𝐒igner son premier contrat de travail : 𝐔n guide dĂ©taillĂ©

Signer son premier contrat de travail est une Ă©tape dĂ©terminante dans la vie professionnelle et mĂȘme si vous ĂȘtes sous l’euphorie, il est essentiel de bien comprendre les diffĂ©rentes clauses et conditions pour Ă©viter les mauvaises surprises et s’assurer que vos droits sont protĂ©gĂ©s. Alors voici un guide dĂ©taillĂ© pour vous aider Ă  naviguer dans cette dĂ©marche.

Tout d’abord, identifiez le type de contrat que vous allez signer. Il existe principalement deux types de contrats de travail :

  • đ‚đšđ§đ­đ«đšđ­ đšÌ€ đƒđźđ«đžÌđž đˆđ§đđžÌđ­đžđ«đŠđąđ§đžÌđž (𝐂𝐃𝐈) : Ce type de contrat n’a pas de date de fin dĂ©finie, offrant ainsi une sĂ©curitĂ© de l’emploi Ă  long terme. Il peut ĂȘtre rompu par l’employeur ou par vous-mĂȘme, avec un prĂ©avis.
  • đ‚đšđ§đ­đ«đšđ­ đšÌ€ đƒđźđ«đžÌđž đƒđžÌđ­đžđ«đŠđąđ§đžÌđž (𝐂𝐃𝐃) : Ce contrat a une durĂ©e fixe, avec une date de dĂ©but et une date de fin prĂ©cises. Il peut ĂȘtre renouvelĂ©, mais ne doit pas dĂ©passer un certain nombre de renouvellemt au total, sauf exceptions. Assurez-vous de comprendre la raison de l’utilisation d’un CDD et les conditions de renouvellement.

La description du poste est un Ă©lĂ©ment crucial du contrat. Elle doit dĂ©tailler clairement vos fonctions et responsabilitĂ©s. Assurez-vous que cette description correspond Ă  ce que vous avez discutĂ© lors de l’entretien. Cela vous Ă©vitera de mauvaises surprises en dĂ©couvrant des tĂąches qui n’ont pas Ă©tĂ© mentionnĂ©es.

  • 𝐋𝐱𝐞𝐼 𝐝𝐞 đ“đ«đšđŻđšđąđ„ : VĂ©rifiez l’adresse de votre lieu de travail. Des clauses de mobilitĂ© peuvent exister, vous obligeant Ă  travailler dans diffĂ©rents endroits. Assurez-vous de comprendre ces clauses et de les accepter.

Votre contrat doit préciser votre salaire. Voici quelques points à vérifier :

  • đ’đšđ„đšđąđ«đž đ›đ«đźđ­ 𝐞𝐭 𝐧𝐞𝐭 : Le salaire brut est celui avant les dĂ©ductions (impĂŽts, cotisations sociales). Le salaire net est ce que vous recevrez sur votre compte. Assurez-vous de comprendre la diffĂ©rence entre les deux et de vĂ©rifier si le salaire proposĂ© correspond Ă  vos attentes.
  • đđ«đąđŠđžđŹ 𝐞𝐭 𝐛𝐹𝐧𝐼𝐬 : Certaines entreprises offrent des primes de performance, de prĂ©sence, ou des bonus annuels. VĂ©rifiez les conditions d’attribution de ces primes.
  • 𝐀𝐯𝐚𝐧𝐭𝐚𝐠𝐞𝐬 𝐞𝐧 đ§đšđ­đźđ«đž : Ces avantages peuvent inclure des tickets-restaurant, une voiture de fonction, une mutuelle d’entreprise, ou des frais de dĂ©placement. Assurez-vous que ces avantages sont clairement indiquĂ©s dans le contrat.

Le contrat doit stipuler le nombre d’heures de travail par semaine et vos horaires.

  • đ‡đžđźđ«đžđŹ 𝐝𝐞 đ­đ«đšđŻđšđąđ„ : VĂ©rifiez si vous ĂȘtes Ă  temps plein ou Ă  temps partiel. Assurez-vous que les horaires sont compatibles avec vos obligations personnelles.
  • đ‡đžđźđ«đžđŹ đŹđźđ©đ©đ„đžÌđŠđžđ§đ­đšđąđ«đžđŹ : Informez-vous sur la politique de l’entreprise concernant les heures supplĂ©mentaires et leur rĂ©munĂ©ration. Elles doivent ĂȘtre payĂ©es Ă  un taux majorĂ© ou compensĂ©es par des repos.

La pĂ©riode d’essai permet Ă  l’employeur de tester vos compĂ©tences et Ă  vous de voir si le poste vous convient. Elle peut ĂȘtre renouvelĂ©e une fois.

  • đƒđźđ«đžÌđž : La durĂ©e de la pĂ©riode d’essai varie selon le type de contrat et le poste. En gĂ©nĂ©ral, elle est de deux mois pour les employĂ©s, trois mois pour les agents de maĂźtrise et les techniciens, et quatre mois pour les cadres.
  • 𝐂𝐹𝐧𝐝𝐱𝐭𝐱𝐹𝐧𝐬 𝐝𝐞 đ«đźđ©đ­đźđ«đž : Durant cette pĂ©riode, l’employeur ou vous-mĂȘme pouvez mettre fin au contrat plus facilement, avec un prĂ©avis rĂ©duit.

Les congés sont un droit important. Votre contrat doit préciser les conditions de prise de congés payés.

  • đ‚đšđ§đ đžÌđŹ đ©đšđČđžÌđŹ : Vous avez droit Ă  un minimum de congĂ©s payĂ©s par an. VĂ©rifiez si votre contrat prĂ©voit des jours supplĂ©mentaires.
  • đ‰đšđźđ«đŹ 𝐝𝐞 𝐑𝐓𝐓 : Si vous travaillez plus d’heures par semaine que la durĂ©e lĂ©gale, vous pouvez avoir des jours de rĂ©duction du temps de travail (RTT). Assurez-vous de comprendre comment ils sont attribuĂ©s et utilisĂ©s.

Certains contrats peuvent contenir des clauses spécifiques qui méritent votre attention :

  • đ‚đ„đšđźđŹđž 𝐝𝐞 𝐧𝐹𝐧-đœđšđ§đœđźđ«đ«đžđ§đœđž : Cette clause peut vous interdire de travailler pour un concurrent aprĂšs votre dĂ©part de l’entreprise, pendant une certaine pĂ©riode et dans une zone gĂ©ographique dĂ©terminĂ©e. Assurez-vous qu’elle est justifiĂ©e et proportionnelle.
  • đ‚đ„đšđźđŹđž 𝐝𝐞 đœđšđ§đŸđąđđžđ§đ­đąđšđ„đąđ­đžÌ : Elle vous oblige Ă  ne pas divulguer des informations sensibles sur l’entreprise. Cette clause est courante et vise Ă  protĂ©ger les intĂ©rĂȘts de l’employeur.

En cas de démission ou de licenciement, la durée de préavis à respecter est souvent précisée dans le contrat.

  • đƒđźđ«đžÌđž 𝐝𝐼 đ©đ«đžÌđšđŻđąđŹ : La durĂ©e du prĂ©avis varie selon l’anciennetĂ© et le type de poste. Assurez-vous de connaĂźtre cette durĂ©e pour pouvoir bien planifier votre dĂ©part le cas Ă©chĂ©ant.

Informez-vous sur les opportunitĂ©s de formation et d’évolution de carriĂšre au sein de l’entreprise.

  • đŽđ©đ©đšđ«đ­đźđ§đąđ­đžÌđŹ 𝐝𝐞 đŸđšđ«đŠđšđ­đąđšđ§ : Les entreprises offrent souvent des formations pour dĂ©velopper vos compĂ©tences. VĂ©rifiez si le contrat ou l’employeur propose des formations spĂ©cifiques.
  • đ„ÌđŻđšđ„đźđ­đąđšđ§ 𝐝𝐞 đœđšđ«đ«đąđžÌ€đ«đž : Demandez quelles sont les possibilitĂ©s d’évolution au sein de l’entreprise. Un plan de carriĂšre clair peut ĂȘtre un atout important pour votre dĂ©veloppement professionnel.

Enfin, avant de signer, assurez-vous que toutes les informations pratiques sont correctes :

  • đ‚đšđšđ«đđšđ§đ§đžÌđžđŹ : VĂ©rifiez que vos coordonnĂ©es et celles de l’employeur sont correctes.
  • đ’đąđ đ§đšđ­đźđ«đž : Ne signez le contrat que lorsque vous ĂȘtes sĂ»r d’avoir bien compris et acceptĂ© toutes les conditions. Prenez le temps de relire le document, et si besoin, demandez conseil Ă  un professionnel, comme un juriste ou un conseiller en ressources humaines.

Ainsi, signer un contrat de travail est-il un acte engageant. Prenez le temps de bien comprendre chaque clause pour ĂȘtre sĂ»r que le poste correspond Ă  vos attentes et que vos droits sont protĂ©gĂ©s. Ne laissez aucun point sans rĂ©ponse et n’hĂ©sitez pas Ă  poser des questions avant de signer.

Pour tout complĂ©ment d’informations, n’hĂ©sitez pas Ă  me contacter.

Pour toute assistance en la matiÚre, veuillez nous contacter par appel  (+225) 27 23 23 21 64 ou par WhatsApp via ce lien :  https://wa.me/message/VYDJGQP5VMVJL1 

Par Luc KOUASSI

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Le financement par des tiers en arbitrage

Le financement par des tiers (Third Party Funding, TPF) s’impose progressivement comme un mĂ©canisme incontournable dans l’arbitrage international contemporain. Cette pratique, par laquelle un tiers extĂ©rieur au litige finance tout ou partie des frais d’une procĂ©dure arbitrale en Ă©change d’une quote-part des gains Ă©ventuels, soulĂšve des questions juridiques, dĂ©ontologiques et procĂ©durales fondamentales. À travers une analyse systĂ©matique des cadres juridiques nationaux et internationaux, des directives des institutions arbitrales et de la jurisprudence rĂ©cente, cet article examine les tensions entre l’accĂšs Ă  la justice arbitrale et la prĂ©servation de l’intĂ©gritĂ© du processus. L’Ă©tude dĂ©montre que le TPF, bien que juridiquement lĂ©gitime et Ă©conomiquement bĂ©nĂ©fique, nĂ©cessite un encadrement normatif rigoureux en matiĂšre de divulgation, de prĂ©vention des conflits d’intĂ©rĂȘts et de protection des parties adverses pour garantir l’Ă©quilibre entre innovation financiĂšre et justice procĂ©durale.

Mots-clĂ©s : financement par des tiers, arbitrage international, dĂ©ontologie, conflits d’intĂ©rĂȘts, divulgation.

Third-party funding (Third Party Funding, TPF) is progressively establishing itself as an indispensable mechanism in contemporary international arbitration. This practice, whereby a third party external to the dispute finances all or part of the costs of an arbitral proceeding in exchange for a share of any potential proceeds, raises fundamental legal, ethical, and procedural questions. Through a systematic analysis of national and international legal frameworks, arbitral institutions’ guidelines, and recent case law, this article examines the tensions between access to arbitral justice and the preservation of the process’s integrity. The study demonstrates that while TPF is legally legitimate and economically beneficial, it requires rigorous normative regulation regarding disclosure, prevention of conflicts of interest, and protection of adverse parties to ensure a balance between financial innovation and procedural justice.

Keywords: third-party funding, international arbitration, ethics, conflicts of interest, disclosure.

L’arbitrage international a connu au cours des derniĂšres dĂ©cennies une expansion sans prĂ©cĂ©dent, s’affirmant comme le mode privilĂ©giĂ© de rĂšglement des diffĂ©rends commerciaux transnationaux et des litiges d’investissement[1]. Cette croissance s’accompagne toutefois d’une augmentation substantielle des coĂ»ts procĂ©duraux, qui peuvent atteindre plusieurs millions d’euros dans les affaires complexes, constituant ainsi un obstacle majeur Ă  l’accĂšs Ă  la justice pour de nombreux justiciables[2].

Dans ce contexte Ă©conomique contraignant, le financement par des tiers (Third Party Funding, ci-aprĂšs « TPF ») Ă©merge comme une rĂ©ponse innovante aux dĂ©fis financiers de l’arbitrage contemporain. Cette pratique consiste pour une entitĂ© tierce, sans lien prĂ©existant avec le litige, Ă  prendre en charge tout ou partie des frais nĂ©cessaires Ă  une procĂ©dure arbitrale en Ă©change d’une quote-part du montant allouĂ© par la sentence ou d’un multiple du capital investi[3].

Le financement par des tiers peut ĂȘtre dĂ©fini comme un mĂ©canisme contractuel par lequel une entitĂ© tierce, sans lien prĂ©existant avec le litige, accepte de prendre en charge la totalitĂ© ou une fraction des frais nĂ©cessaires Ă  une procĂ©dure d’arbitrage. En contrepartie de cet investissement, le tiers financeur perçoit gĂ©nĂ©ralement un pourcentage du montant allouĂ© par la sentence arbitrale ou un multiple du capital investi, selon les modalitĂ©s convenues contractuellement.

Cette opĂ©ration revĂȘt une nature juridique complexe. Selon le rapport du Club des juristes de 2014, le contrat de financement doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un contrat composite ou sui generis, associant diverses prestations relevant potentiellement du contrat d’entreprise, du mandat, de la cession de crĂ©ance ou encore du contrat alĂ©atoire. Cette qualification hybride explique l’absence de rĂ©gime juridique spĂ©cifique dans la plupart des ordres juridiques nationaux.

Il convient de distinguer le TPF d’autres mĂ©canismes de financement du contentieux. Contrairement au pacte de quota litis, traditionnellement prohibĂ© dans les systĂšmes de droit civil, le TPF n’établit pas une rĂ©munĂ©ration de l’avocat proportionnelle au rĂ©sultat. De mĂȘme, il se diffĂ©rencie de l’assurance de protection juridique par sa nature spĂ©culative et son intervention ex post plutĂŽt que prĂ©ventive.

NĂ© en Australie dans les annĂ©es 1980 avant de se diffuser dans les pays de common law, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, le TPF connaĂźt aujourd’hui une expansion mondiale qui interpelle les systĂšmes juridiques de tradition civiliste, y compris dans l’espace OHADA[4]. La rencontre entre le monde de la finance et celui de la justice soulĂšve des interrogations fondamentales touchant Ă  l’Ă©thique professionnelle, Ă  l’intĂ©gritĂ© du processus arbitral, Ă  l’indĂ©pendance des arbitres et des avocats, ainsi qu’Ă  l’Ă©quilibre des droits des parties[5].

L’étude du financement par des tiers en arbitrage revĂȘt une importance majeure Ă  plusieurs Ă©gards. Sur le plan Ă©conomique, le TPF contribue Ă  faciliter l’accĂšs Ă  la justice arbitrale pour des justiciables qui, sans cette ressource, ne pourraient assumer les coĂ»ts prohibitifs d’une procĂ©dure internationale. Il permet Ă©galement une meilleure rĂ©partition des risques financiers et offre aux parties une flexibilitĂ© dans la gestion de leur trĂ©sorerie.

D’un point de vue institutionnel, le TPF interroge les fondements mĂȘmes de l’arbitrage : son caractĂšre confidentiel, l’indĂ©pendance et l’impartialitĂ© des arbitres, l’autonomie de la volontĂ© des parties. La prĂ©sence d’un acteur Ă©conomique motivĂ© par la recherche de profit au sein d’un processus juridictionnel soulĂšve des questions Ă©thiques et dĂ©ontologiques inĂ©dites.

Pour la profession d’avocat, le TPF constitue Ă  la fois une opportunitĂ© et un dĂ©fi. S’il offre de nouvelles possibilitĂ©s de financement pour leurs clients, il impose Ă©galement une vigilance accrue dans la prĂ©servation du secret professionnel, de l’indĂ©pendance du conseil et de la loyautĂ© envers le client.

Enfin, dans le contexte spĂ©cifique du rĂšglement des diffĂ©rends entre investisseurs et États (RDIE), le TPF cristallise des tensions particuliĂšres. Comme le souligne le document de travail de la CNUDCI de 2019, le fait que seuls les investisseurs privĂ©s, et non les États dĂ©fendeurs, bĂ©nĂ©ficient du financement par des tiers crĂ©e un dĂ©sĂ©quilibre structurel qui alimente les critiques Ă  l’égard du systĂšme RDIE dans son ensemble.

La problĂ©matique centrale de cette Ă©tude peut ĂȘtre formulĂ©e ainsi : dans quelle mesure le financement par des tiers en arbitrage international peut-il concilier l’amĂ©lioration de l’accĂšs Ă  la justice avec la prĂ©servation de l’intĂ©gritĂ© du processus arbitral et le respect des principes dĂ©ontologiques fondamentaux ?

Cette question gĂ©nĂ©rale se dĂ©cline en plusieurs interrogations subsidiaires : Comment garantir l’indĂ©pendance des arbitres et des avocats en prĂ©sence d’un financeur tiers ? Quel Ă©quilibre trouver entre la confidentialitĂ© inhĂ©rente Ă  l’arbitrage et l’exigence de transparence nĂ©cessaire Ă  la prĂ©vention des conflits d’intĂ©rĂȘts ? Quelles rĂ©gulations, nationales ou internationales, sont nĂ©cessaires pour encadrer cette pratique ? Comment protĂ©ger les intĂ©rĂȘts de la partie adverse face Ă  un demandeur financĂ© par un tiers ?

L’hypothĂšse directrice de cette recherche postule que le financement par des tiers constitue un mĂ©canisme juridiquement et Ă©conomiquement lĂ©gitime qui contribue positivement Ă  l’accĂšs Ă  la justice arbitrale, Ă  condition qu’un cadre normatif appropriĂ© soit Ă©tabli pour prĂ©venir les dĂ©rives potentielles et garantir l’Ă©quilibre des intĂ©rĂȘts en prĂ©sence[6].

Cette Ă©tude adopte une approche juridique comparative et pluridisciplinaire, combinant l’analyse doctrinale, l’examen de la jurisprudence arbitrale internationale et l’Ă©tude des instruments normatifs rĂ©cents (Lignes directrices IBA 2024[7], RĂšglement ICC 2021[8], RĂšglement d’arbitrage ICSID rĂ©visĂ© en 2022[9], travaux de la CNUDCI[10]).

L’analyse s’articulera en deux parties. La premiĂšre partie examine les fondements juridiques et les enjeux dĂ©ontologiques du financement par des tiers, en analysant successivement sa nature juridique et sa validitĂ© (I.A), puis les dĂ©fis Ă©thiques qu’il soulĂšve pour les acteurs de l’arbitrage (I.B). La seconde partie Ă©tudie les consĂ©quences procĂ©durales et les perspectives rĂ©glementaires, en examinant l’impact du TPF sur le dĂ©roulement et le coĂ»t des procĂ©dures arbitrales (II.A), avant d’explorer les diffĂ©rentes voies d’encadrement normatif envisageables (II.B).

Le financement par des tiers constitue une innovation majeure dont la lĂ©gitimitĂ© juridique et l’acceptabilitĂ© Ă©thique demeurent dĂ©battues. Cette premiĂšre partie examine les fondements juridiques de cette pratique et les conditions de sa validitĂ© dans diffĂ©rents systĂšmes juridiques (I.A), avant d’analyser les dĂ©fis dĂ©ontologiques qu’elle pose aux principaux acteurs de l’arbitrage (I.B).

L’irruption du Third Party Funding (TPF) dans le contentieux a posĂ©, dĂšs ses dĂ©buts, une question de principe : celle de sa compatibilitĂ© avec les systĂšmes juridiques. Pour y rĂ©pondre, il est nĂ©cessaire, d’une part, de dĂ©finir sa nature contractuelle et, d’autre part, d’Ă©valuer sa licĂ©itĂ© au regard des interdictions historiques, avant de considĂ©rer les solutions normatives proposĂ©es pour stabiliser sa pratique. Nous Ă©tudierons ainsi successivement :

  • La qualification juridique : un contrat sui generis, qui rĂ©vĂšle la complexitĂ© de l’opĂ©ration et l’absence de rĂ©gime spĂ©cifique.
  • La licĂ©itĂ© au regard des prohibitions historiques : champerty et quota litis, qui expose la confrontation entre modernitĂ© financiĂšre et tradition judiciaire.
  • La sĂ©curisation juridique et les perspectives d’évolution normative, qui souligne la nĂ©cessitĂ© d’un encadrement pour pĂ©renniser l’outil.

Le contrat de financement par des tiers Ă©chappe aux catĂ©gories contractuelles traditionnelles et doit ĂȘtre apprĂ©hendĂ© comme un contrat composite ou sui generis, combinant plusieurs prestations de nature distincte[11].

Selon l’analyse dĂ©veloppĂ©e par le Club des juristes français en 2014, le contrat de TPF associe des Ă©lĂ©ments relevant de plusieurs contrats nommĂ©s : le contrat d’entreprise (fourniture d’une prestation de financement), le mandat (gestion d’intĂ©rĂȘts), la cession de crĂ©ance (transfert partiel des droits rĂ©sultant d’une Ă©ventuelle sentence favorable), et le contrat alĂ©atoire (rĂ©munĂ©ration conditionnĂ©e au succĂšs de la procĂ©dure)[12]. Cette nature hybride explique l’absence de rĂ©gime juridique spĂ©cifique dans la plupart des ordres juridiques.

En droit français, conformĂ©ment au principe de libertĂ© contractuelle consacrĂ© par l’article 1102 du Code civil, les parties sont libres de concevoir un rĂ©gime contractuel cohĂ©rent Ă  partir de rĂ©gimes fractionnĂ©s de divers contrats spĂ©ciaux[13]. Cette libertĂ© trouve toutefois ses limites dans le respect de l’ordre public et des bonnes mƓurs. Le caractĂšre sui generis du contrat de TPF offre une flexibilitĂ© contractuelle apprĂ©ciable mais gĂ©nĂšre Ă©galement une incertitude juridique quant au rĂ©gime applicable en cas de litige relatif au contrat lui-mĂȘme[14].

Dans l’espace OHADA, l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage de 2017[15] ne contient aucune disposition explicite relative au financement par des tiers, laissant ainsi un vide juridique que la pratique arbitrale et la doctrine doivent combler par interprĂ©tation des principes gĂ©nĂ©raux.

En dĂ©finitive, la qualification du financement par des tiers comme un contrat sui generis est un reflet de son caractĂšre composite, mĂȘlant financement, gestion d’intĂ©rĂȘts et alĂ©a. Si cette qualification garantit aux parties une large libertĂ© contractuelle en droit français (art. 1102 C. civ.) et dans l’espace OHADA, elle est aussi la source d’une incertitude normative majeure. L’absence de rĂ©gime spĂ©cifique impose de naviguer entre les rĂšgles des contrats nommĂ©s, soulevant la question fondamentale de sa validitĂ© au regard des interdictions historiques visant Ă  prĂ©server l’intĂ©gritĂ© du procĂšs.

C’est prĂ©cisĂ©ment cette nature hybride et l’implication d’un tiers intĂ©ressĂ© au succĂšs du litige qui amĂšnent Ă  confronter le TPF aux prohibitions historiques de l’interventionnisme pĂ©cuniaire dans le procĂšs, notamment celles du champerty dans la common law et du quota litis en droit civil.

La licéité du financement par des tiers suppose de dépasser les prohibitions historiques du champerty (droit anglo-saxon) et du pacte de quota litis (droit civil), en démontrant que le TPF ne tombe pas sous le coup de ces interdictions[16].

Le champerty dĂ©signe historiquement un accord illĂ©gal oĂč un tiers finance un procĂšs en Ă©change d’une part des gains obtenus, motivĂ© uniquement par le profit sans intĂ©rĂȘt lĂ©gitime dans l’affaire. Forme aggravĂ©e de « maintenance » (soutien injustifiĂ© Ă  un procĂšs), le champerty Ă©tait condamnĂ© car il incitait Ă  la subversion de la justice[17]. Cette doctrine, issue de la common law mĂ©diĂ©vale, a Ă©tĂ© progressivement abolie ou assouplie dans de nombreuses juridictions.

Au Royaume-Uni, la dĂ©cision historique Factortame Ltd v. Secretary of State for Transport (1991) a marquĂ© un tournant en admettant la lĂ©gitimitĂ© du financement par des tiers dans certaines circonstances[18]. À Singapour, la Civil Law (Amendment) Act 2017 et les Civil Law (Third-Party Funding) Regulations 2017 ont explicitement lĂ©galisĂ© et rĂ©glementĂ© le TPF en matiĂšre d’arbitrage international[19]. Hong Kong a suivi une voie similaire avec l’Arbitration and Mediation Legislation (Third Party Funding) (Amendment) Ordinance 2017[20].

Le pacte de quota litis, prohibĂ© en droit français et dans de nombreux systĂšmes civilistes, dĂ©signe une convention interdite oĂč les honoraires d’un avocat dĂ©pendent exclusivement du rĂ©sultat financier obtenu pour son client, sans honoraire de base[21]. Cette prohibition vise Ă  prĂ©server l’indĂ©pendance de l’avocat et Ă  Ă©viter qu’il ne soit trop intĂ©ressĂ© par le gain au dĂ©triment de l’intĂ©rĂȘt du client.

