Dans la vie courante, il est de plus en plus fréquent que plusieurs personnes s’engagent ensemble envers une même partie, que ce soit pour un projet commun, un achat important, ou encore un prêt bancaire. Mais derrière cette situation en apparence simple se cache une réalité juridique beaucoup plus subtile : les personnes qui s’engagent ensemble ne sont pas toujours tenues de la même manière. Il est donc nécessaire de bien comprendre les implications juridiques d’un engagement « à plusieurs », notamment en matière de solidarité.
Prenons le cas classique d’un couple qui souhaite acheter une voiture à crédit. Pour ce faire, ils signent tous les deux un contrat de prêt avec une banque. Ils reçoivent la somme convenue, achètent le véhicule, et s’engagent à rembourser selon un échéancier déterminé. Mais que se passe-t-il si, quelque temps après, le couple se sépare et que l’un des deux disparaît dans la nature sans plus rien payer ? L’autre sera-t-il obligé d’assumer seul toute la dette, ou seulement sa part ? Voilà le type de situation concrète que nous essayerons d’expliquer.
I. Ce que prévoit la loi en cas d’engagement multiple
A. Le principe de base : chacun est responsable de sa propre part
Lorsqu’un contrat est signé par plusieurs personnes envers un même créancier (comme une banque), le droit pose un principe très clair : chacun n’est engagé que pour la part qu’il a promise, sauf mention contraire. En d’autres termes, vous n’êtes responsable que de votre propre engagement et non de celui des autres personnes qui ont signé avec vous. Cette règle permet de limiter la responsabilité de chacun au montant pour lequel il s’est engagé, ce qui est plutôt rassurant.
Ce principe est particulièrement important car il évite que l’un des co-engagés se retrouve à devoir tout payer seul si l’autre disparaît ou refuse de s’exécuter.
B. L’exception : la solidarité entre débiteurs
Il existe toutefois une exception de taille à ce principe : la solidarité. Si les parties au contrat (ou la loi) ont prévu que les co-engagés sont solidaires, alors chacun d’eux peut être tenu de payer la totalité de la dette. Cela signifie que le créancier peut se retourner contre n’importe lequel des débiteurs et lui demander l’intégralité de la somme, à charge pour ce dernier de se retourner ensuite contre les autres pour récupérer leur part.
Cette solidarité peut :
- Etre prévue expressément dans le contrat : on parle alors de solidarité conventionnelle.
- Etre imposée par la loi : on parle de solidarité légale (c’est le cas, par exemple, des époux pour les dettes ménagères).
- Résulter de la coutume, notamment en matière commerciale, comme l’a reconnu la Cour de cassation française (Com. 16 janvier 1990 – pourvoi n° 88-16265).
II. Pourquoi il faut lire attentivement les clauses de solidarité ?
La solidarité peut avoir des conséquences lourdes et parfois inattendues. Il est donc recommandé de vérifier si le contrat contient ou non une clause de solidarité. Une simple phrase peut tout changer : « Les emprunteurs sont solidairement responsables du remboursement. »
Si cette phrase figure dans le contrat, cela signifie que chaque emprunteur peut être poursuivi pour la totalité de la dette, même si un seul d’entre eux est en défaut. En revanche, en l’absence de cette clause, le créancier ne pourra réclamer à chacun que sa quote-part (moitié/moitié, ou selon les pourcentages prévus).
III. Conseil : Soyez très vigilants lors de la signature du contrat
Avant de signer un contrat à plusieurs :
- Lisez attentivement les clauses relatives à la responsabilité et à la solidarité.
- N’hésitez pas à exclure expressément la solidarité, surtout si vous n’êtes pas marié(e) ou si vous n’avez pas une situation juridique très stable avec l’autre co-signataire.
- Une simple mention du type « les parties ne sont pas tenues solidairement » suffit à vous protéger juridiquement en cas de difficulté ultérieure.
IV. Exemple – Un cas pratique : quand l’amour s’en va, mais que la dette reste
Imaginons un couple non marié, désireux d’acheter une voiture. Ils contractent ensemble un prêt bancaire de 15 000 000 FCFA pour financer l’achat. Le contrat de prêt est signé par les deux, mais ne contient aucune mention de solidarité.
Au bout de quelques mois, le couple se sépare. La jeune femme quitte brutalement le pays pour s’installer en Amérique du Sud, laissant son ancien compagnon seul face à la banque. Ce dernier continue à payer sa part des mensualités, mais la banque, estimant qu’elle n’a plus de nouvelles de l’autre emprunteur, lui adresse un courrier recommandé pour lui exiger le remboursement de l’intégralité des échéances restantes, sous menace de poursuites.
V. Commentaires : Que dit le droit dans ce cas ?
Dans cette situation, la banque tente d’imposer une solidarité qui n’a jamais été prévue par les parties. Or, selon le droit civil (aussi bien ivoirien que français), la solidarité ne se présume pas. Elle doit résulter d’une clause claire dans le contrat, ou être imposée par la loi.
On pourrait croire, à la lecture de l’article 1887 du Code civil (applicable en droit ivoirien et français), que les co-emprunteurs sont automatiquement solidaires. En effet, cet article prévoit que « si plusieurs personnes ont conjointement emprunté la même chose, ils en sont solidairement responsables envers le prêteur ».
Mais la jurisprudence est venue nuancer cette disposition : dans un arrêt important (Civ. 1re, 20 février 2001 – pourvoi n° 97-18528), la Cour de cassation a précisé que cette règle ne s’applique pas au prêt d’une somme d’argent.
Autrement dit, l’article 1887 du Code civil ne crée pas de solidarité automatique lorsqu’il s’agit d’un prêt d’argent, ce qui est le cas ici avec les 15 000 000 FCFA.
Par conséquent, la banque n’est pas en droit de réclamer l’intégralité du prêt à l’un des co-emprunteurs, sauf si cela a été prévu dans le contrat (ce qui n’est pas le cas ici). Le jeune homme ne sera donc tenu que de rembourser sa propre part de la dette.
VI. Précisions utiles
Même dans les cas où un co-emprunteur est condamné à payer toute la dette (si une clause de solidarité existe, par exemple), il peut ensuite se retourner contre l’autre débiteur pour exiger le remboursement de sa part. C’est ce qu’on appelle un recours entre codébiteurs.
VII. En résumé : ce qu’il faut retenir
- En cas d’engagement à plusieurs dans un contrat, chacun n’est en principe responsable que de sa propre part, sauf mention expresse de solidarité.
- La solidarité ne se présume jamais, sauf exceptions prévues par la loi (comme entre époux pour les dettes ménagères).
- Lorsqu’il s’agit d’un prêt d’une somme d’argent, l’article 1887 du Code civil ne s’applique pas automatiquement : il ne crée pas de solidarité sauf clause contraire.
- Avant de signer un contrat à plusieurs, vérifiez bien l’existence (ou non) d’une clause de solidarité.
- En cas de doute, n’hésitez pas à ajouter une clause excluant la solidarité pour vous prémunir contre d’éventuelles déconvenues.
VIII. Base légale de référence
- Droit ivoirien : Articles 1198 à 1200 et 1887 du Code civil
- Droit français : Articles 220, 1310 à 1313 et 1887 du Code civil
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Luc KOUASSI
Juriste Consultant Bilingue | Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.
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