OAPI de valoriser les mesures techniques et l’information sur la gestion des droits[26].

En somme, le droit d’auteur doit concilier la protection des œuvres avec les nouveaux modèles d’accès et d’utilisation en ligne. Intéressons-nous ensuite aux marques et aux noms de domaine.

b) Les marques et les noms de domaine

Le nom de domaine est devenu, avec le développement du commerce électronique, une composante fondamentale de la stratégie des entreprises, constituant l’enseigne virtuelle du marchand sur Internet[27]. Il permet, au même titre que les signes traditionnels de l’entreprise, d’attirer la clientèle et est doté d’une valeur économique considérable.

Les marques s’articulent avec les noms de domaine, mais les procédures diffèrent selon les extensions (gTLD/ccTLD)[28], d’où l’intérêt d’une stratégie multi-extensions et d’une veille UDRP/ccTLD coordonnée. La gestion coordonnée des marques et noms de domaine, combinée à une politique interne de R&D et confidentialité, est essentielle pour la valorisation des actifs intellectuels.

Ainsi, une stratégie multi-extensions et une veille coordonnée sont essentielles pour protéger l’identité virtuelle de l’entreprise. Enfin, terminons cette revue par l’examen des brevets et de la propriété industrielle.

c) Les brevets et la propriété industrielle

Le régime de la propriété industrielle vise à inciter les entreprises à investir dans la recherche. L’Accord de Bangui encadre la propriété industrielle et la titularité des inventions de salariés[29], à intégrer dans des politiques internes de R&D et de confidentialité. Pour les inventions réalisées par des salariés, la primauté revient majoritairement à l’employeur pour les inventions réalisées dans le cadre d’une mission confiée ou en utilisant des moyens de l’entreprise.

En conclusion, les dispositifs relatifs aux brevets nécessitent l’intégration de politiques internes de R&D pour sécuriser la titularité des inventions de salariés. Ces distinctions sont la base d’une gouvernance PI solide et adaptée aux réalités économiques du numérique. Au-delà du cadre juridique, il convient d’analyser les innovations technologiques comme leviers de sécurisation.

Citons d’abord l’usage de la blockchain pour preuve de paternité.

a) La blockchain pour preuve de paternité

La blockchain offre une preuve immuable de paternité des œuvres, résistante à la falsification[30]. Cette technologie peut servir à établir de manière incontestable et horodatée la paternité d’une création intellectuelle, créant une preuve immuable utile pour démontrer la paternité et l’intégrité des œuvres à faible coût. Cette avancée majeure permet aux créateurs africains de prouver l’antériorité de leurs créations sans dépendre exclusivement d’organismes officiels.

L’utilisation de la blockchain assure une preuve d’antériorité et d’intégrité précieuse pour le créateur. Ensuite, de même nature, les smart contracts pour gestion automatisée des droits constituent une avancée majeure.

b) Smart contracts pour gestion automatisée des droits

Les smart contracts automatisent la gestion des droits et des redevances[31]. Les contrats intelligents permettent une gestion automatisée des droits de propriété intellectuelle, notamment pour :

  • Le versement automatique des redevances dès qu’une œuvre est utilisée ;
  • La gestion décentralisée des licences ;
  • Le suivi transparent et en temps réel des utilisations ;
  • L’application automatique des conditions contractuelles sans intervention humaine.

Cette distribution automatisée des redevances et la gestion transparente des licences facilitent la monétisation granulaire sur des plateformes ou des places de marché.

Les smart contracts permettent une monétisation plus transparente et dynamique des droits d’utilisation. Enfin, un dernier outil clé est la signature électronique et la certification.

c) Signature électronique et certification

La signature électronique sécurisée permet de garantir l’intégrité des transactions numériques[32]. Le contrat électronique est sécurisé par la signature électronique sécurisée et l’attribution de certificats par un tiers de confiance. La signature électronique qualifiée a trois fonctions essentielles :

  • Identification de la personne dont elle émane ;
  • Certification de l’origine et de l’intégrité des documents ;
  • Manifestation du consentement aux obligations contractuelles.

Les lois nationales (Sénégal[33], Cameroun) ont adopté le principe de l’équivalence fonctionnelle, assimilant parfaitement l’écrit électronique à l’écrit traditionnel, facilitant ainsi les transactions numériques sécurisées. La signature électronique, reconnue dans plusieurs pays africains, fonde la validité des contrats numériques et l’intégrité documentaire dans des transactions transfrontalières.

Grâce au principe de l’équivalence fonctionnelle, la signature électronique garantit la validité et l’intégrité des engagements numériques. Il apparaît que les avancées technologiques offrent des outils probatoires et contractuels puissants pour pallier les faiblesses du cadre traditionnel. Afin de concrétiser ces principes, il est nécessaire d’évoquer l’Application concrète : dépôts électroniques et traçabilité.

L’horodatage des œuvres et l’usage de tiers de confiance pour certifier les échanges renforcent la chaîne de preuve indispensable en cas de litige[34]. La mise en place de dépôts électroniques avec horodatage, lettres recommandées électroniques et recours à des tiers de confiance renforce la chaîne de preuve.

Les technologies numériques permettent désormais d’effectuer des dépôts électroniques auprès des organismes de gestion collective ou des offices de propriété intellectuelle, avec horodatage et certification garantissant la date de création. Les outils numériques pour la traçabilité incluent :

  • Utilisation de lettres recommandées électroniques avec valeur juridique ;
  • Recours à des tiers de confiance pour authentifier l’envoi/réception de documents ;
  • Cartographie numérique des actifs intellectuels de l’entreprise ;
  • Logiciels dédiés pour gérer et suivre les titres de propriété intellectuelle ;
  • Cartographies numériques d’actifs et registres internes participent à une gouvernance efficace[35].

 Des cartographies d’actifs immatériels et des registres internes des titres améliorent la gouvernance PI et la préparation aux due diligences. L’objectif est d’aligner les pratiques d’entreprise sur les standards régionaux et internationaux pour fluidifier la preuve et les recours.

L’alignement des pratiques de dépôts sur les standards numériques (horodatage, certification) est donc crucial en matière probatoire.

Tournons-nous à présent vers les Stratégies concrètes pour anticiper et gérer les risques. La gestion des risques commence par la Prévention du cybersquatting par une veille active.

À cet égard, il est indispensable de mener un enregistrement stratégique des noms de domaine.

a) Enregistrement stratégique des noms de domaine

Une veille stratégique associée à un enregistrement proactif des extensions principales et variantes limite l’exposition aux typosquattings[36]. Une stratégie proactive d’enregistrement des noms de domaine est essentielle pour toute entreprise présente en ligne :

  • Enregistrer les principales extensions (.com, .net, .org, extensions géographiques pertinentes comme .cm, .sn, .ci) ;
  • Anticiper les variantes (avec/sans tirets, pluriels, fautes de frappe courantes) ;
  • Surveiller les enregistrements susceptibles de créer confusion avec votre marque ;
  • Effectuer la déclaration des noms de domaine au registre du commerce et des sociétés.

L’enregistrement défensif des principales extensions et variantes, combiné à une surveillance des dépôts et du WHOIS, réduit l’exposition au typosquatting et au domain tasting. Le recours à l’UDRP pour les gTLD et aux politiques nationales pour les ccTLD (ex. .cm/ANTIC) doit être planifié contractuellement et budgétairement.

Cette stratégie proactive réduit l’exposition et permet de mieux contrôler son identité numérique. De plus, il est crucial de compléter cette stratégie par la création d’une procédure OAPI de résolution des litiges.

b) Création d’une procédure OAPI de résolution des litiges

La création d’une procédure OAPI inspirée de l’UDRP, avec des sanctions dissuasives, est recommandée[37]. Une convergence OAPI-registries pour une procédure régionale inspirée de l’UDRP renforcerait l’effet dissuasif. La coopération entre OAPI, registres ccTLD et OMPI (services UDRP/ADR) peut instaurer des filières spécialisées et des barèmes raisonnés, favorisant l’accès des PME-créateurs[38].

Seule une procédure régionale dissuasive permettra d’apporter une réponse rapide et indemnisatrice au cybersquatting. Au-delà du cybersquatting, il est impératif d’utiliser des technologies émergentes et de bonnes pratiques. La combinaison de l’enregistrement stratégique et d’une résolution de litige efficace est la meilleure parade contre les atteintes à l’identité numérique. Au-delà du cybersquatting, il est impératif d’utiliser des technologies émergentes et de bonnes pratiques.

La première bonne pratique est la gestion dynamique du capital intellectuel.

a) Gestion dynamique du capital intellectuel

L’investissement dans le capital intellectuel joue un rôle important dans les chaînes de valeur mondiales[39]. Dans de nombreux pays de l’OCDE, l’investissement des entreprises dans le capital intellectuel augmente plus rapidement que l’investissement dans le capital physique, témoignant de la transition vers une économie de la connaissance. Les entreprises des économies de la connaissance investissent massivement dans le capital intellectuel, facteur reconnu de performance et de compétitivité[40].

Les bonnes pratiques organisationnelles incluent :

  • Établir une fonction de directeur des actifs intellectuels relevant directement de la haute direction ;
  • Créer un IP Office et formaliser une IP Policy (politique écrite de gestion de la PI) ;
  • Former tous les salariés à la culture de la propriété intellectuelle ;
  • Recenser systématiquement toutes les créations (déclaration obligatoire des innovations) ;
  • Aligner la stratégie de PI sur la stratégie globale de l’entreprise.

L’alignement stratégie PI/stratégie d’entreprise conditionne la captation de valeur sur les marchés numériques[41].

L’alignement de la stratégie PI sur la stratégie globale est la clé de la compétitivité des entreprises. En outre, il ne faut pas négliger la veille technologique et juridique active.

b) Veille technologique et juridique active

Les entreprises qui connaissent un succès mondial ont adopté des stratégies de propriété intellectuelle particulièrement sophistiquées. Cette stratégie devient de plus en plus importante dans l’économie du savoir, mondialisée et dématérialisée[42]. La veille doit inclure :

  • Surveillance permanente de l’environnement concurrentiel ;
  • Cartographie des brevets et études de liberté d’exploitation ;
  • Travail en réseau et participation à des écosystèmes innovants ;
  • Suivi de l’évolution réglementaire aux niveaux national, régional et international.

Cette veille est un facteur critique de succès dans un environnement réglementaire et technologique en mutation constante. Ces pratiques, notamment la gestion dynamique du capital intellectuel, sont essentielles pour capturer la valeur dans l’économie de la connaissance. Terminons cette section par l’examen de la gestion contractuelle rigoureuse.

Examinons les spécificités des contrats internationaux de transfert de technologie.

a) Contrats internationaux de transfert de technologie

Les contrats internationaux doivent inclure clauses de confidentialité, étendue des droits, gestion des améliorations technologiques, et prévoir des mécanismes sécurisés de consentement électronique[43]. Pour les contrats de transfert de technologie en contexte numérique, il est essentiel d’inclure :

  • Clauses de confidentialité renforcées protégeant les informations sensibles ;
  • Définition précise de l’étendue des droits transférés (exclusivité, sous-licences autorisées) ;
  • Gestion des améliorations technologiques futures et leur attribution ;
  • Clauses de formation et d’assistance technique pour assurer le transfert effectif ;
  • Mécanismes de résiliation clairement définis avec leurs conséquences ;
  • Organisation des responsabilités (assurances, garanties contre l’éviction) ;
  • Clause de loi applicable et de juridiction compétente pour éviter les conflits de compétence.

La protection du parcours de consentement (information précontractuelle, double-clic, signature qualifiée) et la répartition des responsabilités de paiement et d’hébergement renforcent la sécurité juridique[44].

Ces contrats doivent être blindés par des clauses précises (confidentialité, loi applicable) pour prévenir les conflits. De même, il est vital de se concentrer sur la protection du contrat électronique.

b) Protection du contrat électronique

Le contrat électronique doit être sécurisé par[45]:

  • Obligation d’information claire et complète du cocontractant avant l’engagement ;
  • Système du double clic garantissant un consentement réfléchi et non impulsif ;
  • Signature électronique qualifiée avec certification par tiers de confiance ;
  • Sécurisation des paiements en ligne avec répartition claire des responsabilités ;
  • Encadrement des intermédiaires (hébergeurs, plateformes) et de leurs obligations.

L’usage de standards probatoires et de certificats tiers facilite l’exécution et les remèdes en cas de violation.

Le respect des standards probatoires (double clic, signature qualifiée) est nécessaire pour fonder la validité des transactions numériques. En résumé, la gestion proactive des risques repose sur l’anticipation, la rigueur contractuelle et une culture PI interne forte. Enfin, un dernier axe de travail est la Surveillance digitale et la coopération régionale.

En pratique, cela passe par la mise en place d’outils de surveillance et de notices.

Des outils automatisés de détection des violations en ligne, complétés par des protocoles harmonisés OAPI-OMPI, faciliteront les retraits rapides et les actions internationales[46]. Des solutions automatisées de détection des atteintes sur marketplaces et réseaux sociaux permettent des retraits rapides et alimentent les demandes en justice.

L’utilisation d’outils technologiques est indispensable pour protéger efficacement ses droits :

  • Utilisation d’outils automatisés pour détecter les contrefaçons en ligne ;
  • Monitoring des réseaux sociaux et des plateformes de commerce électronique ;
  • Alertes automatiques en cas d’utilisation non autorisée de marques ou d’œuvres ;
  • Veille sur les dépôts de noms de domaine et de marques similaires.

La standardisation des notifications et la conservation de preuves numériques sont essentielles pour la célérité et la réussite des actions. Le renforcement des pouvoirs et protocoles OAPI/États accroît l’efficacité des mesures provisoires et des saisies douanières.

La standardisation des protocoles OAPI-OMPI est la clé pour le retrait rapide et l’efficacité des actions en justice. De plus, il est nécessaire de consolider la coopération régionale et internationale.

La coopération régionale et internationale doit se renforcer pour consolider un marché numérique unique africain[47]. Pour mieux défendre ses droits dans l’espace OAPI :

  • Utilisation des mécanismes de résolution des litiges (UDRP pour les domaines génériques, organismes nationaux comme l’ANTIC au Cameroun) ;
  • Coopération entre organismes de gestion collective des différents pays ;
  • Harmonisation progressive des pratiques et des législations ;
  • Partage d’expériences et de bonnes pratiques entre innovateurs africains ;
  • Plaidoyer commun pour une réforme législative adaptée au numérique.

L’articulation avec la Stratégie numérique de l’Union Africaine (marché numérique unique) soutient l’harmonisation et la sécurité juridique des échanges[48]. Des programmes conjoints de formation et d’outillage des sociétés de gestion renforcent la collecte transfrontalière, tout en renforçant les capacités régionales de coopération.

Le partage d’expériences et l’harmonisation des pratiques sont cruciaux pour bâtir un marché numérique unique et sécurisé. En guise de conclusion, nous terminerons par l’importance des stratégies de protection multicanale.

Une approche globale de protection implique[49] :

  • Diversifier les actifs de PI : Ne pas se limiter aux brevets, mais utiliser aussi les marques, le design, les bases de données, le capital organisationnel ;
  • Adapter la stratégie selon le contexte : parfois privilégier le brevet, parfois le secret, parfois la licence ouverte (innovation ouverte) ;
  • Gestion équilibrée entre appropriation et partage dans les projets collaboratifs (coopétition) ;
  • Réexaminer périodiquement la pertinence et la rentabilité de chaque titre de propriété intellectuelle.

La diversification des titres (marques, dessins, bases de données, secrets d’affaires) et l’arbitrage entre brevet/licence ouverte/secret selon les marchés optimisent les coûts et la vitesse d’appropriation. Une révision régulière du portefeuille selon la rentabilité et l’usage effectif permet de céder, maintenir ou étendre les protections. Cette gouvernance dynamique soutient la compétitivité des acteurs OAPI sur des chaînes de valeur numériques en expansion.

Ceci confirme que la diversification des titres et la gouvernance dynamique des actifs immatériels sont essentielles pour la compétitivité durable des acteurs OAPI. Pour conclure, une action multicanale, coordonnée et soutenue par la coopération régionale est la seule voie pour garantir l’effectivité des droits des créateurs africains. En définitive, la sécurisation des droits dans le digital repose sur la parfaite maîtrise des outils juridiques et technologiques disponibles.

