
En Côte d’Ivoire, l’identification des citoyens demeure une problématique de grande importance, tant pour les pouvoirs publics que pour les justiciables. L’absence d’un acte de naissance, l’usage d’un faux ou d’un acte appartenant à un tiers a longtemps été une réalité tolérée dans les familles, parfois par nécessité, notamment pour permettre la scolarisation ou l’accès aux soins. Toutefois, ces pratiques engendrent une insécurité juridique manifeste et rendent illisible l’état civil. C’est pour faire face à cette situation que l’État ivoirien a mis en place une procédure exceptionnelle appelée rétablissement d’identité, consacrée par la loi n° 2018-863 du 19 novembre 2018, relative à la transcription des actes de naissance, à l’établissement des extraits et au rétablissement d’identité. Cette procédure permet aux personnes ayant utilisé un acte civil inauthentique ou étranger à leur identité véritable de revenir à celle-ci, tout en conservant les droits et avantages acquis sous la fausse identité.
Le présent article se propose d’analyser ce mécanisme, tant sur le plan juridique que sociopolitique, en mettant en lumière son fondement légal, ses conditions de mise en œuvre, ses effets juridiques, ainsi que les garanties offertes aux bénéficiaires.
I. Fondements juridiques et champ d’application du rétablissement d’identité
Le rétablissement d’identité est prévu par les articles 11 à 15 de la loi n° 2018-863 du 19 novembre 2018. Cette loi vise globalement à permettre la transcription des actes de naissance non enregistrés, l’établissement d’extraits d’actes disparus, mais surtout, à régulariser la situation des personnes ayant utilisé une autre identité que la leur.
Le législateur ivoirien a voulu, par cette disposition, répondre à une urgence nationale : celle de lutter contre l’irrégularité massive de l’état civil, tout en respectant les droits fondamentaux des individus, notamment le droit à l’identité reconnu par l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant ratifiée par la Côte d’Ivoire en 1991[1]. Le mécanisme du rétablissement d’identité répond également à une exigence de fiabilisation du Registre national des personnes physiques (RNPP), instrument clé de l’identification biométrique des citoyens ivoiriens[2].
Le champ d’application de la loi couvre toute personne née sur le territoire national ivoirien et qui, pour diverses raisons, a utilisé une identité qui n’est pas la sienne, ou un acte falsifié. La loi concerne également ceux dont l’acte de naissance n’a jamais été établi ou a été détruit, perdu, ou non accessible.
II. Conditions d’ouverture de la procédure et compétence juridictionnelle
La procédure de rétablissement d’identité est accessible à toute personne remplissant les conditions susmentionnées. La requête peut être introduite par l’intéressé lui-même s’il est majeur, ou par son représentant légal s’il est mineur. Elle peut également être introduite par toute personne y ayant intérêt ou par le Procureur de la République[3][4].
La juridiction compétente est le tribunal du lieu de résidence du requérant. Le Président du tribunal, ou un magistrat délégué, statue sur la base d’une requête écrite accompagnée de toutes pièces justificatives. Il peut s’agir de certificats médicaux, de témoignages, de photographies, d’attestations scolaires ou de tout autre élément permettant d’établir la véritable identité du requérant.
Il faut souligner que la procédure est gratuite, conformément aux directives du Ministère de la Justice[5]. De plus, la loi offre une amnistie à toute personne ayant fait usage d’un faux acte ou d’un acte d’autrui dans le cadre de cette régularisation. Aucune poursuite pénale ne peut donc être engagée contre ces personnes tant que la procédure est engagée dans le délai fixé par la loi[6].
III. Effets juridiques du rétablissement d’identité
Le principal effet de la procédure est la restitution de l’identité réelle du bénéficiaire dans les registres de l’état civil. Une fois l’ordonnance de rétablissement rendue, celle-ci est transmise à l’officier de l’état civil compétent pour inscription sur les registres. La mention marginale de l’ancienne identité est également apposée, ce qui permet de conserver une trace des changements effectués.
Il est important de noter que les droits, acquis sous l’identité usurpée, sont conservés. Cela signifie que les diplômes, contrats de travail, actes de propriété, titres scolaires ou professionnels établis sous l’ancienne identité demeurent valides[7][8]. L’ordonnance permet d’établir un lien juridique entre les deux identités, garantissant ainsi la continuité de la personnalité juridique.
La loi opère donc une conciliation remarquable entre la nécessité d’exactitude de l’état civil et la protection des droits de la personne. Elle évite que le changement d’identité n’entraîne une « mort civile » ou une disqualification sociale du requérant.