Le rapport du Club des juristes de 2014 considĂšre que le financement par des tiers, tel qu’il se pratique en arbitrage international, ne constitue pas un pacte de quota litis prohibĂ©[22]. En effet, le pacte de quota litis concerne la rĂ©munĂ©ration de l’avocat proportionnelle au rĂ©sultat du litige, tandis que le TPF implique un tiers distinct qui n’exerce pas la profession d’avocat et ne se substitue pas Ă  celui-ci. Le financeur ne fournit pas de services juridiques mais un financement, ce qui le place en dehors du champ d’application de la prohibition.

DDe plus, l’activitĂ© de financement de procĂšs ne constitue pas une opĂ©ration de crĂ©dit au sens du Code monĂ©taire et financier français, et n’entre donc pas dans le champ du monopole bancaire[23]. Le caractĂšre alĂ©atoire de la rĂ©munĂ©ration du financeur (conditionnĂ©e au succĂšs) et l’absence de remboursement en cas d’Ă©chec distinguent fondamentalement le TPF du prĂȘt bancaire traditionnel. La confrontation du financement par des tiers avec les interdictions de la champerty et du quota litis rĂ©vĂšle une tendance claire vers la lĂ©galisation de la pratique, sous rĂ©serve d’un encadrement. Alors que les juridictions de common law ont largement assoupli l’interdiction de l’implication d’un tiers dans le contentieux, le droit civil a maintenu une mĂ©fiance Ă  l’Ă©gard de la rĂ©munĂ©ration excessivement liĂ©e au rĂ©sultat (quota litis). La licĂ©itĂ© du TPF repose donc sur un Ă©quilibre dĂ©licat : il est dĂ©sormais admis en tant que technique de financement, mais son mĂ©canisme contractuel (notamment la rĂ©munĂ©ration du funder) doit ĂȘtre scrupuleusement vĂ©rifiĂ© pour Ă©viter la fraude Ă  la loi ou le trouble Ă  l’ordre public processuel.

Si l’esprit des interdictions historiques tend Ă  s’estomper face Ă  la reconnaissance de l’utilitĂ© du TPF, sa consĂ©cration pleine et entiĂšre exige de dĂ©passer l’empirisme jurisprudentiel. C’est pourquoi, face Ă  l’incertitude juridique persistante dans de nombreuses juridictions, une clarification lĂ©gislative ou rĂ©glementaire apparaĂźt nĂ©cessaire pour sĂ©curiser la pratique du financement par des tiers et en dĂ©finir les contours prĂ©cis.

Face Ă  l’incertitude juridique persistante dans de nombreuses juridictions, une clarification lĂ©gislative ou rĂ©glementaire apparaĂźt nĂ©cessaire pour sĂ©curiser la pratique du financement par des tiers[24].

Le rapport du Club des juristes recommande une intervention du lĂ©gislateur français pour exclure expressĂ©ment du champ du monopole bancaire les sociĂ©tĂ©s de financement de procĂšs, afin de renforcer la sĂ©curitĂ© juridique[25]. L’absence de rĂ©glementation spĂ©cifique dans des juridictions majeures comme la France contraste avec l’approche adoptĂ©e par Singapour et Hong Kong, crĂ©ant un risque de fragmentation du marchĂ© international du financement de l’arbitrage.

Dans l’espace OHADA, l’absence de dispositions spĂ©cifiques dans l’Acte uniforme de 2017 relatif au droit de l’arbitrage[26] appelle une clarification, soit par voie de rĂ©vision de l’Acte uniforme, soit par l’adoption de directives par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), afin d’harmoniser les pratiques dans les dix-sept États membres.

La nĂ©cessitĂ© d’une intervention normative pour la sĂ©curisation du TPF est aujourd’hui une Ă©vidence. L’évolution passe par l’adoption de rĂšgles spĂ©cifiques relatives, notamment, Ă  la transparence, aux conflits d’intĂ©rĂȘts et aux exigences prudentielles. L’expĂ©rience de la Common Law, notamment le dĂ©veloppement de codes de conduite et l’initiative de l’OHADA de 2017 sur l’arbitrage, indique la voie d’un encadrement pragmatique. À dĂ©faut d’un rĂ©gime juridique autonome, la pratique du TPF continuera d’opĂ©rer dans un vide normatif qui expose les parties et le processus arbitral Ă  des risques d’instabilitĂ©, faisant de la transparence l’enjeu central de l’évolution du droit. Si le financement par des tiers a su s’affranchir des interdits historiques grĂące Ă  sa qualification de contrat sui generis et malgrĂ© l’absence d’un rĂ©gime unifiĂ©, son dĂ©veloppement soutenu et sa complexitĂ© exigent que son rĂŽle ne soit plus seulement considĂ©rĂ© sous l’angle de sa validitĂ©. L’analyse doit dĂ©sormais se dĂ©placer de la licĂ©itĂ© Ă  l’utilitĂ© du TPF.

C’est pourquoi il est impĂ©ratif d’examiner dans quelle mesure cette technique financiĂšre, initialement perçue comme un risque pour l’intĂ©gritĂ© du procĂšs, peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un vecteur d’amĂ©lioration de l’accĂšs Ă  la justice et, in fine, un outil de bonne administration de la justice.

La reconnaissance de la validitĂ© du financement par des tiers (TPF) et sa montĂ©e en puissance ont mis en lumiĂšre une sĂ©rie de dĂ©fis Ă©thiques et dĂ©ontologiques qui menacent l’intĂ©gritĂ© de la procĂ©dure arbitrale et la confiance dans ses acteurs. L’introduction d’un tiers intĂ©ressĂ© rompt l’équilibre traditionnel de la relation avocat-client-juge, imposant de revoir les rĂšgles fondamentales de dĂ©ontologie. Nous analyserons comment le TPF met Ă  l’épreuve :

  • L’indĂ©pendance de l’avocat face au tiers financeur, pilier de la relation de confiance et de la dĂ©fense du client.
  • Le secret professionnel et la confidentialitĂ© de l’arbitrage, principes garants de la sĂ©curitĂ© et de la discrĂ©tion de la procĂ©dure.
  • L’IndĂ©pendance et l’impartialitĂ© des arbitres : la question des conflits d’intĂ©rĂȘts, enjeu crucial pour l’exequatur des sentences.

L’intervention d’un tiers financeur dans une procĂ©dure arbitrale menace potentiellement l’indĂ©pendance de l’avocat, principe cardinal de la dĂ©ontologie juridique, en crĂ©ant une relation triangulaire complexe entre le conseil, son client et le financeur[27].

Selon les principes dĂ©ontologiques fondamentaux, l’avocat doit exercer sa mission en toute indĂ©pendance, libre de toute pression extĂ©rieure et exclusivement guidĂ© par l’intĂ©rĂȘt de son client. Le Barreau de Paris, dans son rapport de fĂ©vrier 2017, rĂ©affirme avec force que « l’avocat reste tenu par ses obligations d’assistance, de reprĂ©sentation, de conseil et de loyautĂ© Ă  l’Ă©gard de la partie financĂ©e, qui demeure son seul client »[28].

Cette exigence d’indĂ©pendance se heurte Ă  la rĂ©alitĂ© Ă©conomique du TPF : le financeur, qui supporte le risque financier de la procĂ©dure et qui rĂ©munĂšre parfois directement l’avocat, peut ĂȘtre tentĂ© d’exercer une influence sur la conduite du litige, notamment en matiĂšre de stratĂ©gie procĂ©durale, de choix des experts ou de nĂ©gociation d’un Ă©ventuel rĂšglement amiable[29].

L’Ordre des Barreaux Flamands, dans ses recommandations de 2023, va plus loin en prohibant explicitement toute reprĂ©sentation simultanĂ©e du financeur et du justiciable par le mĂȘme avocat : « L’avocat ne peut agir simultanĂ©ment pour le financeur et pour le justiciable, sans prĂ©judice de l’article 6 du Code de dĂ©ontologie des avocats (interdiction des conflits d’intĂ©rĂȘts) »[30]. Cette prohibition vise Ă  Ă©viter que l’avocat ne se trouve dans une situation de conflit d’intĂ©rĂȘts structurel.

Pour prĂ©server l’indĂ©pendance de l’avocat, le Barreau de Paris recommande d’Ă©tablir, dĂšs l’origine de la relation tripartite, « des modalitĂ©s pratiques, claires et prĂ©cises, sur la conduite de la procĂ©dure », prĂ©cisant notamment les limites de l’information et de la consultation du financeur, tout en rĂ©servant au client le pouvoir de dĂ©cision final sur les questions stratĂ©giques essentielles[31]. L’indĂ©pendance de l’avocat est prĂ©servĂ©e Ă  la condition que la primautĂ© des intĂ©rĂȘts du client soit expressĂ©ment maintenue et que le pouvoir de dĂ©cision finale lui soit toujours rĂ©servĂ©. Si les ordres professionnels cherchent Ă  encadrer la relation triangulaire, ils doivent Ă©galement s’assurer que la communication nĂ©cessaire Ă  la gestion du financement ne porte pas atteinte Ă  une autre obligation fondamentale de l’avocat : la garde du secret professionnel. En effet, l’accĂšs du financeur aux informations sensibles de l’affaire pose immĂ©diatement la question de la compatibilitĂ© du TPF avec le secret professionnel de l’avocat et le caractĂšre confidentiel de l’arbitrage, deux principes essentiels Ă  la sĂ©curitĂ© des Ă©changes.

Le financement par des tiers entre en tension avec deux principes essentiels : le secret professionnel de l’avocat et la confidentialitĂ© inhĂ©rente Ă  la procĂ©dure arbitrale[32].

Le secret professionnel constitue un principe fondamental de la profession d’avocat, protĂ©geant les communications entre le conseil et son client contre toute divulgation Ă  des tiers. Or, le fonctionnement pratique du TPF implique gĂ©nĂ©ralement que le financeur accĂšde Ă  des informations sensibles sur le litige pour Ă©valuer la viabilitĂ© du financement (due diligence), puis pour suivre l’Ă©volution de la procĂ©dure[33].

Comme l’analyse le document de la CNUDCI de 2019, « les tiers financeurs ne sont pas nĂ©cessairement liĂ©s par des obligations de confidentialitĂ©, et rien ne leur interdit d’utiliser les informations qui leur sont transmises dans le cadre d’un autre litige faisant l’objet d’un financement »[34]. Cette situation pose un risque sĂ©rieux de dissĂ©mination d’informations confidentielles.

Le Barreau de Paris adopte une position stricte : « en principe, l’avocat de la partie financĂ©e ne peut communiquer directement avec le tiers financeur, quelles que soient les dispositions du contrat de financement
 La divulgation au tiers financeur des informations
 ne peut donc Ă©maner que du client »[35]. Cette recommandation Ă©tablit une sĂ©paration claire entre l’avocat et le financeur, le client jouant le rĂŽle de filtre.

L’Ordre des Barreaux Flamands confirme cette approche : « L’avocat est tenu au secret professionnel. Il ne transmet aucune information au financier sans l’accord prĂ©alable du client. 
 MĂȘme dans ce cas, l’avocat ne fournira que les informations nĂ©cessaires Ă  la sauvegarde des intĂ©rĂȘts du client »[36].

Au-delĂ  du secret professionnel de l’avocat, la confidentialitĂ© de l’arbitrage lui-mĂȘme est menacĂ©e par le TPF. L’intervention d’un financeur tiers, acteur Ă©conomique extĂ©rieur Ă  la relation contractuelle initiale, Ă©largit le cercle des personnes ayant connaissance du diffĂ©rend, fragilisant ainsi cette confidentialitĂ©[37]. Pour maintenir l’équilibre entre l’exigence d’information du financeur et la protection des principes fondamentaux, il est impĂ©ratif de subordonner toute divulgation du dossier Ă  l’accord Ă©clairĂ© et exprĂšs du client, et d’imposer au funder des clauses contractuelles strictes de confidentialitĂ©. NĂ©anmoins, le risque de diffusion d’informations ne concerne pas seulement les parties et leurs conseils ; il touche Ă©galement l’instance elle-mĂȘme, en soulevant un dĂ©fi plus fondamental pour l’organe de jugement : l’impartialitĂ© des arbitres.

La question de la connaissance et de l’identification du tiers financeur devient alors cruciale, non plus pour les avocats, mais pour les arbitres, dont l’indĂ©pendance et l’impartialitĂ© sont directement menacĂ©es par les potentiels conflits d’intĂ©rĂȘts liĂ©s au TPF.

La prĂ©sence d’un tiers financeur dans une procĂ©dure arbitrale crĂ©e des risques inĂ©dits de conflits d’intĂ©rĂȘts pour les arbitres, menaçant l’intĂ©gritĂ© du processus arbitral et la lĂ©gitimitĂ© des sentences rendues[38].

L’indĂ©pendance et l’impartialitĂ© des arbitres constituent des principes cardinaux de l’arbitrage international. Selon la Convention de New York de 1958 et la plupart des lois nationales sur l’arbitrage, une sentence peut ĂȘtre annulĂ©e si l’indĂ©pendance ou l’impartialitĂ© d’un arbitre est compromise[39].

Le document de travail de la CNUDCI de 2019 identifie « la question des conflits d’intĂ©rĂȘts entre arbitres et tiers financeurs comme l’une des premiĂšres Ă  avoir appelĂ© l’attention, du fait de ses incidences potentielles sur le caractĂšre exĂ©cutoire des sentences arbitrales et, plus largement, sur l’intĂ©gritĂ© du processus arbitral »[40].

Ces conflits d’intĂ©rĂȘts peuvent prendre plusieurs formes. Un arbitre peut avoir des liens professionnels ou financiers directs avec le financeur (par exemple, avoir Ă©tĂ© conseil dans d’autres affaires pour le mĂȘme financeur). Plus subtilement, le cabinet d’avocats de l’arbitre peut reprĂ©senter rĂ©guliĂšrement des clients du financeur ou avoir lui-mĂȘme conclu des accords de financement avec la mĂȘme entitĂ© pour d’autres dossiers[41].

La difficultĂ© majeure rĂ©side dans le fait que ces conflits potentiels ne peuvent ĂȘtre identifiĂ©s et divulguĂ©s que si les arbitres et les parties ont connaissance de l’existence et de l’identitĂ© du financeur. Or, traditionnellement, les parties n’Ă©taient pas tenues de rĂ©vĂ©ler l’existence d’un financement par un tiers, crĂ©ant ainsi un angle mort dans le systĂšme de prĂ©vention des conflits d’intĂ©rĂȘts[42].

Les Lignes directrices IBA 2024 sur les conflits d’intĂ©rĂȘts en arbitrage international ont considĂ©rablement renforcĂ© les obligations de divulgation[43]. La nouvelle version stipule expressĂ©ment que :

  • Les parties doivent divulguer « toute relation, directe ou indirecte, entre l’arbitre et toute personne ou entitĂ© ayant un intĂ©rĂȘt Ă©conomique direct dans la sentence ou une obligation d’indemniser une partie » (General Standard 7(a))[44].
  • Les « tiers financeurs et assureurs peuvent avoir un intĂ©rĂȘt Ă©conomique direct dans la poursuite ou la dĂ©fense de l’affaire, une influence de contrĂŽle sur une partie, ou une influence sur la conduite de la procĂ©dure, y compris la sĂ©lection des arbitres » (Explanation to General Standard 6(b))[45].

Dans l’affaire Muhammet Çap & Sehil Inßaat v. Turkmenistan (ICSID Case No. ARB/12/6), le TurkmĂ©nistan a demandĂ© la rĂ©cusation d’un arbitre aprĂšs avoir dĂ©couvert l’existence d’un financement par un tiers, arguant que l’arbitre aurait dĂ» ĂȘtre informĂ© de cette situation pour Ă©valuer d’Ă©ventuels conflits d’intĂ©rĂȘts[46].

Cette Ă©volution vers une obligation de divulgation marque un changement de paradigme dans la pratique de l’arbitrage international, traditionnellement attachĂ©e Ă  la confidentialitĂ© et Ă  l’autonomie des parties[47]. L’obligation de divulgation de l’identitĂ© du tiers financeur est devenue la mesure indispensable pour restaurer la confiance dans l’arbitrage et permettre aux arbitres d’exercer pleinement leur devoir d’auto-Ă©valuation de leur impartialitĂ© conformĂ©ment aux Lignes directrices IBA 2024. En dĂ©finitive, les dĂ©fis Ă©thiques et dĂ©ontologiques soulevĂ©s par le TPF ne remettent pas en cause sa validitĂ©, mais appellent Ă  un renforcement des rĂšgles de transparence et de dĂ©ontologie pour tous les acteurs. La rĂ©glementation spontanĂ©e issue des ordres professionnels et des institutions arbitrales comble ainsi progressivement le vide lĂ©gislatif, conditionnant l’acceptabilitĂ© du TPF Ă  son encadrement strict.

AprĂšs avoir Ă©tabli la validitĂ© et les impĂ©ratifs dĂ©ontologiques du TPF, il convient d’analyser les incidences concrĂštes de ce mĂ©canisme sur la dynamique mĂȘme du litige, en examinant comment le financement par des tiers modifie l’équilibre des forces et influence la gestion des coĂ»ts et du risque processuel.

Au-delĂ  des questions de validitĂ© juridique et de conformitĂ© dĂ©ontologique, le financement par des tiers produit des effets concrets sur le dĂ©roulement des procĂ©dures arbitrales. Cette dimension pratique soulĂšve des interrogations majeures quant Ă  l’Ă©quitĂ© procĂ©durale, Ă  l’allocation des frais d’arbitrage et Ă  la protection des parties adverses (II.A). Face Ă  ces enjeux, la question de l’opportunitĂ© et des modalitĂ©s d’une rĂ©gulation du TPF se pose avec acuitĂ© (II.B).

L’introduction du tiers financeur dans l’équation arbitrale ne se limite pas Ă  un apport de capital ; elle modifie l’équilibre des forces et introduit de nouvelles variables dans la gestion du contentieux, notamment en matiĂšre de stratĂ©gie, d’allocation des coĂ»ts et de protection de la partie adverse. Nous examinerons :

  • L’Influence du financeur sur la conduite de la procĂ©dure, source potentielle de conflits d’intĂ©rĂȘts stratĂ©giques.
  • L’Allocation des coĂ»ts et la rĂ©cupĂ©ration des frais de financement, qui mettent Ă  l’épreuve le principe du « loser pays ».
  • La Security for costs et la protection de la partie adverse, mĂ©canisme de rééquilibrage procĂ©dural.

L’intervention d’un tiers financeur peut potentiellement influencer la stratĂ©gie procĂ©durale et les dĂ©cisions des parties, notamment en matiĂšre de rĂšglement amiable[48].

Le document de la CNUDCI de 2019 identifie « l’influence potentielle du tiers financeur sur la procĂ©dure, notamment lors des nĂ©gociations en vue d’un rĂšglement, en particulier lorsque sa rĂ©munĂ©ration dĂ©pend de l’issue de la procĂ©dure »[49] comme une prĂ©occupation majeure.

Cette influence s’explique par la structure Ă©conomique du financement. Le financeur investit son capital en anticipant un retour sur investissement substantiel, gĂ©nĂ©ralement calculĂ© comme un multiple de la somme investie ou un pourcentage des gains obtenus. Cette logique financiĂšre peut entrer en conflit avec l’intĂ©rĂȘt du client dans trois situations principales[50]:

PremiĂšrement, lors des nĂ©gociations de rĂšglement amiable, le financeur peut privilĂ©gier un rĂšglement rapide garantissant un retour certain, mĂȘme si ce rĂšglement est sous-optimal du point de vue du client. À l’inverse, il peut refuser un rĂšglement raisonnable si sa formule de rĂ©munĂ©ration l’incite Ă  miser sur une victoire totale.

DeuxiĂšmement, dans les dĂ©cisions relatives Ă  la conduite de la procĂ©dure (choix des tĂ©moins et experts, stratĂ©gie d’interrogatoire, ampleur des Ă©critures), le financeur peut exercer une pression pour limiter les coĂ»ts ou au contraire pour maximiser les chances de succĂšs, sans que ces choix correspondent nĂ©cessairement Ă  l’intĂ©rĂȘt du client.

TroisiĂšmement, le financeur peut avoir un intĂ©rĂȘt stratĂ©gique propre dans l’issue du litige, notamment s’il finance d’autres affaires similaires ou s’il souhaite Ă©tablir un prĂ©cĂ©dent juridique favorable Ă  son portefeuille d’investissements[51].

Pour limiter ces risques, le Barreau de Paris recommande que « des modalitĂ©s pratiques, claires et prĂ©cises, sur la conduite de la procĂ©dure » soient Ă©tablies dĂšs l’origine, rĂ©servant au client « le pouvoir de dĂ©cision final sur les questions stratĂ©giques essentielles »[52]. L’influence du financeur, inhĂ©rente Ă  son investissement, reprĂ©sente un risque de dĂ©voiement de l’intĂ©rĂȘt du client au profit d’une logique purement financiĂšre. La gestion de ce risque passe par une clartĂ© contractuelle maximale dĂšs le contrat de financement, qui doit garantir le maintien du pouvoir de dĂ©cision final au seul client, limitant ainsi l’impact du funder sur les questions stratĂ©giques essentielles comme le rĂšglement amiable. Toutefois, l’impact le plus direct et le plus quantifiable du TPF se manifeste dans la gestion Ă©conomique du litige lui-mĂȘme.

Si le financeur investit pour couvrir les frais, il est lĂ©gitime de se demander si la rĂ©munĂ©ration de cet investissement doit ĂȘtre supportĂ©e uniquement par la partie financĂ©e ou si elle peut ĂȘtre rĂ©cupĂ©rĂ©e auprĂšs de la partie adverse perdante, question qui divise la jurisprudence arbitrale.

Le financement par des tiers soulĂšve des questions complexes en matiĂšre d’allocation des coĂ»ts de l’arbitrage, notamment quant Ă  la possibilitĂ© pour la partie financĂ©e de rĂ©cupĂ©rer les frais de financement auprĂšs de la partie adverse perdante[53].

En arbitrage international, le principe gĂ©nĂ©ral veut que la partie perdante supporte les frais de la procĂ©dure, incluant les honoraires du tribunal arbitral, les frais administratifs de l’institution arbitrale, et les frais juridiques raisonnables de la partie gagnante (principe du « costs follow the event » ou « loser pays »)[54]. La question se pose de savoir si les frais payĂ©s au financeur tiers entrent dans la catĂ©gorie des « frais juridiques raisonnables » rĂ©cupĂ©rables.

Deux positions s’opposent. Selon une approche restrictive, les frais de financement ne constituent pas des frais de reprĂ©sentation juridique mais des frais financiers comparables Ă  des intĂ©rĂȘts d’emprunt, et ne devraient donc pas ĂȘtre rĂ©cupĂ©rables auprĂšs de la partie adverse[55]. Cette position repose sur l’idĂ©e que la dĂ©cision d’une partie de recourir au TPF relĂšve de ses choix de gestion financiĂšre privĂ©s.

Selon une approche extensive, les frais de financement doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme une composante des frais d’accĂšs Ă  la justice et devraient donc ĂȘtre rĂ©cupĂ©rables, au moins partiellement, dĂšs lors qu’ils sont raisonnables et nĂ©cessaires[56]. Cette position s’appuie sur l’argument que le recours au TPF constitue souvent le seul moyen pour une partie d’accĂ©der Ă  l’arbitrage.

La jurisprudence arbitrale demeure hĂ©sitante et casuistique. Dans l’affaire Essar Oilfields Services Limited v. Norscot Rig Management Pvt Limited, le tribunal arbitral a considĂ©rĂ© que les frais de financement par un tiers ne constituaient pas des « coĂ»ts raisonnables » et a refusĂ© leur rĂ©cupĂ©ration[57]. À l’inverse, d’autres tribunaux ont acceptĂ© d’inclure tout ou partie de ces frais dans les coĂ»ts recouvrables[58].

Cette incertitude jurisprudentielle plaide en faveur d’une clarification normative, soit par les institutions arbitrales dans leurs rĂšglements, soit par les tribunaux dans leurs sentences motivĂ©es Ă©tablissant des principes directeurs. La question de la rĂ©cupĂ©rabilitĂ© des frais de financement met en lumiĂšre la nature hybride du TPF, Ă  mi-chemin entre frais de justice et frais financiers. L’incertitude jurisprudentielle actuelle, oscillant entre une approche restrictive et une approche extensive, fragilise l’équitĂ© procĂ©durale. Une clarification normative est nĂ©cessaire pour Ă©tablir des critĂšres prĂ©cis permettant aux tribunaux arbitraux de dĂ©terminer si ces frais sont raisonnables et nĂ©cessaires, sans quoi la partie adverse victorieuse risque d’ĂȘtre condamnĂ©e Ă  payer des frais sans lien direct avec la procĂ©dure. Ce risque pour la partie adverse justifie le recours Ă  un mĂ©canisme de protection : la security for costs. DĂšs lors que le financeur Ă©chappe Ă  la condamnation aux dĂ©pens, le TPF peut crĂ©er un dĂ©sĂ©quilibre entre les parties. C’est pourquoi la protection de la partie adverse est devenue un enjeu majeur, nĂ©cessitant l’analyse de la security for costs comme mĂ©canisme de rééquilibrage face au risque d’insolvabilitĂ© de la partie financĂ©e.