Les défis de la propriété intellectuelle à l’ère numérique en Afrique nécessitent une approche globale et multidimensionnelle. La PI à l’ère numérique en Afrique nécessite une refonte urgente du cadre OAPI intégrant noms de domaine, plateformes numériques et mécanismes anti-contrefaçon adaptés. La propriété intellectuelle ne doit plus être perçue comme un épiphénomène juridique ou une contrainte administrative, mais comme un axe durable de structuration de l’entreprise et un levier stratégique de développement de l’économie africaine dans son ensemble. Dans l’économie numérique mondialisée, la protection effective des créations intellectuelles africaines conditionne la capacité du continent à capturer la valeur de ses innovations et à participer pleinement à la révolution numérique, garantissant la compétitivité et la valorisation des créations intellectuelles africaines. Les défis posés par la révolution numérique peuvent être surmontés par une meilleure compréhension des droits, une adaptation des cadres législatifs africains et l’intégration d’outils technologiques innovants. L’association d’une réforme juridique ciblée avec l’adoption des nouvelles technologies permet d’offrir un environnement plus sûr et efficace pour la protection des créations numériques africaines. Cet article a eu pour ambition de clarifier les enjeux, d’informer sur les droits, et de proposer des méthodes concrètes pour sécuriser les projets innovants dans un cadre numérique. Encourager l’harmonisation rapide des législations en matière de PI numérique au sein de l’OAPI. Promouvoir la formation continue des créateurs et juristes sur les outils numériques de protection. Renforcer la coopération régionale et internationale pour des actions concertées contre le cybersquatting et la contrefaçon numérique.

1. Réforme législative urgente

Réformer sans délai le cadre OAPI pour intégrer noms de domaine, plateformes et mécanismes accélérés anti-contrefaçon, en cohérence avec WCT/WPPT et les meilleures pratiques UDRP/ccTLD[50]. L’adaptation du cadre juridique OAPI aux réalités numériques doit inclure la régulation des noms de domaine, du streaming, des plateformes et de la blockchain.

2. Infrastructures numériques dédiées

Mettre en place une plateforme OAPI de gestion collective numérique interopérable avec les grandes plateformes internationales, avec dépôts électroniques, horodatage et reporting standardisé[51]. Cette infrastructure facilitera le suivi et la rémunération des créateurs.

3. Adoption des technologies émergentes

Généraliser l’usage de la blockchain, des smart contracts et de la signature électronique dans les chaînes de licence et de redevance, avec lignes directrices et schémas de preuve[52]. L’adoption de ces technologies doit s’accompagner de formations et de sensibilisations pour l’automatisation de la gestion des droits.

4. Procédure régionale de résolution des litiges

Structurer une coopération OAPI-OMPI-registres nationaux pour une procédure régionale type UDRP incluant une voie indemnitaire et des mesuresprovisoires[53]. Cette procédure renforcera l’effet dissuasif contre le cybersquatting et le parasitisme numérique.

5. Alignement sur la Stratégie numérique de l’Union Africaine

Aligner les politiques publiques sur la Stratégie numérique de l’Union Africaine pour soutenir un marché numérique unique et l’innovation mesurée par les indicateurs OMPI/Global Innovation Index[54].

6. Renforcement des capacités

Consolider les capacités des créateurs, entrepreneurs et juristes africains par la formation continue, les cliniques juridiques numériques et la sensibilisation accrue[55]. La création de standards probatoires facilitera la défense collective des droits.


Par Président OBAMBI Wilfrid Vivien

Magistrat et Conseiller à la Cour d’Appel de Dolisie (Congo). Ancien Juge au Tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire, il a également exercé la fonction de Président du Tribunal du travail de Pointe-Noire.

Il est par ailleurs Secrétaire adjoint du Réseau Africain des Magistrats de Propriété Intellectuelle (RAMPI), ainsi que Secrétaire chargé des affaires administratives, juridiques et du contentieux du Réseau des Experts en Propriété Intellectuelle du Congo (REPIC).

Enfin, il figure sur la liste des médiateurs neutres de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).

Linkedin : https://linkedin.com/in/wilfrid-vivien-obambi


[1] 1. Les 17 États membres de l’OAPI sont : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, République centrafricaine, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Togo.

[2]  Accord de Bangui (révisé en 2015), portant révision de l’Accord relatif à la création de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), entré en vigueur en 2020.

[3] Union Africaine, Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique (2020-2030), Addis-Abeba, 2020.

[4] Voir notamment les règlements de l’ANTIC (Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication du Cameroun) relatifs aux noms de domaine en .cm.

[5] Frédéric POLLAUD-DULIAN, Le droit d’auteur, 2ème édition, Paris, Economica, 2020, p. 45-67.

[6] Audrey BENSAMOUN et Laure MARINO, « Droit d’auteur et droits voisins à l’ère numérique », Revue Lamy Droit de l’Immatériel, 2022, p. 12-28.

[7] Michel VIVANT et Jean-Michel BRUGUIÈRE, Droit d’auteur et droits voisins, 4ème édition, Paris, Dalloz, 2021, p. 234-256.

[8] Traités Internet de l’OMPI (1996) : Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT) et Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT).

[9] Ibid.

[10] Jérôme PASSA, Droit de la propriété industrielle, Paris, LGDJ, 2022, p. 678-695.

[11] Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy (UDRP), ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), disponible sur www.icann.org.

[12] PASSA, op. cit., p. 690.

[13] UDRP, op. cit., article 4.

[14] Règlements de l’ANTIC (Cameroun) relatifs aux noms de domaine en .cm, disponibles sur www.antic.cm.

[15] Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), Rapport sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique africaine, Genève, 2024, p. 56-78.

[16] Ibid., p. 65.

[17] VIVANT et BRUGUIÈRE, op. cit., p. 345-367.

[18] BENSAMOUN et MARINO, op. cit., p. 45-52.

[19] Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), Rapport sur l’économie numérique en Afrique, Genève, 2023, p. 89-102.

[20] OMPI, Rapport sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique africaine, op. cit., p. 112-125.

[21] Ibid., p. 118.

[22]  Ibid., p. 120.

[23] Exemple cité dans CNUCED, Rapport sur l’économie numérique en Afrique, op. cit., p. 95.

[24] BENSAMOUN et MARINO, op. cit., p. 34-41.

[25] POLLAUD-DULIAN, op. cit., p. 123-145.

[26] Traités Internet de l’OMPI (WCT/WPPT), op. cit.

[27] PASSA, op. cit., p. 682.

[28] Ibid., p. 685-692.

[29] Accord de Bangui (révisé en 2015), Annexe I, articles 23-28.

[30] Céline CASTETS-RENARD, « Blockchain et propriété intellectuelle : opportunités et défis », Propriétés intellectuelles, n°72, juillet 2019, p. 15-28.

[31] Ibid., p. 22-25.

[32] Loi n°2008-001 du 30 janvier 2008 régissant la signature électronique au Sénégal ; Loi camerounaise sur les transactions électroniques et la signature numérique.

[33] Loi sénégalaise n°2008-001 du 30 janvier 2008 sur la signature électronique.

[34] CASTETS-RENARD, op. cit., p. 26.

[35] Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, Guide de gestion de la PI à l’intention des PME, Publication OMPI n°917, Genève, 2021, p. 45-67.

[36] Internet Governance Forum (IGF), Guide des bonnes pratiques en matière de propriété intellectuelle numérique, 2023, p. 34-45.

[37] Ibid., p. 42.

[38] OMPI, Rapport sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique africaine, op. cit., p. 145-158.

[39] Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), Principes sur l’Intelligence Artificielle, Paris, 2019, p. 56-78.

[40] Ibid., p. 62.

[41] OMPI, Guide de gestion de la PI à l’intention des PME, op. cit., p. 78-89.

[42] IGF, Guide des bonnes pratiques, op. cit., p. 56-67.

[43] BENSAMOUN et MARINO, op. cit., p. 78-92.

[44] Ibid., p. 88.

[45] Loi sénégalaise n°2008-001 du 30 janvier 2008 sur la signature électronique, articles 12-18.

[46] OMPI, Rapport sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique africaine, op. cit., p. 165-178.

[47] Union Africaine, Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique (2020-2030), op. cit., p. 45-67.

[48] Ibid., p. 58.

[49] OMPI, Guide de gestion de la PI à l’intention des PME, op. cit., p. 92-105.

[50] OMPI, Rapport sur la propriété intellectuelle dans l’économie numérique africaine, op. cit., p. 185-192.

[51] Ibid., p. 188.

[52] CASTETS-RENARD, op. cit., p. 27-28.

[53] IGF, Guide des bonnes pratiques, op. cit., p. 89-95.

[54] Union Africaine, Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique (2020-2030), op. cit., p. 72-85.

[55] WIPO Academy, Intellectual Property and Frontier Technologies, cours en ligne disponible sur www.wipo.int/academy.

Le bail à usage professionnel en droit OHADA : cadre juridique, obligations et sécurité des parties

Le bail à usage professionnel occupe une place essentielle dans la vie des affaires au sein de l’espace OHADA. Il constitue le cadre juridique dans lequel un propriétaire (le bailleur) met à la disposition d’un professionnel (le preneur) un immeuble ou un local afin qu’il y exerce son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Ce contrat, loin d’être un simple accord de mise à disposition d’un bien, représente un véritable outil de stabilité économique et de développement professionnel.

Dans un contexte africain où les petites et moyennes entreprises, les cabinets professionnels et les structures indépendantes se multiplient, le bail professionnel est devenu un pilier incontournable. Il permet au preneur d’assurer la pérennité de son activité grâce à une certaine sécurité d’occupation, tout en garantissant au bailleur un revenu stable et encadré juridiquement.

L’Acte uniforme portant sur le droit commercial général (AUDCG) consacre plusieurs dispositions à ce type de bail, notamment dans ses articles 101 à 134, afin d’uniformiser les pratiques et d’assurer un équilibre entre les droits et obligations des parties.

Toutefois, beaucoup de professionnels ignorent encore les particularités de ce régime. Certains confondent le bail professionnel avec le bail à usage d’habitation, alors que chacun obéit à des règles précises. Or, une mauvaise compréhension de ces différences peut entraîner des litiges, voire la perte du droit au renouvellement du bail.

C’est pourquoi il est essentiel de comprendre la nature, le régime et les spécificités du bail à usage professionnel tel que défini par le droit OHADA. Cet article vise à éclairer les professionnels, entrepreneurs, propriétaires et juristes sur les principales règles applicables à ce type de contrat.

Le droit OHADA, à travers l’article 103 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général (AUDCG), donne une définition précise du bail à usage professionnel : « Est réputé bail à usage professionnel toute convention, écrite ou non, entre une personne investie par la loi ou une convention du droit de donner en location tout ou partie d’un immeuble compris dans le champ d’application du présent Titre, et une autre personne physique ou morale, permettant à celle-ci, le preneur, d’exercer dans les lieux avec l’accord de celle-là, le bailleur, une activité commerciale, industrielle, artisanale ou toute autre activité professionnelle. »

Il s’adresse principalement aux commerçants, artisans, professions libérales, associations ou entreprises qui exercent une activité dans un local à usage administratif, médical, juridique, artisanal, industriel ou autre.

Le bail professionnel se distingue avant tout par la finalité de l’occupation du local. Le preneur doit y exercer une activité professionnelle, excluant tout usage personnel, domestique ou agricole. Par exemple, un cabinet d’avocats, un centre médical, une agence de communication ou un atelier d’artisanat peuvent être installés dans un local loué à usage professionnel.

Cette exigence de destination du bien n’est pas anodine : elle conditionne la validité du contrat. En effet, si le preneur utilise le local à d’autres fins (habitation, commerce, entrepôt mixte), il s’expose à la résiliation du bail pour non-respect de la destination convenue.

Ainsi, la précision de l’usage professionnel dans le contrat est une exigence fondamentale. Le bail doit indiquer clairement la nature de l’activité exercée afin d’éviter toute ambiguïté ou requalification par le juge.

L’un des principaux atouts du bail professionnel en droit OHADA réside dans sa souplesse contractuelle. Les parties disposent d’une grande liberté pour fixer les modalités du contrat : durée, loyer, révision, dépôt de garantie, conditions de renouvellement, etc.
Toutefois, cette liberté n’est pas absolue. L’AUDCG impose un cadre minimal pour protéger les intérêts des deux parties, notamment en matière de renouvellement du bail, de congé et d’indemnisation en cas d’éviction.

De plus, le bail professionnel ne confère pas automatiquement au locataire un droit au renouvellement ou une protection contre l’éviction, sauf si ces avantages sont expressément prévus au contrat. C’est pourquoi la rédaction du bail doit être effectuée avec rigueur et accompagnée par un conseil juridique compétent.

Le bail professionnel concerne donc :

  • Les professionnels libéraux (avocats, notaires, médecins, experts-comptables, consultants, etc.) ;
  • Les entreprises de services (bureaux d’études, agences, ONG, cabinets privés, etc.) ;
  • Les structures artisanales ou industrielles légères ;
  • Et, plus généralement, toute personne exerçant une activité économique sans vocation commerciale directe.

Il s’agit donc d’un instrument juridique de développement économique, favorisant la stabilité et la formalisation des activités professionnelles dans l’espace OHADA.

Pour le bailleur, le bail professionnel garantit une exploitation durable de son bien tout en réduisant les risques liés aux impayés grâce à des conditions contractuelles plus flexibles. Pour le preneur, il offre un espace adapté à ses activités professionnelles, tout en lui permettant de négocier librement la durée et les modalités de son bail, souvent sans les lourdeurs du statut commercial.

Ainsi, le bail à usage professionnel représente un équilibre entre la sécurité juridique et la liberté contractuelle, tout en contribuant à la structuration du tissu économique africain.

Le bail à usage professionnel, bien qu’il soit régi par la liberté contractuelle, obéit à certaines conditions de fond et de forme pour être valable. Ces conditions garantissent la sécurité juridique du bailleur comme du preneur, et préviennent tout litige sur la nature du contrat ou sur son exécution.

Comme tout contrat, le bail professionnel repose sur les conditions générales de validité prévues par le droit civil : le consentement, la capacité, un objet certain et une cause licite.
Mais en pratique, certaines exigences sont particulièrement importantes.

  • Le consentement : il doit être libre et éclairé. Le bailleur et le preneur doivent s’entendre sur la chose louée (le local), le montant du loyer et la durée du bail. Toute erreur sur la destination du bien ou sur la qualité des parties peut entraîner la nullité du contrat.
  • La capacité juridique : le bailleur doit être propriétaire ou avoir le droit de jouir du bien loué, tandis que le preneur doit avoir la capacité d’exercer une activité professionnelle. Par exemple, une société en formation ou non immatriculée ne peut pas valablement signer un bail professionnel sans régulariser sa situation.
  • L’objet du bail : il s’agit du local à usage professionnel. Il doit être clairement identifié dans le contrat (adresse, superficie, aménagements, etc.). Cet objet doit être licite et conforme à la réglementation en vigueur.
  • La cause du contrat : elle réside dans l’exploitation professionnelle du local. Si le preneur détourne le bien de son usage, le bailleur peut résilier le contrat pour violation de la destination convenue.

L’article 104 de l’AUDCG prévoit que le bail à usage professionnel doit être constaté par écrit. Cette exigence vise à éviter toute contestation ultérieure sur les obligations respectives des parties.

Le contrat doit mentionner notamment :

  • L’identité complète des parties ;
  • La description précise du local loué ;
  • La destination professionnelle du bien (exemple : cabinet médical, agence de conseil, atelier de couture, etc.) ;
  • Le montant du loyer et les modalités de révision ;
  • La durée du bail et les conditions de renouvellement ;
  • Les charges et réparations à la charge de chaque partie.

L’écrit constitue donc une preuve essentielle. En cas de litige, le juge ou l’arbitre se réfère prioritairement au contrat signé.

L’AUDCG ne fixe pas une durée minimale ou maximale pour le bail professionnel. Les parties peuvent librement convenir de la durée du contrat selon leurs besoins et leurs intérêts.

Le contrat doit également prévoir les modalités de résiliation anticipée, les délais de préavis, et les cas de force majeure permettant une libération anticipée du preneur.

Le montant du loyer est librement fixé par les parties. Il peut être payable mensuellement, trimestriellement ou selon toute autre périodicité convenue. 

Le contrat peut aussi prévoir une clause de révision périodique du loyer, généralement annuelle, afin de tenir compte de l’inflation ou de l’évolution de la valeur locative du bien.

Le bailleur peut exiger du preneur :

  • Un dépôt de garantie ;
  • Une caution;
  • Et éventuellement, une assurance responsabilité civile couvrant les dommages causés au local.

Ces garanties visent à sécuriser la relation contractuelle et à prévenir les impayés.

Le bail à usage professionnel crée un équilibre entre les droits et obligations du bailleur et ceux du preneur. La connaissance précise de ces droits et devoirs est essentielle pour prévenir les litiges et assurer une relation contractuelle harmonieuse.

L’Acte uniforme OHADA prévoit plusieurs obligations pour le bailleur, afin de garantir au preneur la jouissance paisible et sécurisée du local loué :

  • Délivrance du bien en bon état (Art. 105) : Le bailleur doit remettre les locaux en état d’usage, aptes à l’activité professionnelle prévue. L’absence de réserves lors de la signature du contrat vaut présomption de conformité.
  • Assurer les grosses réparations (Art. 106) : Le bailleur prend en charge les réparations structurelles (toiture, murs porteurs, voûtes, murs de soutènement, etc.). Si ces travaux empêchent la jouissance du local, le preneur peut demander la suspension du bail ou sa résiliation judiciaire.
  • Respect de la destination des lieux (Art. 108) : Le bailleur ne peut pas modifier l’état des locaux ni en restreindre l’usage convenu.
  • Responsabilité du trouble de jouissance (Art. 109) : Le bailleur répond des perturbations causées par lui-même ou ses représentants, préservant ainsi le preneur contre tout obstacle à son activité.
  • Continuité du bail en cas de changement de bailleur ou décès (Art. 110 et 111) : Le bail continue avec le successeur du bailleur ou du preneur, garantissant la stabilité de l’exploitation professionnelle.

