Jean PIGEON et Remy SANSOUS sont amis de longue date. Ils ont de nombreux points communs et passent la plupart de leur temps à rigoler lorsqu’ils sont tous les deux. Toutefois, un trait de la personnalité de Rémy énerve Jean : Remy n’a jamais d’argent et prend l’habitude de se faire inviter à chaque fois qu’ils vont boire un verre…
Un soir, le 29 avril 2020, alors qu’ils prennent un verre à la terrasse d’un café, Remy explique à Jean qu’il a trouvé une idée de « business en ligne » à développer dans le domaine des paris sportifs. Il en est convaincu : ce projet le rendra riche. Tout ce dont il a besoin c’est d’une somme de 10 000 000 FCFA pour lancer son projet.
Jean finit par se laisser convaincre de lui prêter cette somme mais demande à son ami de lui faire une reconnaissance de dette pour officialiser ce prêt (sans intérêts). Après tout, il s’agit d’une forte somme et il ne croit pas vraiment en la capacité de remboursement de son ami…
« Aucun problème ! » lui répond Rémy qui télécharge immédiatement un modèle d’acte sous seing privé sur internet, l’imprime et le remplit à la main. Il reconnait lui devoir la somme de « dix millions » et s’engage à lui rendre cette somme au plus tard dans 3 mois mais ne prend pas le temps de noter cette somme en chiffre. Ce soir-là, un autre ami, Grégoire JAITOUVU, qui s’était joint à eux, assiste à la scène d’un air amusé.
Six mois plus tard, Jean PIGEON n’ayant plus de nouvelles de son « ami », qui ne répond plus à ses messages et appels, se rend chez lui et lui demande de lui rembourser la somme prêtée. Rémy lui répond avec étonnement « Mais tu m’as donné cette somme, je ne te dois rien ! Pars de chez moi ou j’appelle la police ! ».
Fou de rage, Jean PIGEON, qui a toujours avec lui la reconnaissance de dette, est décidé à demander en justice le remboursement de son prêt.
Peut-il prouver que Rémy SANSOUS lui doit 10 000 000 FCFA ?
Résolution
Faits : Par un acte du 29 avril 2020 un emprunteur a reconnu devoir la somme de dix millions de FCFA. Cet acte ne porte pas la mention en chiffres de la somme due.
Problème de droit : Sur qui repose la charge de la preuve ?
Solution en droit : Il faut tout d’abord déterminer sur qui pèse la charge de la preuve. En vertu de l’article 1353 alinéa 1 nouveau du Code civil français (Article 1315 du code civil en droit positif ivoirien), « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Cette solution est confirmée par l’article 9 du Code français de procédure civile qui impose au demandeur de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Solution en l’espèce : En l’espèce, Jean réclame à Rémy l’exécution de son obligation de lui restituer la somme de 10 000 000 FCFA. C’est donc à lui de prouver sa prétention.
Problème de droit : La preuve d’un acte juridique d’une valeur de 10 000 000 FCFA peut elle se faire par acte sous seing privé ?
Solution en droit : En application de l’article 1359 du Code civil français, un écrit est nécessaire pour rapporter la preuve d’un acte juridique supérieur à 1500 euros. Il peut s’agir d’un acte authentique, d’un acte sous seing privé ou d’un acte sous signature privé contresigné par un avocat.
En droit positif ivoirien, l’article 1341 alinéa 1er du code civil dispose qu’il doit être passé devant notaires ou sous signature privée, de toutes choses excédant la somme ou la valeur de cinq cents francs (500 FCFA), même dépôts volontaires ; et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre de 5000 FCFA.
Pour ce qui concerne l’acte sous seing privé, celui-ci doit respecter certaines conditions pour être valable. Ainsi, lorsque l’acte constate un engagement unilatéral (comme un acte de cautionnement), le Code civil prévoit la nécessité de comporter la mention en chiffres et en lettres du montant de la somme pour laquelle une des parties s’engage, sans que cela soit nécessairement inscrit de sa main (Code civil français, article 1376).
La Cour de cassation s’assure du respect de cette mention, notamment dans le cas d’un contrat de cautionnement et déclare nul l’engagement ne respectant pas cette formalité (Civ. 1re, 30 juin 1987, n° 85-15.760).
Toutefois, il est fait exception à l’exigence d’un écrit dans plusieurs hypothèses et notamment lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit (CPPE) c’est-à-dire un « écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué » (Code civil français, art. 1361, 1362) (article 1347 du code civil en droit positif ivoirien)
Il faut donc respecter trois
conditions :
1. Il doit s’agir d’un écrit ;
2. L’écrit doit émaner de la personne à qui on l’oppose c’est à dire du défendeur à la preuve ;
3. L’écrit invoqué doit rendre vraisemblable le fait allégué.
Une fois le CPPE établi, la partie, pour prouver l’acte juridique, doit compléter par d’autres éléments de preuve appréciés souverainement par les juges du fond comme par exemple un témoignage.
La Cour de cassation a déjà pu qualifier un cautionnement dont la mention manuscrite était incomplète de « commencement de preuve par écrit, pouvant être complété par des éléments extérieurs à l’acte » (Civ. 1re, 15 oct. 1991, n° 89-21.936). Elle a confirmé cette solution récemment (Civ. 1re, 4 juill. 2019, n° 18-10.139).
Solution en l’espèce : En l’espèce, s’agissant d’un acte juridique supérieur à 1500 euros ou 500 FCFA (respectivement en droit positif français et ivoirien), Jean doit prouver par écrit la reconnaissance de dette.
S’agissant d’un acte sous seing privé celui-ci aurait dû comporter la mention de la somme due en chiffres et en lettres ce qui n’est pas le cas de sorte que le cautionnement est nul.
Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l’acte pourra valoir « commencement de preuve par écrit » à condition de respecter les trois conditions du commencement de preuve par écrit ce qui semble être le cas puisqu’il s’agit d’un écrit qui émane de la personne à qui on l’oppose, en l’occurrence Rémy, qui est le défendeur à la preuve et cet écrit rend vraisemblable le fait allégué.
Mais pour prouver la reconnaissance de dette, ce commencement de preuve par écrit doit être complété par des éléments extrinsèques. En l’espèce, Jean pourra demander à Grégoire JAITOUVU, qui a assisté à la scène de témoigner en sa faveur.
Conclusion : Jean PIGEON devrait réussir à prouver en justice la reconnaissance de dette et obtenir satisfaction devant un juge.