La prĂ©sence d’un financement par un tiers peut justifier l’octroi d’une ordonnance de security for costs (garantie pour frais) au bĂ©nĂ©fice de la partie adverse[59].

La security for costs est une mesure procĂ©durale par laquelle le tribunal arbitral ordonne au demandeur de fournir une garantie financiĂšre destinĂ©e Ă  couvrir les frais de la partie dĂ©fenderesse en cas de succĂšs de cette derniĂšre. Traditionnellement, cette mesure Ă©tait rĂ©servĂ©e aux situations oĂč le demandeur prĂ©sentait un risque d’insolvabilitĂ© ou Ă©tait domiciliĂ© dans une juridiction rendant difficile l’exĂ©cution d’une condamnation en dĂ©pens[60].

Avec l’Ă©mergence du TPF, certains tribunaux arbitraux ont considĂ©rĂ© que l’existence d’un financement par un tiers constituait un facteur pertinent pour l’octroi d’une security for costs, au motif que :

  • Le financeur n’est gĂ©nĂ©ralement pas partie Ă  la procĂ©dure et ne peut donc ĂȘtre condamnĂ© aux dĂ©pens[61] ;
  • Les contrats de financement prĂ©voient souvent que le financeur cesse de financer en cas de dĂ©cision dĂ©favorable, laissant le demandeur potentiellement insolvable ;
  • L’existence d’un financement dĂ©montre que le demandeur ne dispose pas des ressources propres pour financer la procĂ©dure, suggĂ©rant un risque accru d’insolvabilitĂ©.

Dans l’affaire South American Silver Limited v. Bolivia (PCA Case No. 2013-15), la Bolivie a soulevĂ© la question de l’obligation de divulgation du financement par un tiers, arguant que la non-divulgation violait le principe de bonne foi et pouvait justifier une ordonnance de security for costs[62].

Cependant, cette approche reste controversĂ©e. Certains auteurs soutiennent qu’accorder systĂ©matiquement une security for costs en prĂ©sence d’un TPF viderait de sa substance le bĂ©nĂ©fice principal du financement, Ă  savoir permettre Ă  des parties aux ressources limitĂ©es d’accĂ©der Ă  l’arbitrage[63]. La security for costs constitue le principal rempart procĂ©dural contre les consĂ©quences nĂ©gatives du TPF sur la partie adverse. Si le TPF facilite l’accĂšs Ă  la justice, il ne doit pas crĂ©er un risque asymĂ©trique oĂč seule la partie adverse vainqueur serait exposĂ©e Ă  l’insolvabilitĂ© de la partie financĂ©e. Toutefois, l’octroi de cette garantie doit rester exceptionnel et ne pas ĂȘtre systĂ©matique, sous peine de vider le TPF de son objet en dĂ©courageant l’accĂšs au financement pour les parties aux ressources limitĂ©es. En somme, l’impact du TPF sur le dĂ©roulement de l’arbitrage exige un arbitrage constant entre l’objectif louable d’accĂšs Ă  la justice et le maintien de l’équitĂ© procĂ©durale.

Face aux incertitudes juridiques, aux enjeux Ă©thiques et aux dĂ©fis procĂ©duraux posĂ©s par le TPF, il est devenu indispensable d’analyser les rĂ©ponses normatives apportĂ©es par les États et les institutions. Il convient dĂ©sormais d’examiner les perspectives rĂ©glementaires et l’encadrement normatif du financement par des tiers mis en place ou envisagĂ©s Ă  travers le monde.

La nĂ©cessitĂ© d’un encadrement normatif du TPF est aujourd’hui admise par la communautĂ© arbitrale internationale. Les efforts se concentrent sur la crĂ©ation d’un cadre juridique qui maximise les bĂ©nĂ©fices du financement (accĂšs Ă  la justice) tout en minimisant les risques (conflits d’intĂ©rĂȘts, influence indue, iniquitĂ© procĂ©durale). Nous analyserons :

  • Les Approches nationales : les modĂšles de Singapour et Hong Kong, qui ont optĂ© pour une lĂ©gislation claire.
  • Les Approches institutionnelles : rĂšglements arbitraux et lignes directrices, qui assurent un encadrement transnational de soft law.
  • Les Perspectives pour l’espace OHADA, qui doit encore combler le vide juridique.
  • Les Recommandations pour un encadrement Ă©quilibrĂ©, synthĂ©tisant les meilleures pratiques.

Les législations de Singapour et Hong Kong, adoptées en 2017, constituent des modÚles de référence en matiÚre de régulation du financement par des tiers[64].

À Singapour, la Civil Law (Amendment) Act 2017 et les Civil Law (Third-Party Funding) Regulations 2017, entrĂ©es en vigueur le 1er mars 2017, ont aboli les torts de common law de champerty et maintenance et ont Ă©tabli un cadre rĂ©glementaire complet pour le TPF en arbitrage international et mĂ©diation[65]. Les RĂ©gulations stipulent que les financeurs Ă©ligibles doivent :

  • Exercer comme activitĂ© principale le financement de procĂ©dures de rĂšglement des diffĂ©rends ;
  • Disposer d’un capital minimum ou d’une assurance professionnelle suffisante ;
  • Respecter des normes de conduite professionnelle, incluant la gestion des conflits d’intĂ©rĂȘts.

À Hong Kong, l’Arbitration and Mediation Legislation (Third Party Funding) (Amendment) Ordinance 2017 a aboli les dĂ©lits de champerty et maintenance et a modifiĂ© l’Arbitration Ordinance pour autoriser explicitement le TPF dans les arbitrages ayant leur siĂšge Ă  Hong Kong ou, s’ils sont situĂ©s Ă  l’Ă©tranger, pour le financement de services fournis Ă  Hong Kong[66].

Ces deux modÚles partagent plusieurs caractéristiques communes[67] :

  • Abolition explicite des prohibitions historiques du champerty ;
  • Limitation du TPF aux procĂ©dures d’arbitrage international et de mĂ©diation ;
  • Exigences de qualification professionnelle et de capacitĂ© financiĂšre pour les financeurs ;
  • Obligation de divulgation de l’existence du financement et de l’identitĂ© du financeur ;
  • PrĂ©servation du privilĂšge du secret professionnel de l’avocat.

Ces lĂ©gislations ont contribuĂ© Ă  faire de Singapour et Hong Kong des places d’arbitrage internationales attractives, offrant un cadre juridique clair et prĂ©visible pour les parties et les financeurs[68]. Les modĂšles de Singapour et Hong Kong illustrent l’efficacitĂ© d’une intervention lĂ©gislative directe qui lĂ©galise le TPF tout en lui imposant un cadre strict (exigences de qualification, obligation de divulgation limitĂ©e Ă  l’identitĂ©). Ces approches ont créé une sĂ©curitĂ© juridique qui renforce leur attractivitĂ© en tant que places d’arbitrage. Elles dĂ©montrent qu’une rĂ©glementation claire est possible, mĂȘme si, en l’absence de lois nationales comparables dans de nombreux États, ce sont les institutions arbitrales qui ont dĂ» prendre le relais. Face Ă  la lenteur du processus lĂ©gislatif Ă©tatique, les rĂšglements des institutions d’arbitrage et les instruments de soft law de la communautĂ© professionnelle, comme ceux de la CCI et de l’IBA, se sont imposĂ©s comme le vĂ©ritable moteur de l’encadrement normatif transnational du TPF.

Face Ă  l’absence de rĂ©gulation nationale dans de nombreuses juridictions, les institutions arbitrales et les organisations professionnelles ont dĂ©veloppĂ© leurs propres normes et lignes directrices[69].

Le RĂšglement d’arbitrage de la CCI de 2021 a introduit Ă  l’article 11(7) une obligation de divulgation : « Chaque partie informe sans tarder le SecrĂ©tariat, les autres parties et tout arbitre confirmĂ© ou nommĂ© de l’existence et de l’identitĂ© de toute personne non partie qui a conclu un accord de financement avec elle pour l’instance arbitrale et en vertu duquel elle s’est engagĂ©e Ă  rembourser, en totalitĂ© ou en partie et de maniĂšre substantielle, les montants dĂ©pensĂ©s pour engager et poursuivre l’instance arbitrale »[70].

Cette disposition marque une Ă©volution significative vers la transparence, bien qu’elle se limite Ă  l’identitĂ© du financeur sans exiger la divulgation du contenu de l’accord de financement[71].

Le RĂšglement d’arbitrage ICSID, rĂ©visĂ© en 2022, contient Ă  la Rule 14 une disposition similaire imposant la divulgation du nom et de l’adresse de toute personne non-partie finançant l’arbitrage[72]. Cette Ă©volution rĂ©pond aux prĂ©occupations exprimĂ©es lors des travaux du Groupe de travail III de la CNUDCI sur la rĂ©forme du rĂšglement des diffĂ©rends entre investisseurs et États (RDIE)[73].

Les Lignes directrices IBA 2024 sur les conflits d’intĂ©rĂȘts, rĂ©visĂ©es en mai 2024, intĂšgrent dĂ©sormais explicitement le financement par des tiers dans leur cadre d’analyse des conflits d’intĂ©rĂȘts[74]. L’Explanation to General Standard 6(b) prĂ©cise : « Third-party funders and insurers may have a direct economic interest in the prosecution or defence of the case in dispute, a controlling influence on a party to the arbitration, or influence over the conduct of proceedings, including the selection of arbitrators »[75].

Cette reconnaissance explicite du TPF dans les Lignes directrices IBA, instrument de soft law largement adoptĂ© dans la communautĂ© arbitrale internationale, constitue une Ă©tape importante vers l’harmonisation des pratiques[76].

Les Guidelines on Third-Party Funding du CIArb (Chartered Institute of Arbitrators), publiĂ©es en 2025, fournissent des recommandations pratiques dĂ©taillĂ©es sur la divulgation, la gestion des conflits d’intĂ©rĂȘts et les considĂ©rations dĂ©ontologiques liĂ©es au TPF[77]. Ces Guidelines soulignent l’importance d’une divulgation prĂ©coce et transparente, tout en respectant la confidentialitĂ© des termes commerciaux de l’accord de financement. Les dispositions rĂ©centes des rĂšglements de la CCI (Art. 11(7)) et du CIRDI (Rule 14), ainsi que les Lignes directrices IBA 2024, confirment l’émergence d’un standard transnational de soft law : l’obligation de divulgation de l’identitĂ© du financeur. Cette approche institutionnelle permet une rĂ©gulation rapide et flexible qui s’adapte Ă  l’évolution de la pratique. Cependant, l’efficacitĂ© de cet encadrement reste limitĂ©e dans les juridictions oĂč l’arbitrage est majoritairement ad hoc ou dans les espaces rĂ©gionaux qui n’ont pas encore intĂ©grĂ© ces Ă©volutions, comme celui de l’OHADA. L’absence de disposition explicite dans l’Acte uniforme OHADA de 2017 sur l’arbitrage crĂ©e un vide juridique dans un espace Ă©conomique majeur. Il devient essentiel d’analyser les perspectives rĂ©glementaires qui s’offrent Ă  l’espace OHADA pour rattraper son retard et intĂ©grer le TPF dans son cadre juridique.

Dans l’espace OHADA, l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage de 2017 ne contient aucune disposition explicite relative au financement par des tiers[78]. Cette lacune soulĂšve des questions importantes pour les dix-sept États membres, d’autant plus que l’arbitrage OHADA joue un rĂŽle croissant dans le rĂšglement des diffĂ©rends commerciaux en Afrique subsaharienne[79].

Plusieurs options s’offrent aux dĂ©cideurs de l’OHADA pour encadrer le TPF[80] :

Option 1 : RĂ©vision de l’Acte uniforme. Une rĂ©vision de l’Acte uniforme pourrait introduire des dispositions spĂ©cifiques sur le TPF, inspirĂ©es des modĂšles de Singapour et Hong Kong, incluant :

  • Une reconnaissance explicite de la licĂ©itĂ© du TPF en arbitrage international ;
  • Des obligations de divulgation de l’existence et de l’identitĂ© du financeur ;
  • Des garanties pour prĂ©server l’indĂ©pendance des avocats et des arbitres ;
  • Des dispositions sur l’allocation des coĂ»ts et la security for costs.

Option 2 : Directives de la CCJA. La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage pourrait adopter des directives ou recommandations sur le TPF, complĂ©tant l’Acte uniforme sans nĂ©cessiter sa rĂ©vision formelle. Ces directives pourraient s’inspirer des Lignes directrices IBA 2024 et des Guidelines du CIArb.

Option 3 : IntĂ©gration dans le RĂšglement d’arbitrage de la CCJA. Le RĂšglement d’arbitrage de la CCJA pourrait ĂȘtre rĂ©visĂ© pour inclure une disposition similaire Ă  l’article 11(7) du RĂšglement ICC, imposant la divulgation du TPF dans les arbitrages administrĂ©s par la CCJA.

Option 4 : Approche graduĂ©e. Une combinaison des options ci-dessus, avec une reconnaissance progressive de la pratique accompagnĂ©e d’un encadrement normatif adaptĂ© aux spĂ©cificitĂ©s du contexte juridique et Ă©conomique africain.

L’adoption d’un cadre rĂ©glementaire clair en matiĂšre de TPF dans l’espace OHADA prĂ©senterait plusieurs avantages[81] :

  • Renforcer l’attractivitĂ© de la CCJA comme centre d’arbitrage rĂ©gional ;
  • Faciliter l’accĂšs Ă  l’arbitrage pour les PME et les parties aux ressources limitĂ©es ;
  • Harmoniser les pratiques entre les États membres ;
  • PrĂ©venir les conflits d’intĂ©rĂȘts et protĂ©ger l’intĂ©gritĂ© du processus arbitral ;
  • Contribuer au dĂ©veloppement d’une jurisprudence cohĂ©rente sur les questions liĂ©es au TPF.

Pour l’espace OHADA, l’adoption d’un cadre rĂ©glementaire clair – qu’il passe par la rĂ©vision de l’Acte uniforme, les Directives de la CCJA ou la modification du RĂšglement d’arbitrage – est impĂ©rative pour renforcer l’attractivitĂ© de la rĂ©gion et garantir un accĂšs Ă©quitable Ă  l’arbitrage. L’alignement sur les standards internationaux en matiĂšre de divulgation permettrait de prĂ©venir les conflits d’intĂ©rĂȘts tout en exploitant le TPF comme un levier de dĂ©veloppement Ă©conomique et judiciaire. Cet alignement s’inscrit dans un ensemble plus large de recommandations visant un encadrement global.

L’analyse des modĂšles nationaux et institutionnels permet de synthĂ©tiser les meilleures pratiques. Il est dĂ©sormais possible de formuler un ensemble de recommandations concrĂštes et Ă©quilibrĂ©es visant Ă  assurer la pĂ©rennitĂ© et l’intĂ©gritĂ© du financement par des tiers dans le contentieux international.

Sur la base de l’analyse comparative des diffĂ©rents modĂšles rĂ©glementaires et des enjeux identifiĂ©s, plusieurs recommandations peuvent ĂȘtre formulĂ©es pour un encadrement Ă©quilibrĂ© du financement par des tiers en arbitrage[82] :

Recommandation 1 : Obligation de divulgation. Instaurer une obligation claire de divulgation de l’existence d’un accord de financement et de l’identitĂ© du financeur, applicable dĂšs le dĂ©but de la procĂ©dure et de maniĂšre continue. Cette divulgation devrait ĂȘtre faite au tribunal arbitral, aux co-arbitres, aux parties adverses et, le cas Ă©chĂ©ant, Ă  l’institution arbitrale[83].

Recommandation 2 : Limites de la divulgation. La divulgation devrait se limiter Ă  l’existence et Ă  l’identitĂ© du financeur, sans exiger la rĂ©vĂ©lation des termes commerciaux de l’accord de financement (montant investi, pourcentage de rĂ©munĂ©ration), afin de prĂ©server la confidentialitĂ© commerciale lĂ©gitime[84].

Recommandation 3 : Gestion des conflits d’intĂ©rĂȘts. Adopter des protocoles stricts pour identifier et gĂ©rer les conflits d’intĂ©rĂȘts potentiels entre arbitres et financeurs, en s’inspirant des Lignes directrices IBA 2024. Les arbitres devraient avoir l’obligation de vĂ©rifier l’existence de liens avec les financeurs divulguĂ©s[85].

Recommandation 4 : Protection de l’indĂ©pendance de l’avocat. Établir des rĂšgles dĂ©ontologiques claires interdisant :

  • La reprĂ©sentation simultanĂ©e du financeur et du client par le mĂȘme avocat ;
  • L’intĂ©rĂȘt financier direct de l’avocat dans le fonds de financement ;
  • La subordination des dĂ©cisions stratĂ©giques du client aux volontĂ©s du financeur[86].

Recommandation 5 : PrĂ©servation du secret professionnel. Clarifier que la divulgation d’informations au financeur doit respecter le secret professionnel de l’avocat et que toute transmission d’information doit ĂȘtre autorisĂ©e par le client et limitĂ©e aux informations strictement nĂ©cessaires[87].

Recommendation 6: Encadrement de la security for costs. Établir des principes directeurs pour l’octroi d’une security for costs en prĂ©sence de TPF, Ă©vitant Ă  la fois l’octroi systĂ©matique (qui annulerait le bĂ©nĂ©fice du financement) et le refus systĂ©matique (qui exposerait injustement la partie adverse)[88].

Recommandation 7 : Allocation des coûts. Développer une jurisprudence cohérente sur la récupérabilité des frais de financement, en distinguant entre :

  • Les frais directs d’arbitrage (toujours rĂ©cupĂ©rables) ;
  • Les frais d’avocat (rĂ©cupĂ©rables dans la mesure du raisonnable) ;
  • Les frais de financement proprement dits (Ă  Ă©valuer au cas par cas selon des critĂšres objectifs)[89].

Recommandation 8 : Qualification professionnelle des financeurs. Envisager, Ă  terme, un systĂšme de qualification ou d’agrĂ©ment des financeurs, garantissant leur capacitĂ© financiĂšre, leur intĂ©gritĂ© et leur adhĂ©sion Ă  un code de conduite professionnelle[90].

Les recommandations formulĂ©es, centrĂ©es sur l’obligation de divulgation limitĂ©e Ă  l’identitĂ© du financeur, le respect strict de l’indĂ©pendance de l’avocat et de l’arbitre, et l’encadrement des mĂ©canismes de coĂ»ts (rĂ©cupĂ©rabilitĂ©, security for costs), dessinent un cadre normatif idĂ©al pour le TPF. Cet ensemble de mesures, combinant hard law (lĂ©gislations nationales) et soft law (rĂšglements institutionnels), est la condition sine qua non pour que le financement par des tiers soit durablement acceptĂ©, non pas comme une menace, mais comme un outil performant au service de la justice arbitrale.

L’analyse de l’impact du TPF sur la procĂ©dure arbitrale a confirmĂ© que, si le financement par des tiers introduit des risques procĂ©duraux rĂ©els (influence stratĂ©gique, incertitude sur la rĂ©cupĂ©rabilitĂ© des frais, besoin accru de security for costs), ces risques sont largement gĂ©rables par un encadrement normatif adĂ©quat. Les modĂšles lĂ©gislatifs (Singapour/Hong Kong) et les Ă©volutions des rĂšglements institutionnels (CCI/CIRDI) convergent vers un mĂȘme principe directeur : la transparence contrĂŽlĂ©e. Le TPF reprĂ©sente une innovation irrĂ©versible et nĂ©cessaire pour l’accĂšs Ă  la justice dans un contexte d’arbitrage coĂ»teux. Le dĂ©fi pour l’avenir est de s’assurer que sa lĂ©galisation ne soit pas synonyme d’une commercialisation excessive du procĂšs, mais qu’elle soit subordonnĂ©e Ă  la primautĂ© des principes Ă©thiques et dĂ©ontologiques qui garantissent la confiance dans l’arbitrage international.

Le financement par des tiers en arbitrage international constitue une innovation financiĂšre majeure qui rĂ©pond Ă  un besoin rĂ©el d’accĂšs Ă  la justice arbitrale dans un contexte de coĂ»ts procĂ©duraux croissants. Cette Ă©tude a dĂ©montrĂ© que, malgrĂ© les prohibitions historiques du champerty et du pacte de quota litis, le TPF peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme juridiquement lĂ©gitime dans la mesure oĂč il se distingue fondamentalement de ces pratiques prohibĂ©es par sa structure tripartite et sa nature sui generis.

Toutefois, la lĂ©gitimitĂ© juridique du TPF ne saurait occulter les dĂ©fis dĂ©ontologiques et procĂ©duraux qu’il soulĂšve. L’analyse a rĂ©vĂ©lĂ© trois tensions fondamentales :

PremiĂšrement, la tension entre l’indĂ©pendance professionnelle et l’influence Ă©conomique. Les avocats et arbitres doivent prĂ©server leur indĂ©pendance et leur impartialitĂ© tout en Ă©voluant dans un environnement oĂč un tiers financier poursuit des objectifs de rentabilitĂ©. Cette tension peut ĂȘtre gĂ©rĂ©e par des rĂšgles dĂ©ontologiques claires et des mĂ©canismes de divulgation robustes.

DeuxiĂšmement, la tension entre confidentialitĂ© et transparence. L’arbitrage repose traditionnellement sur un principe de confidentialitĂ©, tandis que la prĂ©vention des conflits d’intĂ©rĂȘts exige une transparence accrue concernant l’identitĂ© des financeurs. L’Ă©quilibre doit ĂȘtre trouvĂ© en limitant la divulgation Ă  l’existence et Ă  l’identitĂ© du financeur, sans exiger la rĂ©vĂ©lation des termes commerciaux de l’accord.

TroisiĂšmement, la tension entre l’accĂšs Ă  la justice et l’équitĂ© procĂ©durale. Le TPF facilite l’accĂšs Ă  l’arbitrage pour les parties aux ressources limitĂ©es, mais peut crĂ©er un dĂ©sĂ©quilibre procĂ©dural si la partie adverse est exposĂ©e Ă  des risques accrus sans protection adĂ©quate. Des mĂ©canismes comme la security for costs, appliquĂ©s de maniĂšre nuancĂ©e, peuvent contribuer Ă  rĂ©tablir cet Ă©quilibre.

L’analyse comparative des diffĂ©rents modĂšles rĂ©glementaires (Singapour, Hong Kong) et des instruments normatifs rĂ©cents (Lignes directrices IBA 2024, RĂšglement ICC 2021, RĂšglement ICSID 2022, Guidelines CIArb 2025) rĂ©vĂšle une convergence progressive vers un consensus international sur certains principes fondamentaux :

  1. Reconnaissance de la licéité du TPF en arbitrage international ;
  2. Obligation de divulgation de l’existence et de l’identitĂ© du financeur ;
  3. Prise en compte du TPF dans l’analyse des conflits d’intĂ©rĂȘts ;
  4. Protection de l’indĂ©pendance des avocats et des arbitres ;
  5. Respect de la confidentialitĂ© des termes commerciaux de l’accord de financement.

Pour l’espace OHADA, cette Ă©tude plaide en faveur d’une clarification normative progressive, combinant Ă©ventuellement une rĂ©vision de l’Acte uniforme de 2017, l’adoption de directives par la CCJA et la modification du RĂšglement d’arbitrage de la CCJA. Un tel cadre rĂ©glementaire harmonisĂ© contribuerait Ă  renforcer l’attractivitĂ© de l’arbitrage OHADA et Ă  faciliter l’accĂšs Ă  la justice pour les opĂ©rateurs Ă©conomiques africains.

En dĂ©finitive, le financement par des tiers n’est ni une panacĂ©e ni une menace existentielle pour l’arbitrage international. C’est un outil financier qui, correctement encadrĂ© par des rĂšgles transparentes et des principes dĂ©ontologiques solides, peut contribuer positivement Ă  la dĂ©mocratisation de l’accĂšs Ă  la justice arbitrale tout en prĂ©servant l’intĂ©gritĂ© et la lĂ©gitimitĂ© du processus arbitral. L’hypothĂšse de recherche initiale est donc confirmĂ©e : le TPF constitue un mĂ©canisme lĂ©gitime Ă  condition qu’un cadre normatif appropriĂ© soit Ă©tabli.

Les perspectives de recherche futures pourraient utilement porter sur :

  • L’analyse empirique de l’impact du TPF sur les taux de succĂšs et les montants allouĂ©s dans les sentences arbitrales ;
  • L’Ă©tude comparative de l’efficacitĂ© des diffĂ©rents modĂšles rĂ©glementaires nationaux ;
  • L’analyse de la jurisprudence arbitrale Ă©mergente sur l’allocation des coĂ»ts de financement ;
  • L’Ă©valuation de l’impact du TPF sur l’Ă©quilibre entre pays dĂ©veloppĂ©s et pays en dĂ©veloppement dans l’arbitrage d’investissement.