Le preneur, de son côté, doit respecter certaines règles pour protéger l’intérêt du bailleur et maintenir la relation contractuelle :

  • Paiement du loyer (Art. 112) : Le preneur s’engage à payer le loyer aux échéances convenues, par voie électronique ou tout autre moyen accepté.
  • Exploitation diligente des locaux (Art. 113) : Le preneur doit utiliser les lieux conformément à la destination professionnelle convenue et peut seulement y exercer des activités connexes après accord exprès du bailleur.
  • Entretien des locaux (Art. 114) : Le preneur prend en charge les réparations d’entretien et est responsable des dégradations causées par un défaut de soin.
  • Indemnité d’occupation en cas de maintien abusif (Art. 115) : À l’expiration du bail, le preneur qui reste dans les lieux sans droit doit verser une indemnité équivalente au loyer en cours, sans préjudice de dommages et intérêts.

  • Droit de cession et de sous-location (Arts. 118 à 122) : Le preneur peut céder ou sous-louer le bail, sous réserve du respect des conditions prévues par le contrat et de l’accord du bailleur si nécessaire.
  • Droit au renouvellement (Arts. 123 à 127) : Le preneur bénéficie d’un droit au renouvellement s’il a exploité le local conformément au bail pendant au moins deux ans. Le bailleur peut s’y opposer uniquement pour des motifs sérieux ou en cas de reconstruction du bien.
  • Recours en cas de non-respect des obligations (Art. 133) : Tant le bailleur que le preneur peuvent demander la résiliation judiciaire du bail après mise en demeure restée sans effet, garantissant la protection de leurs droits.

En résumé, le bail à usage professionnel crée une relation contractuelle équilibrée : le bailleur assure des locaux adaptés et sécurisés, tandis que le preneur s’engage à une exploitation responsable et au respect du loyer et des obligations contractuelles. Cette régulation favorise la stabilité des activités économiques et prévient les conflits entre les parties.

Cette section encadre la continuité et la fin du bail, protégeant à la fois les intérêts du bailleur et ceux du preneur. Elle régit le renouvellement, les transferts de bail et la résiliation pour manquement.

Le preneur bénéficie d’un droit au renouvellement s’il a exploité le local conformément au bail pendant une durée minimale de deux ans.

  • Bail à durée déterminée : le preneur doit demander le renouvellement au moins trois mois avant l’expiration du bail. Passé ce délai, le droit au renouvellement est perdu.
  • Bail à durée indéterminée : toute partie qui souhaite résilier doit donner un congé au moins six mois à l’avance. Le preneur peut contester ce congé dans le même délai pour préserver son droit au renouvellement.

Le bailleur peut s’opposer au renouvellement uniquement :

  • Pour motif grave et légitime (inexécution du bail, cessation de l’activité, etc.) ;
  • En cas de reconstruction ou changement de destination du bien, avec versement éventuel d’une indemnité d’éviction.

Le preneur peut transférer ses droits ou sous-louer le local, sous réserve des conditions suivantes :

  • Cession totale : le bailleur ne peut s’opposer à la cession.
  • Cession partielle ou avec éléments de l’activité : nécessite l’accord préalable du bailleur, qui doit répondre dans un délai d’un mois. Le silence vaut acceptation.
  • Sous-location : interdite sauf autorisation expresse et notification écrite au bailleur. Si le loyer de la sous-location dépasse celui du bail principal, le bailleur peut exiger une augmentation proportionnelle du loyer principal.

Le bail peut être résilié lorsque l’une des parties ne respecte pas ses obligations contractuelles :

  • Une mise en demeure préalable est obligatoire, indiquant la ou les clauses violées et accordant un délai d’un mois pour s’exécuter.
  • La juridiction compétente, statuant à bref délai, peut constater la résiliation et prononcer l’expulsion si nécessaire.
  • Une clause résolutoire peut prévoir la résiliation automatique en cas d’inexécution par le preneur ou le bailleur, après mise en demeure.

  • Le preneur est protégé par le droit au renouvellement et par des règles strictes encadrant la résiliation.
  • Le bailleur est assuré du respect des obligations et du paiement du loyer, et peut s’opposer aux cessions ou sous-locations non conformes.
  • Les contestations sont portées devant la juridiction compétente statuant à bref délai, assurant une résolution rapide des litiges.

Le bail à usage professionnel constitue un outil juridique fondamental pour encadrer la location de locaux destinés à des activités commerciales, industrielles, artisanales ou autres usages professionnels. Comme le définit l’article 103 de l’Acte uniforme OHADA, ce bail organise la relation entre le bailleur, garant de locaux adaptés et sécurisés, et le preneur, responsable de l’exploitation diligente et du respect des obligations contractuelles.

La réglementation prévoit :

  • Une flexibilité dans la durée et le renouvellement du bail, permettant aux parties d’adapter la convention à leurs besoins tout en assurant la continuité de l’activité.
  • Des droits et obligations clairs pour le bailleur et le preneur, incluant la délivrance de locaux en bon état, la réalisation des réparations nécessaires, le paiement du loyer et le respect de la destination professionnelle.
  • Une protection juridique en matière de cession, sous-location et résiliation, garantissant la sécurité des parties et la résolution rapide des conflits par la juridiction compétente.

En pratique, ce cadre juridique offre un équilibre entre la sécurité des investissements du bailleur et la stabilité de l’activité du preneur, tout en prévenant les litiges et en favorisant la bonne gestion des relations locatives. La connaissance précise de ces règles est indispensable pour toute entreprise ou professionnel souhaitant louer un local à usage professionnel dans l’espace OHADA.

En définitive, le bail à usage professionnel n’est pas seulement un contrat de location : c’est un instrument de protection, de prévisibilité et de sécurité juridique, indispensable pour soutenir le développement économique et l’activité professionnelle.


Juda N’Guessan

Juriste Polyvalent – Responsable du Département juridique du CABINET LDJ SARL

judanguessan@cabinetldjsarl.com +225 0757646617

Le contrat est conclu. Puis-je changer d’avis ?

Le droit des obligations repose sur un équilibre entre liberté et contrainte, entre volonté individuelle et force juridique. Ce balancement trouve sa plus parfaite expression dans le contrat, instrument de la liberté contractuelle par excellence. Le contrat est, selon la célèbre formule du Code civil ivoirien, la loi des parties : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites »[1]. En d’autres termes, une fois le contrat conclu, il s’impose à ses signataires avec la même force qu’une norme légale ; il ne peut être librement modifié ni rompu sans le consentement mutuel ou sans cause légitime prévue par la loi[2]. Cette disposition consacre le principe de la force obligatoire du contrat, l’un des piliers du droit civil classique. Elle signifie que la parole donnée engage juridiquement ; que le contrat fige la volonté exprimée au moment de sa formation et empêche tout retour unilatéral en arrière. En ce sens, la stabilité contractuelle est érigée en garantie de la sécurité juridique et de la confiance économique. Les partenaires savent à quoi s’en tenir, et les engagements librement consentis deviennent irrévocables, sauf accord contraire ou dispositions légales expresses[3].

Pourtant, cette rigueur n’est pas absolue. Si la stabilité du contrat est une exigence de justice et d’efficacité économique, elle se heurte parfois à une autre exigence tout aussi fondamentale : celle du respect de la liberté personnelle et de la volonté réelle. En effet, un individu peut légitimement changer d’avis après la conclusion d’un contrat ; ses circonstances, ses besoins ou son information peuvent évoluer. Or, le droit, qui ne saurait être figé, reconnaît que la liberté contractuelle ne saurait s’éteindre au moment même où le contrat prend naissance[4]. Ce paradoxe est au cœur du dilemme contractuel moderne : le contrat, censé cristalliser la volonté, doit-il aussi lui laisser la possibilité de se rétracter ? Autrement dit, jusqu’où le droit peut-il admettre qu’une partie revienne sur son engagement, sans ruiner la stabilité du lien contractuel ?

La distinction entre exécution du contrat et droit de repentir illustre bien cette tension. L’exécution suppose le respect strict des engagements ; le repentir, au contraire, traduit la faculté de revenir sur une promesse devenue inopportune. Le premier protège la sécurité des transactions, le second protège la liberté de la personne. Le droit moderne tente de concilier ces deux exigences : il admet certaines formes de rétractation, mais les encadre rigoureusement, tantôt par la volonté des parties (comme la clause de dédit ou les arrhes), tantôt par la loi elle-même, notamment dans les contrats de consommation[5]. Ainsi, en Côte d’Ivoire, la loi relative à la consommation reconnaît expressément, à travers son article 6 alinéa 3, que « sauf stipulation contraire du contrat, les sommes versées d’avance sont des arrhes. Chacun des contractants peut revenir sur son engagement, le consommateur en perdant les arrhes, le professionnel en les restituant au double »[6]. Cette disposition, directement inspirée de l’article L214-1 du Code de la consommation français, illustre la volonté du législateur ivoirien de ménager une marge de liberté post-contractuelle, tout en maintenant la stabilité des relations juridiques[7].

Le droit de se rétracter n’est donc pas une contradiction de la force obligatoire ; il en constitue un tempérament nécessaire dans une société où l’économie, la technique et l’information évoluent rapidement. En définitive, la question n’est pas de savoir si une partie peut revenir sur son engagement, mais dans quelles conditions et dans quelles limites elle peut le faire sans déséquilibrer l’économie du contrat et la confiance réciproque des cocontractants. C’est autour de cette interrogation que s’articulera notre analyse : dans quelle mesure une partie peut-elle revenir sur son engagement contractuel après sa conclusion ?

Le principe de la force obligatoire du contrat, énoncé par l’article 1134 du Code civil ivoirien, semble de prime abord exclure toute possibilité pour une partie de se délier unilatéralement de son engagement. Cependant, la liberté contractuelle, corollaire de ce principe, permet aux parties d’introduire, dans la structure même de leur accord, des mécanismes d’assouplissement destinés à préserver la souplesse de la relation juridique. Ces mécanismes trouvent leur source dans la volonté commune des cocontractants, qui anticipent l’éventualité d’un revirement et en déterminent les modalités. Deux formes principales illustrent ce pouvoir d’autonomie : la clause de dédit, qui institue une faculté de rupture moyennant compensation (A), et les arrhes, qui consacrent juridiquement le droit de se rétracter sous certaines conditions (B). Ainsi, tandis que la clause de dédit exprime une liberté contractuelle encadrée, permettant à l’une des parties de se désengager à un prix déterminé, le versement d’arrhes constitue une manifestation légale de cette même faculté, dotée d’un effet protecteur particulier, notamment au profit du consommateur.

La clause de dédit est une stipulation contractuelle par laquelle une partie, ou parfois les deux, se réservent la possibilité de rompre le contrat avant son exécution, moyennant le paiement d’une indemnité prédéterminée. Elle traduit la volonté des cocontractants d’introduire une marge de flexibilité dans une relation qui, sans cela, serait rigide et potentiellement contraignante. L’inspiration de cette clause se trouve dans le principe d’autonomie de la volonté, consacré par l’article 1134 du Code civil ivoirien, selon lequel « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Ce même principe, hérité du Code Napoléon, implique non seulement la liberté de contracter, mais aussi celle d’aménager les effets du contrat. Dans cette perspective, la clause de dédit n’est pas une atteinte à la force obligatoire du contrat ; elle en constitue une modalité d’exécution anticipée, prévue et consentie par avance par les deux parties[8].

Sur le plan juridique, la clause de dédit se distingue de la résolution unilatérale fautive. Dans cette dernière, une partie rompt le contrat sans y être autorisée, engageant ainsi sa responsabilité contractuelle pour inexécution fautive. À l’inverse, dans la clause de dédit, le retrait est légitimé par la convention elle-même : il ne s’agit plus d’une rupture fautive, mais d’un droit contractuel d’y mettre fin, sous réserve du paiement de la somme convenue. Cette somme a la nature d’une indemnité de dédit, dont la fonction est double : compenser le préjudice subi par l’autre partie et dissuader les retraits abusifs. La jurisprudence reconnaît depuis longtemps la validité de ce mécanisme, même lorsqu’aucune contrepartie financière n’a été prévue. Ainsi, dans un arrêt du 30 octobre 2000, la Cour de cassation française a admis que la faculté de dédit pouvait être exercée même en l’absence de compensation pécuniaire, dès lors qu’elle avait été prévue par les parties[9]. Cette approche est transposable en droit ivoirien, où la doctrine considère que l’essence même du contrat repose sur la liberté de ses auteurs de déterminer non seulement les obligations qu’ils souscrivent, mais aussi les conditions de leur révocation[10]. Toutefois, cette liberté n’est pas absolue. Elle demeure encadrée par la bonne foi contractuelle, principe général du droit ivoirien consacré par l’article 1134, alinéa 3, du Code civil. Ainsi, l’exercice de la faculté de dédit ne doit pas être abusif ou malveillant. La jurisprudence pourrait sanctionner toute rétractation opérée dans un but dilatoire ou contraire à la loyauté contractuelle. Dans cette logique, le dédit s’analyse moins comme un « caprice juridique » que comme un instrument de régulation, équilibrant stabilité et adaptabilité[11].

Sur le plan économique et moral, cette clause répond à une logique moderne du droit des affaires : elle permet aux contractants d’anticiper les aléas sans compromettre la relation globale. Comme le soulignent Aubert et Savaux, « la liberté contractuelle serait illusoire si elle n’incluait pas la liberté de se délier »[12]. En pratique, la clause de dédit favorise la circulation contractuelle, notamment dans les domaines où la rapidité des transactions et l’incertitude des marchés imposent une souplesse juridique : contrats de services, de distribution ou de prestation intellectuelle.

À côté du dédit conventionnel, le droit civil consacre un mécanisme légal de rétractation : celui des arrhes. Le code civil ivoirien, identique à son homologue français, dispose : « Si la promesse de vendre a été faite avec des arrhes, chacun des contractants est maître de s’en départir, celui qui les a données, en les perdant, et celui qui les a reçues, en restituant le double. »[13]. Les arrhes se définissent ainsi comme une somme d’argent versée lors de la conclusion d’un contrat en contrepartie de la faculté pour chacune des parties de se désengager, moyennant l’abandon ou la restitution doublée de cette somme. Contrairement à l’acompte, qui constitue une exécution partielle du contrat et engage définitivement les parties, les arrhes ont une valeur libératoire : elles permettent de mettre fin à la convention sans faute et sans justification[14].

Cette distinction, fondamentale en droit des obligations, produit des effets pratiques considérables. En cas de doute sur la nature du versement, le juge devra rechercher l’intention commune des parties. À défaut d’indication claire, la loi opère une présomption protectrice : selon l’article 6, alinéa 3 de la loi ivoirienne relative à la consommation, « sauf stipulation contraire du contrat, les sommes versées d’avance sont des arrhes. Chacun des contractants peut revenir sur son engagement, le consommateur en perdant les arrhes, le professionnel en les restituant au double »[15]. Cette disposition, calquée sur l’article L214-1 du Code de la consommation français, consacre une présomption d’arrhes favorable au consommateur et illustre la volonté du législateur ivoirien de protéger la partie faible du contrat[16].

Les effets juridiques de ce mécanisme sont clairs : le consommateur peut se rétracter en abandonnant les arrhes versées et le professionnel, s’il veut se désister, doit restituer le double de la somme reçue. Cette symétrie légale vise à équilibrer les positions contractuelles, en imposant une sanction dissuasive au professionnel qui manquerait à son engagement. La doctrine ivoirienne et française y voient une finalité à la fois économique et morale. Économique, car elle préserve la fluidité du marché en permettant une issue amiable à la rupture ; morale, car elle renforce la loyauté contractuelle en incitant à la prudence avant toute conclusion[17]. En cela, les arrhes ne traduisent pas une faiblesse du contrat, mais une maturité du système juridique, capable de concilier fermeté des engagements et souplesse des comportements.

L’affaire hypothétique M. INFOR c/ Société MATIQUE illustre parfaitement ce mécanisme. Le versement préalable effectué par M. INFOR avant l’intervention du prestataire n’ayant pas été qualifié dans le contrat, il revient au juge de déterminer s’il s’agissait d’un acompte ou d’arrhes. En vertu de la loi ivoirienne sur la consommation, et en l’absence de stipulation contraire, la somme doit être considérée comme des arrhes, conférant ainsi au consommateur un droit de rétractation légitime. En conséquence, M. INFOR pouvait valablement renoncer au contrat en abandonnant la somme versée, tandis que le professionnel ne pouvait exiger l’exécution forcée[18]. Cette solution, conforme à la logique du droit moderne de la consommation, traduit une évolution vers un droit contractuel plus équilibré, où la rigueur de la force obligatoire cède partiellement la place à la protection du consentement éclairé.