IV. Limites temporelles et sanctions après délai
Initialement, la loi n° 2018-863 devait être applicable pour une durée d’un an. Toutefois, face à l’ampleur de la tâche et au nombre important de cas à traiter, le gouvernement ivoirien a prorogé le délai d’application jusqu’en 2025 par décret[9]. Passé ce délai, les personnes n’ayant pas régularisé leur situation s’exposent aux sanctions prévues par le Code pénal ivoirien, notamment en matière de faux et usage de faux en écriture publique, infraction punie de peines d’emprisonnement pouvant aller de 1 à 5 ans et d’une pouvant aller de 100 000 FCFA à 2 000 000 FCFA[10].
Le caractère exceptionnel de cette loi est donc clairement affirmé : il s’agit d’une fenêtre temporaire de régularisation, à l’issue de laquelle la rigueur du droit commun reprendra toute sa vigueur.
V. Enjeux sociaux et politiques de la régularisation de l’identité
Le rétablissement d’identité est aussi une mesure de justice sociale. En Côte d’Ivoire, de nombreux enfants n’ont pas été déclarés à la naissance, notamment dans les zones rurales, du fait de l’éloignement géographique, de la pauvreté ou de l’ignorance. Ces enfants, devenus adultes, ont été contraints d’utiliser les actes d’état civil d’autres personnes, souvent avec la complicité des familles ou de proches. Cette situation les place dans une précarité juridique constante, les privant de leurs droits civiques, sociaux et économiques.
En permettant à ces personnes de retrouver leur véritable identité sans être punies, le législateur ivoirien pose un acte de réparation, tout en assainissant les bases du système d’état civil. La procédure de rétablissement est donc aussi un outil de lutte contre la fraude identitaire à long terme.
Elle s’inscrit également dans la dynamique de l’identification unique des citoyens, conformément aux normes internationales. Le futur Registre national des personnes physiques (RNPP), fondé sur des données biométriques fiables, exige que chaque Ivoirien soit identifié une seule fois et sous sa véritable identité[11].
Conclusion
Le rétablissement d’identité en droit ivoirien est une innovation législative de grande portée. Il offre à de nombreux citoyens la possibilité de se réconcilier avec leur véritable identité, sans crainte de répression, tout en permettant à l’État d’améliorer la fiabilité de son système d’état civil. La loi n° 2018-863 constitue ainsi un véritable tournant, à la fois juridique et social, dans la gouvernance de l’identité en Côte d’Ivoire. Il importe désormais que l’information sur cette mesure exceptionnelle soit largement diffusée, et que les citoyens concernés soient accompagnés pour initier les démarches nécessaires avant l’échéance de 2025.
Pour vos besoins en la matière, veuillez contacter le Cabinet LDJ SARL : (+225) 27 23 23 21 64 / 01 52 90 45 19 / 05 96 11 90 94 / 07 05 06 67 04 (WhatsApp).
Achetez le Kit LDJ SMART PRO (+1000 Modèles de contrats, lettres, courriers…) au prix de 20500 FCFA en suivant ce lien : https://cabinetldjsarl.com/formation/kit-ldj-smart-pro-1000-modeles-de-contrats-lettres-courriers/
Me Luc KOUASSI
Juriste Consultant Bilingue | Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.
denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28
[1] Convention relative aux droits de l’enfant, art. 7, ratifiée par la Côte d’Ivoire en février 1991.
[2] Déclaration du Ministère de l’Intérieur, disponible sur le site de l’ONECI : https://www.oneci.ci.
[3] Loi n° 2018-863 du 19 novembre 2018, articles 11 & 13.
[4] https://www.gouv.ci/_actualite-article.php?recordID=12967&d=1
[5] Communiqué du Ministère de la Justice, Direction des affaires civiles et du sceau, février 2022.
[6] Loi n° 2018-863 du 19 novembre 2018, article 12, qui précise qu’aucune poursuite ne peut être engagée contre les personnes ayant fait usage d’un faux dans le cadre de cette régularisation.
[7] Cour de cassation, arrêt n° 23/2021, chambre civile, sur les effets de la reconnaissance rétroactive d’identité.
[8] Loi n° 2018-863 du 19 novembre 2018, article 15.
[9] Décret n° 2021-905 du 22 décembre 2021, prorogeant l’application de la loi n° 2018-863 jusqu’au 4 avril 2025.
[10] Code pénal ivoirien, articles 281 et suivants relatifs au faux en écriture publique et usage de faux.
[11] Projet de modernisation de l’état civil, Plan National de Développement 2021-2025 (PND), volet gouvernance administrative.