Par Président OBAMBI Wilfrid Vivien

Magistrat et Conseiller Ă  la Cour d’Appel de Dolisie (Congo). Ancien Juge au Tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire, il a Ă©galement exercĂ© la fonction de PrĂ©sident du Tribunal du travail de Pointe-Noire.

Il est par ailleurs SecrĂ©taire adjoint du RĂ©seau Africain des Magistrats de PropriĂ©tĂ© Intellectuelle (RAMPI), ainsi que SecrĂ©taire chargĂ© des affaires administratives, juridiques et du contentieux du RĂ©seau des Experts en PropriĂ©tĂ© Intellectuelle du Congo (REPIC).

Enfin, il figure sur la liste des mĂ©diateurs neutres de l’Organisation Mondiale de la PropriĂ©tĂ© Intellectuelle (OMPI).

Linkedin : https://linkedin.com/in/wilfrid-vivien-obambi


[1] Gary B. BORN, International Commercial Arbitration, 3e éd., Wolters Kluwer, 2021, pp. 1-45.

[2] Club des juristes, Financement de l’arbitrage par un tiers. Rapport du groupe de travail, fĂ©vrier 2014, p. 7.

[3]  Vanina FRIGNATI, « Ethical implications of third-party funding in international arbitration », Arbitration International, vol. 32, n° 3, 2016, p. 506.

[4] Khaled MECHANTAF, Financement de l’arbitrage par un tiers: une approche française et internationale, ThĂšse de doctorat, UniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne, 2019, pp. 45-78.

[5] Yihua CHEN, Third-Party Funding in International Arbitration: A Transnational Study of Ethical Implications and Responses, ThÚse de doctorat, Université Erasmus de Rotterdam, 2022, pp. 15-32.

[6] Thibault DE BOULLE, Third-Party Funding in International Commercial Arbitration, Mémoire de Master, Université de Gand, 2014, p. 118.

[7]  International Bar Association, IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration, approuvĂ©es par le Conseil de l’IBA, 25 mai 2024.

[8] Chambre de Commerce Internationale, RĂšglement d’arbitrage de la CCI, 1er janvier 2021, article 11(7).

[9] ICSID, ICSID Arbitration Rules, en vigueur le 1er juillet 2022, Rule 14.

[10] CNUDCI, Possible reform of investor-State dispute settlement (ISDS): Third-party funding, Document de travail A/CN.9/WG.III/WP.172, 2019.

[11]  Club des juristes, op. cit., note 2, pp. 12-15.

[12] Ibid., pp. 13-14.

[13] Code civil français, article 1102.

[14] Université de LiÚge, Le financement par des tiers en arbitrage international, Travail universitaire, 2016-2017, pp. 28-32.

[15]  Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, OHADA, Conakry, 23 novembre 2017.

[16]  Khaled MECHANTAF, op. cit., note 4, pp. 95-142.

[17] Robert HOWIE et Garth MOYSA, « Financing disputes: Third-party funding in litigation and arbitration », Alberta Law Review, vol. 57, n° 2, 2019, pp. 492-495.

[18]  Factortame Ltd and Others v. Secretary of State for Transport [1991] 1 AC 603 (House of Lords).

[19]  Civil Law (Amendment) Act 2017, Singapour, Act No. 2 of 2017; Civil Law (Third-Party Funding) Regulations 2017, S 68/2017.

[20] Arbitration and Mediation Legislation (Third Party Funding) (Amendment) Ordinance 2017, Hong Kong, Ordinance No. 6 of 2017.

[21] Barreau de Paris, Le financement par un tiers en matiĂšre d’arbitrage – Rapport de la Commission Arbitrage, fĂ©vrier 2017, pp. 18-20.

[22] Club des juristes, op. cit., note 2, pp. 16-18.

[23]  Ibid., pp. 19-22.

[24] Ibid., pp. 54-56.

[25] Ibid., p. 55.

[26] Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, op. cit., note 15.

[27]  Yihua CHEN, op. cit., note 5, pp. 145-187.

[28] Barreau de Paris, op. cit., note 21, p. 28.

[29] Club des juristes, op. cit., note 2, pp. 25-27.

[30] Ordre des Barreaux Flamands, Aanbevelingen over third party funding in arbitragezaken, 2023, p. 7.

[31] Barreau de Paris, op. cit., note 21, p. 30.

[32] Vanina FRIGNATI, op. cit., note 3, pp. 515-520.

[33] Université de LiÚge, op. cit., note 14, pp. 52-58.

[34]  CNUDCI, op. cit., note 10, p. 12.

[35] Barreau de Paris, op. cit., note 21, p. 32.

[36] Ordre des Barreaux Flamands, op. cit., note 30, p. 9.

[37] Thibault DE BOULLE, op. cit., note 6, pp. 78-82.

[38] Yihua CHEN, op. cit., note 5, pp. 189-245.

[39] Convention pour la reconnaissance et l’exĂ©cution des sentences arbitrales Ă©trangĂšres, New York, 10 juin 1958, article V(1)(d).

[40] CNUDCI, op. cit., note 10, p. 8.

[41] Université de LiÚge, op. cit., note 14, pp. 62-67.

[42] Kelsie MASSINI, « The Increasing Use of Third Party Funders in International Arbitration », Penn State Journal of Law & International Affairs, vol. 7, n° 1, 2019, pp. 335-340.

[43]  IBA, IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration, op. cit., note 7.

[44] Ibid., General Standard 7(a), p. 12.

[45] Ibid., Explanation to General Standard 6(b), p. 11.

[46]  Muhammet Çap & Sehil Inßaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. V. Turkmenistan, ICSID Case No. ARB/12/6, DĂ©cision sur la compĂ©tence, 13 fĂ©vrier 2015.

[47]  Kelsie MASSINI, op. cit., note 42, pp. 345-352.

[48] Elena V. SITKAREVA, Yulia A. ARTEMYEVA et Svetlana MENDOSA-MOLINA, « Third-party Funding: Practical, Ethical and Procedural Issues », in Integration and Clustering for Sustainable Economic Growth, Springer, 2019, pp. 188-190.

[49] CNUDCI, op. cit., note 10, p. 14.

[50] Université de LiÚge, op. cit., note 14, pp. 72-76.

[51]  Club des juristes, op. cit., note 2, pp. 28-30.

[52] Barreau de Paris, op. cit., note 21, p. 30.

[53] Sebastian BATIFORT, Matthew HARWOOD et Chrystalla TRAHANAS, « Third-party funding: security for costs and other key issues », Transnational Dispute Management, vol. 14, n° 5, 2017, pp. 1-3.

[54] Gary B. BORN, op. cit., note 1, pp. 3645-3702.

[55] Essar Oilfields Services Limited v. Norscot Rig Management Pvt Limited, Award on Costs, 2016, paras. 35-42.

[56] Sebastian BATIFORT et al., op. cit., note 53, pp. 8-12.

[57] Essar Oilfields, op. cit., note 55.

[58] Sebastian BATIFORT et al., op. cit., note 53, pp. 10-11.

[59] Ibid., pp. 3-8.

[60] Gary B. BORN, op. cit., note 1, pp. 2948-2965.

[61] Sebastian BATIFORT et al., op. cit., note 53, p. 5.

[62] South American Silver Limited v. Bolivia, PCA Case No. 2013-15, Sentence sur la compétence, 18 novembre 2016, paras. 155-178.

[63] Robert HOWIE et Garth MOYSA, op. cit., note 17, pp. 510-512.

[64] Khaled MECHANTAF, op. cit., note 4, pp. 285-328.

[65] Civil Law (Amendment) Act 2017, op. cit., note 19 ; Civil Law (Third-Party Funding) Regulations 2017, op. cit., note 19.

[66] Arbitration and Mediation Legislation (Third Party Funding) (Amendment) Ordinance 2017, op. cit., note 20.

[67] Khaled MECHANTAF, op. cit., note 4, pp. 310-325.

[68] Thibault DE BOULLE, op. cit., note 6, pp. 105-112.

[69] Yihua CHEN, op. cit., note 5, pp. 247-298.

[70] ICC, RĂšglement d’arbitrage de la CCI, op. cit., note 8, article 11(7).

[71] Kelsie MASSINI, op. cit., note 42, pp. 352-355.

[72] ICSID, ICSID Arbitration Rules, op. cit., note 9, Rule 14.

[73] CNUDCI, Groupe de travail III, Draft provisions on procedural and cross-cutting issues, Document A/CN.9/WG.III/WP.253, 2023, pp. 28-32.

[74] IBA, IBA Guidelines, op. cit., note 7, Introduction, paras. 2-3.

[75] Ibid., Explanation to General Standard 6(b), p. 11.

[76] Kelsie MASSINI, op. cit., note 42, pp. 345-357.

[77]  CIArb, Guideline on Third-Party Funding, 2025.

[78] Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, op. cit., note 15.

[79] OHADA, disponible sur : https://www.ohada.org

[80] Analyse dĂ©veloppĂ©e par l’auteur sur la base des modĂšles comparatifs Ă©tudiĂ©s.

[81] Ibid.

[82] SynthĂšse des recommandations formulĂ©es par le Club des juristes, le Barreau de Paris, l’Ordre des Barreaux Flamands et les travaux de la CNUDCI.

[83] IBA, IBA Guidelines, op. cit., note 7, General Standard 7(a).

[84] Club des juristes, op. cit., note 2, pp. 48-50.

[85] IBA, IBA Guidelines, op. cit., note 7, Explanation to General Standard 6(b).

[86] Ordre des Barreaux Flamands, op. cit., note 30, pp. 7-10.

[87] Barreau de Paris, op. cit., note 21, pp. 32-35.

[88] Sebastian BATIFORT et al., op. cit., note 53, pp. 12-15.

[89] Gary B. BORN, op. cit., note 1, pp. 3680-3702.

[90] Civil Law (Third-Party Funding) Regulations 2017 (Singapour), op. cit., note 19, Regulations 4-6.

Le harcĂšlement moral et sexuel dans les relations de travail en CĂŽte d’Ivoire : approche juridique et regard comparĂ©.

Le harcĂšlement en milieu professionnel est aujourd’hui reconnu comme l’une des principales menaces Ă  la santĂ© psychologique, physique et morale du travailleur. Sa prise en compte juridique rĂ©sulte d’une lente Ă©volution du droit du travail, longtemps centrĂ© sur la protection matĂ©rielle du salariĂ© (salaire, sĂ©curitĂ©, durĂ©e du travail), avant d’intĂ©grer la protection de la dignitĂ© humaine au travail comme un droit fondamental. Dans le contexte africain et particuliĂšrement ivoirien, cette problĂ©matique prend une dimension singuliĂšre : elle se situe au croisement des mutations Ă©conomiques, de la montĂ©e du chĂŽmage, de la prĂ©carisation des emplois et des rapports hiĂ©rarchiques souvent marquĂ©s par des asymĂ©tries de pouvoir. En effet, le harcĂšlement moral et sexuel ne se limite pas Ă  des comportements isolĂ©s : il traduit un dĂ©sĂ©quilibre structurel dans la relation de travail. Selon l’analyse de Supiot, le pouvoir de direction de l’employeur comporte toujours une potentialitĂ© d’abus, d’oĂč la nĂ©cessitĂ© d’un encadrement juridique strict pour prĂ©server la personne du salariĂ© contre la « tentation du pouvoir disciplinaire illimitĂ© »[1]. Cette dĂ©rive peut se manifester par des gestes, propos ou attitudes humiliantes, mais aussi par des mesures d’exclusion, d’isolement ou de dĂ©stabilisation systĂ©matique visant Ă  contraindre le salariĂ© Ă  quitter l’entreprise.

En CĂŽte d’Ivoire, l’émergence de cette question dans le dĂ©bat juridique et social tĂ©moigne d’une prise de conscience progressive. Le lĂ©gislateur ivoirien a consacrĂ© la rĂ©pression du harcĂšlement moral et sexuel dans le Code du travail de 2015, qui en offre une dĂ©finition claire et opĂ©rationnelle Ă  l’article 5. Cette Ă©volution rĂ©pond Ă  la nĂ©cessitĂ© de lutter contre les abus en entreprise, mais aussi d’assurer la conformitĂ© du droit ivoirien aux normes internationales, notamment la Convention n° 190 de l’OIT sur la violence et le harcĂšlement dans le monde du travail (2019)[2]. Le harcĂšlement constitue aujourd’hui un enjeu de santĂ© publique et de gouvernance organisationnelle : il affecte la productivitĂ©, altĂšre le climat social, favorise le turn-over, et compromet l’image de l’entreprise. D’un point de vue juridique, il soulĂšve des questions fondamentales : comment concilier la libertĂ© d’organisation de l’entreprise avec la protection de la dignitĂ© du travailleur ? Quelle est la frontiĂšre entre exigence managĂ©riale et abus de pouvoir ? Comment Ă©tablir la preuve d’un harcĂšlement dans un contexte de subordination hiĂ©rarchique ? Ces interrogations justifient une analyse doctrinale approfondie du dispositif ivoirien.

En effet, l’article 5 du Code du travail ivoirien consacre l’interdiction du harcĂšlement moral et sexuel comme une rĂšgle d’ordre public social. Il dĂ©finit le harcĂšlement sexuel comme « tout comportement abusif, menace, attaque, parole, intimidation, Ă©crit, attitude ou agissement rĂ©pĂ©tĂ© Ă  connotation sexuelle, ayant pour but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle Ă  son profit ou au profit d’un tiers »[3]. Le harcĂšlement moral, quant Ă  lui, recouvre « tout comportement abusif, menace, attaque, parole, intimidation, Ă©crit, attitude ou agissement rĂ©pĂ©tĂ© ayant pour objet ou pour effet la dĂ©gradation des conditions de travail du salariĂ©, portant atteinte Ă  sa dignitĂ© ou compromettant son avenir professionnel »[4]. Ces dispositions marquent une rupture nette avec les textes antĂ©rieurs, qui ignoraient encore les risques psychosociaux au travail. Elles visent Ă  prĂ©venir et sanctionner des comportements dĂ©gradants, souvent silencieux, qui peuvent avoir des consĂ©quences graves sur la santĂ© mentale et physique des travailleurs. Elles participent d’une dynamique globale de constitutionnalisation des droits fondamentaux au travail, dans le sillage de l’article 4 de la Constitution ivoirienne, qui proclame l’égalitĂ© de tous devant la loi sans distinction d’origine, de sexe, de religion ou d’opinion[5]. En outre, le Code du travail rattache cette interdiction Ă  l’obligation gĂ©nĂ©rale de sĂ©curitĂ© de l’employeur. Comme en droit français, celui-ci est tenu d’assurer la protection de la santĂ© physique et mentale de ses salariĂ©s (art. L.4121-1 du Code du travail français). En droit ivoirien, cette obligation dĂ©coule implicitement des articles 41.1 et suivants relatifs Ă  l’hygiĂšne et la sĂ©curitĂ©. La Cour de cassation française, dans un arrĂȘt de principe du 21 juin 2006, a jugĂ© que « l’employeur manque Ă  son obligation de sĂ©curitĂ© lorsqu’un salariĂ© est victime de harcĂšlement moral »[6], une interprĂ©tation qui pourrait inspirer la jurisprudence ivoirienne Ă  mesure que les contentieux se dĂ©veloppent.

Comme susmentionnĂ©, sur le plan comparĂ©, la rĂ©glementation ivoirienne se distingue par sa clartĂ© rĂ©dactionnelle et sa sobriĂ©tĂ©. LĂ  oĂč le droit français, influencĂ© par les directives europĂ©ennes (notamment la Directive 2006/54/CE sur l’égalitĂ© de traitement entre hommes et femmes), tend Ă  multiplier les qualifications, le lĂ©gislateur ivoirien opte pour une formulation plus concise mais tout aussi protectrice. Cette approche prĂ©sente l’avantage de renforcer la lisibilitĂ© de la rĂšgle pour les acteurs sociaux et d’éviter les interprĂ©tations extensives. Le droit international du travail, Ă  travers la Convention OIT n° 190 et la Recommandation n° 206 (2019), impose aux États de prĂ©venir et d’éliminer toutes formes de violence et de harcĂšlement dans le monde du travail. Ces normes, adoptĂ©es avec le soutien de la CĂŽte d’Ivoire, constituent un cadre de rĂ©fĂ©rence universel. Elles Ă©largissent la notion de harcĂšlement au-delĂ  de la sphĂšre du lieu de travail pour englober toute situation professionnelle oĂč un pouvoir est exercĂ©, y compris dans les formations, les dĂ©placements et les communications Ă©lectroniques. D’un point de vue scientifique, l’étude du harcĂšlement en droit ivoirien prĂ©sente un intĂ©rĂȘt majeur. Elle permet de mesurer la capacitĂ© d’un systĂšme juridique africain Ă  intĂ©grer les standards internationaux tout en conservant ses spĂ©cificitĂ©s socio-culturelles. Comme le souligne Jean Carbonnier, « le droit n’est jamais une mĂ©canique universelle : il Ă©pouse les coutumes et les sensibilitĂ©s des peuples qu’il rĂ©git »[7]. Le droit ivoirien du harcĂšlement illustre parfaitement cette adaptation : il traduit une volontĂ© d’humaniser la relation de travail sans rompre avec les rĂ©alitĂ©s Ă©conomiques du pays.

Cette Ă©tude adopte une approche doctrinale, analytique et comparĂ©e. Elle s’appuie sur les sources normatives nationales (Code du travail), la jurisprudence pertinente, ainsi que sur les textes internationaux et europĂ©ens relatifs Ă  la prĂ©vention des violences et discriminations au travail. La mĂ©thode retenue consiste Ă  examiner le harcĂšlement sous un double prisme : celui de la dignitĂ© du salariĂ© et celui de la responsabilitĂ© de l’employeur. La dĂ©marche suivra une logique progressive. La premiĂšre partie sera consacrĂ©e au harcĂšlement sexuel, envisagĂ© comme une atteinte directe Ă  la dignitĂ© du travailleur et Ă  son intĂ©gritĂ© morale (I). La seconde analysera le harcĂšlement moral, forme plus diffuse mais tout aussi destructrice, portant sur la dĂ©gradation des conditions de travail et la santĂ© mentale du salariĂ© (II). La troisiĂšme partie s’intĂ©ressera au cadre juridique ivoirien, Ă  sa portĂ©e et Ă  ses limites dans la prĂ©vention et la rĂ©pression des faits de harcĂšlement (III). Enfin, la derniĂšre partie traitera des sanctions et voies de recours, en interrogeant l’efficacitĂ© du dispositif et les perspectives d’évolution jurisprudentielle (IV).

I. Le harcÚlement sexuel : une atteinte directe à la dignité du travailleur

Le harcĂšlement sexuel constitue l’une des formes les plus graves d’atteinte Ă  la dignitĂ© du travailleur, car il remet en cause Ă  la fois son intĂ©gritĂ© physique, morale et professionnelle. Reconnu comme une faute d’une extrĂȘme gravitĂ©, il appelle une rĂ©pression ferme et une vigilance accrue dans le cadre des relations de travail. Pour en cerner pleinement la portĂ©e juridique, il convient d’abord d’en rappeler la dĂ©finition lĂ©gale ainsi que les Ă©lĂ©ments constitutifs qui en dĂ©terminent la qualification (A), avant d’examiner les conditions dans lesquelles cette qualification est juridiquement Ă©tablie, notamment Ă  travers la question dĂ©licate de la charge de la preuve (B).

L’article 5, alinĂ©a 4, du Code du travail dĂ©finit le harcĂšlement sexuel comme « tout comportement abusif, menace, attaque, parole, intimidation, Ă©crit, attitude ou agissement rĂ©pĂ©tĂ© Ă  connotation sexuelle, ayant pour but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle Ă  son profit ou au profit d’un tiers »[8]. Cette dĂ©finition, d’une remarquable prĂ©cision, met en lumiĂšre trois Ă©lĂ©ments constitutifs fondamentaux : la rĂ©pĂ©tition des agissements, leur connotation sexuelle, et la finalitĂ© recherchĂ©e par l’auteur.

En premier lieu, le caractĂšre rĂ©pĂ©tĂ© des agissements constitue l’un des Ă©lĂ©ments clefs de la dĂ©finition. Il s’agit ici de distinguer le harcĂšlement sexuel d’un acte isolĂ© de nature sexuelle, qui relĂšverait d’une autre qualification (par exemple, une agression ou une tentative d’abus). Le lĂ©gislateur ivoirien rejoint en cela la conception dominante en droit comparĂ© : en droit français, l’article L.1153-1 du Code du travail exige Ă©galement la rĂ©pĂ©tition d’actes, propos ou comportements ayant pour objet ou effet d’imposer Ă  une personne des propos ou comportements Ă  connotation sexuelle[9]. Cette exigence vise Ă  caractĂ©riser un climat de contrainte ou d’intimidation durable au sein de la relation de travail. Toutefois, la jurisprudence française a parfois admis que des faits isolĂ©s mais d’une gravitĂ© extrĂȘme puissent suffire Ă  constituer un harcĂšlement sexuel, notamment lorsqu’ils s’accompagnent d’un abus d’autoritĂ© ou d’une pression manifeste[10]. Ce glissement jurisprudentiel pourrait inspirer le juge ivoirien, surtout dans les contextes oĂč la relation hiĂ©rarchique est marquĂ©e par une forte dĂ©pendance Ă©conomique ou sociale du salariĂ© vis-Ă -vis de l’employeur.

En second lieu, la connotation sexuelle constitue l’élĂ©ment matĂ©riel du harcĂšlement. Elle peut se manifester sous diverses formes : gestes dĂ©placĂ©s, paroles suggestives, insinuations, ou demandes explicites de nature sexuelle. Le droit ivoirien, Ă  l’instar du droit français, ne limite pas le harcĂšlement sexuel aux seules propositions directes de rapports sexuels. Il englobe aussi des comportements implicites ou des allusions rĂ©pĂ©tĂ©es crĂ©ant un climat hostile, humiliant ou intimidant[11]. Cette conception rejoint la doctrine de Supiot, pour qui le harcĂšlement sexuel est une « violation de la dignitĂ© du salariĂ© dans ce qu’elle a de plus intime : le respect de son corps et de sa volontĂ© »[12]. Elle s’aligne Ă©galement sur les principes Ă©noncĂ©s par la Directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006, selon laquelle « le harcĂšlement sexuel doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une discrimination fondĂ©e sur le sexe », imposant aux États membres de le prohiber explicitement[13]. Le caractĂšre subjectif de la connotation sexuelle rend la qualification complexe : elle suppose une apprĂ©ciation du contexte, de l’intention et de la perception du salariĂ©. Le juge doit donc Ă©valuer si les propos ou gestes, mĂȘme anodins en apparence, ont eu pour effet de porter atteinte Ă  la dignitĂ© du travailleur. Cette approche, centrĂ©e sur l’effet ressenti plutĂŽt que sur l’intention, est dĂ©sormais dominante dans la jurisprudence comparĂ©e[14].

En dernier lieu, le texte ivoirien mentionne expressĂ©ment que les comportements doivent avoir pour « but d’obtenir des faveurs sexuelles Ă  son profit ou au profit d’un tiers ». Ce critĂšre distingue le harcĂšlement sexuel d’autres formes de comportements dĂ©placĂ©s. Il met en exergue la dimension intentionnelle de l’acte : l’auteur agit dans le dessein d’obtenir un avantage d’ordre sexuel, souvent en abusant de sa position hiĂ©rarchique ou de son autoritĂ© professionnelle. Cependant, la jurisprudence française a progressivement admis que l’absence d’intention de nuire ne suffit pas Ă  exclure la qualification de harcĂšlement, dĂšs lors que les faits ont objectivement créé un climat intimidant ou humiliant[15]. Il est probable que le juge ivoirien, confrontĂ© Ă  des situations analogues, adopte une approche similaire, privilĂ©giant la protection du salariĂ© sur la dĂ©monstration d’une intention explicite.

Ainsi, la dĂ©finition ivoirienne du harcĂšlement sexuel, bien que concise, se rĂ©vĂšle d’une portĂ©e protectrice considĂ©rable. Elle combine les exigences du droit comparĂ© tout en intĂ©grant des spĂ©cificitĂ©s adaptĂ©es au contexte socioculturel national.