NB : Cas à voir plus en détail dans les sections suivantes.

Si la liberté contractuelle permet aux parties de prévoir elles-mêmes des modalités de rétractation, la loi est intervenue pour garantir cette faculté dans certaines hypothèses spécifiques, notamment lorsque le consommateur se trouve en position de faiblesse face au professionnel. En effet, dans les contrats conclus à distance, hors établissement ou dans un contexte d’asymétrie d’information, la rapidité de la conclusion et le manque de discernement peuvent compromettre un consentement libre et éclairé. C’est pour cette raison que le législateur, tant en Côte d’Ivoire qu’en France, a institué un droit légal de rétractation au profit du consommateur, destiné à corriger les déséquilibres structurels des relations de consommation.

Ce droit, à la fois protecteur et d’ordre public, repose sur une double logique : offrir au consommateur une période de réflexion après la conclusion du contrat, tout en imposant au professionnel un devoir de transparence et de loyauté. Nous étudierons d’abord la consécration légale de ce droit et ses modalités d’exercice (A), avant d’en examiner les limites et les exclusions qui garantissent l’équilibre économique et la sécurité des échanges (B).

Le droit de rétractation trouve son fondement dans la volonté du législateur de protéger le consentement du consommateur contre les pressions commerciales et les décisions impulsives. En Côte d’Ivoire, cette protection découle directement de la loi n° 2016-412 du 15 juin 2016 relative à la consommation, qui encadre les relations entre professionnels et consommateurs. L’article 6 de cette loi fixe un principe général : sauf stipulation contraire, les sommes versées d’avance sont des arrhes, permettant au consommateur de se désengager du contrat en perdant la somme versée, et au professionnel de se retirer en la restituant au double[19]. Ce mécanisme, inspiré de l’article L214-1 du Code français de la consommation, constitue la forme la plus élémentaire de rétractation. Mais la loi ivoirienne va plus loin. Ses articles 10 et 11 introduisent expressément un délai de rétractation de dix (10) jours dans les contrats conclus à distance ou hors établissement, tels que les ventes par correspondance, sur Internet ou lors de démarchages à domicile. Ce droit permet au consommateur, sans justification ni pénalité, de renoncer à son engagement par une simple notification adressée au professionnel dans le délai imparti[20]. En France, le même principe est consacré par les articles L. 221-18 et suivants du Code de la consommation, qui accordent un délai de quatorze (14) jours pour se rétracter, tant pour les ventes à distance que pour les prestations de services. Cette différence de durée ne remet pas en cause la convergence des deux législations, qui poursuivent le même objectif : assurer une protection effective du consentement et éviter que la hâte ou la méconnaissance du consommateur ne soient exploitées[21].

Par ailleurs, le droit de rétractation est un droit d’ordre public, ce qui signifie qu’aucune clause contractuelle ne peut en restreindre ou en supprimer l’exercice. Il s’agit d’un véritable droit potestatif, exercé unilatéralement par le consommateur, sans qu’il ait à justifier sa décision. Sa mise en œuvre entraîne l’anéantissement du contrat rétroactivement, obligeant les parties à restituer les prestations échangées. Ainsi, lorsque le consommateur exerce son droit dans le délai légal, le professionnel est tenu de rembourser les sommes perçues, et le consommateur doit restituer les biens reçus dans leur état d’origine. L’article 11 de la loi ivoirienne prévoit expressément que le remboursement doit intervenir dans un délai raisonnable, sans frais ni pénalité[22]. Par ailleurs, la doctrine souligne que cette faculté de rétractation, en plus de son effet juridique, revêt une dimension morale et économique : elle favorise la confiance dans les échanges commerciaux et renforce la loyauté des pratiques professionnelles[23]. Comme le note le professeur Assi-Esso, « le consommateur ivoirien, longtemps perçu comme une partie économiquement vulnérable, voit désormais sa liberté de consentement consolidée par des outils normatifs clairs et impératifs »[24].

En pratique, le consommateur ivoirien dispose d’un délai de dix jours à compter de la réception du bien ou de la conclusion du contrat pour notifier sa rétractation. La notification peut être faite par tout moyen conférant date certaine : courrier recommandé, e-mail ou formulaire de rétractation. En France, le délai est de quatorze jours (art. L. 221-18), et son point de départ varie selon la nature du contrat : livraison du bien, conclusion du contrat de service, ou acceptation d’une offre numérique. Cette extension du délai, issue de la directive européenne 2011/83/UE, vise à harmoniser la protection des consommateurs sur le marché intérieur. En cas de rétractation, aucune pénalité ni frais de dossier ne peuvent être imputés au consommateur, sauf si celui-ci a expressément demandé l’exécution du service avant la fin du délai. Cette précision rejoint l’esprit de l’article 6 alinéa 3 de la loi ivoirienne, qui confère au consommateur un choix réfléchi et sans contrainte.

Si la rétractation est un instrument essentiel de protection, elle ne peut être exercée sans limites. Le législateur a prévu des exclusions afin de préserver la sécurité juridique et la stabilité économique des échanges. En effet, certaines catégories de contrats échappent au droit de rétractation. L’article 10 de la loi ivoirienne, tout comme l’article L214-3 du Code français de la consommation, exclut les commandes spéciales ou les produits personnalisés. En effet, il serait injuste de permettre au consommateur de se dédire lorsque le professionnel a engagé des frais pour fabriquer un bien unique ou sur mesure. De même, la loi ivoirienne prévoit que le droit de rétractation ne s’applique pas lorsque la prestation de service a déjà été pleinement exécutée avec l’accord du consommateur avant l’expiration du délai[25]. Cette exception vise à éviter les comportements opportunistes qui porteraient atteinte à la bonne foi contractuelle.

Il importe également de distinguer le délai de réflexion, accordé avant la conclusion du contrat, du délai de repentir, exercé après la conclusion. Le premier empêche le consommateur de s’engager trop rapidement, tandis que le second lui permet de revenir sur un engagement déjà pris. Le droit de rétractation relève de la seconde catégorie : il suspend les effets du contrat jusqu’à l’expiration du délai légal[26]. Cette distinction, analysée par la doctrine française et reprise par la jurisprudence, traduit une conception moderne du consentement, considéré non plus comme un acte ponctuel, mais comme un processus de maturation.

Enfin, l’article 2 de la loi ivoirienne relative à la consommation confère à l’ensemble de ses dispositions un caractère d’ordre public, interdisant toute dérogation contractuelle contraire à la protection du consommateur. Cette règle rejoint l’article L. 214-4 du Code de la consommation français, qui déclare d’ordre public les dispositions relatives au droit de rétractation. En effet, la jurisprudence, en Côte d’Ivoire comme en France, veille à sanctionner la nullité des clauses contractuelles qui excluraient ou restreindraient ce droit. Les tribunaux ivoiriens, suivant la doctrine de la Cour de cassation française, considèrent qu’une telle clause est réputée non écrite, car contraire à la finalité protectrice de la loi[27]. Ainsi, loin d’être un simple privilège, le droit de rétractation est devenu un principe directeur du droit de la consommation, participant d’un ordre public économique orienté vers la protection de la partie faible.

L’exercice du droit de rétractation n’éteint pas seulement le lien contractuel : il ouvre une phase nouvelle, celle de la restitution et, le cas échéant, du paiement d’intérêts compensatoires. En effet, la protection du consommateur serait incomplète si elle ne garantissait pas, après l’annulation du contrat, la récupération effective des sommes versées et la réparation du préjudice né d’un retard dans la restitution. Or, cette étape pose des questions essentielles : quels intérêts sont dus en cas de retard ? Quelles garanties assurent au consommateur un remboursement rapide ? Et, surtout, quelle est la portée impérative de ces règles ? Ces interrogations trouvent leur réponse dans un double mouvement législatif et doctrinal. D’une part, un régime juridique des intérêts et des restitutions s’est progressivement affirmé, combinant dispositions civiles et textes spéciaux de protection du consommateur. D’autre part, un renforcement du caractère d’ordre public de ces normes empêche toute dérogation contractuelle défavorable au consommateur. Ces deux aspects structurent notre analyse : d’abord le régime des intérêts en cas de retard ou de restitution (A), puis le caractère impératif et d’ordre public de la protection du consommateur (B).

Le Code français de la consommation consacre expressément, à son article L. 214-2, un régime d’intérêts en cas de restitution tardive des sommes versées par le consommateur. Ce texte dispose que « toute somme versée d’avance sur le prix, quels que soient la nature de ce versement et le nom qui lui est donné, est productive, au taux légal en matière civile, d’intérêts qui commencent à courir à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du versement jusqu’à la livraison ». Ainsi, le législateur français impose une double obligation au professionnel : d’une part, livrer le bien ou exécuter la prestation dans les délais convenus ; d’autre part, verser des intérêts moratoires en cas de retard. Ces intérêts ont une fonction réparatrice, mais aussi dissuasive : ils incitent les professionnels à respecter leurs engagements temporels et protègent la trésorerie des consommateurs, souvent fragilisés par les avances de paiement[28]. En outre, cette disposition s’applique non seulement aux ventes de biens, mais également aux prestations de services, assurant une uniformité de traitement. La jurisprudence française, fidèle à cette logique, a constamment rappelé que l’obligation de restitution en cas de rétractation devait être exécutée dans un délai raisonnable, sous peine de majoration automatique d’intérêts[29].

Le droit ivoirien, bien que dépourvu d’un texte équivalent à l’article L. 214-2, offre un cadre juridique cohérent à travers la combinaison du Code civil et de la loi n° 2016-412 du 15 juin 2016 relative à la consommation. D’abord, l’article 1153 du Code civil ivoirien énonce une règle générale en matière d’intérêts moratoires : « Dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts fixés par la loi ». Ainsi, toute somme indûment conservée par un professionnel après la rétractation du consommateur produit de plein droit des intérêts légaux, sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure expresse[30]. Ensuite, les articles 3 et 6 de la loi sur la consommation imposent au professionnel une obligation de livraison ou d’exécution dans les délais convenus, à défaut de quoi le consommateur peut demander soit la résolution du contrat, soit le remboursement des sommes versées. En combinant ces dispositions, le consommateur ivoirien bénéficie d’une protection équivalente à celle du consommateur français, même si elle résulte d’un jeu de textes généraux plutôt que d’un article spécifique[31]. En pratique, lorsque le professionnel tarde à restituer les sommes après une rétractation, le consommateur peut réclamer, outre le principal, les intérêts au taux légal ainsi que des dommages-intérêts complémentaires s’il prouve un préjudice particulier (perte d’opportunité, frais de transfert, etc.). Cette faculté renforce la portée compensatoire du mécanisme et enracine la responsabilité économique du professionnel.

Si la France et la Côte d’Ivoire divergent quant à la précision de leurs textes, leurs systèmes juridiques tendent vers une harmonisation de finalité. Dans les deux ordres juridiques, la restitution rapide et intégrale constitue une exigence de bonne foi et une manifestation du principe de loyauté contractuelle. Les auteurs ivoiriens, tels que Assi-Esso et Draman Coulibaly, soulignent que l’absence de disposition expresse dans la loi de 2016 ne crée pas de vide juridique, car le Code civil joue un rôle supplétif. Toutefois, la codification d’un régime spécifique des intérêts de retard dans les contrats de consommation serait souhaitable pour renforcer la lisibilité et la prévisibilité du droit ivoirien[32]. Cette perspective d’harmonisation s’inscrit dans une dynamique régionale initiée par la CIMA et l’UEMOA, qui promeuvent la convergence des normes de protection économique. La reconnaissance explicite d’intérêts légaux automatiques, à l’image du modèle français, renforcerait la confiance des consommateurs et stimulerait la discipline contractuelle des opérateurs économiques.

La loi ivoirienne sur la consommation revêt un caractère impératif affirmé dès son article 2 : « La présente loi a pour objet la protection du consommateur en Côte d’Ivoire. Elle est applicable à toutes les transactions en matière de consommation ». Cette portée générale traduit l’intention du législateur de faire de la protection du consommateur un ordre public économique, c’est-à-dire un ensemble de règles auxquelles il est interdit de déroger, même par accord des parties. Autrement dit, toute clause contractuelle qui tendrait à supprimer, restreindre ou conditionner le droit de rétractation ou la restitution due serait nulle de plein droit[33]. La doctrine considère d’ailleurs que l’ordre public de protection s’impose non seulement au professionnel, mais également au juge, qui doit en assurer l’application d’office. Cette approche, inspirée du droit français, marque une évolution majeure du droit privé africain vers un modèle plus interventionniste et socialement orienté, où la liberté contractuelle est tempérée par l’impératif de justice économique[34].

Aussi, le Code français de la consommation, en son article L214-4, qualifie-t-il expressément les dispositions relatives aux arrhes et à la rétractation de règles d’ordre public. Ce caractère impératif interdit toute clause contraire et confère au consommateur une garantie absolue. La jurisprudence française a, à plusieurs reprises, annulé des stipulations contractuelles visant à exclure la rétractation ou à imposer des pénalités excessives au consommateur qui s’en prévaudrait[35]. Cette convergence entre les deux droits manifeste la montée en puissance d’un ordre public économique trans-systémique, orienté vers la protection de la partie faible. Comme le souligne F. Terré, « le contrat de consommation n’est plus seulement un instrument d’échange, mais un lieu de rééquilibrage social où la puissance publique intervient pour garantir l’équité des rapports privés »[36].

Sur le plan pratique, la consécration de ce caractère d’ordre public produit plusieurs effets majeurs :

  • Elle interdit aux professionnels d’insérer dans leurs contrats des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité portant sur la rétractation ;
  • Elle protège le consommateur contre les pressions économiques ou psychologiques visant à le dissuader d’exercer ses droits ;
  • Elle impose aux juges une surveillance renforcée des pratiques contractuelles, en autorisant le contrôle d’office des clauses abusives.

Ce dispositif, en conjuguant la restitution intégrale, les intérêts légaux et la nullité des clauses contraires, confère à la rétractation une effectivité juridique réelle. Il consacre une vision moderne du droit des contrats : non plus un espace de stricte autonomie, mais un instrument de régulation éthique et économique au service de l’équilibre social.

L’évolution du droit contractuel moderne, et particulièrement celle du droit de rétractation, traduit une transformation profonde de la philosophie du contrat. Autrefois centré sur la rigidité du lien contractuel, perçu comme l’expression d’une volonté libre et définitive, le droit contemporain tend à reconnaître la fragilité du consentement humain et à lui accorder une protection accrue (A). Ce mouvement, amorcé en Europe et désormais bien ancré en Afrique francophone, dont la Côte d’Ivoire, témoigne d’un tournant humaniste du droit des obligations : la force obligatoire du contrat demeure, mais elle se trouve désormais contrebalancée par des exigences de justice, d’équité et de proportionnalité. Ce changement paradigmatique invite à une analyse critique du régime actuel de la rétractation et à une réflexion prospective sur son évolution, notamment en contexte ivoirien (B). Le droit de se rétracter consacre la liberté de revenir sur son engagement dans des conditions strictement encadrées ; il devient un instrument de régulation de la volonté contractuelle (C). Toutefois, si la loi ivoirienne sur la consommation de 2016 représente une avancée majeure, certaines imperfections structurelles persistent, appelant à des ajustements législatifs et à une harmonisation régionale (D).

Le droit de se rétracter illustre de manière éloquente le passage d’un droit des contrats purement volontariste à un droit humaniste et protecteur du consentement. Là où la règle classique « pacta sunt servanda » imposait une fidélité inconditionnelle à la parole donnée, le législateur moderne reconnaît que la liberté contractuelle ne saurait être absolue sans trahir son essence : elle doit inclure le droit de se repentir dans des situations où la décision a été précipitée ou viciée par un déséquilibre d’information. Comme le souligne Fages, « la liberté contractuelle ne serait qu’une illusion si elle ne comportait pas, en contrepoint, la liberté de se délier »[37]. Cette réflexion résume le cœur de la mutation du droit contemporain : l’accent n’est plus uniquement mis sur la stabilité du contrat, mais aussi sur la protection de la volonté réelle de la partie la plus vulnérable.

En Côte d’Ivoire, cette orientation humaniste s’est traduite par la loi n° 2016-412 sur la consommation, qui accorde au consommateur un droit de rétractation sans motif, une présomption d’arrhes protectrice, et des sanctions financières dissuasives en cas de manquement du professionnel. En France, la réforme du droit des contrats de 2016 a consacré cette même approche dans le Code civil (notamment à travers les articles 1128 à 1188 sur le consentement) et dans le Code de la consommation, en élargissant le champ d’application du droit de rétractation et en clarifiant ses effets juridiques[38]. Ce mouvement de convergence n’est pas anodin : il traduit la montée d’un droit social du contrat, où la protection de la personne prime sur la logique marchande. Il s’agit moins de nier la force obligatoire du contrat que de la civiliser au service d’un équilibre éthique.

La Côte d’Ivoire s’est dotée, avec la loi de 2016, d’un instrument législatif de grande portée, inspiré des standards internationaux. Toutefois, si le texte marque un progrès indéniable, il souffre encore de lacunes techniques et conceptuelles. D’abord, l’absence d’un régime d’intérêts automatiques en cas de restitution tardive, contrairement à l’article L.214-2 du Code français de la consommation, crée une fragilité pratique : le consommateur ivoirien, bien que protégé sur le principe, dépend de la diligence du professionnel et, parfois, de la lenteur judiciaire[39]. L’intégration d’une disposition imposant la capitalisation automatique des intérêts après un certain délai renforcerait considérablement l’effectivité du droit de rétractation.

Ensuite, la précision des délais demeure perfectible. La loi fixe un délai de dix jours pour la rétractation, mais sans toujours définir clairement le point de départ du calcul selon le type de contrat (livraison du bien, conclusion de la prestation, signature électronique, etc.). Cette incertitude peut générer des contentieux d’interprétation et fragiliser la position du consommateur[40]. Enfin, la vulnérabilité numérique du consommateur ivoirien soulève de nouveaux défis : contrats conclus par voie électronique, abonnements numériques, plateformes d’e-commerce transnationales… Autant de contextes dans lesquels la loi actuelle reste silencieuse. Une révision du Code civil ivoirien, à l’image de la réforme française de 2016, pourrait introduire une rétractation électronique normalisée et des dispositifs de médiation précontractuelle, afin d’assurer une meilleure protection du consentement digitalisé.

En France, la réforme du 10 février 2016 portant sur le droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a permis de clarifier la distinction entre arrhes, acompte et droit de rétractation, réduisant les ambiguïtés terminologiques et les incertitudes jurisprudentielles. Cette codification a aussi renforcé la cohérence entre le Code civil et le Code de la consommation, en harmonisant les principes de bonne foi, de transparence et d’exécution conforme. Elle a fait émerger un modèle où la prévisibilité juridique est devenue un vecteur de confiance contractuelle[41].

Le législateur ivoirien pourrait s’inspirer de cette rationalisation pour refondre son corpus contractuel, encore largement hérité du Code Napoléon de 1804, et l’adapter à la dynamique des échanges contemporains. Une telle réforme permettrait de systématiser les notions de rétractation, nullité, restitution et sanction, tout en intégrant les spécificités socioculturelles et économiques ivoiriennes.

L’avenir du droit de la rétractation en Côte d’Ivoire ne peut être envisagé isolément. Dans un contexte d’intégration juridique croissante, l’harmonisation régionale apparaît comme une nécessité. La CEDEAO et l’UEMOA travaillent déjà à l’adoption de directives communes en matière de protection du consommateur, inspirées du modèle européen. Une telle harmonisation permettrait non seulement d’assurer une cohérence législative entre les États membres, mais aussi de renforcer la sécurité des transactions transfrontalières, notamment dans le commerce électronique africain en pleine expansion[42].

La modernisation future du droit ivoirien devrait donc viser un double objectif :

  • Unifier les règles régissant la rétractation dans tous les contrats de consommation, qu’ils soient physiques ou numériques ;
  • Introduire des mécanismes de médiation précontractuelle et de règlement amiable des litiges, afin d’éviter la judiciarisation systématique des conflits de consommation.

Ainsi, la rétractation ne serait plus seulement une voie de sortie du contrat, mais un outil de prévention et d’équilibre dans la relation contractuelle. Le droit de rétractation marque une rupture historique avec la vision classique du contrat. En Côte d’Ivoire, comme en France, il incarne la transformation d’un droit libéral en un droit protecteur, humanisé et adaptatif. Toutefois, sa pleine effectivité dépendra de la capacité du législateur ivoirien à consolider les garanties procédurales, à moderniser les textes et à inscrire cette évolution dans un cadre régional cohérent. L’avenir du droit contractuel africain passe par une conciliation entre la liberté économique et la dignité contractuelle autrement dit, par l’affirmation d’un contrat au service de l’homme et non d’un homme au service du contrat.

  • Exposé du cas : M. INFOR vient d’acheter, pour ses moments de loisirs, un ordinateur ultra puissant qu’il a du mal à faire fonctionner. Compte tenu du prix élevé investi dans cet objet, il a pris la décision de faire venir chez lui un technicien afin qu’il lui explique de manière détaillée son fonctionnement. Dans cette optique, il a fait appel à la société MATIQUE, qui lui a demandé de lui verser, avant toute intervention, une somme de 500 000 FCFA. Après avoir expédié le chèque, il s’aperçut qu’une association locale dispensait gratuitement aux riverains des cours d’informatique assez poussés. M. INFOR, bien décidé à profiter de cette aubaine, prit la décision de rompre le contrat conclu avec la société MATIQUE, dont la prestation était facturée 1 500 000 FCFA. Cette dernière, visiblement mécontente, refusa de considérer le contrat comme rompu et exigea son exécution, en arguant que la somme initialement versée devait être considérée comme un acompte compte tenu de son caractère relativement modique.
  • Analyse juridique : Si le versement d’un acompte constitue une exécution partielle du contrat, auquel il ne peut normalement pas être mis fin, il est difficilement concevable de déduire son existence du seul caractère « modique » de la somme concernée. À moins que les parties n’aient clairement indiqué qu’il s’agissait d’un acompte, le juge appréciera souverainement leur intention. Au demeurant, dans les rapports qu’entretiennent les professionnels et les consommateurs, le Code de la consommation dispose qu’à défaut d’indication contraire, toutes sommes versées d’avance par le consommateur sont des arrhes. En l’espèce, la société MATIQUE ne se réfère pas aux conditions prévues dans le contrat pour énoncer que la somme versée constitue un acompte. Il est donc fortement probable que le contrat n’envisage rien à cet égard. Étant donné qu’il a été conclu entre un professionnel et un consommateur (l’ordinateur avait été acheté par M. INFOR pour ses besoins personnels puisqu’il était question de ses « loisirs »), le Code de la consommation a vocation à s’appliquer. Faute d’indication dans le contrat, la somme versée ne doit pas être considérée comme un acompte mais comme des arrhes, permettant ainsi à M. INFOR, en sa qualité de consommateur, de renoncer valablement au contrat en abandonnant cette somme à la société MATIQUE.

Le contrat, pierre angulaire du droit des obligations, incarne à la fois la stabilité des engagements et la liberté du consentement. Il est le reflet d’un équilibre subtil entre la rigueur de la règle et la souplesse de la volonté, entre la sécurité juridique et l’équité sociale. L’étude du droit de rétractation, qu’il soit conventionnel (clause de dédit ou arrhes) ou légal (protection du consommateur), révèle cette tension fondamentale. D’un côté, la force obligatoire du contrat, consacrée par les articles 1134 du Code civil ivoirien et 1103 du Code civil français, assure la stabilité des relations économiques et la prévisibilité des échanges. De l’autre, la possibilité de revenir sur un engagement, même limité dans le temps et dans ses conditions, exprime une conception renouvelée du contrat, non plus comme un carcan, mais comme un instrument vivant du consentement éclairé.

Le droit ivoirien, notamment à travers la loi n° 2016-412 relative à la consommation, marque une avancée décisive vers un droit contractuel plus équilibré et plus protecteur. Le consommateur, longtemps laissé sans véritable recours face à la puissance économique du professionnel, dispose désormais d’un droit de rétractation effectif, d’une présomption d’arrhes favorable et d’un encadrement juridique des restitutions. Ces mécanismes participent d’une dynamique de justice contractuelle et d’un alignement progressif sur les standards internationaux. Toutefois, des zones d’ombre subsistent : l’absence d’un régime d’intérêts automatiques, le manque de clarté quant aux délais de restitution ou encore la faible prise en compte des contrats numériques témoignent de la nécessité d’une modernisation continue. Ainsi, le droit de se rétracter constitue bien plus qu’un simple correctif juridique : il est devenu le symbole d’un contrat humanisé, où la volonté individuelle, loin d’être figée, reste modulable dans le respect de la sécurité des engagements.

Le défi des prochaines années consistera à adapter ce droit à la digitalisation croissante des transactions. Les contrats conclus en ligne, les abonnements dématérialisés, les plateformes transfrontalières de commerce électronique et les technologies d’intelligence artificielle bouleversent les cadres traditionnels de la volonté contractuelle. Face à cette mutation, la Côte d’Ivoire, à l’instar de ses partenaires de l’UEMOA et de la CEDEAO, devra engager une réforme du Code civil intégrant les mécanismes de rétractation électronique, la médiation précontractuelle et la transparence numérique. L’harmonisation régionale du droit de la consommation apparaît alors comme un impératif pour garantir la protection du consommateur africain dans l’économie numérique globale. Ainsi, le droit de rétractation, loin d’être une exception à la stabilité contractuelle, s’impose comme une condition de sa légitimité : un équilibre entre la fidélité à la parole donnée et la sauvegarde de la liberté de se reprendre.


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Me Luc KOUASSI

Juriste Consultant Polyglotte| Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.

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[1] Code civil ivoirien, art. 1134 (reproduisant l’article 1103 du Code civil français).

[2] Assi-Esso, A.-M. H., Cours de droit civil : Les obligations, Abidjan, Cours polycopié, 2023, p. 21.

[3] Terré, F., Simler et Ph., Lequette, Y., Droit civil : Les obligations, Dalloz, 12ᵉ éd., 2018, p. 343.

[4] Malaurie, Ph.,  Aynès, L. et Stoffel-Munck, Ph., Droit des obligations, LGDJ, 13ᵉ éd., 2024, p. 274.

[5] Fages, B., Droit des obligations, LGDJ, 9ᵉ éd., 2019, p. 225.

[6] Loi ivoirienne n° 2016-412 du 15 juin 2016 relative à la consommation, art. 6, al. 3.

[7] Code de la consommation français, art. L214-1.

[8] Terré, F., Simler et Ph., Lequette, Y., Op. cit., p. 343.

[9] Cass. com., 30 oct. 2000, n°98-11224 : Bull. civ. IV, n°155.

[10] Assi-Esso, A.-M. H., Op. cit., p. 27.

[11] Fages, B., Op. cit., p. 237.

[12] Aubert, J.-L. et Savaux, E., Droit civil : Les obligations, l’acte juridique, 18e édition, Sirey, 2024, p. 460.

[13] Code civil ivoirien, art. 1590.

[14] Malaurie, Ph. et Aynès, L., Les obligations, LGDJ, 11ᵉ éd., 2021, p. 287.

[15] Loi ivoirienne n° 2016-412, art. 6, al. 3.

[16] Code de la consommation français, art. L214-1.

[17] Ghestin, J., Traité de droit civil : La formation du contrat, LGDJ, 4e édition, 2013, p. 542.

[18] Adaptation du cas hypothétique inspiré de la pratique jurisprudentielle ; v. aussi Droit-Afrique, Commentaire de la loi ivoirienne sur la consommation, 2018.

[19] Loi ivoirienne n°2016-412, art. 6.

[20] Loi ivoirienne n°2016-412., art. 10 et 11.

[21] Code de la consommation français, art. L221-18 à L221-21.

[22] Loi ivoirienne n°2016-412, art. 11.

[23] Fages, B., Op. cit., p. 237.

[24] Assi-Esso, A.-M. H., Op. cit., p. 32.

[25] Loi ivoirienne n°2016-412, art. 10 et 12 ; Code de la consommation fr., art. L214-3.

[26] Terré, F., Simler et Ph., Lequette, Y., Op. cit., p. 368 ; Malaurie, Ph. et Aynès, Op. cit., p. 296.

[27] Cass. civ. 1ʳᵉ, 25 nov. 2010, n°09-70.493

[28] Code de la consommation français, art. L214-2.

[29] Cass. civ. 1re, 16 nov. 2004, n° 02-19.431 : Bull. civ. I, n° 292.

[30] Code civil ivoirien, art. 1153.

[31] Loi ivoirienne n° 2016-412, art. 3 et 6.

[32] Assi-Esso, A.-M. H., Op. cit., p. 40.

[33] Loi ivoirienne n° 2016-412, art. 2.

[34] Aubert, J.-L. et Savaux, E., Op. cit., p. 467.

[35] Cass. civ. 1ʳᵉ, 25 nov. 2010, n° 09-70.493 ; v. également, CA Paris, 26 mars 2019, n° 17/13847.

[36] Terré, F., Simler et Ph., Lequette, Y., Op. cit., p. 372.

[37] Fages, B., Op. cit., p. 245.

[38] Ordonnance française n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

[39] Code civil ivoirien, art. 1153 ; v. aussi loi n°2016-412, art. 3 et 6.

[40] Assi-Esso, A.-M. H., Op. cit., p. 40.

[41] Terré, F., Simler et Ph., Lequette, Y., Op. cit., p. 389.

[42] CEDEAO, Projet de directive sur la protection des consommateurs en Afrique de l’Ouest, Rapport technique, 2022, https://erca-arcc.org/lautorite-regionale-de-la-concurrence-de-la-cedeao-arcc-soccupe-des-questions-de-protection-des-consommateurs/?lang=fr, Consulté le 09 novembre 2025.

Le cas pratique

Le cas pratique est un exercice juridique qui consiste à présenter à un étudiant une situation de fait dissimulant plusieurs problèmes juridiques devant être résolus avec la méthode du syllogisme (raisonnement juridique en trois étapes : une majeure, une mineure et une conclusion). Vous devez maitriser la méthodologie du cas pratique pour au moins deux raisons :

  • Il s’agit d’un exercice juridique incontournable faisant l’objet de nombreux partiels,
  • On reproche souvent à l’université d’être déconnectée de la pratique… mais il s’agit de l’exercice juridique qui se rapproche le plus de la pratique professionnelle ! Que vous soyez avocat, juge, huissier… vous devrez utiliser la méthodologie du cas pratique pour résoudre des problèmes de droit.

Dans cette section, nous allons voir :

  • La méthodologie complète du cas pratique et de la consultation,
  • Un exemple de barème utilisé par les correcteurs à l’université pour noter un cas pratique,
  • Les principales difficultés rencontrées par les étudiants,
  • Tous les conseils pour devenir incollable!

Il importe de bien distinguer la consultation du cas pratique.

  • Le cas pratique

C’est un exercice juridique qui consiste à présenter à un étudiant une situation de fait dissimulant plusieurs problèmes juridiques devant être résolus avec la méthode du syllogisme (raisonnement juridique en trois étapes : une majeure, une mineure et une conclusion). L’exercice consiste à se mettre dans la position du juge. Vous devez chronologiquement :

  1. Trouver le ou les problèmes juridiques dissimulés dans les faits à moins que les problèmes soient clairement indiqués ;
  2. Apporter une réponse argumentée à la question posée en tranchant vous-même dans le sens qu’il convient.
  • La consultation

C’est un exercice juridique qui consiste à présenter à un étudiant une situation de fait dissimulant des problèmes juridiques devant être résolus avec la méthode du syllogisme. Mais la personne qui vous consulte a généralement un objectif bien précis et vous demande de rendre compte de l’état du droit positif en fonction de cet objectif.

L’objectif est d’éclairer celui qui vous consulte soit pour l’informer (l’exercice se rapproche alors du cas pratique) soit pour l’aider à atteindre un objectif (l’exercice consiste donc à orienter ses arguments juridiques dans un sens précis). Dans ce dernier cas, l’exercice est plus délicat puisqu’il consiste à se mettre dans la position de l’avocat (dans le cadre de sa fonction de conseil juridique).

Exemple de consultation

« Les Secundus vous chargent d’une consultation sur les forces et faiblesses de leur dossier, désireux à la fois de bloquer le paiement du reliquat du prix de vente et se faire rembourser les sommes déjà̀ versées, en anéantissant ce contrat, par tous moyens que vous trouverez ; ils entendent également résister à Immofisca, à laquelle ils n’ont pas encore réglé́ toutes les sommes qu’ils lui doivent (il reste 20 000 000 FCFA à lui verser) et qui vient de les assigner en paiement devant le tribunal de grande instance de Nice. Ils veulent également mettre en jeu sa responsabilité́, à l’exclusion de celle du notaire, qui est une relation de famille ».

S’il est intéressant de connaitre cette distinction, il est en revanche cette distinction, il est en revanche inutile de les aborder avec une méthode différente. Vous trouverez généralement à la fin du sujet la consigne qui vous permet de savoir ce que le correcteur attend exactement de vous.

Mais que vous soyez dans le cadre d’une consultation ou d’un cas pratique vous devrez de toute manière répondre juridiquement à un problème de droit pour en tirer une conclusion.

NB : le cas pratique et la consultation sont des exercices qui portent généralement sur des questions juridiques relevant du droit en vigueur.