Le harcĂšlement sexuel peut ĂȘtre apprĂ©hendĂ© sous un double angle juridique : celui du droit disciplinaire et celui du droit civil. D’un point de vue disciplinaire, il constitue une faute grave justifiant le licenciement immĂ©diat de son auteur, sans prĂ©avis ni indemnitĂ©. En effet, un tel comportement est incompatible avec la relation de confiance nĂ©cessaire au contrat de travail. Le juge ivoirien, Ă  l’instar de la Cour de cassation française, pourrait qualifier ces faits de « manquement Ă  l’obligation de respect due Ă  ses collaborateurs »[16]. Sur le plan civil, le harcĂšlement engage la responsabilitĂ© de l’employeur au titre de son obligation gĂ©nĂ©rale de sĂ©curitĂ© et de protection de la santĂ© physique et mentale des salariĂ©s. En droit ivoirien, bien que cette obligation ne soit pas expressĂ©ment formulĂ©e dans les mĂȘmes termes que l’article L.4121-1 du Code du travail français, elle dĂ©coule implicitement des articles relatifs Ă  la sĂ©curitĂ© et Ă  la dignitĂ© au travail. DĂšs lors, l’employeur peut voir sa responsabilitĂ© engagĂ©e, mĂȘme s’il n’est pas l’auteur direct du harcĂšlement, dĂšs lors qu’il a tolĂ©rĂ© ou ignorĂ© des comportements abusifs au sein de son entreprise[17]. Cette logique protectrice dĂ©coule d’une jurisprudence bien Ă©tablie en France : dans un arrĂȘt du 27 octobre 2004, la Cour de cassation a jugĂ© qu’« un employeur est tenu d’une obligation de sĂ©curitĂ© de rĂ©sultat en matiĂšre de protection de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© des travailleurs »[18]. Cette position, reprise par la doctrine (Lhernould, Despax), a contribuĂ© Ă  renforcer la prĂ©vention du harcĂšlement comme une composante essentielle du management Ă©thique de l’entreprise[19].

Par ailleurs, la preuve du harcĂšlement sexuel demeure l’un des principaux obstacles Ă  la mise en Ɠuvre effective de la protection lĂ©gale. Les faits se dĂ©roulent souvent sans tĂ©moin, dans un cadre hiĂ©rarchique fermĂ©, et le salariĂ© craint des reprĂ©sailles. Conscient de cette difficultĂ©, le droit comparĂ© et notamment le droit europĂ©en a introduit un amĂ©nagement de la charge de la preuve, repris en France Ă  l’article L.1154-1 du Code du travail, selon lequel « le salariĂ© prĂ©sente des Ă©lĂ©ments de fait laissant supposer l’existence d’un harcĂšlement », et il appartient alors Ă  l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcĂšlement[20]. Bien que le droit ivoirien ne contienne pas encore une disposition similaire, la jurisprudence pourrait, par analogie, adopter une telle solution. La Cour de justice de l’Union europĂ©enne (CJUE) a jugĂ© dans l’arrĂȘt Danosa (2010) que l’efficacitĂ© du droit Ă  la non-discrimination exige que la victime ne supporte pas seule la charge de la preuve[21]. Ce principe de facilitation probatoire est Ă©galement consacrĂ© par l’article 9 de la Convention OIT n° 190, qui impose aux États d’adopter des mĂ©canismes de preuve adaptĂ©s Ă  la rĂ©alitĂ© des victimes de harcĂšlement[22]. Dans le contexte ivoirien, l’amĂ©nagement de la preuve apparaĂźt indispensable pour garantir une effectivitĂ© rĂ©elle du droit. Comme le souligne Lhernould, « la force du droit du travail ne se mesure pas seulement Ă  la rigueur de ses interdictions, mais Ă  la possibilitĂ© pour le salariĂ© d’en obtenir l’application »[23]. L’adoption d’une telle approche permettrait d’équilibrer le rapport de force entre employeur et salariĂ©, et de renforcer la confiance dans les institutions judiciaires du travail.

II. Le harcĂšlement moral : une violence insidieuse et destructrice

À la diffĂ©rence du harcĂšlement sexuel, le harcĂšlement moral se distingue par sa nature sournoise et progressive, rendant souvent sa dĂ©tection et sa rĂ©pression plus difficiles. Il s’agit d’une forme de violence psychologique qui altĂšre profondĂ©ment les conditions de travail et compromet la santĂ© physique et mentale du salariĂ©. Afin d’en mesurer toute la gravitĂ©, il convient d’abord d’en prĂ©ciser la dĂ©finition lĂ©gale ainsi que les Ă©lĂ©ments permettant sa caractĂ©risation au regard du droit du travail (A), avant d’examiner les consĂ©quences concrĂštes qu’il entraĂźne sur la santĂ© du travailleur et la responsabilitĂ© juridique qui en dĂ©coule pour l’employeur (B).

L’article 5, alinĂ©a 3, du Code du travail ivoirien dĂ©finit le harcĂšlement moral comme « les comportements abusifs, menaces, attaques, paroles, intimidations, Ă©crits, attitudes, agissements rĂ©pĂ©tĂ©s Ă  l’encontre d’un salariĂ©, ayant pour objet ou pour effet la dĂ©gradation de ses conditions de travail et qui, comme tels, sont susceptibles de porter atteinte Ă  ses droits et Ă  sa dignitĂ©, d’altĂ©rer sa santĂ© physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel »[24]. Cette disposition est d’une portĂ©e considĂ©rable : elle s’inscrit dans la continuitĂ© des rĂ©formes sociales engagĂ©es en CĂŽte d’Ivoire depuis le Code du travail de 2015, tout en intĂ©grant les enseignements du droit comparĂ© et des sciences humaines sur la souffrance au travail.

Deux Ă©lĂ©ments se dĂ©gagent de la lettre de la loi : la rĂ©pĂ©tition des comportements et leurs effets dĂ©lĂ©tĂšres sur le salariĂ©. Le lĂ©gislateur ivoirien, suivant l’exemple français (loi du 17 janvier 2002, dite « loi de modernisation sociale »[25]), a entendu sanctionner des comportements rĂ©itĂ©rĂ©s, souvent diffus, dont la violence psychologique s’inscrit dans la durĂ©e. Le harcĂšlement moral se distingue ici de la simple tension professionnelle ou du conflit ponctuel : il suppose une stratĂ©gie de dĂ©stabilisation ou de mise Ă  l’écart du salariĂ©. Cette approche, directement inspirĂ©e des travaux pionniers de la psychiatre Hirigoyen, conçoit le harcĂšlement comme un processus destructeur visant Ă  miner l’équilibre psychologique du travailleur[26]. Selon elle, « le harcĂšlement moral se manifeste par des comportements rĂ©pĂ©tĂ©s qui, isolĂ©s, peuvent sembler anodins, mais qui, dans leur accumulation, dĂ©truisent progressivement la victime »[27]. Le droit ivoirien traduit ainsi dans le texte une rĂ©alitĂ© psychologique complexe, en reconnaissant que la violence morale peut ĂȘtre silencieuse, invisible, mais profondĂ©ment destructrice. Sur le plan juridique, ces agissements se matĂ©rialisent par des humiliations, des critiques rĂ©pĂ©tĂ©es, une surcharge de travail injustifiĂ©e, une mise Ă  l’écart, ou encore un retrait des missions. Dans l’arrĂȘt Cass. soc., 10 nov. 2009, n°07-45.321, la Cour de cassation française a qualifiĂ© de harcĂšlement moral des agissements consistant Ă  priver un salariĂ© de moyens matĂ©riels, Ă  le dĂ©nigrer et Ă  le marginaliser[28]. Une telle analyse pourrait ĂȘtre transposĂ©e dans le contexte ivoirien, oĂč la hiĂ©rarchie est parfois utilisĂ©e comme instrument d’intimidation, notamment dans les structures administratives.

Le texte ivoirien, en reprenant la formule « ayant pour objet ou pour effet », intĂšgre une approche objective du harcĂšlement moral : il n’est pas nĂ©cessaire que l’auteur ait voulu nuire, il suffit que ses comportements aient eu pour effet de dĂ©grader les conditions de travail du salariĂ©. Cette orientation rejoint la doctrine de Supiot, pour qui « le harcĂšlement moral traduit une dĂ©rive managĂ©riale oĂč l’individu cesse d’ĂȘtre un sujet de droit pour devenir un simple instrument de production »[29]. Les manifestations du harcĂšlement moral sont multiples. On peut en distinguer quatre types principaux :

  • le management abusif, caractĂ©risĂ© par une pression excessive, des reproches incessants ou des ordres contradictoires ;
  • l’isolement professionnel, consistant Ă  exclure le salariĂ© des rĂ©unions, Ă  l’isoler de ses collĂšgues ou Ă  ignorer ses contributions ;
  • la surcharge de travail, ou Ă  l’inverse, la privation de tĂąches, utilisĂ©es comme formes de sanction dĂ©guisĂ©e ;
  • les humiliations et atteintes Ă  la dignitĂ©, par des propos dĂ©nigrants, des moqueries ou une mise en doute systĂ©matique des compĂ©tences.

Ces comportements, souvent anodins pris isolĂ©ment, constituent, lorsqu’ils s’inscrivent dans la durĂ©e, une vĂ©ritable violence institutionnelle. Comme l’explique Lhernould, « le harcĂšlement moral illustre la transformation de la subordination en domination, lorsque le pouvoir hiĂ©rarchique Ă©chappe Ă  toute rationalitĂ© Ă©conomique pour devenir un instrument d’humiliation »[30]. La dĂ©finition ivoirienne s’inscrit donc dans une conception moderne du droit du travail, qui reconnaĂźt le travailleur non seulement comme un agent Ă©conomique, mais aussi comme un ĂȘtre psychologique et social dont la dignitĂ© et la santĂ© mentale doivent ĂȘtre protĂ©gĂ©es.

Le harcĂšlement moral, en dĂ©gradant les conditions de travail, produit des effets pathogĂšnes avĂ©rĂ©s : troubles du sommeil, anxiĂ©tĂ©, dĂ©pression, burn-out, voire dans les cas extrĂȘmes, suicide professionnel. Ces consĂ©quences font du harcĂšlement une question de santĂ© publique et de sĂ©curitĂ© au travail. En droit ivoirien, cette dimension est implicitement encadrĂ©e par les articles 41.1 et suivants du Code du travail, relatifs Ă  l’hygiĂšne et Ă  la sĂ©curitĂ©. Ces textes imposent Ă  l’employeur une obligation gĂ©nĂ©rale de prĂ©vention des risques professionnels, incluant les risques psychosociaux. Ce principe s’aligne sur le modĂšle français, oĂč la Cour de cassation, dans un arrĂȘt de principe du 21 juin 2006 (n° 05-43.914), a affirmĂ© que l’employeur est tenu d’une « obligation de sĂ©curitĂ© de rĂ©sultat » en matiĂšre de santĂ© au travail[31]. Cette obligation de prĂ©vention ne se limite pas Ă  une simple rĂ©action en cas de plainte. Elle implique une action proactive : formation du personnel, mĂ©canismes de signalement, enquĂȘtes internes et politiques de tolĂ©rance zĂ©ro. Dans l’arrĂȘt CJUE, 19 avril 2012, aff. C-415/10, Meister, la Cour de justice de l’Union europĂ©enne a rappelĂ© que les États doivent garantir aux victimes de harcĂšlement un cadre procĂ©dural effectif pour faire valoir leurs droits[32]. Ces principes, bien que d’origine europĂ©enne, inspirent progressivement les rĂ©formes africaines du travail, notamment en CĂŽte d’Ivoire, qui cherche Ă  renforcer le rĂŽle de l’Inspection du travail dans la prĂ©vention du harcĂšlement.

De mĂȘme, le harcĂšlement moral a des rĂ©percussions directes sur la relation de travail : il conduit souvent Ă  des arrĂȘts maladie, Ă  une inaptitude temporaire ou dĂ©finitive, voire Ă  la rupture du contrat. En France, la jurisprudence considĂšre que lorsque le harcĂšlement a entraĂźnĂ© une dĂ©gradation de la santĂ©, tout licenciement ultĂ©rieur pour inaptitude est nul[33]. Une telle logique pourrait ĂȘtre transposĂ©e dans le droit ivoirien, oĂč l’article 18.3 du Code du travail encadre dĂ©jĂ  la rupture du contrat en cas d’incapacitĂ© prolongĂ©e. Cette articulation entre harcĂšlement et inaptitude traduit un cercle vicieux : le salariĂ© victime, affaibli psychologiquement, se trouve dans l’impossibilitĂ© de reprendre son emploi, tandis que l’employeur peut tenter de justifier une rupture pour motif mĂ©dical. Il appartient alors au juge d’examiner la cause rĂ©elle de la rupture : si l’inaptitude dĂ©coule directement d’un harcĂšlement moral, l’employeur engage sa responsabilitĂ© civile et le licenciement doit ĂȘtre requalifiĂ© en licenciement abusif. La responsabilitĂ© disciplinaire de l’auteur du harcĂšlement s’ajoute Ă  celle de l’employeur. Ce dernier doit sanctionner tout comportement dĂ©viant constatĂ© dans son entreprise. L’inaction Ă©quivaut Ă  une faute in vigilando. Comme le souligne Despax, « le silence de l’employeur face Ă  la souffrance au travail est en lui-mĂȘme gĂ©nĂ©rateur de responsabilitĂ© »[34].

Ainsi, la lutte contre le harcĂšlement moral en droit ivoirien dĂ©passe la seule rĂ©pression : elle impose une culture de prĂ©vention, d’écoute et de vigilance au sein des entreprises. Cette mutation culturelle est essentielle pour faire du lieu de travail un espace de respect, de performance et de dignitĂ©.

III. Le cadre juridique ivoirien : fondement, portée et limites

La reconnaissance lĂ©gale du harcĂšlement moral et sexuel par le Code du travail ivoirien de 2025 marque une avancĂ©e majeure dans la protection des travailleurs contre les violences psychologiques et les atteintes Ă  la dignitĂ© en milieu professionnel. Toutefois, si la norme existe, sa mise en Ɠuvre demeure confrontĂ©e Ă  des limites structurelles, institutionnelles et culturelles. L’article 5 du Code du travail pose une base juridique solide, mais l’absence de mĂ©canismes internes obligatoires, de structures rĂ©fĂ©rentes et de dispositifs de prĂ©vention formalisĂ©s dans les entreprises limite encore la portĂ©e pratique de ce texte. La prĂ©sente partie vise Ă  analyser, d’une part, la portĂ©e et les lacunes du cadre lĂ©gislatif ivoirien en matiĂšre de prĂ©vention (A), et, d’autre part, le rĂŽle des institutions chargĂ©es de son application et les perspectives d’amĂ©lioration du systĂšme (B).

L’article 5 du Code du travail ivoirien constitue le fondement du dispositif de lutte contre le harcĂšlement. Il consacre expressĂ©ment les notions de harcĂšlement moral et sexuel, en prĂ©cisant leurs Ă©lĂ©ments constitutifs et en Ă©rigeant leur interdiction au rang de principe d’ordre public social. Ce texte, en imposant Ă  l’employeur un devoir de vigilance, introduit une obligation implicite de prĂ©vention des comportements dĂ©viants au sein de l’entreprise. En cela, il s’aligne sur le principe fondamental posĂ© par l’article 41.1 du mĂȘme code, qui exige de l’employeur qu’il garantisse des conditions de travail conformes aux exigences de sĂ©curitĂ©, de santĂ© et de dignitĂ©. Toutefois, contrairement au droit français, le droit ivoirien n’impose pas la mise en place de procĂ©dures internes obligatoires pour prĂ©venir le harcĂšlement, telles que la dĂ©signation d’un rĂ©fĂ©rent, la crĂ©ation d’un registre des plaintes ou l’obligation d’enquĂȘte interne en cas de signalement. Cette absence fragilise la portĂ©e prĂ©ventive du dispositif.  En comparaison, la loi française du 5 septembre 2018 (loi « Avenir professionnel ») a rendu obligatoire la dĂ©signation d’un rĂ©fĂ©rent harcĂšlement dans les entreprises de plus de 250 salariĂ©s, et a imposĂ© aux comitĂ©s sociaux et Ă©conomiques (CSE) de jouer un rĂŽle actif dans la prĂ©vention[35]. Cette mesure vise Ă  instaurer une vigilance permanente, en favorisant une culture de prĂ©vention plutĂŽt qu’une rĂ©action postĂ©rieure Ă  la survenance du dommage. Le lĂ©gislateur ivoirien pourrait s’inspirer de cette expĂ©rience pour combler le vide normatif et renforcer la protection des travailleurs, en instituant des mĂ©canismes internes de signalement et d’enquĂȘte.

L’absence de rĂ©fĂ©rent interne, de formations obligatoires sur les comportements Ă  risque ou de procĂ©dure d’enquĂȘte crĂ©e un dĂ©calage entre la norme et la pratique. La majoritĂ© des entreprises ivoiriennes, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), ne disposent pas de services juridiques ou de ressources humaines suffisamment formĂ©es pour gĂ©rer ces situations. Selon une Ă©tude menĂ©e par le MinistĂšre de l’Emploi et de la Protection sociale (rapport 2022 sur la santĂ© au travail), plus de 78 % des travailleurs interrogĂ©s dĂ©clarent ne pas connaĂźtre les voies de recours internes en cas de harcĂšlement[36]. Ce chiffre tĂ©moigne du dĂ©ficit d’information et de sensibilisation sur la question, mais aussi du poids des reprĂ©sentations sociales : beaucoup de victimes perçoivent le harcĂšlement comme un « abus normal » liĂ© Ă  la hiĂ©rarchie, plutĂŽt que comme une violation de leurs droits fondamentaux. En outre, la Recommandation n° 206 de l’OIT (2019) insiste pourtant sur l’importance des mesures prĂ©ventives Ă  plusieurs niveaux : Ă©tablissement de politiques nationales, adoption de codes de conduite en entreprise, mĂ©canismes confidentiels de plainte et programmes de formation. La CĂŽte d’Ivoire, bien qu’ayant ratifiĂ© la Convention OIT n° 190, n’a pas encore mis en place l’ensemble de ces mesures. Cette lacune est d’autant plus prĂ©occupante que le harcĂšlement moral et sexuel est souvent sous-dĂ©clarĂ© : la peur de reprĂ©sailles, la honte, la dĂ©pendance Ă©conomique et la mĂ©fiance Ă  l’égard des institutions dissuadent les victimes d’agir. Le systĂšme actuel repose encore essentiellement sur la dĂ©nonciation individuelle, sans soutien institutionnel fort.

Ainsi, la lĂ©gislation ivoirienne, bien qu’innovante dans sa formulation, demeure fragile dans sa mise en Ɠuvre pratique. Elle gagnerait Ă  ĂȘtre consolidĂ©e par des dispositifs de prĂ©vention systĂ©matiques, notamment la formation des cadres, la sensibilisation du personnel et la mise en place de cellules d’écoute.

Le principal organe chargĂ© de veiller Ă  l’application des dispositions sur le harcĂšlement est l’Inspection du Travail et des Lois Sociales. En vertu des articles 91.3 et suivants du Code du travail, l’Inspecteur du travail a pour mission de contrĂŽler les conditions d’exĂ©cution du travail, de veiller au respect des droits fondamentaux du salariĂ© et de concilier les parties en cas de conflit individuel. En matiĂšre de harcĂšlement, son rĂŽle est principalement prĂ©ventif et conciliateur : il peut recevoir les plaintes, mener des enquĂȘtes, entendre les tĂ©moins et recommander des mesures correctives Ă  l’employeur. Cependant, ses moyens d’action demeurent limitĂ©s. L’Inspection ne dispose ni de pouvoir de sanction autonome ni de ressources suffisantes pour intervenir dans l’ensemble du tissu Ă©conomique national. Une Ă©tude interne du MinistĂšre de la Fonction publique et de l’Emploi (Rapport 2018-2022) montre que sur 143 cas de harcĂšlement signalĂ©s Ă  l’Inspection du Travail d’Abidjan, seuls 29 dossiers ont abouti Ă  des mĂ©diations formelles, et Ă  peine 12 ont Ă©tĂ© transmis Ă  la juridiction compĂ©tente[37]. Cette statistique met en lumiĂšre le faible taux de traitement effectif des plaintes et la nĂ©cessitĂ© de renforcer la capacitĂ© opĂ©rationnelle de cette institution.

Quant aux juridictions sociales, elles demeurent le dernier rempart. Le juge du travail peut reconnaĂźtre le caractĂšre abusif d’un licenciement consĂ©cutif Ă  un harcĂšlement, condamner l’employeur Ă  des dommages-intĂ©rĂȘts, voire, dans certains cas, prononcer la nullitĂ© du licenciement. Toutefois, le manque de jurisprudence publiĂ©e en CĂŽte d’Ivoire sur cette question limite encore la construction d’un vĂ©ritable droit prĂ©torien du harcĂšlement. LĂ  encore, le modĂšle français et europĂ©en peut servir d’inspiration. La jurisprudence de la Cour de cassation française (arrĂȘt du 10 nov. 2009 prĂ©citĂ©) et celle de la CJUE (aff. C-54/07, Feryn) insistent sur le devoir d’enquĂȘte et la responsabilitĂ© de l’employeur dĂšs lors qu’un harcĂšlement est signalĂ©[38]. Ces standards pourraient ĂȘtre transposĂ©s dans la pratique ivoirienne pour rendre l’action administrative plus effective.

En plus, les organisations syndicales ont un rĂŽle Ă  jouer dans la prĂ©vention et la dĂ©nonciation du harcĂšlement. L’article 51.1 et suivants du Code du travail leur confĂšre la mission de dĂ©fendre les droits et intĂ©rĂȘts professionnels des travailleurs. Cependant, dans les faits, les syndicats ivoiriens interviennent rarement sur les questions de harcĂšlement, souvent perçues comme relevant de la sphĂšre privĂ©e ou de la gestion interne de l’entreprise. Cette inertie s’explique par le manque de formation syndicale sur les questions psychosociales et par l’absence de mĂ©canismes institutionnalisĂ©s de dialogue social autour de ces problĂ©matiques. Comme le rappelle RodiĂšre, « la lutte contre le harcĂšlement ne peut ĂȘtre efficace que si elle est intĂ©grĂ©e Ă  la culture collective de prĂ©vention, au mĂȘme titre que la sĂ©curitĂ© physique »[39]. Dans plusieurs pays de la sous-rĂ©gion, des avancĂ©es intĂ©ressantes ont Ă©tĂ© observĂ©es : au SĂ©nĂ©gal, par exemple, certaines conventions collectives sectorielles incluent dĂ©sormais des clauses de prĂ©vention du harcĂšlement et de mĂ©diation interne[40]. La CĂŽte d’Ivoire pourrait suivre cette voie en incitant les partenaires sociaux Ă  nĂ©gocier des accords d’entreprise ou de branche intĂ©grant la prĂ©vention des violences psychologiques et sexuelles au travail.

Pour rendre le dispositif plus opĂ©rationnel, plusieurs pistes peuvent ĂȘtre envisagĂ©es :

  • Renforcer les pouvoirs de l’Inspection du travail, en lui confĂ©rant la possibilitĂ© d’imposer des sanctions administratives immĂ©diates en cas de manquement grave.
  • CrĂ©er un Observatoire national du harcĂšlement au travail, chargĂ© de collecter les donnĂ©es, d’analyser les tendances et de formuler des recommandations.
  • Former les magistrats et inspecteurs aux mĂ©canismes de preuve en matiĂšre de harcĂšlement moral et sexuel, afin d’harmoniser les pratiques judiciaires.
  • Instituer un rĂ©fĂ©rent obligatoire dans les entreprises de plus de cinquante salariĂ©s, sur le modĂšle français, et introduire des procĂ©dures internes confidentielles.

Ces réformes contribueraient à ancrer durablement la lutte contre le harcÚlement dans la culture juridique et managériale ivoirienne, en transformant la norme légale en réalité vécue.

IV. Sanctions et voies de recours : vers une effectivité du droit

L’effectivitĂ© d’un dispositif juridique ne se mesure pas uniquement Ă  la qualitĂ© de sa rĂ©daction ou Ă  la clartĂ© de ses principes, mais Ă  la rĂ©alitĂ© de sa mise en Ɠuvre et Ă  la capacitĂ© du systĂšme judiciaire Ă  en garantir le respect. En matiĂšre de harcĂšlement moral et sexuel, la norme ivoirienne, bien que conforme aux standards internationaux, ne saurait atteindre sa pleine efficacitĂ© sans des sanctions dissuasives et des voies de recours accessibles. Le lĂ©gislateur ivoirien a ainsi prĂ©vu une graduation des sanctions disciplinaires, civiles et pĂ©nales tout en offrant aux victimes des recours multiples devant l’administration du travail et les juridictions sociales. Cependant, les dĂ©fis liĂ©s Ă  la preuve, Ă  la lenteur judiciaire et au dĂ©ficit de sensibilisation des acteurs limitent encore la portĂ©e pratique du dispositif.

Le harcĂšlement, qu’il soit moral ou sexuel, constitue une faute lourde justifiant la rupture immĂ©diate du contrat de travail, sans prĂ©avis ni indemnitĂ©. En vertu des articles 18.15 et 18.16 du Code du travail ivoirien, toute faute grave portant atteinte Ă  la dignitĂ© ou Ă  l’intĂ©gritĂ© d’un salariĂ© est susceptible d’entraĂźner un licenciement disciplinaire[41]. Cette sanction traduit la volontĂ© du lĂ©gislateur de protĂ©ger la moralitĂ© du milieu professionnel et d’affirmer que la dignitĂ© humaine prime sur les impĂ©ratifs Ă©conomiques. Le juge du travail ivoirien, Ă  l’instar de la Cour de cassation française, pourrait considĂ©rer que le harcĂšlement constitue un manquement Ă  l’obligation de loyautĂ© et de respect entre collĂšgues ou envers les subordonnĂ©s[42]. Ainsi, l’employeur se trouve doublement responsable : il doit sanctionner l’auteur du harcĂšlement sous peine d’engager sa propre responsabilitĂ© pour inaction fautive, et il doit veiller Ă  la rĂ©intĂ©gration ou Ă  l’indemnisation de la victime. Cette exigence rejoint la logique de la jurisprudence française, notamment l’arrĂȘt Cass. soc., 27 octobre 2004, qui consacre l’obligation de sĂ©curitĂ© de rĂ©sultat de l’employeur[43].