Cependant, il peut arriver que l’exercice ait pour objectif d’évaluer les connaissances de l’étudiant sur du droit prospectif. L’exercice peut se révéler alors beaucoup plus délicat….

  • Buts du cas pratique

Pour obtenir la meilleure note possible vous devez comprendre ce que les correcteurs attendent de vous à travers cet exercice. En effet, cet exercice vise à évaluer votre aptitude à : votre aptitude à :

  • Identifier et formuler des problèmes juridiques dissimulés derrière des faits souvent confus;
  • Répondre juridiquement aux problèmes dégagés pour en tirer une conclusion;
  • Organiser vos idées de la manière la plus claire possible.

La rédaction d’un cas pratique nécessite le respect de plusieurs étapes. Vous devez, dans l’ordre chronologique, rédiger les faits (A) annoncer le plan (B), évoquer le problème de droit (C), la solution en droit (D) puis la solution en l’espèce (E) et enfin la conclusion (F).

  • Faits

Vous devez, parmi tous les faits qui vont sont présentés, déceler ceux qui sont pertinents (ceux nécessaires à la rédaction de votre solution en droit et de manière générale à la résolution de votre cas pratique) et les formuler en termes juridiques.

La difficulté́ principale à cette étape de la rédaction est de réussir à déceler, parmi tous les faits, ceux qui sont nécessaires à la rédaction du cas pratique. Il est possible et fréquent que le sujet fasse plus d’une page et que les faits devant figurer dans la rédaction du cas ne fasse que quelques lignes.

  • Annonce de plan et plan

Vous devez trouver un plan pour organiser votre démonstration de la manière la plus claire possible. La construction d’un plan dans le cadre d’un cas pratique ne répond pas aux mêmes règles que dans le cadre d’une dissertation ou d’un commentaire d’arrêt.

Il faut tout d’abord bien s’entendre sur ce qu’on appelle « plan ». D’une part vous devez rédiger un plan sur chaque cas qui vous est soumis. Par exemple si le cas pratique vous invite à répondre à plusieurs questions juridiques concernant plusieurs personnes (Laura, Caroline, Michel) vous devrez découper votre cas pratique de la manière suivante :

  • « I. Le cas de Laura / II. Le cas de Caroline /III. Le cas de Michel ».

Il faut ajouter que généralement le thème de la partie doit être précisé. Par exemple, si le cas pratique vous dit que Laura a été licencié votre partie sera :

  • « I. Le licenciement de Laura ».

Ensuite à l’intérieur de vos parties vous pourrez avoir plusieurs questions juridiques. Par exemple :

  • Le licenciement de Laura est-il nul?
  • Le licenciement de Laura est-il sans cause réelle et sérieuse?
  • La preuve du licenciement est-elle recevable ?

D’autre part, à l’intérieur d’une question juridique en particulier, vous devez également rédiger votre solution en droit en tenant compte d’un plan. Généralement le plan de cas pratique sera :

  • « I. Conditions / II. Effets ou I. Qualification / II. Régime ».

Par exemple, dans le cas d’une partie « I. Le licenciement de Laura » vous commencerez par évoquer les conditions du licenciement avant d’évoquer les effets du licenciement pour que votre démonstration soit claire pour le correcteur.

Retenez toutefois que ce plan n’a pas à être apparent dans votre copie. L’annonce de plan est nécessaire lorsque le cas pratique est complexe et que les problèmes soulevés sont multiples.

  • Problème de droit

Vous devez formuler en termes juridiques le problème soulevé par le cas ou par la personne dans le cas d’une consultation.

À mon sens, il est préférable de formuler le problème de droit sous forme interrogative pour faciliter la lecture du correcteur mais aucune règle n’existe sur ce point (renseignez-vous sur les consignes données par le chargé de travaux dirigés).

  • Solution en droit

Cette partie implique de connaitre son cours mais ce n’est pas suffisant. Il s’agit également d’utiliser ses connaissances de manière :

→ Utile

Il est tentant, lorsqu’on connait bien son cours, de le retranscrire en intégralité dans la solution en droit. Vous devez apprendre à mentionner uniquement les éléments nécessaires à la résolution du cas.

Cette erreur peut se produire fréquemment en droit des obligations. Par exemple, si vous devez traiter un problème relatif à l’erreur (vice de consentement) vous devez faire de consentement) vous devez faire attention à ne pas détailler les points qui ne sont pas nécessaires pour la résolution du cas.

Plusieurs conditions doivent être satisfaites lorsqu’on invoque une erreur afin d’obtenir la nullité d’un contrat.

  • Il faut établir une erreur (première condition),
  • Portant sur une qualité essentielle de la prestation (deuxième condition)
  • Qui doit être déterminante du consentement (troisième condition)
  • Et être excusable (quatrième condition).

Si le cas invite à s’interroger par exemple sur le caractère excusable ou non de l’erreur, il faudra alors éviter de détailler longuement les autres conditions.

→ Organisée et logique

Vous devez présenter les éléments juridiques de manière organisée. Vous devez d’abord traiter les conditions puis les effets, le domaine puis le régime etc.

  • Solution en l’espèce

Vous devez confronter les faits du cas pratique aux règles de droit que vous avez décrites Si la que vous avez décrites. Si la solution vous paraît évidente n’oubliez pas que vous devez en tout état de cause vérifier méthodiquement que chaque condition de la règle de droit est satisfaite en l’espèce.

Sur ce point, je vous invite à relire la partie ci-dessus « La tendance naturelle à sauter les étapes pour aller directement à la solution ».

  • Conclusion

N’oubliez pas, une fois que vous avez rédigé la solution en l’espèce, de rédiger une brève phrase de conclusion.

Exemples :

  • « Gautier pourra donc demander l’annulation du contrat en justice et obtenir, en outre, des dommages et intérêts en réparation de son préjudice ».
  • « Alexandra pourra faire reconnaître, devant le Conseil de prud’homme, l’absence de bien fondé de son licenciement et obtenir des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

  • Le manque de temps

Une des difficultés principales du cas pratique réside dans le temps imparti pour rédiger intégralement votre démonstration. Il est nécessaire d’utiliser chaque minute dont vous disposez de la manière la plus pertinente possible afin de terminer l’examen dans les temps. Afin de gagner du temps appliquez ces quelques conseils :

Premier conseil : entrainez-vous avec des annales et obtenez une correction ;

Ce conseil peut paraitre évident Ce conseil peut paraitre évident mais bien souvent la plupart des étudiants ne s’entrainent pas en dehors des partiels. Des entrainements dans des conditions identiques à celle de l’examen suffisent bien souvent à corriger vos plus gros défauts (même si vous avez l’impression de n’avoir pas assez de temps à consacrer aux entrainements je vous assure que c’est FONDAMENTAL).

À chaque entrainement, notez vos difficultés et essayer d’y remédier pour la prochaine fois.

Deuxième conseil : apprenez les corrections de cas pratiques ayant déjà fait l’objet d’un examen ; Plus vous en apprenez, plus le cas pratique vous paraîtra simple car vous serez à même de deviner les barèmes de correction attendus.

Troisième conseil : entrainez-vous à écrire plus vite (cherchez sur YouTube il y a des vidéos qui expliquent comment faire)

Quatrième conseil : soyez concentré au maximum dès le début de l’épreuve ; La concentration est un facteur fondamental que vous pouvez contrôler avec un peu d’entraînement.

Cinquième conseil : Faites le cas échéant des belles annonces de plan ; Les annonces de plan permettent d’organiser ses idées de la manière la plus pertinente possible et d’éviter les répétitions inutiles.

Sixième conseil : faites des renvois si nécessaire ; Lorsque vous avez déjà évoqué des règles de droit et que vous devez les réutiliser dans une autre partie, n’hésitez pas à utiliser des phrases du type « comme il l’a déjà été démontré ci- dessus … ».

  • La tendance naturelle à sauter les étapes pour aller directement à la solution

En cas pratique, vous devez appliquer la méthode dite du syllogisme. Vous devez vérifier, après avoir énoncé des règles de droit, que les faits du cas correspondent aux règles juridiques énoncées. Ce raisonnement est mathématique. Si la règle de droit exige plusieurs conditions pour être applicable, vous devez vérifier que chacune des conditions est satisfaite avant de conclure dans tel ou tel sens.

Retenir une solution sans vérifier minutieusement les conditions, quand bien même votre solution serait juste, conduira inévitablement à une mauvaise note, puisque c’est l’esprit même de l’exercice qui n’est pas compris : mener une réflexion juridique claire et organisée.

Si vous voyez, dès la lecture des faits, quelle sera vraisemblablement la solution du cas faites attention à ne pas sauter les étapes et à respecter scrupuleusement la méthode : comme en mathématique, trouver une solution juste sans démontrer comment vous y êtes parvenu, ne permet pas d’obtenir une bonne note.

Exemple :

Gautier a été embauché il y a quelques années en tant qu’« assistant comptable ». Lorsqu’il a été embauché il était prévu qu’il devait assister le comptable de l’entreprise dans l’exécution de ses tâches. A vrai dire, ce fut le cas pendant plus de trois ans. Cependant, depuis plusieurs mois, à la suite du départ de l’entreprise du comptable, son employeur lui demande de gérer la totalité de la comptabilité de l’entreprise. Gautier commet régulièrement des Gautier commet régulièrement des erreurs ce qui agace terriblement son employeur. À la suite d’une énième erreur, il est finalement licencié pour insuffisance professionnelle.

Il vient vous voir en vous demandant de l’aide et vous explique qu’il ne comprend pas pourquoi il a été licencié : « moi qui ne faisait que de la saisie pendant plusieurs années, de la simple paperasse, on m’a demandé́ du jour au lendemain d’assurer la totalité de la comptabilité de l’entreprise. J’ai pourtant demandé à mon employeur si je pouvais suivre une formation afin d’être plus efficace… ».

Résolution

Vous savez qu’une des conditions de fond d’un licenciement pour insuffisance professionnelle est que l’insuffisance reprochée concerne effectivement la qualification ou les fonctions du salarié.

  • Une mauvaise rédaction serait :

Solution en droit : pour qu’un licenciement pour insuffisance professionnelle soit fondé les faits reprochés doivent être en lien avec la qualification du salarié.

Solution en l’espèce : En l’espèce, le salarié a été licencié pour des faits qui ne correspondent pas à sa qualification de sorte que le licenciement n’a pas de cause réelle et sérieuse.

Conclusion : Gautier pourra obtenir des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

  • Une bonne rédaction serait :

Solution en droit : Pour qu’un licenciement pour insuffisance professionnelle soit fondé plusieurs conditions doivent être réunies.

  • D’abord les faits reprochés doivent être en lien avec la qualification du salarié.
  • Ensuite les objectifs donnés par l’employeur doivent être réalistes.
  • Enfin l’insuffisance doit être imputable à une incompétence du salarié et non à un manque de moyen humain ou matériel.

Ici vous distinguez bien l’ensemble des conditions quand bien même vous savez que la condition qui posera problème sera la première.

Solution en l’espèce : En l’espèce, aucune information n’est donnée sur les objectifs donnés par l’employeur ou sur l’éventuel manque de moyen humain ou matériel de l’entreprise.

Cependant, le salarié a été Cependant, le salarié a été embauché avec la qualification « d’assistant comptable » et il était prévu lors de son embauche que son travail soit cantonné principalement à de la simple saisie.

Or les faits qui lui sont reproché concernent la gestion de la comptabilité au niveau de l’entreprise. Cette dernière fonction n’entre manifestement pas dans sa qualification.

En outre, l’employeur n’a pas tenté de remédier aux insuffisances de son salarié en lui permettant de suivre une formation.

Ainsi, les faits qui lui sont reprochés ne sont pas en rapport avec sa qualification de sorte que son licenciement pour insuffisance professionnelle n’est pas fondé.

Conclusion : Gautier pourra obtenir des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Vous avez expliqué́ pourquoi la condition fait défaut. Dans les deux cas la solution est la même. Mais dans la deuxième rédaction vous avez confronté́ à la règle de droit les faits du cas pratique.

  • Le décalage entre le cours et la confrontation au cas pratique

Une autre difficulté du cas pratique est que la connaissance de votre cours ne suffit généralement pas à obtenir une bonne note.

Le décalage peut être important entre ce que vous avez appris et ce qui est attendu.

Prenons un exemple en droit des obligations (cas pratique portant sur la question de la clause pénale) :

Gautier souhaite faire refaire sa cuisine. Il souhaite mettre en place une « table / bar à l’américaine ». Gautier souhaite que sa table soit confectionnée sur mesure avec des matières très spécifiques et fait appel à M. Jean, professionnel spécialisé dans la confection de tables américaines, pour confectionner la table.

M. Jean n’exécute pas son obligation et vient vous consulter pour vous demander les risques encourus. Il vous précise que le contrat conclu avec GAUTIER stipulait qu’une somme de 10 000 euros (80 % du prix) serait due par la partie au contrat qui n’exécuterait pas son obligation.

Ce cas pratique porte sur la question de la clause pénale.

L’étudiant mal averti aura tendance à directement évoquer les règles de révision d’une clause pénale en expliquant que le juge peut réviser la clause pénale sur le fondement de l’article 1231-5, alinéa 2, du Code civil si celle-ci est manifestement excessive ou dérisoire.

Pourtant, avant même d’évoquer la question de la révision et de l’éventuel prix excessif vous devez vérifier qu’il s’agit bien d’une clause pénale.

L’article 1231-5 nous dit que cette révision est possible lorsque le contrat « stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts ». Pour pouvoir qualifier une stipulation de clause pénale l’objet de la clause doit être de réaliser une évaluation conventionnelle du dommage, de sanctionner l’inexécution d’une obligation par le débiteur et d’être attribuée à titre compensatoire.

En cas pratique vous devriez donc :

  • D’abord qualifier la clause de clause pénale en vérifiant que chacun des critères de définition de la clause pénale sont satisfaits
  • Avant de pouvoir évoquer son régime.

Pourtant, le cours n’est généralement pas aussi clair sur la méthode à adopter en cas pratique.

  • Avoir un raisonnement juridique juste mais qui ne correspond pas au barème attendu

Le droit n’est pas une science exacte et deviner le barème de correction est parfois difficile.

Premier conseil : soignez la forme de votre copie : écrivez en noir, sautez des lignes et faites un alinéa entre chaque partie (faits, problème de droit, solution en l’espèce, solution en droit)

Deuxième conseil : pensez à travailler systématiquement avec votre code et à repérer les articles et jurisprudences susceptibles de faire l’objet d’un examen. Cette préparation est essentielle pour vous faire gagner du temps le jour de l’épreuve.

Troisième conseil : apprenez PAR COEUR les corrections des annales de la matière que vous avez en examen. Presque systématiquement des éléments vus les années précédentes font à nouveau l’objet d’un examen.

Quatrième conseil : comme pour tous les exercices juridiques, entrainez-vous plusieurs fois dans les MÊMES conditions que le jour de l’examen (même temps, même stylo, même code etc.) et obtenez une correction. Prenez pleinement conscience de vos défauts pour les corriger.

Cas : Stacy NAIVE n’a jamais eu de chances en amour. Elle tombe systématiquement sur des hommes qui la rendent malheureuse. Elle pensait pourtant avoir trouvé l’amour avec Dilan LECHARO avec qui elle était en couple depuis plus d’un an. Celui-ci l’avait même demandé en mariage il y a six mois. Mais il vient de lui apprendre par SMS qu’il la quittait. Très sérieusement, il lui a envoyé le message suivant : « J’ai trouvé une autre fille que j’aime plus que toi. Je suis désolé, mais il va falloir annuler le mariage. Bonne continuation à toi, je suis sûr que tu t’en remettras. Sans rancune. Dilan ». Dans l’entourage de Stacy, personne ne s’attendait à une telle rupture, Dilan LECHARO n’ayant jamais montré un signe de sa volonté de quitter Stacy NAIVE. Le mariage était prévu pour dans quelques semaines seulement, et Stacy NAIVE avait déjà engagé des frais importants : location d’une chapelle, robe de marié, costume pour Dilan, voyage de noces…

Elle vient vous consulter pour savoir si elle peut engager une action contre Dilan LECHARO pour obtenir des dommages et intérêts.

Résolution

Faits : Un homme a mis fin aux fiançailles par SMS quelques semaines avant la date prévue pour le mariage.

Problème de droit : Le fiancé rompant les fiançailles peut-il être condamné au versement de dommages et intérêts ?

Solution en droit : Les fiançailles se distinguent du mariage. Elles constituent simplement une promesse réciproque de mariage, mais ne créent pas d’obligation juridique entre les futurs époux.

En principe, les fiancés sont libres de rompre leurs fiançailles en vertu du principe de liberté matrimoniale prévu par l’article 12 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ainsi, la Cour de cassation juge que « la rupture d’une promesse de mariage n’est pas, à elle seule, génératrice de dommages-intérêts » (Civ. 1 , 4 janv. 1995, n° 92- 21.767 et arrêt de principe « Bouvier » du 30 mai 1838).

Par exception, la rupture fautive des fiançailles permet d’engager la responsabilité civile de son auteur sur le fondement de l’article 1382 du code civil en droit positif ivoirien (article 1240 du code civil en droit positif français). Il faut prouver un préjudice (matériel ou moral), un lien de causalité et une faute.

S’agissant de la faute, il ressort de la jurisprudence qu’elle provient souvent, comme en matière de cessation de pourparlers contractuels, de la rupture brutale des fiançailles peu de temps avant la cérémonie du mariage. À titre d’exemple, une Cour d’appel a retenu une faute pour une rupture intervenue à l’initiative de du fiancé seulement 23 jours avant le mariage, alors que les fiançailles remontaient à près de huit mois, qu’elles avaient été mûrement réfléchies, ayant été précédées d’une relation de deux années, et que les fiancés avaient acquis, depuis près d’un mois, une maison en indivision dans la perspective de s’y installer (CA, Colmar, 3 mai 2019, n° 17/03733).

S’agissant du préjudice, le ou la fiancé(e) éconduit(e) devra prouver le préjudice matériel (frais engagés pour le mariage) et/ou moral.

Solution en l’espèce : En l’espèce, Dilan LECHARO a mis fin aux fiançailles de manière brutale puisqu’il a procédé par SMS sans donner d’explication sur les causes de cette rupture et peu de temps avant la cérémonie du mariage. La faute pourrait donc être caractérisée. S’agissant du préjudice, il est indiqué que Stacy NAIVE avait déjà engagé des frais importants (location d’une chapelle, robe de marié, costume pour Dilan, voyage de noces). Ce préjudice est sans aucun doute en lien avec la faute.

Conclusion : Stacy NAIVE pourra engager la responsabilité civile de Dilan LECHARO et obtenir des dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Résumé du webinaire du 31 octobre 2025 sur le thème : « Propriété intellectuelle à l’ère du numérique : Nouveaux défis pour les créations des start-ups et des innovateurs Africains ».

Le vendredi 31 octobre 2025, à partir de 19 heures, le Cabinet LDJ SARL a organisé un webinaire de grande envergure sur le thème : “Propriété intellectuelle à l’ère du numérique : nouveaux défis pour les créations des start-ups et des innovateurs africains”. Cet événement, tenu via la plateforme Google Meet, a suscité un vif intérêt parmi les participants, particulièrement auprès des auditeurs et professionnels du droit, de l’innovation et des technologies.

Le choix de ce thème s’inscrivait dans la volonté du Cabinet LDJ SARL d’accompagner les mutations profondes du monde numérique et de répondre aux besoins croissants de formation dans un domaine où les questions de droit, de technologie et d’innovation se croisent de plus en plus. En effet, à l’ère du numérique, la créativité et la connaissance deviennent des leviers essentiels de développement économique. Or, la valeur de ces innovations dépend de leur protection juridique, d’où la nécessité d’une réflexion sur les défis contemporains de la propriété intellectuelle pour les start-ups africaines.

Le webinaire avait pour but d’outiller les participants sur la compréhension du cadre juridique applicable, la prévention des risques liés à la contrefaçon et la valorisation économique des créations intellectuelles dans un environnement digitalisé.

La présentation principale a été assurée par Monsieur le Président Wilfrid OBAMBI, magistrat éminent et conseiller à la Cour d’appel de Dolisie, en République du Congo. Son intervention a été saluée pour sa rigueur, sa profondeur et sa pertinence, reflétant son expertise en droit économique et en propriété intellectuelle.

La session a été modérée par Monsieur Sibiri KONE, juriste consultant au sein du Cabinet LDJ SARL, dont le rôle a été déterminant pour garantir la fluidité des échanges, la cohérence des interventions et la participation active des auditeurs. Grâce à la qualité de son animation, le dialogue entre le conférencier et les participants a été dynamique et instructif, favorisant un véritable échange d’expériences et de perspectives.

L’événement s’est déroulé dans une ambiance à la fois studieuse et interactive, témoignant de l’engagement du Cabinet LDJ SARL à promouvoir l’accès au savoir juridique et à encourager la professionnalisation des jeunes acteurs du numérique en Afrique.

Le principal objectif du webinaire était d’aider les start-ups africaines, les juristes et les innovateurs à mieux comprendre l’importance de la propriété intellectuelle dans le contexte numérique actuel. Il s’agissait de leur permettre de :

  • Comprendre les enjeux contemporains de la protection des créations à l’ère numérique ;
  • Identifier les principaux cadres juridiques régionaux et continentaux (OAPI, OHADA, ZLECAf) permettant de défendre leurs droits ;
  • Découvrir des outils et des méthodes concrètes pour sécuriser les innovations technologiques et immatérielles ;
  • Mettre en lumière le rôle de la synergie africaine dans la valorisation de l’innovation.

Ce webinaire visait donc non seulement à vulgariser le droit de la propriété intellectuelle, mais aussi à fournir des solutions pratiques aux défis émergents liés à la numérisation des activités économiques et créatives.

Dans un premier temps, le Président Wilfrid OBAMBI a rappelé que les enjeux liés à la propriété intellectuelle dans le monde numérique sont aujourd’hui cruciaux. Pour les start-ups africaines, ils touchent notamment à trois domaines majeurs : la cybersécurité, la souveraineté numérique et la conformité juridique. Il a expliqué que la cybersécurité constitue désormais un levier stratégique pour le développement économique du continent. La prolifération des attaques informatiques : piratage, ransomware, phishing ou usurpation d’identité numérique fragilise la confiance dans les infrastructures digitales africaines. Dès lors, la protection des données et des créations immatérielles devient essentielle pour assurer la pérennité des entreprises et préserver la compétitivité régionale. Le Président OBAMBI a également insisté sur la notion de souveraineté numérique, qui traduit la capacité d’un État ou d’une organisation à contrôler ses données et à protéger ses innovations sur ses propres plateformes. Sans cette maîtrise, les start-ups africaines risquent de dépendre de solutions étrangères, au détriment de leur autonomie technologique et juridique. Enfin, il a rappelé que la conformité juridique des entreprises numériques africaines doit reposer sur le respect des règles de propriété intellectuelle, d’éthique et de protection des données. Les start-ups doivent donc anticiper ces obligations dès leur création afin de se prémunir contre tout litige futur.

En second plan, le conférencier a exposé les cadres institutionnels et juridiques africains régissant la propriété intellectuelle, tout en soulignant leur complémentarité. Il a d’abord évoqué le rôle central de l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle), chargée d’assurer la reconnaissance et la défense des droits de propriété intellectuelle dans ses États membres. L’OAPI constitue aujourd’hui une structure de référence permettant aux créateurs et aux entreprises d’enregistrer leurs brevets, marques, dessins et modèles industriels à travers un système unifié. Il a ensuite abordé la contribution de l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires), dont les actes uniformes garantissent la sécurité juridique des opérations commerciales impliquant des droits de propriété intellectuelle. L’OHADA, par son rôle d’harmonisation, facilite la création d’entreprises, la conclusion de contrats et la gestion des litiges dans un environnement économique intégré. Enfin, le Président OBAMBI a mis en lumière la ZLECAf (Zone de Libre-Échange Continentale Africaine), véritable projet panafricain visant à construire un marché unique et à harmoniser progressivement les règles relatives à la propriété intellectuelle et au commerce numérique. Cette intégration continentale est appelée à favoriser la libre circulation des innovations africaines et leur valorisation à l’échelle mondiale. Pour lui, la combinaison de ces trois cadres : OAPI, OHADA et ZLECAf représente un levier majeur de protection et de développement économique pour les start-ups africaines.

La troisième partie du webinaire a été consacrée aux mesures concrètes que les start-ups et innovateurs peuvent adopter pour protéger efficacement leurs créations. Sur le plan juridique, le Président OBAMBI a insisté sur la nécessité d’enregistrer systématiquement les créations sous les formes reconnues par la loi : brevets pour les inventions techniques, marques pour les signes distinctifs, droits d’auteur pour les œuvres de l’esprit et secrets industriels pour les procédés non divulgués. Cette démarche confère à l’auteur un droit exclusif d’exploitation et un moyen de recours en cas de contrefaçon. Sur le plan technique, il a souligné l’importance du chiffrement des données, de la sauvegarde régulière des informations sensibles et de la mise en place d’un système de gestion sécurisé des accès. La maîtrise de ces aspects techniques constitue une garantie de confiance et de sérieux pour les partenaires économiques. Sur le plan organisationnel, il a recommandé d’instaurer une culture de la confidentialité au sein des entreprises, en formant le personnel à la protection des informations sensibles, en imposant des accords de non-divulgation (NDA) et en définissant des procédures internes de gestion des projets innovants. Enfin, l’intervenant a encouragé les start-ups à mettre en place une veille technologique et concurrentielle afin de rester informées des évolutions juridiques, scientifiques et commerciales. Cette veille permettra non seulement de prévenir les risques de litige, mais aussi de valoriser durablement les innovations africaines à l’échelle internationale.

La séance de questions-réponses a donné lieu à des échanges passionnants entre les participants et l’intervenant. Les questions ont porté sur les défis contemporains de la propriété intellectuelle à l’ère du numérique, les pratiques de cybersquatting (usurpation de noms de domaine), ainsi que sur les menaces spécifiques pesant sur la créativité africaine dans le digital.

Le Président OBAMBI a apporté des réponses claires, précises et bien illustrées, en s’appuyant sur des exemples concrets de jurisprudence et de bonnes pratiques observées dans les États membres de l’OAPI. Ces explications ont permis aux participants d’intégrer la dimension pratique du droit de la propriété intellectuelle et de comprendre son impact réel sur le développement économique et technologique du continent africain.

En conclusion, le webinaire du 31 octobre 2025 a mis en évidence l’importance croissante de la propriété intellectuelle dans l’écosystème numérique africain. Les créations de l’esprit : inventions, logiciels, œuvres artistiques, marques ou modèles constituent aujourd’hui la principale richesse des start-ups et doivent être protégées avec vigilance.

Le Président Wilfrid OBAMBI a rappelé que dans l’environnement numérique, la propriété intellectuelle ne se limite plus aux objets matériels, mais englobe désormais les données, les plateformes, les algorithmes et les contenus en ligne. Elle devient un outil stratégique de développement, de souveraineté et d’identité pour les États africains et leurs entrepreneurs.

Pour clôturer la séance, Monsieur Sibiri KONE, modérateur du webinaire, a adressé ses remerciements à l’intervenant pour la qualité de son exposé, ainsi qu’à tous les participants pour leur engagement et leurs contributions constructives. Il a rappelé que le Cabinet LDJ SARL demeure disponible pour tout accompagnement juridique, technique et formatif en matière de droit de la propriété intellectuelle et de numérique.

Les participants peuvent contacter le Cabinet pour tout besoin de formation ou de conseil : cabinetldjsarl@gmail.com / (+225) 27 23 23 21 64 / 01 52 90 45 19 / 07 05 06 67 04

Ce webinaire s’est achevé sur une note à la fois chaleureuse et intellectuellement enrichissante, confirmant une fois de plus l’engagement du Cabinet LDJ SARL dans la promotion de l’excellence juridique et de l’innovation africaine à l’ère du numérique.

Une personne étrangère à la relation contractuelle peut-elle en exiger l’exécution ?

Le contrat repose sur une idée simple mais essentielle : il ne lie que ceux qui l’ont conclu. Ce principe, appelé effet relatif des conventions, signifie que seuls les cocontractants sont à la fois créanciers et débiteurs des obligations convenues. Une personne étrangère au contrat, appelée « tiers », n’a donc en principe aucun droit d’exiger l’exécution de ce contrat, ni aucune obligation d’y participer. Cette règle est expressément énoncée à dans le Code civil ivoirien. Ainsi, le législateur ivoirien a adopté une vision claire et ferme du principe : le contrat est un lien de droit limité à son cercle de formation. Cette disposition, directement héritée du Code civil napoléonien, est identique à celle que l’on retrouvait en France à l’ancien article 1165, et qui a été reformulée à l’article 1199 du Code civil français.

La jurisprudence a souvent confirmé cette logique en soulignant que « nul ne peut se voir imposer des obligations contractuelles sans y avoir consenti », ce qui s’inscrit dans le droit fil de la liberté contractuelle[1]. Toutefois, ce principe n’est pas absolu. Le législateur, soucieux de protéger les intérêts légitimes des tiers ou de faciliter la circulation économique, a prévu des mécanismes qui permettent, dans certaines hypothèses, à une personne étrangère au contrat d’en exiger l’exécution. Ces mécanismes sont de deux ordres : d’une part, la stipulation pour autrui, qui constitue l’exception « volontaire » la plus connue ; d’autre part, les actions légales (telles que l’action oblique ou l’action directe), qui permettent à un tiers, le plus souvent un créancier, d’agir à la place de son débiteur ou contre le cocontractant de celui-ci.

L’enjeu de cette problématique est double. D’une part, il s’agit de préserver le principe de l’effet relatif du contrat, garant de la sécurité juridique et de la stabilité des relations contractuelles. D’autre part, il convient d’admettre que dans certaines situations, la rigidité de ce principe pourrait créer des injustices ou des blocages économiques, et qu’il faut alors ouvrir une brèche en faveur des tiers, pour rétablir un équilibre entre justice et sécurité des relations contractuelles.

Le droit des obligations repose sur l’idée de l’autonomie de la volonté. En vertu de ce principe, chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, mais également de déterminer le contenu du contrat. De cette liberté découle logiquement l’effet relatif : nul ne peut être contraint par un contrat auquel il n’a pas consenti. Cette règle est affirmée par l’article 1165 du Code civil, qui dispose que : « Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point aux tiers, et elles ne leur profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 »[2]. Ainsi, le législateur ivoirien a adopté une vision claire et ferme du principe : le contrat est un lien de droit limité à son cercle de formation. Ainsi, non seulement les tiers sont protégés contre toute immixtion injustifiée dans un contrat qui ne les concerne pas, mais encore ils ne peuvent en revendiquer l’exécution à leur profit, sauf exception prévue par la loi. En France, la réforme du droit des obligations intervenue en 2016 a consacré ce principe à l’article 1199 du Code civil en ces termes : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat, ni se voir contraints de l’exécuter »[3]. en précisant que les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat, ni se voir contraints de l’exécuter. La formulation française, plus explicite, renforce la protection des tiers en consacrant leur indifférence par rapport aux contrats d’autrui[4].

Cette règle n’est pas une simple construction théorique. Elle est au cœur de la cohérence du droit des contrats : si un tiers pouvait systématiquement exiger l’exécution d’un contrat, la liberté contractuelle des parties serait directement compromise. La doctrine insiste sur ce point en soulignant que « l’effet relatif est le corollaire indispensable de la force obligatoire du contrat »[5]. Par ailleurs, la jurisprudence ivoirienne a régulièrement rappelé cette règle, notamment dans les litiges relatifs aux baux ou aux conventions d’affaires. Elle a jugé, à l’instar de la jurisprudence française, que le tiers à un contrat ne peut ni en contester la validité ni en exiger l’exécution, sauf à démontrer un droit particulier qui lui a été reconnu.

Enfin, l’effet relatif vise également à garantir la sécurité des échanges : si les contrats pouvaient déployer des effets illimités sur des tiers, la prévisibilité des relations économiques et sociales s’effondrerait. Comme l’écrit F. Terré, « l’effet relatif permet de contenir le contrat dans son cercle naturel, et de protéger l’ordre juridique contre une inflation d’obligations incontrôlées »[6].

La stipulation pour autrui constitue la plus connue des exceptions au principe de l’effet relatif des conventions. Elle se définit comme l’opération par laquelle une partie à un contrat (le stipulant) conclut une convention avec une autre partie (le promettant) afin que cette dernière exécute une prestation au profit d’un tiers, dit bénéficiaire. Autrement dit, le tiers, bien qu’étranger à la formation du contrat, se voit reconnaître un véritable droit, qu’il pourra directement faire valoir contre le promettant. Ce mécanisme rompt avec la logique classique du contrat, qui ne devait lier que les cocontractants.

En droit ivoirien, cette possibilité est expressément consacrée par l’article 1121 du Code civil, qui dispose : « On peut pareillement stipuler au profit d’un tiers, lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre. Celui qui a fait cette stipulation ne peut la révoquer, si le tiers a déclaré vouloir en profiter. »[7]. Ce texte consacre donc clairement le droit du tiers bénéficiaire, en précisant même que l’irrévocabilité de la stipulation est acquise dès lors qu’il a manifesté sa volonté d’en tirer profit. L’exemple le plus illustratif est celui de l’assurance-vie ou assurance-décès. Dans ce contrat, l’assuré (stipulant) conclut avec l’assureur (promettant) un contrat qui produira des effets au profit d’un bénéficiaire désigné (tiers). Bien que le bénéficiaire n’ait pas participé à la formation du contrat, il pourra, au décès de l’assuré, exiger directement de l’assureur le versement du capital garanti[8]. La doctrine a souligné que la stipulation pour autrui permet de concilier deux impératifs : le respect de l’autonomie de la volonté (puisque ce sont les parties qui décident volontairement d’accorder un droit à un tiers), et la protection des intérêts légitimes de celui-ci[9].