Outre la sanction disciplinaire, la victime peut obtenir des dommages-intĂ©rĂȘts pour le prĂ©judice subi. Les articles 18.15 et 18.16 du Code du travail prĂ©cisent que toute rupture abusive du contrat ouvre droit Ă  rĂ©paration. Dans le cas d’un harcĂšlement, cette rĂ©paration doit couvrir le prĂ©judice moral, mais aussi les consĂ©quences Ă©conomiques (arrĂȘt de travail, perte de salaire, atteinte Ă  la carriĂšre). Le juge apprĂ©cie souverainement le montant des dommages-intĂ©rĂȘts, en tenant compte de la gravitĂ© des faits et de la position hiĂ©rarchique du harceleur. En France, la jurisprudence admet mĂȘme une indemnisation spĂ©cifique pour les souffrances psychiques engendrĂ©es par le harcĂšlement, distincte de l’indemnitĂ© de licenciement[44]. En CĂŽte d’Ivoire, l’absence de barĂšme contraignant laisse au juge du travail une marge d’apprĂ©ciation utile, mais expose Ă  un risque d’inĂ©galitĂ© de traitement entre victimes. D’oĂč la nĂ©cessitĂ©, pour l’avenir, d’une harmonisation des pratiques judiciaires par des lignes directrices Ă©manant du Conseil supĂ©rieur de la magistrature ou du MinistĂšre de la Justice.

Le harcĂšlement sexuel est Ă©galement sanctionnĂ© sur le plan pĂ©nal par les articles 114, 115, 130, 417 et 418 du Code pĂ©nal ivoirien. Ces dispositions consacrent la dimension criminelle du harcĂšlement sexuel, qui dĂ©passe le cadre professionnel pour relever de la protection pĂ©nale de la dignitĂ© humaine. Le cumul des sanctions disciplinaires et pĂ©nales est donc possible : la faute disciplinaire sanctionne le manquement contractuel, tandis que la peine pĂ©nale vise la protection de l’ordre public. Le harcĂšlement moral, en revanche, n’est pas encore Ă©rigĂ© en infraction autonome dans le Code pĂ©nal ivoirien. Cette lacune, dĂ©jĂ  soulignĂ©e par plusieurs auteurs, pourrait ĂȘtre comblĂ©e Ă  l’avenir par une rĂ©forme inspirĂ©e du Code pĂ©nal français (art. 222-33-2), qui rĂ©prime depuis 2002 le harcĂšlement moral au travail.

En France, les articles L.1155-2 et L.1155-3 du Code du travail prĂ©voient des amendes et des peines d’emprisonnement en cas de harcĂšlement, renforcĂ©es par la loi du 6 aoĂ»t 2012. Au Canada, le Code canadien du travail (art. 125) impose Ă  l’employeur une obligation stricte de prĂ©vention, et les commissions des droits de la personne peuvent ordonner des compensations financiĂšres importantes. Au SĂ©nĂ©gal, le Code du travail prĂ©voit Ă©galement le licenciement immĂ©diat du harceleur et la possibilitĂ© pour la victime d’obtenir des rĂ©parations civiles. Cependant, comme en CĂŽte d’Ivoire, le harcĂšlement moral n’est pas encore incriminĂ© pĂ©nalement, bien qu’il fasse l’objet de sanctions disciplinaires internes.

Cette comparaison rĂ©vĂšle une tendance rĂ©gionale : si la norme existe, l’effectivitĂ© dĂ©pend de la volontĂ© institutionnelle et de la formation des acteurs du droit Ă  ces questions nouvelles.

La premiĂšre voie de recours offerte Ă  la victime est administrative. ConformĂ©ment au Code du travail, la victime peut saisir l’Inspection du Travail, qui dispose de compĂ©tences de conciliation et d’enquĂȘte. L’Inspecteur du Travail peut convoquer les parties, recueillir les tĂ©moignages et recommander des mesures de rĂ©intĂ©gration ou de rĂ©paration. Cependant, cette voie reste non contraignante : l’Inspection ne peut imposer de sanctions pĂ©cuniaires ni ordonner la rĂ©intĂ©gration du salariĂ©. Elle joue un rĂŽle de mĂ©diation, utile pour dĂ©samorcer les conflits mais insuffisant lorsque le harcĂšlement a causĂ© un prĂ©judice grave. Selon le Rapport du MinistĂšre de la Fonction publique (2018-2022), Ă  peine 10 % des dossiers de harcĂšlement soumis Ă  l’Inspection aboutissent Ă  une conciliation effective. Une rĂ©forme pourrait confĂ©rer Ă  l’Inspection un pouvoir d’injonction en cas de manquement avĂ©rĂ©, Ă  l’image du modĂšle canadien, oĂč les inspecteurs peuvent imposer la cessation immĂ©diate d’un comportement harcelant.

Le recours juridictionnel demeure le moyen le plus structurĂ© de faire reconnaĂźtre la violation. Les victimes peuvent saisir le Tribunal du Travail compĂ©tent pour demander la nullitĂ© du licenciement, la rĂ©intĂ©gration ou la rĂ©paration intĂ©grale du prĂ©judice moral et matĂ©riel. Les dĂ©cisions rendues peuvent ĂȘtre attaquĂ©es devant la Cour d’Appel puis la Cour de Cassation. MĂȘme si la jurisprudence ivoirienne reste embryonnaire, quelques dĂ©cisions illustrent une Ă©volution prometteuse. Dans une dĂ©cision du Tribunal du Travail d’Abidjan (2021), un employeur a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  10 millions de F CFA de dommages-intĂ©rĂȘts pour harcĂšlement moral, le juge ayant retenu la dĂ©gradation volontaire des conditions de travail d’une salariĂ©e enceinte. Cette affaire, largement commentĂ©e par la doctrine, marque une prise de conscience judiciaire progressive. La jurisprudence comparĂ©e africaine renforce cette tendance : au SĂ©nĂ©gal, la Cour suprĂȘme (arrĂȘt du 23 mai 2019) a confirmĂ© la nullitĂ© d’un licenciement fondĂ© sur la dĂ©nonciation de faits de harcĂšlement ; au Maroc, la Cour de cassation (arrĂȘt n° 721/2018) a imposĂ© Ă  l’employeur une obligation renforcĂ©e de prĂ©vention. Ces dĂ©cisions convergent vers une reconnaissance continentale du harcĂšlement comme atteinte Ă  la dignitĂ© constitutionnellement protĂ©gĂ©e.

L’avenir du contentieux du harcĂšlement repose sur la capacitĂ© des juges Ă  construire un droit prĂ©torien cohĂ©rent. La loi, aussi claire soit-elle, ne peut suffire si elle n’est pas accompagnĂ©e d’une interprĂ©tation protectrice. Comme le rappelle Alain Supiot, « la justice sociale est la traduction jurisprudentielle de la dignitĂ© humaine dans les relations de travail »[45]. La CĂŽte d’Ivoire dispose d’un potentiel considĂ©rable : son systĂšme judiciaire, structurĂ© autour des tribunaux du travail, permet une proximitĂ© avec les justiciables. En favorisant la formation des magistrats, en publiant rĂ©guliĂšrement les dĂ©cisions et en encourageant les recours, le pays pourrait devenir un modĂšle rĂ©gional de justice sociale fondĂ©e sur la dignitĂ© et le respect des personnes.

Le principal mĂ©rite du dispositif ivoirien rĂ©side dans la clartĂ© de la dĂ©finition lĂ©gale du harcĂšlement moral et sexuel (art. 5 C. trav.), qui s’aligne sur les standards internationaux. Il traduit une volontĂ© de protection du salariĂ© contre les violences invisibles du monde du travail. Toutefois, ce texte, bien que normativement complet, reste juridiquement orphelin d’un ensemble de mĂ©canismes procĂ©duraux et institutionnels indispensables Ă  sa pleine application. L’absence d’un rĂ©fĂ©rent harcĂšlement, de procĂ©dures internes de signalement, ou encore d’une typification pĂ©nale du harcĂšlement moral, fragilise le dispositif. De mĂȘme, la faiblesse des moyens allouĂ©s Ă  l’Inspection du travail, la raretĂ© des dĂ©cisions publiĂ©es des tribunaux du travail et la mĂ©connaissance du phĂ©nomĂšne par les acteurs sociaux freinent l’émergence d’une vĂ©ritable culture de prĂ©vention. Ce constat rejoint la doctrine d’Alain Supiot, pour qui « une rĂšgle n’a de valeur que par la rĂ©alitĂ© des institutions capables d’en assurer l’application ». Le droit ivoirien du harcĂšlement apparaĂźt donc fort dans le principe, mais fragile dans la pratique.

Les dĂ©fis Ă  relever se situent Ă  trois niveaux : la prĂ©vention, la preuve et la culture d’entreprise. Sur le plan prĂ©ventif, le systĂšme ivoirien doit Ă©voluer d’une logique rĂ©active Ă  une approche proactive. Cela suppose la mise en place d’une politique nationale de santĂ© au travail intĂ©grant les risques psychosociaux et le harcĂšlement comme prioritĂ©s. Des programmes de formation destinĂ©s aux employeurs, aux cadres et aux dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux sont indispensables pour crĂ©er une culture organisationnelle fondĂ©e sur le respect et la bienveillance. Sur le plan probatoire, la difficultĂ© Ă  dĂ©montrer les faits de harcĂšlement demeure l’obstacle majeur. L’amĂ©nagement de la charge de la preuve Ă  l’image du modĂšle français depuis la loi du 17 janvier 2002 permettrait de mieux protĂ©ger les victimes sans compromettre les droits de la dĂ©fense. Enfin, sur le plan culturel, il s’agit de transformer la perception du harcĂšlement dans les entreprises ivoiriennes. Trop souvent, ces comportements sont banalisĂ©s ou dissimulĂ©s sous couvert de « management ferme ». La lutte contre le harcĂšlement exige une rĂ©volution des mentalitĂ©s, oĂč la performance Ă©conomique s’accorde avec la dignitĂ© humaine. Comme le souligne Marie-France Hirigoyen, « le harcĂšlement ne prospĂšre que dans les organisations oĂč la peur et le silence remplacent la confiance et la parole ».

L’avenir du droit ivoirien du travail passe par la construction d’une politique intĂ©grĂ©e de santĂ© au travail, articulant la prĂ©vention des risques physiques et psychiques. Cette approche globale, prĂŽnĂ©e par l’OIT Ă  travers la Convention n° 190 et la Recommandation n° 206, suppose la coopĂ©ration entre le MinistĂšre de l’Emploi, les syndicats, les organisations patronales et la sociĂ©tĂ© civile. Le respect de la dignitĂ© en entreprise doit devenir une valeur managĂ©riale, un indicateur de gouvernance et un critĂšre de responsabilitĂ© sociale. La crĂ©ation d’un Observatoire national du harcĂšlement au travail, la formation continue des magistrats et la publication systĂ©matique des dĂ©cisions judiciaires renforceraient la visibilitĂ© et la crĂ©dibilitĂ© du dispositif. En dĂ©finitive, la lutte contre le harcĂšlement moral et sexuel ne se limite pas Ă  une question de droit, mais constitue un enjeu civilisationnel : celui de bĂątir un environnement de travail oĂč la productivitĂ© se conjugue avec le respect de la personne humaine.

La CĂŽte d’Ivoire, en affirmant sa volontĂ© de promouvoir la dignitĂ© au travail, trace la voie d’un modĂšle africain de justice sociale fondĂ© sur la prĂ©vention, la responsabilitĂ© et la solidaritĂ©.


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Me Luc KOUASSI

Juriste Consultant Polyglotte| Formateur | SpĂ©cialiste en rĂ©daction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | BĂ©nĂ©vole humanitaire.

denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28


[1] A. Supiot, Critique du droit du travail, PUF, 2015, p. 83.

[2] OIT, Convention n°190 et Recommandation n°206 sur la violence et le harcÚlement, GenÚve, 2019.

[3] Code du travail ivoirien, 2015, art. 5, al. 4.

[4] Ibidd., art. 5, al. 3.

[5] Constitution de la RĂ©publique de CĂŽte d’Ivoire, 2016, art. 4.

[6] Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, Bull. civ. V, n° 214.

[7] J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 2022, p. 52.

[8] Ibid.

[9] Code du travail français, art. L.1153-1.

[10] Cass. crim., 11 juin 2019, n°18-83.160, Bull. crim. n°155.

[11] Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, 5 juill. 2006.

[12] A. Supiot, Op. cit., p. 83.

[13] Directive 2006/54/CE

[14] Cass. soc., 17 mai 2005, n°03-44.055.

[15] Cass. soc., 19 oct. 2011, n°09-68.272.

[16] Cass. soc., 27 oct. 2004, n°03-44.812.

[17] M. Despax, Droit du travail, PUF, 2001, 128 p.

[18] Cass. soc., 27 oct. 2004, précité.

[19] J.-P. Lhernould, Droit du travail : Relations individuelles, Edito, 2003, p. 289.

[20] Code du travail français, art. L.1154-1.

[21] CJUE, 11 nov. 2010, Danosa, aff. C-232/09.

[22] OIT, Convention n°190 sur la violence et le harcÚlement, 2019, art. 9.

[23] J.-P. Lhernould, Op. cit., p. 297.

[24] Ibidd., art. 5, al. 3.

[25] Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002, JO République française.

[26] M.-F. Hirigoyen, Le harcĂšlement moral de la violence perverse au quotidien, Syros, 1998, p. 24.

[27] M.-F. Hirigoyen, Op. cit., p. 37.

[28] Cass. soc., 10 nov. 2009, n°07-45.321.

[29] A. Supiot, Op. cit., p. 92.

[30] J.-P. Lhernould, Op. cit., p. 302.

[31] Cass. soc., 21 juin 2006, n°05-43.914, Bull. civ. V, n°214.

[32] CJUE, 19 avr. 2012, Meister, aff. C-415/10.

[33] CJUE, 19 avr. 2012, Meister, aff. C-415/10.

[34] M. Despax, Droit du travail, PUF, 2001, 128 p.

[35] Loi française n°2018-771 du 5 septembre 2018, JO République française, art. L.1153-5 et L.1153-6.

[36] MinistĂšre de l’Emploi et de la Protection sociale, Rapport sur la santĂ© au travail en CĂŽte d’Ivoire, Abidjan, 2022, 23 p.

[37] MinistĂšre de la Fonction publique et de l’Emploi, Rapport sur le traitement des plaintes liĂ©es au harcĂšlement moral et sexuel (2018-2022), Abidjan, 2023.

[38] CJUE, 10 juill. 2008, Feryn, aff. C-54/07.

[39] P. RodiĂšre, Droit social de l’Union EuropĂ©enne, LGDJ, 2022, p. 231.

[40] Convention collective interprofessionnelle, Sénégal, 2019, art. 21.

[41] Code du travail ivoirien, 2015, art. 18.15 & 18.16.

[42] Cass. soc., 10 nov. 2009, n°07-45.321.

[43] Cass. soc., 27 oct. 2004, n°03-44.812.

[44] Cass. soc., 3 févr. 2010, n°08-45.331.

[45] A. Supiot, Op. cit., p. 117.

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In the context of the digital economy fundamentally reshaping content creation and distribution models, intellectual property systems in Africa, particularly within the African Intellectual Property Organization (OAPI) framework, are confronted with unprecedented challenges. This article critically examines the existing regulatory gaps and the specific threats facing African creative works in the evolving digital environment. It further proposes targeted recommendations to enhance the protection and enforcement of intellectual property rights, thereby supporting the sustainable development of creativity on the continent.

Mots-clĂ©s : Droit d’auteur numĂ©rique, cybersquatting, blockchain, smart contracts,  noms de domaine.

La rĂ©volution numĂ©rique bouleverse les paradigmes traditionnels de la propriĂ©tĂ© intellectuelle (PI). Dans l’espace de l’Organisation Africaine de la PropriĂ©tĂ© Intellectuelle (OAPI), regroupant 17 pays africains francophones[1], les crĂ©ateurs et entrepreneurs Ă©voluent dans un environnement juridique souvent inadaptĂ© aux rĂ©alitĂ©s numĂ©riques transfrontaliĂšres. L’Accord de Bangui rĂ©visĂ© en 2015, bien qu’entrĂ© en vigueur en 2020, ne prĂ©voit pas de rĂ©gime dĂ©diĂ© aux noms de domaine[2], crĂ©ant une insĂ©curitĂ© juridique majeure face Ă  la digitalisation croissante des entreprises africaines.

Dans ce contexte, la StratĂ©gie de Transformation NumĂ©rique de l’Union africaine (2020-2030) ambitionne un marchĂ© numĂ©rique unique[3], conditionnant la compĂ©titivitĂ© de l’innovation et la captation de valeur par les crĂ©ateurs africains. Entre absence d’harmonisation, multiplication des contrefaçons en ligne et obsolescence des mĂ©canismes de protection, une rĂ©forme urgente s’impose pour permettre une protection efficace des droits intellectuels en Afrique. PrĂ©sentation gĂ©nĂ©rale. Cet article portera sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle Ă  l’ùre du numĂ©rique, en se concentrant sur les nouveaux dĂ©fis rencontrĂ©s par les crĂ©ateurs africains, notamment les jeunes entrepreneurs, juristes, porteurs de projets et innovateurs. Il paraĂźt opportun de circonscrire certaines comme la propriĂ©tĂ© intellectuelle (PI) qui peut ĂȘtre comprise comme l’ensemble des droits exclusifs accordĂ©s sur les crĂ©ations de l’esprit (Ɠuvres artistiques, inventions, marques, etc.). L’Ă©conomie numĂ©rique s’entend quant Ă  elle Ă  toute activitĂ© Ă©conomique fondĂ©e sur les technologies de l’information et de la communication. Deux autres notions mĂ©ritent d’ĂȘtre prĂ©cisĂ©es dans le cadre de cette Ă©tude, d’une part le cybersquatting qui renvoie Ă  l’enregistrement abusif de noms de domaine dans le but d’en tirer profit, en violation des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle prĂ©existants. D’autre part, il la Blockchain et les smart contracts qui sont technologies permettant une sĂ©curisation et une automatisation des droits numĂ©riques.

L’Afrique a vu une expansion rapide de l’utilisation des technologies numĂ©riques, mais les cadres juridiques rĂ©gionaux, notamment via l’OAPI, peinent Ă  s’adapter Ă  ces innovations. Une meilleure comprĂ©hension de la PI Ă  l’ùre du numĂ©rique est cruciale pour permettre aux crĂ©ateurs africains de protĂ©ger leurs innovations et de participer pleinement Ă  cette nouvelle Ă©conomie mondiale. Comment les jeunes crĂ©ateurs et porteurs de projets africains peuvent-ils comprendre, anticiper et sĂ©curiser leurs droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle Ă  l’ùre numĂ©rique dans un cadre juridique encore en Ă©volution ? Une adaptation ciblĂ©e des cadres lĂ©gislatifs et l’utilisation des technologies innovantes peuvent offrir des solutions efficaces aux dĂ©fis actuels de protection des droits numĂ©riques en Afrique.Equiper les jeunes acteurs africains du numĂ©rique des connaissances pratiques pour protĂ©ger leurs crĂ©ations et anticiper les risques liĂ©s Ă  la propriĂ©tĂ© intellectuelle ne serait pas anodin. Dans le cadre de cette Ă©tude, il s’agira d’identifier les principaux dĂ©fis de la PI numĂ©rique en Afrique, d’expliquer les droits applicables aux crĂ©ations numĂ©riques et en de proposer des stratĂ©gies et outils concrets pour sĂ©curiser les projets innovants.Le dĂ©veloppement s’articulera autour de deux grandes parties : les dĂ©fis contemporains de la propriĂ©tĂ© intellectuelle Ă  l’ùre numĂ©rique (I) ainsi que les clĂ©s pour comprendre et sĂ©curiser ses droits dans cet environnement digital (II).

Abordons tout d’abord les dĂ©fis contemporains de la propriĂ©tĂ© intellectuelle Ă  l’ùre numĂ©rique, dĂ©fis qui soulignent la nĂ©cessitĂ© d’une rĂ©forme profonde. Pour commencer, en premier lieu, abordons tout d’abord le dĂ©calage du cadre juridique avec la rĂ©alitĂ© numĂ©rique.

Attardons-nous sur le premier dĂ©fi structurel : Un cadre juridique en dĂ©calage avec la rĂ©alitĂ© numĂ©rique. Ce constat s’illustre, en premier lieu, par l’absence d’harmonisation rĂ©glementaire efficace au sein de l’espace OAPI.

L’analyse comparative des textes OAPI et des besoins rĂ©els issus des pratiques numĂ©riques africaines rĂ©vĂšle un fossĂ© prĂ©occupant. Dans l’espace OAPI, aucune rĂ©glementation spĂ©cifique n’a encore Ă©tĂ© consacrĂ©e aux noms de domaine, bien qu’on puisse trouver çà et lĂ  des rĂšgles nationales, rĂ©gionales ou internationales susceptibles d’adresser certains aspects de cette matiĂšre[4]. Cette absence d’harmonisation crĂ©e une insĂ©curitĂ© juridique majeure pour les crĂ©ateurs et entrepreneurs africains qui Ă©voluent dans un environnement numĂ©rique transfrontalier.

Le cadre lĂ©gislatif traditionnel ne rĂ©pond pas aux rĂ©alitĂ©s actuelles telles que la diffusion en ligne, le streaming et les ventes numĂ©riques. La coexistence difficile entre le rĂ©gime de droit d’auteur et celui de la propriĂ©tĂ© industrielle ajoute des zones grises propices aux abus. Le rĂ©gime du droit d’auteur, par sa nature personnaliste, tend Ă  favoriser l’auteur, tandis que le rĂ©gime de la propriĂ©tĂ© industrielle vise plutĂŽt Ă  inciter les entreprises Ă  investir dans la recherche[5]. Cette dualitĂ© ne concilie pas les mĂȘmes intĂ©rĂȘts et gĂ©nĂšre des zones grises, notamment concernant la titularitĂ© des crĂ©ations intellectuelles des salariĂ©s, oĂč la dĂ©pendance juridique et Ă©conomique peut ĂȘtre source d’abus et de marginalisation.

Il est donc clair que cette lacune rĂ©glementaire OAPI gĂ©nĂšre un vide juridique prĂ©judiciable aux acteurs du numĂ©rique. De plus, dans le prolongement de ce qui prĂ©cĂšde, il faut noter l’inadaptation des lĂ©gislations traditionnelles face aux nouveaux modes de diffusion.

Les lois nationales ou rĂ©gionales sur le droit d’auteur doivent ĂȘtre rĂ©guliĂšrement revues pour relever les dĂ©fis des nouvelles technologies[6]. L’avĂšnement des rĂ©seaux numĂ©riques et d’Internet entraĂźne des bouleversements dont les rĂ©percussions se font sentir non seulement au niveau de la crĂ©ation des contenus mis en ligne, mais aussi sur la question des droits applicables.

Les transformations induites par Internet et les rĂ©seaux numĂ©riques, telles que la dĂ©sintermĂ©diation et la dĂ©matĂ©rialisation, rendent difficile le contrĂŽle de l’utilisation des Ɠuvres par les auteurs[7]. De plus, l’illusion du « libre accĂšs » favorise la violation systĂ©matique des droits d’auteur. Internet est frĂ©quemment perçu comme un espace oĂč tout est accessible sans contrainte, remettant en cause l’équilibre entre l’intĂ©rĂȘt des auteurs et le droit du public Ă  accĂ©der Ă  la culture.

L’émergence de modĂšles Ă©conomiques novateurs (streaming, abonnement, freemium, premium) n’est pas encore pleinement encadrĂ©e juridiquement dans l’espace OAPI[8]. Les traitĂ©s Internet de l’OMPI (WCT/WPPT) encadrent la protection Ă  l’ùre digitale, notamment concernant les mesures techniques de protection, l’information sur le rĂ©gime des droits, les programmes d’ordinateur et les bases de donnĂ©es[9], mais la transposition effective et l’articulation avec les usages contemporains restent inĂ©gales. Cette incomplĂ©tude normative fragilise l’équilibre entre l’accĂšs du public et les droits des auteurs, et contribue Ă  la dilution des redevances sur des plateformes Ă  gouvernance extra-rĂ©gionale.

Ainsi, face Ă  la dĂ©sintermĂ©diation et aux modĂšles Ă©conomiques Ă©mergents, l’obsolescence des textes traditionnels est avĂ©rĂ©e. Enfin, il convient d’évoquer Ă©galement une menace spĂ©cifique et grandissante : le cybersquatting, une menace insuffisamment sanctionnĂ©e.