Comme on l’a vu, l’article 1121 du Code civil (droit ivoirien) constitue le socle du mécanisme. Il est souvent mobilisé en droit des assurances, mais aussi en droit des contrats de bail ou des conventions de services. La jurisprudence a eu l’occasion de reconnaître que lorsqu’un contrat est conclu pour le bénéfice d’un tiers, celui-ci peut, dès qu’il exprime sa volonté, se substituer aux parties pour exiger l’exécution de l’obligation prévue. En France, la réforme de 2016 a clarifié et modernisé le mécanisme en l’inscrivant à l’article 1205 du Code civil, qui précise désormais que « l’un des contractants peut stipuler au profit d’un tiers ». L’article 1206 ajoute que « le bénéficiaire est investi d’un droit contre le promettant dès la stipulation », consacrant ainsi l’autonomie du droit du tiers.

La comparaison entre le droit ivoirien et le droit français montre donc une convergence évidente : dans les deux systèmes, le législateur reconnaît au tiers un droit propre, autonome, qui découle de la volonté des parties. Toutefois, le Code civil ivoirien, héritier du texte napoléonien originel, présente une formulation plus ancienne et plus concise, tandis que la réforme française a clarifié les conditions et les effets de la stipulation pour autrui. La doctrine reconnaît que la stipulation pour autrui constitue une « brèche volontaire » dans le principe de l’effet relatif. Comme le souligne J. Ghestin, elle ne contredit pas l’effet relatif mais en constitue une exception admise par la volonté des parties elles-mêmes[10]. Ainsi, le tiers ne tire pas son droit du contrat en général, mais d’une stipulation spécifique insérée par les cocontractants.

Les applications de la stipulation pour autrui sont nombreuses en pratique. En matière d’assurances, l’assurance-décès ou l’assurance-vie sont des illustrations majeures. En matière de contrat de transport, la clause prévoyant le bénéfice d’une livraison au profit d’un tiers bénéficiaire constitue également une stipulation pour autrui. Enfin, dans les contrats de bail, il n’est pas rare de rencontrer des stipulations insérées au bénéfice d’un tiers (par exemple un occupant désigné qui pourra faire valoir un droit d’usage).

Ces exemples montrent que la stipulation pour autrui, loin d’être une curiosité théorique, est un instrument essentiel de la pratique contractuelle moderne, tant en droit ivoirien qu’en droit français.

L’action oblique est un mécanisme particulièrement utile pour le créancier qui voit son débiteur négliger ou refuser d’exercer ses droits patrimoniaux, au risque de compromettre la sauvegarde de son patrimoine. Comme l’énonce la doctrine, elle permet au créancier « d’exercer les droits et actions de son débiteur, afin de préserver l’assiette de son gage »[11].

En droit ivoirien, cette action est prévue à l’article 1166 du Code civil, selon lequel « les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne ». Cette règle, directement héritée du Code napoléonien, met en lumière deux conditions : d’une part, il doit s’agir d’un droit à caractère patrimonial ; d’autre part, le débiteur doit être inactif, et sa carence doit mettre en péril les droits du créancier. Ainsi, si un débiteur refuse de réclamer le paiement d’une créance dont il est titulaire, le créancier peut se substituer à lui pour agir en justice et obtenir ce paiement. Cette faculté vise à éviter que l’inertie ou la mauvaise foi du débiteur ne nuise aux intérêts légitimes de ses créanciers. En revanche, les droits strictement attachés à la personne, comme la pension alimentaire ou l’action en divorce, échappent à ce mécanisme, car ils relèvent d’un intérêt moral ou familial indisponible[12].

Le droit français admet exactement la même logique à l’article 1341-1 du Code civil (ancien article 1166 avant la réforme de 2016), qui autorise le créancier à agir pour le compte de son débiteur, mais interdit l’exercice des droits « exclusivement rattachés à sa personne ». La jurisprudence française, comme ivoirienne, a constamment rappelé que l’action oblique est un instrument de protection patrimoniale, et non un moyen de contourner les choix personnels du débiteur[13].

L’action directe, plus radicale que l’action oblique, confère au créancier la faculté d’agir directement contre le cocontractant de son débiteur, sans passer par ce dernier. Elle constitue donc une véritable arme procédurale, permettant au créancier d’obtenir un paiement ou l’exécution d’une obligation directement auprès de celui qui, en principe, n’a de lien qu’avec son débiteur. En droit ivoirien, l’exemple classique est donné par l’article 1753 du Code civil, identique à son homologue français, qui dispose que « le sous-locataire n’est tenu envers le propriétaire que jusqu’à concurrence du prix de sa sous-location dont il peut être débiteur au moment de la saisie ». Autrement dit, le bailleur peut agir directement contre le sous-locataire pour obtenir le paiement du loyer, dans la limite du montant du sous-loyer[14]. Ce mécanisme protège le propriétaire contre l’insolvabilité éventuelle de son locataire principal.

Une autre illustration importante se trouve en matière d’assurance. Le Code des assurances français, à l’article L124-3, reconnaît à la victime d’un dommage un droit d’action directe contre l’assureur du responsable. Cette disposition, transposée dans le Code des assurances CIMA applicable en Côte d’Ivoire, permet à la victime de réclamer directement à l’assureur l’indemnisation des conséquences financières du sinistre. Ce droit autonome du tiers lésé renforce sa protection en évitant que sa réparation ne dépende de la solvabilité de l’auteur du dommage. Enfin, en matière de sous-traitance, l’action directe a également été consacrée. En France, la loi du 31 décembre 1975 a instauré un droit d’action directe du sous-traitant contre le maître d’ouvrage. Dans l’espace ivoirien et plus largement dans l’espace OHADA, la jurisprudence admet également que le sous-traitant puisse demander paiement au maître d’ouvrage, notamment lorsque l’entrepreneur principal est défaillant[15]. Ces exemples montrent que l’action directe n’est pas générale, mais strictement encadrée par la loi. Elle constitue une dérogation à l’effet relatif des conventions, justifiée par la nécessité de protéger certains créanciers ou victimes.

L’effet relatif des conventions, en consacrant le principe selon lequel seuls les contractants sont liés par les obligations issues de leur accord, constitue l’un des piliers de la sécurité juridique. Il garantit que nul ne peut être entraîné dans un lien contractuel auquel il n’a pas consenti, ce qui reflète la primauté de la liberté individuelle et de l’autonomie de la volonté. Cette exigence est consacrée par l’article 1165 du Code civil, qui reprend la formulation classique : « Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 ». Cette disposition établit donc une frontière claire entre les cocontractants et les tiers, assurant que le contrat demeure un espace privé réservé aux volontés exprimées. Cependant, si la rigidité de ce principe est un gage de sécurité, elle peut aussi devenir un facteur d’injustice. L’économie moderne, marquée par des relations juridiques de plus en plus complexes et interconnectées, a progressivement imposé des assouplissements. La stipulation pour autrui, l’action oblique et l’action directe apparaissent ainsi comme des brèches organisées dans la forteresse du principe, permettant à certains tiers d’agir ou de bénéficier d’un contrat dont ils ne sont pas directement parties. Ces mécanismes ont été pensés pour concilier la sécurité juridique avec les exigences de la justice contractuelle et de l’efficacité économique.

La doctrine ivoirienne souligne que l’enjeu est de trouver un équilibre entre la préservation de l’intangibilité du contrat et la nécessaire adaptation du droit aux réalités pratiques[16]. Trop de rigidité risquerait de paralyser certaines situations, par exemple lorsqu’un débiteur inactif refuse d’exercer ses droits, menaçant ainsi le recouvrement de ses créanciers. Trop de souplesse, en revanche, fragiliserait la force obligatoire du contrat et pourrait ouvrir la voie à une multiplication incontrôlée de litiges émanant de tiers[17]. La jurisprudence ivoirienne, tout comme la française, a donc cherché à tracer une ligne médiane. Ainsi, l’action oblique est autorisée pour préserver le gage des créanciers, mais interdite dès lors qu’il s’agit de droits strictement personnels, comme la pension alimentaire. De même, l’action directe est admise uniquement dans les cas expressément prévus par la loi, afin d’éviter qu’elle ne devienne une voie générale permettant à tout tiers de revendiquer l’exécution d’un contrat.

Ce mouvement de balancier illustre la capacité du droit des contrats à s’adapter. Comme l’écrit le professeur Fages, « l’effet relatif n’est plus une citadelle imprenable, mais une règle soumise à des tempéraments dictés par la justice contractuelle et les nécessités économiques »[18]. Dans cette perspective, les systèmes juridiques francophones, et notamment ivoirien, oscillent entre deux pôles : la protection des tiers lésés et la protection des parties contractantes. L’analyse comparée montre que la France, avec sa réforme du droit des obligations en 2016, a renforcé la place des tiers dans la dynamique contractuelle, en consacrant plus clairement les mécanismes de stipulation pour autrui, d’action oblique et d’action directe. La Côte d’Ivoire, de son côté, conserve un Code civil hérité du modèle napoléonien, mais qui intègre déjà ces solutions dans leur version originelle. La jurisprudence ivoirienne tend à interpréter ces dispositions de manière pragmatique, tout en restant fidèle au principe fondateur de l’effet relatif. Il apparaît donc que l’avenir du droit des contrats, en Côte d’Ivoire comme ailleurs, réside dans une approche nuancée : maintenir l’effet relatif comme principe, tout en acceptant qu’il soit assoupli par des exceptions soigneusement encadrées. Ces exceptions doivent demeurer l’exception et non devenir la règle, afin que la sécurité des relations contractuelles soit préservée, mais sans sacrifier l’équité et l’efficacité économique.

  • Exposé du cas : Mademoiselle SOUTENUE est une jeune étudiante en école d’infirmière (INFAS). Son père, qu’elle adore profondément, lui verse une pension alimentaire dont le montant a été fixé par le juge aux affaires familiales au moment du divorce de ses parents. Bien que confronté à de sérieuses difficultés financières, il refuse de stopper le versement de cette contribution, malgré les insistances de sa fille. L’un de ses créanciers, bien informé, estime qu’il n’a plus l’obligation de contribuer à son entretien compte tenu de l’évolution de sa situation. Il vient d’ailleurs de saisir le juge afin qu’il ordonne la suppression de cette pension, en se fondant sur le mécanisme de l’action oblique, en avançant qu’il pouvait l’exercer à sa place étant donné qu’il était inactif. À votre avis, le juge admettra-t-il cette intervention ?
  • Commentaires : L’exercice de l’action oblique décrite ci-dessus est soumis  à certaines conditions. Ainsi, le Code civil ne permet pas au créancier d’exercer à la place de son débiteur une action exclusivement attachée à sa personne. La contribution d’un parent à l’égard de ses enfants est largement fondée sur un intérêt moral. Aussi, il apparaît évident qu’elle est entièrement attachée à sa personne (cette obligation alimentaire n’est d’ailleurs pas cessible). C’est ce que reconnaît la jurisprudence depuis très longtemps. En l’espèce, l’action oblique intentée par un créancier à l’encontre de la fille de son débiteur pour stopper le versement d’une pension alimentaire n’est clairement pas possible. De manière bien plus efficace que l’action oblique, certaines mesures, expressément prévues par la loi, permettent à une personne d’agir directement contre le cocontractant de son débiteur. Ainsi, la loi envisage l’action directe en paiement du bailleur à l’encontre du sous-locataire (le locataire du locataire). Elle permet également à la victime d’un accident de la circulation d’agir directement à l’encontre de l’assureur du responsable de l’accident.  Elle permet encore au sous-traitant d’obtenir le paiement des travaux qu’il a  effectués directement auprès de la personne pour laquelle ils ont été réalisés.
  • Conseil : Dans le cadre de l’action directe en paiement, il n’est pas toujours possible d’obtenir la totalité des sommes qui nous sont dues. Le contrat sur lequel repose la dette du débiteur de notre débiteur nous est effectivement opposable. Ainsi, lorsque l’on formule une demande à cet égard, il ne faut pas demander plus que ce qui est dû à notre propre débiteur. Par exemple, si notre locataire nous doit 150.000 FCFA à titre de loyer et que le sous-locataire lui doit en revanche seulement 100.000 FCFA, on ne pourra pas exiger de ce dernier plus que 100.000 FCFA. On ne pourra d’ailleurs pas lui demander plus que ce qu’il nous est dû (les 150.000 FCFA).

L’étude de la question de savoir si une personne étrangère à la relation contractuelle peut en exiger l’exécution révèle toute la richesse et la complexité du droit des obligations. Le principe cardinal, hérité du Code civil napoléonien et encore en vigueur en Côte d’Ivoire, demeure celui de l’effet relatif des conventions. Ce principe, énoncé à l’article 1165 du Code civil ivoirien, protège les tiers de toute immixtion indue dans un contrat auquel ils n’ont pas consenti, et garantit ainsi la sécurité et la prévisibilité des relations juridiques. En ce sens, il constitue une traduction concrète du respect de la liberté contractuelle et de l’autonomie de la volonté. Toutefois, comme l’ont montré les développements précédents, la rigidité absolue de ce principe aurait été source de blocages et d’injustices. C’est pourquoi le législateur et la jurisprudence ont admis des exceptions soigneusement encadrées. Certaines sont volontaires, à l’image de la stipulation pour autrui, qui permet à un tiers désigné par les parties de bénéficier directement du contrat et d’en exiger l’exécution. D’autres sont légales, telles que l’action oblique, par laquelle un créancier agit à la place de son débiteur défaillant, ou encore l’action directe, qui autorise, dans des hypothèses précises, un tiers à s’adresser directement au cocontractant de son débiteur.

Ces exceptions révèlent une tension permanente entre deux exigences contradictoires : d’un côté, la rigueur du principe de l’effet relatif, qui fonde la sécurité juridique et limite les effets du contrat à son cercle d’auteurs ; de l’autre, la souplesse des tempéraments, dictée par des impératifs d’équité et d’efficacité économique. Le droit ivoirien, fidèle à sa tradition civiliste, se situe dans une ligne de continuité avec le droit français, tout en restant attaché aux formulations classiques du Code civil. Le droit français, notamment depuis la réforme de 2016, a modernisé sa rédaction et renforcé la clarté des exceptions, mais l’esprit demeure identique. L’analyse critique met en lumière la pertinence de cet équilibre. L’effet relatif ne doit pas être compris comme une barrière infranchissable, mais comme un principe directeur assorti d’exceptions limitées. Ces dernières ne doivent pas se transformer en un droit général pour les tiers d’agir en justice, sous peine de fragiliser la force obligatoire des contrats. Elles doivent rester encadrées, précisément définies, et réservées aux hypothèses où elles servent l’intérêt général (protection des créanciers, sécurité des transactions, solidarité familiale ou économique).

En définitive, la règle de l’effet relatif demeure un pilier de la stabilité contractuelle, mais elle s’accommode d’assouplissements pragmatiques. Ces assouplissements traduisent une évolution du droit vers un modèle plus équilibré, où la justice contractuelle complète la sécurité juridique. L’avenir du droit ivoirien, à l’instar de celui du droit français, sera sans doute marqué par une accentuation de cette tendance : préserver le socle traditionnel de l’effet relatif, tout en ouvrant davantage la porte à des interventions extérieures justifiées par l’équité ou par les réalités économiques contemporaines.

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Me Luc KOUASSI

Juriste Consultant Polyglotte| Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.

denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28


[1] Cass. civ. 3e, n° 92-12.674, 15 déc. 1993.

[2] Code civil ivoirien, art. 1165.

[3] Code civil français, art. 1199 (issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016).

[4] P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, LGDJ, 13e édition, 2024, p. 273.

[5] E. Martin-Hocquenghem, Droit des obligations : Le contrat. Licence, Thèse de doctorat, Université Paris Panthéon Assas, France, 2025, 483 p.

[6] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil : Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2018, p. 341.

[7] Code civil ivoirien, art. 1121.

[8] P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Op. cit., p. 278.

[9] J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, Revue internationale de droit comparé, 1987, 39-4, pp. 994-995

[10] J. Ghestin, Traité de droit civil, LGDJ, Tome 1, 4e édition, 2013, p. 43.

[11] E. Martin-Hocquenghem, Op. cit.

[12] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Op. cit.

[13] Cass. civ. 1re, D. 1966, jurispr. p. 47, 14 décembre 1965, (principe réaffirmé en droit français, équivalent admis en jurisprudence ivoirienne).

[14] Code civil ivoirien, art. 1753 ; Code civil français, art. 1753.

[15] Loi française du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance

[16] A.-M. H. Assi-Esso, Précis de droit civil ivoirien : Les personnes, la famille, Abidjan, LDI, 1997, p. 254.

[17] P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Op. cit., p. 365.

[18] B. Fages, Droit des obligations, LGDJ, 9e édition, 2019, 602 p.

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