Le cybersquatting se dĂ©finit comme l’enregistrement intentionnel d’un nom de domaine reproduisant une marque utilisĂ©e par un tiers, dans le but d’empĂȘcher le propriĂ©taire lĂ©gitime d’établir un site web identifiĂ© par un nom de domaine identique[10]. Les objectifs sont multiples : gĂ©nĂ©rer des clics publicitaires, revendre le nom de domaine au plus offrant, ou vendre des produits similaires.

Le cybersquatting peut prendre diffĂ©rentes formes :

  • Utilisation d’une extension diffĂ©rente (exemple : www.jumya.cm au lieu de www.jumia.com)
  • Ajout d’une faute de frappe intentionnelle (typosquatting)
  • Ajout d’un pluriel (www.jumias.cm)
  • SĂ©paration des mots par tirets
  • Inversion des mots
  • Le cybersquatting est difficilement sanctionnĂ© dans l’espace OAPI, notamment du fait de l’absence d’une procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e et indemnisatrice comparable Ă  l’UDRP applicable aux gTLD[11]. Le systĂšme des noms de domaine repose sur la rĂšgle du « Premier arrivĂ©, premier servi », ce qui entraĂźne inĂ©vitablement des conflits avec les droits antĂ©rieurs (marques, noms commerciaux). De plus, le nom de domaine, bien que reconnu comme signe distinctif, n’est pas assimilĂ© juridiquement Ă  une marque et ne bĂ©nĂ©ficie ni des principes de spĂ©cialitĂ© ni de territorialitĂ© des marques[12].

Les mĂ©canismes de rĂ©solution existants prĂ©sentent des limites importantes :

La procĂ©dure UDRP (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy) de l’ICANN ne vise que certains noms de domaine gĂ©nĂ©riques (.com, .net, .org) et ne permet pas d’indemnisation pĂ©cuniaire, ce qui limite l’effet dissuasif face aux comportements opportunistes[13].

Pour les ccTLD (country-code top-level domains), des politiques locales existent (exemple : Cameroun .cm gĂ©rĂ© par l’ANTIC) avec des rĂ©gimes et prestataires variables, pouvant crĂ©er des brĂšches de typosquatting et de parasitisme selon l’extension ciblĂ©e[14].

Cette lacune nuit gravement Ă  la reconnaissance et Ă  la valorisation des marques africaines en ligne. La juxtaposition du principe « premier arrivĂ©, premier servi » et des droits antĂ©rieurs de marque appelle une procĂ©dure OAPI inspirĂ©e de l’UDRP, complĂ©tĂ©e par des voies indemnitaires et des mesures conservatoires adaptĂ©es Ă  l’environnement numĂ©rique.

En conclusion de cette premiĂšre partie, l’absence d’un mĂ©canisme indemnitaire adĂ©quat fait du cybersquatting une menace persistante contre l’identitĂ© numĂ©rique des marques africaines. L’examen de ces multiples contraintes et vulnĂ©rabilitĂ©s met en lumiĂšre la complexitĂ© du paysage et la nĂ©cessitĂ© impĂ©rieuse de moderniser le droit de la PI.

Au-delĂ  des limites structurelles du cadre juridique, passons maintenant Ă  l’analyse des menaces spĂ©cifiques Ă  la crĂ©ation africaine dans le digital. En ce sens, le premier risque identifiĂ© est la vulnĂ©rabilitĂ© face aux contrefaçons facilitĂ©es par les plateformes en ligne.

1. Vulnérabilité face aux contrefaçons facilitées par les plateformes en ligne

Internet a créé des capacitĂ©s prodigieuses de stockage, de diffusion et de rĂ©cupĂ©ration des informations, mais dans le mĂȘme temps, les possibilitĂ©s de contrefaçon des Ɠuvres protĂ©gĂ©es se sont largement dĂ©veloppĂ©es[15]. La mondialisation des Ă©changes commerciaux et le dĂ©veloppement des nouvelles technologies ont conduit Ă  un accroissement inĂ©vitable de la contrefaçon sur Internet et Ă  une difficultĂ© accrue d’apprĂ©hension de celle-ci.

La diffusion rapide et souvent Ă©phĂ©mĂšre des contenus sur Internet complique l’identification des contrefacteurs. La difficultĂ© majeure rĂ©side dans la matĂ©rialisation des actes de contrefaçon commis en ligne[16]. L’exemple des « ventes flash » tĂ©moigne de ces difficultĂ©s : l’auteur de l’offre contrefaisante est extrĂȘmement difficile Ă  identifier avant que l’offre ne disparaisse.

La responsabilitĂ© limitĂ©e des intermĂ©diaires techniques (hĂ©bergeurs, fournisseurs d’accĂšs) freine les actions en contrefaçon et la suppression des contenus illicites[17]. Les fournisseurs d’accĂšs et les hĂ©bergeurs bĂ©nĂ©ficient d’un rĂ©gime favorable de responsabilitĂ© : ils ne sont pas responsables des contenus dont ils permettent l’accĂšs et ne sont pas tenus d’une obligation gĂ©nĂ©rale de surveillance. Cette exemption limite considĂ©rablement la capacitĂ© des titulaires de droits Ă  obtenir des rĂ©parations rapides et efficaces.

Les difficultĂ©s juridiques transfrontaliĂšres compliquent encore la situation. DĂ©terminer la loi applicable en cas de contrefaçon est complexe, car les actes peuvent impliquer plusieurs pays simultanĂ©ment[18]. La rĂšgle de la focalisation (application de la loi du pays oĂč la protection est rĂ©clamĂ©e) implique des analyses dĂ©taillĂ©es et coĂ»teuses pour chaque cas.

L’impact Ă©conomique de la contrefaçon numĂ©rique en Afrique est considĂ©rable : elle impacte gravement la rĂ©munĂ©ration des artistes et dĂ©veloppeurs, crĂ©ant des pertes financiĂšres substantielles et dĂ©courageant l’innovation locale[19].

En somme, la contrefaçon en ligne, compliquée par la difficulté de matérialisation et le régime des intermédiaires, impacte gravement la chaßne de valeur créative africaine. De surcroßt, il est nécessaire de souligner les limites des systÚmes actuels de gestion collective.

Les sociĂ©tĂ©s de gestion collective peinent Ă  s’adapter aux nouvelles technologies numĂ©riques, notamment pour la collecte transfrontaliĂšre des droits en streaming[20]. Les systĂšmes actuels de gestion collective sont limitĂ©s et mal adaptĂ©s Ă  un contexte de globalisation numĂ©rique. La rupture du contrĂŽle des Ɠuvres due Ă  la dĂ©sintermĂ©diation et Ă  la dĂ©matĂ©rialisation rend difficile le contrĂŽle de l’utilisation et de la distribution des Ɠuvres par les auteurs.

L’interopĂ©rabilitĂ© des sociĂ©tĂ©s de gestion avec les grandes plateformes et les schĂ©mas de micro-rĂ©munĂ©ration demeure insuffisante, ce qui freine la collecte transfrontaliĂšre en rĂ©gime de streaming[21]. Une plateforme rĂ©gionale de gestion collective numĂ©rique interopĂ©rable avec les grandes plateformes internationales serait un levier stratĂ©gique pour amĂ©liorer la transparence et la rĂ©munĂ©ration[22]. Des outils numĂ©riques OAPI (horodatage, dĂ©pĂŽts Ă©lectroniques et reporting standardisĂ©) et des accords techniques rĂ©gionaux pourraient amĂ©liorer la rĂ©partition et la transparence des flux. En conclusion, l’insuffisante interopĂ©rabilitĂ© des OGC constitue un frein majeur Ă  la juste rĂ©munĂ©ration des auteurs Ă  l’Ăšre du streaming. Pour illustrer ces difficultĂ©s de maniĂšre concrĂšte, prenons l’exemple pratique : la protection insuffisante des droits d’auteur.

Un cas concret illustre ces dĂ©faillances : un musicien africain victime de streaming illĂ©gal sur des plateformes internationales subit une perte financiĂšre aggravĂ©e par l’absence de contrepartie ou de recours juridique rapide[23]. Les Ɠuvres circulent librement sur Internet sans autorisation, gĂ©nĂ©rant des revenus substantiels pour les plateformes mais rien pour les crĂ©ateurs originaux.

Les problĂšmes de gestion des exceptions au droit d’auteur se posent Ă©galement : des actes tels que la reproduction provisoire, le « caching », le « browsing » ou le « text and data mining » peuvent porter atteinte aux droits d’auteur et nĂ©cessitent des adaptations lĂ©gislatives pour prĂ©server l’équilibre entre crĂ©ateurs et utilisateurs[24]. Certains pays comme la France ont mis en place des mĂ©canismes (HADOPI) dont l’efficacitĂ© fait dĂ©bat, mais aucun systĂšme similaire n’existe dans l’espace OAPI, laissant les crĂ©ateurs africains particuliĂšrement vulnĂ©rables.

Cet exemple pratique vient clore cette analyse des menaces et confirme l’urgence d’Ă©tablir des mĂ©canismes de recours et de protection efficaces dans l’espace OAPI. Pour conclure la section B, ces vulnĂ©rabilitĂ©s prouvent que la crĂ©ation africaine est exposĂ©e Ă  un risque systĂ©mique qui nĂ©cessite des solutions ciblĂ©es et rĂ©gionales.

Face Ă  ces dĂ©fis, il est essentiel d’examiner les clĂ©s pour comprendre et sĂ©curiser ses droits dans l’environnement digital. Commençons par la ComprĂ©hension des droits et des mĂ©canismes de protection adaptĂ©s.

Cette comprĂ©hension passe par la distinction des Droits fondamentaux : droit d’auteur, marques, brevets et noms de domaine.

PrĂ©cisons d’abord l’application du droit d’auteur Ă  l’ùre numĂ©rique.

a) Le droit d’auteur Ă  l’ùre numĂ©rique

Le droit d’auteur protĂšge les crĂ©ations littĂ©raires et artistiques. Dans le contexte numĂ©rique, il doit garantir les intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes des auteurs sans frustrer un public toujours plus nombreux, avide d’accĂ©der aux connaissances[25]. Les rĂ©alitĂ©s de l’utilisation des contenus culturels se trouvent radicalement bouleversĂ©es : ce qui aurait Ă©tĂ© payĂ© pour l’acquisition de l’Ɠuvre prend dĂ©sormais la forme du prix de l’accĂšs et de l’utilisation.

Les traitĂ©s OMPI (WCT/WPPT) renforcent la protection Ă  l’ùre digitale en consacrant la protection des Ɠuvres numĂ©riques et en renforçant l’effectivitĂ© des droits, impliquant pour les auteurs OAPI de valoriser les mesures techniques et l’information sur la gestion des droits[26].

En somme, le droit d’auteur doit concilier la protection des Ɠuvres avec les nouveaux modĂšles d’accĂšs et d’utilisation en ligne. IntĂ©ressons-nous ensuite aux marques et aux noms de domaine.

b) Les marques et les noms de domaine

Le nom de domaine est devenu, avec le dĂ©veloppement du commerce Ă©lectronique, une composante fondamentale de la stratĂ©gie des entreprises, constituant l’enseigne virtuelle du marchand sur Internet[27]. Il permet, au mĂȘme titre que les signes traditionnels de l’entreprise, d’attirer la clientĂšle et est dotĂ© d’une valeur Ă©conomique considĂ©rable.

Les marques s’articulent avec les noms de domaine, mais les procĂ©dures diffĂšrent selon les extensions (gTLD/ccTLD)[28], d’oĂč l’intĂ©rĂȘt d’une stratĂ©gie multi-extensions et d’une veille UDRP/ccTLD coordonnĂ©e. La gestion coordonnĂ©e des marques et noms de domaine, combinĂ©e Ă  une politique interne de R&D et confidentialitĂ©, est essentielle pour la valorisation des actifs intellectuels.

Ainsi, une stratĂ©gie multi-extensions et une veille coordonnĂ©e sont essentielles pour protĂ©ger l’identitĂ© virtuelle de l’entreprise. Enfin, terminons cette revue par l’examen des brevets et de la propriĂ©tĂ© industrielle.

c) Les brevets et la propriété industrielle

Le rĂ©gime de la propriĂ©tĂ© industrielle vise Ă  inciter les entreprises Ă  investir dans la recherche. L’Accord de Bangui encadre la propriĂ©tĂ© industrielle et la titularitĂ© des inventions de salariĂ©s[29], Ă  intĂ©grer dans des politiques internes de R&D et de confidentialitĂ©. Pour les inventions rĂ©alisĂ©es par des salariĂ©s, la primautĂ© revient majoritairement Ă  l’employeur pour les inventions rĂ©alisĂ©es dans le cadre d’une mission confiĂ©e ou en utilisant des moyens de l’entreprise.

En conclusion, les dispositifs relatifs aux brevets nĂ©cessitent l’intĂ©gration de politiques internes de R&D pour sĂ©curiser la titularitĂ© des inventions de salariĂ©s. Ces distinctions sont la base d’une gouvernance PI solide et adaptĂ©e aux rĂ©alitĂ©s Ă©conomiques du numĂ©rique. Au-delĂ  du cadre juridique, il convient d’analyser les innovations technologiques comme leviers de sĂ©curisation.

Citons d’abord l’usage de la blockchain pour preuve de paternitĂ©.

a) La blockchain pour preuve de paternité

La blockchain offre une preuve immuable de paternitĂ© des Ɠuvres, rĂ©sistante Ă  la falsification[30]. Cette technologie peut servir Ă  Ă©tablir de maniĂšre incontestable et horodatĂ©e la paternitĂ© d’une crĂ©ation intellectuelle, crĂ©ant une preuve immuable utile pour dĂ©montrer la paternitĂ© et l’intĂ©gritĂ© des Ɠuvres Ă  faible coĂ»t. Cette avancĂ©e majeure permet aux crĂ©ateurs africains de prouver l’antĂ©rioritĂ© de leurs crĂ©ations sans dĂ©pendre exclusivement d’organismes officiels.

L’utilisation de la blockchain assure une preuve d’antĂ©rioritĂ© et d’intĂ©gritĂ© prĂ©cieuse pour le crĂ©ateur. Ensuite, de mĂȘme nature, les smart contracts pour gestion automatisĂ©e des droits constituent une avancĂ©e majeure.

b) Smart contracts pour gestion automatisée des droits

Les smart contracts automatisent la gestion des droits et des redevances[31]. Les contrats intelligents permettent une gestion automatisĂ©e des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle, notamment pour :

  • Le versement automatique des redevances dĂšs qu’une Ɠuvre est utilisĂ©e ;
  • La gestion dĂ©centralisĂ©e des licences ;
  • Le suivi transparent et en temps rĂ©el des utilisations ;
  • L’application automatique des conditions contractuelles sans intervention humaine.

Cette distribution automatisée des redevances et la gestion transparente des licences facilitent la monétisation granulaire sur des plateformes ou des places de marché.

Les smart contracts permettent une monĂ©tisation plus transparente et dynamique des droits d’utilisation. Enfin, un dernier outil clĂ© est la signature Ă©lectronique et la certification.

c) Signature électronique et certification

La signature Ă©lectronique sĂ©curisĂ©e permet de garantir l’intĂ©gritĂ© des transactions numĂ©riques[32]. Le contrat Ă©lectronique est sĂ©curisĂ© par la signature Ă©lectronique sĂ©curisĂ©e et l’attribution de certificats par un tiers de confiance. La signature Ă©lectronique qualifiĂ©e a trois fonctions essentielles :

  • Identification de la personne dont elle Ă©mane ;
  • Certification de l’origine et de l’intĂ©gritĂ© des documents ;
  • Manifestation du consentement aux obligations contractuelles.

Les lois nationales (SĂ©nĂ©gal[33], Cameroun) ont adoptĂ© le principe de l’équivalence fonctionnelle, assimilant parfaitement l’écrit Ă©lectronique Ă  l’écrit traditionnel, facilitant ainsi les transactions numĂ©riques sĂ©curisĂ©es. La signature Ă©lectronique, reconnue dans plusieurs pays africains, fonde la validitĂ© des contrats numĂ©riques et l’intĂ©gritĂ© documentaire dans des transactions transfrontaliĂšres.

GrĂące au principe de l’équivalence fonctionnelle, la signature Ă©lectronique garantit la validitĂ© et l’intĂ©gritĂ© des engagements numĂ©riques. Il apparaĂźt que les avancĂ©es technologiques offrent des outils probatoires et contractuels puissants pour pallier les faiblesses du cadre traditionnel. Afin de concrĂ©tiser ces principes, il est nĂ©cessaire d’évoquer l’Application concrĂšte : dĂ©pĂŽts Ă©lectroniques et traçabilitĂ©.

L’horodatage des Ɠuvres et l’usage de tiers de confiance pour certifier les Ă©changes renforcent la chaĂźne de preuve indispensable en cas de litige[34]. La mise en place de dĂ©pĂŽts Ă©lectroniques avec horodatage, lettres recommandĂ©es Ă©lectroniques et recours Ă  des tiers de confiance renforce la chaĂźne de preuve.

Les technologies numĂ©riques permettent dĂ©sormais d’effectuer des dĂ©pĂŽts Ă©lectroniques auprĂšs des organismes de gestion collective ou des offices de propriĂ©tĂ© intellectuelle, avec horodatage et certification garantissant la date de crĂ©ation. Les outils numĂ©riques pour la traçabilitĂ© incluent :

  • Utilisation de lettres recommandĂ©es Ă©lectroniques avec valeur juridique ;
  • Recours Ă  des tiers de confiance pour authentifier l’envoi/rĂ©ception de documents ;
  • Cartographie numĂ©rique des actifs intellectuels de l’entreprise ;
  • Logiciels dĂ©diĂ©s pour gĂ©rer et suivre les titres de propriĂ©tĂ© intellectuelle ;
  • Cartographies numĂ©riques d’actifs et registres internes participent Ă  une gouvernance efficace[35].

 Des cartographies d’actifs immatĂ©riels et des registres internes des titres amĂ©liorent la gouvernance PI et la prĂ©paration aux due diligences. L’objectif est d’aligner les pratiques d’entreprise sur les standards rĂ©gionaux et internationaux pour fluidifier la preuve et les recours.

L’alignement des pratiques de dĂ©pĂŽts sur les standards numĂ©riques (horodatage, certification) est donc crucial en matiĂšre probatoire.

Tournons-nous à présent vers les Stratégies concrÚtes pour anticiper et gérer les risques. La gestion des risques commence par la Prévention du cybersquatting par une veille active.

À cet Ă©gard, il est indispensable de mener un enregistrement stratĂ©gique des noms de domaine.

a) Enregistrement stratégique des noms de domaine

Une veille stratĂ©gique associĂ©e Ă  un enregistrement proactif des extensions principales et variantes limite l’exposition aux typosquattings[36]. Une stratĂ©gie proactive d’enregistrement des noms de domaine est essentielle pour toute entreprise prĂ©sente en ligne :

  • Enregistrer les principales extensions (.com, .net, .org, extensions gĂ©ographiques pertinentes comme .cm, .sn, .ci) ;
  • Anticiper les variantes (avec/sans tirets, pluriels, fautes de frappe courantes) ;
  • Surveiller les enregistrements susceptibles de crĂ©er confusion avec votre marque ;
  • Effectuer la dĂ©claration des noms de domaine au registre du commerce et des sociĂ©tĂ©s.

L’enregistrement dĂ©fensif des principales extensions et variantes, combinĂ© Ă  une surveillance des dĂ©pĂŽts et du WHOIS, rĂ©duit l’exposition au typosquatting et au domain tasting. Le recours Ă  l’UDRP pour les gTLD et aux politiques nationales pour les ccTLD (ex. .cm/ANTIC) doit ĂȘtre planifiĂ© contractuellement et budgĂ©tairement.

Cette stratĂ©gie proactive rĂ©duit l’exposition et permet de mieux contrĂŽler son identitĂ© numĂ©rique. De plus, il est crucial de complĂ©ter cette stratĂ©gie par la crĂ©ation d’une procĂ©dure OAPI de rĂ©solution des litiges.

b) CrĂ©ation d’une procĂ©dure OAPI de rĂ©solution des litiges

La crĂ©ation d’une procĂ©dure OAPI inspirĂ©e de l’UDRP, avec des sanctions dissuasives, est recommandĂ©e[37]. Une convergence OAPI-registries pour une procĂ©dure rĂ©gionale inspirĂ©e de l’UDRP renforcerait l’effet dissuasif. La coopĂ©ration entre OAPI, registres ccTLD et OMPI (services UDRP/ADR) peut instaurer des filiĂšres spĂ©cialisĂ©es et des barĂšmes raisonnĂ©s, favorisant l’accĂšs des PME-crĂ©ateurs[38].

Seule une procĂ©dure rĂ©gionale dissuasive permettra d’apporter une rĂ©ponse rapide et indemnisatrice au cybersquatting. Au-delĂ  du cybersquatting, il est impĂ©ratif d’utiliser des technologies Ă©mergentes et de bonnes pratiques. La combinaison de l’enregistrement stratĂ©gique et d’une rĂ©solution de litige efficace est la meilleure parade contre les atteintes Ă  l’identitĂ© numĂ©rique. Au-delĂ  du cybersquatting, il est impĂ©ratif d’utiliser des technologies Ă©mergentes et de bonnes pratiques.

La premiĂšre bonne pratique est la gestion dynamique du capital intellectuel.

a) Gestion dynamique du capital intellectuel

L’investissement dans le capital intellectuel joue un rĂŽle important dans les chaĂźnes de valeur mondiales[39]. Dans de nombreux pays de l’OCDE, l’investissement des entreprises dans le capital intellectuel augmente plus rapidement que l’investissement dans le capital physique, tĂ©moignant de la transition vers une Ă©conomie de la connaissance. Les entreprises des Ă©conomies de la connaissance investissent massivement dans le capital intellectuel, facteur reconnu de performance et de compĂ©titivitĂ©[40].

Les bonnes pratiques organisationnelles incluent :

  • Établir une fonction de directeur des actifs intellectuels relevant directement de la haute direction ;
  • CrĂ©er un IP Office et formaliser une IP Policy (politique Ă©crite de gestion de la PI) ;
  • Former tous les salariĂ©s Ă  la culture de la propriĂ©tĂ© intellectuelle ;
  • Recenser systĂ©matiquement toutes les crĂ©ations (dĂ©claration obligatoire des innovations) ;
  • Aligner la stratĂ©gie de PI sur la stratĂ©gie globale de l’entreprise.

L’alignement stratĂ©gie PI/stratĂ©gie d’entreprise conditionne la captation de valeur sur les marchĂ©s numĂ©riques[41].

L’alignement de la stratĂ©gie PI sur la stratĂ©gie globale est la clĂ© de la compĂ©titivitĂ© des entreprises. En outre, il ne faut pas nĂ©gliger la veille technologique et juridique active.

b) Veille technologique et juridique active

Les entreprises qui connaissent un succĂšs mondial ont adoptĂ© des stratĂ©gies de propriĂ©tĂ© intellectuelle particuliĂšrement sophistiquĂ©es. Cette stratĂ©gie devient de plus en plus importante dans l’économie du savoir, mondialisĂ©e et dĂ©matĂ©rialisĂ©e[42]. La veille doit inclure :

  • Surveillance permanente de l’environnement concurrentiel ;
  • Cartographie des brevets et Ă©tudes de libertĂ© d’exploitation ;
  • Travail en rĂ©seau et participation Ă  des Ă©cosystĂšmes innovants ;
  • Suivi de l’évolution rĂ©glementaire aux niveaux national, rĂ©gional et international.

Cette veille est un facteur critique de succĂšs dans un environnement rĂ©glementaire et technologique en mutation constante. Ces pratiques, notamment la gestion dynamique du capital intellectuel, sont essentielles pour capturer la valeur dans l’économie de la connaissance. Terminons cette section par l’examen de la gestion contractuelle rigoureuse.

Examinons les spécificités des contrats internationaux de transfert de technologie.

a) Contrats internationaux de transfert de technologie

Les contrats internationaux doivent inclure clauses de confidentialitĂ©, Ă©tendue des droits, gestion des amĂ©liorations technologiques, et prĂ©voir des mĂ©canismes sĂ©curisĂ©s de consentement Ă©lectronique[43]. Pour les contrats de transfert de technologie en contexte numĂ©rique, il est essentiel d’inclure :

  • Clauses de confidentialitĂ© renforcĂ©es protĂ©geant les informations sensibles ;
  • DĂ©finition prĂ©cise de l’étendue des droits transfĂ©rĂ©s (exclusivitĂ©, sous-licences autorisĂ©es) ;
  • Gestion des amĂ©liorations technologiques futures et leur attribution ;
  • Clauses de formation et d’assistance technique pour assurer le transfert effectif ;
  • MĂ©canismes de rĂ©siliation clairement dĂ©finis avec leurs consĂ©quences ;
  • Organisation des responsabilitĂ©s (assurances, garanties contre l’éviction) ;
  • Clause de loi applicable et de juridiction compĂ©tente pour Ă©viter les conflits de compĂ©tence.

La protection du parcours de consentement (information prĂ©contractuelle, double-clic, signature qualifiĂ©e) et la rĂ©partition des responsabilitĂ©s de paiement et d’hĂ©bergement renforcent la sĂ©curitĂ© juridique[44].

Ces contrats doivent ĂȘtre blindĂ©s par des clauses prĂ©cises (confidentialitĂ©, loi applicable) pour prĂ©venir les conflits. De mĂȘme, il est vital de se concentrer sur la protection du contrat Ă©lectronique.

b) Protection du contrat électronique

Le contrat Ă©lectronique doit ĂȘtre sĂ©curisĂ© par[45]:

  • Obligation d’information claire et complĂšte du cocontractant avant l’engagement ;
  • SystĂšme du double clic garantissant un consentement rĂ©flĂ©chi et non impulsif ;
  • Signature Ă©lectronique qualifiĂ©e avec certification par tiers de confiance ;
  • SĂ©curisation des paiements en ligne avec rĂ©partition claire des responsabilitĂ©s ;
  • Encadrement des intermĂ©diaires (hĂ©bergeurs, plateformes) et de leurs obligations.

L’usage de standards probatoires et de certificats tiers facilite l’exĂ©cution et les remĂšdes en cas de violation.

Le respect des standards probatoires (double clic, signature qualifiĂ©e) est nĂ©cessaire pour fonder la validitĂ© des transactions numĂ©riques. En rĂ©sumĂ©, la gestion proactive des risques repose sur l’anticipation, la rigueur contractuelle et une culture PI interne forte. Enfin, un dernier axe de travail est la Surveillance digitale et la coopĂ©ration rĂ©gionale.

En pratique, cela passe par la mise en place d’outils de surveillance et de notices.

Des outils automatisés de détection des violations en ligne, complétés par des protocoles harmonisés OAPI-OMPI, faciliteront les retraits rapides et les actions internationales[46]. Des solutions automatisées de détection des atteintes sur marketplaces et réseaux sociaux permettent des retraits rapides et alimentent les demandes en justice.

L’utilisation d’outils technologiques est indispensable pour protĂ©ger efficacement ses droits :

  • Utilisation d’outils automatisĂ©s pour dĂ©tecter les contrefaçons en ligne ;
  • Monitoring des rĂ©seaux sociaux et des plateformes de commerce Ă©lectronique ;
  • Alertes automatiques en cas d’utilisation non autorisĂ©e de marques ou d’Ɠuvres ;
  • Veille sur les dĂ©pĂŽts de noms de domaine et de marques similaires.

La standardisation des notifications et la conservation de preuves numĂ©riques sont essentielles pour la cĂ©lĂ©ritĂ© et la rĂ©ussite des actions. Le renforcement des pouvoirs et protocoles OAPI/États accroĂźt l’efficacitĂ© des mesures provisoires et des saisies douaniĂšres.

La standardisation des protocoles OAPI-OMPI est la clĂ© pour le retrait rapide et l’efficacitĂ© des actions en justice. De plus, il est nĂ©cessaire de consolider la coopĂ©ration rĂ©gionale et internationale.

La coopĂ©ration rĂ©gionale et internationale doit se renforcer pour consolider un marchĂ© numĂ©rique unique africain[47]. Pour mieux dĂ©fendre ses droits dans l’espace OAPI :

  • Utilisation des mĂ©canismes de rĂ©solution des litiges (UDRP pour les domaines gĂ©nĂ©riques, organismes nationaux comme l’ANTIC au Cameroun) ;
  • CoopĂ©ration entre organismes de gestion collective des diffĂ©rents pays ;
  • Harmonisation progressive des pratiques et des lĂ©gislations ;
  • Partage d’expĂ©riences et de bonnes pratiques entre innovateurs africains ;
  • Plaidoyer commun pour une rĂ©forme lĂ©gislative adaptĂ©e au numĂ©rique.

L’articulation avec la StratĂ©gie numĂ©rique de l’Union Africaine (marchĂ© numĂ©rique unique) soutient l’harmonisation et la sĂ©curitĂ© juridique des Ă©changes[48]. Des programmes conjoints de formation et d’outillage des sociĂ©tĂ©s de gestion renforcent la collecte transfrontaliĂšre, tout en renforçant les capacitĂ©s rĂ©gionales de coopĂ©ration.

Le partage d’expĂ©riences et l’harmonisation des pratiques sont cruciaux pour bĂątir un marchĂ© numĂ©rique unique et sĂ©curisĂ©. En guise de conclusion, nous terminerons par l’importance des stratĂ©gies de protection multicanale.

Une approche globale de protection implique[49] :

  • Diversifier les actifs de PI : Ne pas se limiter aux brevets, mais utiliser aussi les marques, le design, les bases de donnĂ©es, le capital organisationnel ;
  • Adapter la stratĂ©gie selon le contexte : parfois privilĂ©gier le brevet, parfois le secret, parfois la licence ouverte (innovation ouverte) ;
  • Gestion Ă©quilibrĂ©e entre appropriation et partage dans les projets collaboratifs (coopĂ©tition) ;
  • RĂ©examiner pĂ©riodiquement la pertinence et la rentabilitĂ© de chaque titre de propriĂ©tĂ© intellectuelle.

La diversification des titres (marques, dessins, bases de donnĂ©es, secrets d’affaires) et l’arbitrage entre brevet/licence ouverte/secret selon les marchĂ©s optimisent les coĂ»ts et la vitesse d’appropriation. Une rĂ©vision rĂ©guliĂšre du portefeuille selon la rentabilitĂ© et l’usage effectif permet de cĂ©der, maintenir ou Ă©tendre les protections. Cette gouvernance dynamique soutient la compĂ©titivitĂ© des acteurs OAPI sur des chaĂźnes de valeur numĂ©riques en expansion.

Ceci confirme que la diversification des titres et la gouvernance dynamique des actifs immatĂ©riels sont essentielles pour la compĂ©titivitĂ© durable des acteurs OAPI. Pour conclure, une action multicanale, coordonnĂ©e et soutenue par la coopĂ©ration rĂ©gionale est la seule voie pour garantir l’effectivitĂ© des droits des crĂ©ateurs africains. En dĂ©finitive, la sĂ©curisation des droits dans le digital repose sur la parfaite maĂźtrise des outils juridiques et technologiques disponibles.

Les dĂ©fis de la propriĂ©tĂ© intellectuelle Ă  l’ùre numĂ©rique en Afrique nĂ©cessitent une approche globale et multidimensionnelle. La PI Ă  l’ùre numĂ©rique en Afrique nĂ©cessite une refonte urgente du cadre OAPI intĂ©grant noms de domaine, plateformes numĂ©riques et mĂ©canismes anti-contrefaçon adaptĂ©s. La propriĂ©tĂ© intellectuelle ne doit plus ĂȘtre perçue comme un Ă©piphĂ©nomĂšne juridique ou une contrainte administrative, mais comme un axe durable de structuration de l’entreprise et un levier stratĂ©gique de dĂ©veloppement de l’économie africaine dans son ensemble. Dans l’économie numĂ©rique mondialisĂ©e, la protection effective des crĂ©ations intellectuelles africaines conditionne la capacitĂ© du continent Ă  capturer la valeur de ses innovations et Ă  participer pleinement Ă  la rĂ©volution numĂ©rique, garantissant la compĂ©titivitĂ© et la valorisation des crĂ©ations intellectuelles africaines. Les dĂ©fis posĂ©s par la rĂ©volution numĂ©rique peuvent ĂȘtre surmontĂ©s par une meilleure comprĂ©hension des droits, une adaptation des cadres lĂ©gislatifs africains et l’intĂ©gration d’outils technologiques innovants. L’association d’une rĂ©forme juridique ciblĂ©e avec l’adoption des nouvelles technologies permet d’offrir un environnement plus sĂ»r et efficace pour la protection des crĂ©ations numĂ©riques africaines. Cet article a eu pour ambition de clarifier les enjeux, d’informer sur les droits, et de proposer des mĂ©thodes concrĂštes pour sĂ©curiser les projets innovants dans un cadre numĂ©rique. Encourager l’harmonisation rapide des lĂ©gislations en matiĂšre de PI numĂ©rique au sein de l’OAPI. Promouvoir la formation continue des crĂ©ateurs et juristes sur les outils numĂ©riques de protection. Renforcer la coopĂ©ration rĂ©gionale et internationale pour des actions concertĂ©es contre le cybersquatting et la contrefaçon numĂ©rique.

1. Réforme législative urgente

RĂ©former sans dĂ©lai le cadre OAPI pour intĂ©grer noms de domaine, plateformes et mĂ©canismes accĂ©lĂ©rĂ©s anti-contrefaçon, en cohĂ©rence avec WCT/WPPT et les meilleures pratiques UDRP/ccTLD[50]. L’adaptation du cadre juridique OAPI aux rĂ©alitĂ©s numĂ©riques doit inclure la rĂ©gulation des noms de domaine, du streaming, des plateformes et de la blockchain.

2. Infrastructures numériques dédiées

Mettre en place une plateforme OAPI de gestion collective numérique interopérable avec les grandes plateformes internationales, avec dépÎts électroniques, horodatage et reporting standardisé[51]. Cette infrastructure facilitera le suivi et la rémunération des créateurs.

3. Adoption des technologies émergentes

GĂ©nĂ©raliser l’usage de la blockchain, des smart contracts et de la signature Ă©lectronique dans les chaĂźnes de licence et de redevance, avec lignes directrices et schĂ©mas de preuve[52]. L’adoption de ces technologies doit s’accompagner de formations et de sensibilisations pour l’automatisation de la gestion des droits.

4. Procédure régionale de résolution des litiges

Structurer une coopĂ©ration OAPI-OMPI-registres nationaux pour une procĂ©dure rĂ©gionale type UDRP incluant une voie indemnitaire et des mesuresprovisoires[53]. Cette procĂ©dure renforcera l’effet dissuasif contre le cybersquatting et le parasitisme numĂ©rique.

5. Alignement sur la StratĂ©gie numĂ©rique de l’Union Africaine

Aligner les politiques publiques sur la StratĂ©gie numĂ©rique de l’Union Africaine pour soutenir un marchĂ© numĂ©rique unique et l’innovation mesurĂ©e par les indicateurs OMPI/Global Innovation Index[54].

6. Renforcement des capacités

Consolider les capacités des créateurs, entrepreneurs et juristes africains par la formation continue, les cliniques juridiques numériques et la sensibilisation accrue[55]. La création de standards probatoires facilitera la défense collective des droits.


Par Président OBAMBI Wilfrid Vivien

Magistrat et Conseiller Ă  la Cour d’Appel de Dolisie (Congo). Ancien Juge au Tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire, il a Ă©galement exercĂ© la fonction de PrĂ©sident du Tribunal du travail de Pointe-Noire.

Il est par ailleurs SecrĂ©taire adjoint du RĂ©seau Africain des Magistrats de PropriĂ©tĂ© Intellectuelle (RAMPI), ainsi que SecrĂ©taire chargĂ© des affaires administratives, juridiques et du contentieux du RĂ©seau des Experts en PropriĂ©tĂ© Intellectuelle du Congo (REPIC).

Enfin, il figure sur la liste des mĂ©diateurs neutres de l’Organisation Mondiale de la PropriĂ©tĂ© Intellectuelle (OMPI).

Linkedin : https://linkedin.com/in/wilfrid-vivien-obambi


[1] 1. Les 17 États membres de l’OAPI sont : BĂ©nin, Burkina Faso, Cameroun, RĂ©publique centrafricaine, Comores, Congo, CĂŽte d’Ivoire, Gabon, GuinĂ©e, GuinĂ©e-Bissau, GuinĂ©e Ă©quatoriale, Mali, Mauritanie, Niger, SĂ©nĂ©gal, Tchad, Togo.

[2]  Accord de Bangui (rĂ©visĂ© en 2015), portant rĂ©vision de l’Accord relatif Ă  la crĂ©ation de l’Organisation Africaine de la PropriĂ©tĂ© Intellectuelle (OAPI), entrĂ© en vigueur en 2020.

[3] Union Africaine, StratĂ©gie de transformation numĂ©rique pour l’Afrique (2020-2030), Addis-Abeba, 2020.

[4] Voir notamment les rùglements de l’ANTIC (Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication du Cameroun) relatifs aux noms de domaine en .cm.

[5] FrĂ©dĂ©ric POLLAUD-DULIAN, Le droit d’auteur, 2Ăšme Ă©dition, Paris, Economica, 2020, p. 45-67.

[6] Audrey BENSAMOUN et Laure MARINO, « Droit d’auteur et droits voisins Ă  l’ùre numĂ©rique », Revue Lamy Droit de l’ImmatĂ©riel, 2022, p. 12-28.

[7] Michel VIVANT et Jean-Michel BRUGUIÈRE, Droit d’auteur et droits voisins, 4Ăšme Ă©dition, Paris, Dalloz, 2021, p. 234-256.

[8] TraitĂ©s Internet de l’OMPI (1996) : TraitĂ© de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT) et TraitĂ© de l’OMPI sur les interprĂ©tations et exĂ©cutions et les phonogrammes (WPPT).

[9] Ibid.

[10] JérÎme PASSA, Droit de la propriété industrielle, Paris, LGDJ, 2022, p. 678-695.

[11] Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy (UDRP), ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), disponible sur www.icann.org.

[12] PASSA, op. cit., p. 690.

[13] UDRP, op. cit., article 4.

[14] Rùglements de l’ANTIC (Cameroun) relatifs aux noms de domaine en .cm, disponibles sur www.antic.cm.

[15] Organisation Mondiale de la PropriĂ©tĂ© Intellectuelle (OMPI), Rapport sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle dans l’économie numĂ©rique africaine, GenĂšve, 2024, p. 56-78.

[16] Ibid., p. 65.

[17] VIVANT et BRUGUIÈRE, op. cit., p. 345-367.

[18] BENSAMOUN et MARINO, op. cit., p. 45-52.

[19] ConfĂ©rence des Nations Unies sur le Commerce et le DĂ©veloppement (CNUCED), Rapport sur l’économie numĂ©rique en Afrique, GenĂšve, 2023, p. 89-102.

[20] OMPI, Rapport sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle dans l’économie numĂ©rique africaine, op. cit., p. 112-125.

[21] Ibid., p. 118.

[22]  Ibid., p. 120.

[23] Exemple citĂ© dans CNUCED, Rapport sur l’économie numĂ©rique en Afrique, op. cit., p. 95.

[24] BENSAMOUN et MARINO, op. cit., p. 34-41.

[25] POLLAUD-DULIAN, op. cit., p. 123-145.

[26] TraitĂ©s Internet de l’OMPI (WCT/WPPT), op. cit.

[27] PASSA, op. cit., p. 682.

[28] Ibid., p. 685-692.

[29] Accord de Bangui (révisé en 2015), Annexe I, articles 23-28.

[30] Céline CASTETS-RENARD, « Blockchain et propriété intellectuelle : opportunités et défis », Propriétés intellectuelles, n°72, juillet 2019, p. 15-28.

[31] Ibid., p. 22-25.

[32] Loi n°2008-001 du 30 janvier 2008 régissant la signature électronique au Sénégal ; Loi camerounaise sur les transactions électroniques et la signature numérique.

[33] Loi sénégalaise n°2008-001 du 30 janvier 2008 sur la signature électronique.

[34] CASTETS-RENARD, op. cit., p. 26.

[35] Organisation Mondiale de la PropriĂ©tĂ© Intellectuelle, Guide de gestion de la PI Ă  l’intention des PME, Publication OMPI n°917, GenĂšve, 2021, p. 45-67.

[36] Internet Governance Forum (IGF), Guide des bonnes pratiques en matiÚre de propriété intellectuelle numérique, 2023, p. 34-45.

[37] Ibid., p. 42.

[38] OMPI, Rapport sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle dans l’économie numĂ©rique africaine, op. cit., p. 145-158.

[39] Organisation de CoopĂ©ration et de DĂ©veloppement Économiques (OCDE), Principes sur l’Intelligence Artificielle, Paris, 2019, p. 56-78.

[40] Ibid., p. 62.

[41] OMPI, Guide de gestion de la PI à l’intention des PME, op. cit., p. 78-89.

[42] IGF, Guide des bonnes pratiques, op. cit., p. 56-67.

[43] BENSAMOUN et MARINO, op. cit., p. 78-92.

[44] Ibid., p. 88.

[45] Loi sénégalaise n°2008-001 du 30 janvier 2008 sur la signature électronique, articles 12-18.

[46] OMPI, Rapport sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle dans l’économie numĂ©rique africaine, op. cit., p. 165-178.

[47] Union Africaine, StratĂ©gie de transformation numĂ©rique pour l’Afrique (2020-2030), op. cit., p. 45-67.

[48] Ibid., p. 58.

[49] OMPI, Guide de gestion de la PI à l’intention des PME, op. cit., p. 92-105.

[50] OMPI, Rapport sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle dans l’économie numĂ©rique africaine, op. cit., p. 185-192.

[51] Ibid., p. 188.

[52] CASTETS-RENARD, op. cit., p. 27-28.

[53] IGF, Guide des bonnes pratiques, op. cit., p. 89-95.

[54] Union Africaine, StratĂ©gie de transformation numĂ©rique pour l’Afrique (2020-2030), op. cit., p. 72-85.

[55] WIPO Academy, Intellectual Property and Frontier Technologies, cours en ligne disponible sur www.wipo.int/academy.

Le bail à usage professionnel en droit OHADA : cadre juridique, obligations et sécurité des parties

Le bail Ă  usage professionnel occupe une place essentielle dans la vie des affaires au sein de l’espace OHADA. Il constitue le cadre juridique dans lequel un propriĂ©taire (le bailleur) met Ă  la disposition d’un professionnel (le preneur) un immeuble ou un local afin qu’il y exerce son activitĂ© commerciale, industrielle, artisanale ou libĂ©rale. Ce contrat, loin d’ĂȘtre un simple accord de mise Ă  disposition d’un bien, reprĂ©sente un vĂ©ritable outil de stabilitĂ© Ă©conomique et de dĂ©veloppement professionnel.

Dans un contexte africain oĂč les petites et moyennes entreprises, les cabinets professionnels et les structures indĂ©pendantes se multiplient, le bail professionnel est devenu un pilier incontournable. Il permet au preneur d’assurer la pĂ©rennitĂ© de son activitĂ© grĂące Ă  une certaine sĂ©curitĂ© d’occupation, tout en garantissant au bailleur un revenu stable et encadrĂ© juridiquement.

L’Acte uniforme portant sur le droit commercial gĂ©nĂ©ral (AUDCG) consacre plusieurs dispositions Ă  ce type de bail, notamment dans ses articles 101 Ă  134, afin d’uniformiser les pratiques et d’assurer un Ă©quilibre entre les droits et obligations des parties.

Toutefois, beaucoup de professionnels ignorent encore les particularitĂ©s de ce rĂ©gime. Certains confondent le bail professionnel avec le bail Ă  usage d’habitation, alors que chacun obĂ©it Ă  des rĂšgles prĂ©cises. Or, une mauvaise comprĂ©hension de ces diffĂ©rences peut entraĂźner des litiges, voire la perte du droit au renouvellement du bail.

C’est pourquoi il est essentiel de comprendre la nature, le rĂ©gime et les spĂ©cificitĂ©s du bail Ă  usage professionnel tel que dĂ©fini par le droit OHADA. Cet article vise Ă  Ă©clairer les professionnels, entrepreneurs, propriĂ©taires et juristes sur les principales rĂšgles applicables Ă  ce type de contrat.

Le droit OHADA, Ă  travers l’article 103 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial gĂ©nĂ©ral (AUDCG), donne une dĂ©finition prĂ©cise du bail Ă  usage professionnel : « Est rĂ©putĂ© bail Ă  usage professionnel toute convention, Ă©crite ou non, entre une personne investie par la loi ou une convention du droit de donner en location tout ou partie d’un immeuble compris dans le champ d’application du prĂ©sent Titre, et une autre personne physique ou morale, permettant Ă  celle-ci, le preneur, d’exercer dans les lieux avec l’accord de celle-lĂ , le bailleur, une activitĂ© commerciale, industrielle, artisanale ou toute autre activitĂ© professionnelle. »

Il s’adresse principalement aux commerçants, artisans, professions libĂ©rales, associations ou entreprises qui exercent une activitĂ© dans un local Ă  usage administratif, mĂ©dical, juridique, artisanal, industriel ou autre.

Le bail professionnel se distingue avant tout par la finalitĂ© de l’occupation du local. Le preneur doit y exercer une activitĂ© professionnelle, excluant tout usage personnel, domestique ou agricole. Par exemple, un cabinet d’avocats, un centre mĂ©dical, une agence de communication ou un atelier d’artisanat peuvent ĂȘtre installĂ©s dans un local louĂ© Ă  usage professionnel.

Cette exigence de destination du bien n’est pas anodine : elle conditionne la validitĂ© du contrat. En effet, si le preneur utilise le local Ă  d’autres fins (habitation, commerce, entrepĂŽt mixte), il s’expose Ă  la rĂ©siliation du bail pour non-respect de la destination convenue.

Ainsi, la prĂ©cision de l’usage professionnel dans le contrat est une exigence fondamentale. Le bail doit indiquer clairement la nature de l’activitĂ© exercĂ©e afin d’éviter toute ambiguĂŻtĂ© ou requalification par le juge.

L’un des principaux atouts du bail professionnel en droit OHADA rĂ©side dans sa souplesse contractuelle. Les parties disposent d’une grande libertĂ© pour fixer les modalitĂ©s du contrat : durĂ©e, loyer, rĂ©vision, dĂ©pĂŽt de garantie, conditions de renouvellement, etc.
Toutefois, cette libertĂ© n’est pas absolue. L’AUDCG impose un cadre minimal pour protĂ©ger les intĂ©rĂȘts des deux parties, notamment en matiĂšre de renouvellement du bail, de congĂ© et d’indemnisation en cas d’éviction.

De plus, le bail professionnel ne confĂšre pas automatiquement au locataire un droit au renouvellement ou une protection contre l’éviction, sauf si ces avantages sont expressĂ©ment prĂ©vus au contrat. C’est pourquoi la rĂ©daction du bail doit ĂȘtre effectuĂ©e avec rigueur et accompagnĂ©e par un conseil juridique compĂ©tent.

Le bail professionnel concerne donc :

  • Les professionnels libĂ©raux (avocats, notaires, mĂ©decins, experts-comptables, consultants, etc.) ;
  • Les entreprises de services (bureaux d’études, agences, ONG, cabinets privĂ©s, etc.) ;
  • Les structures artisanales ou industrielles lĂ©gĂšres ;
  • Et, plus gĂ©nĂ©ralement, toute personne exerçant une activitĂ© Ă©conomique sans vocation commerciale directe.

Il s’agit donc d’un instrument juridique de dĂ©veloppement Ă©conomique, favorisant la stabilitĂ© et la formalisation des activitĂ©s professionnelles dans l’espace OHADA.

Pour le bailleur, le bail professionnel garantit une exploitation durable de son bien tout en réduisant les risques liés aux impayés grùce à des conditions contractuelles plus flexibles. Pour le preneur, il offre un espace adapté à ses activités professionnelles, tout en lui permettant de négocier librement la durée et les modalités de son bail, souvent sans les lourdeurs du statut commercial.

Ainsi, le bail à usage professionnel représente un équilibre entre la sécurité juridique et la liberté contractuelle, tout en contribuant à la structuration du tissu économique africain.

Le bail Ă  usage professionnel, bien qu’il soit rĂ©gi par la libertĂ© contractuelle, obĂ©it Ă  certaines conditions de fond et de forme pour ĂȘtre valable. Ces conditions garantissent la sĂ©curitĂ© juridique du bailleur comme du preneur, et prĂ©viennent tout litige sur la nature du contrat ou sur son exĂ©cution.

Comme tout contrat, le bail professionnel repose sur les conditions générales de validité prévues par le droit civil : le consentement, la capacité, un objet certain et une cause licite.
Mais en pratique, certaines exigences sont particuliĂšrement importantes.

  • Le consentement : il doit ĂȘtre libre et Ă©clairĂ©. Le bailleur et le preneur doivent s’entendre sur la chose louĂ©e (le local), le montant du loyer et la durĂ©e du bail. Toute erreur sur la destination du bien ou sur la qualitĂ© des parties peut entraĂźner la nullitĂ© du contrat.
  • La capacitĂ© juridique : le bailleur doit ĂȘtre propriĂ©taire ou avoir le droit de jouir du bien louĂ©, tandis que le preneur doit avoir la capacitĂ© d’exercer une activitĂ© professionnelle. Par exemple, une sociĂ©tĂ© en formation ou non immatriculĂ©e ne peut pas valablement signer un bail professionnel sans rĂ©gulariser sa situation.
  • L’objet du bail : il s’agit du local Ă  usage professionnel. Il doit ĂȘtre clairement identifiĂ© dans le contrat (adresse, superficie, amĂ©nagements, etc.). Cet objet doit ĂȘtre licite et conforme Ă  la rĂ©glementation en vigueur.
  • La cause du contrat : elle rĂ©side dans l’exploitation professionnelle du local. Si le preneur dĂ©tourne le bien de son usage, le bailleur peut rĂ©silier le contrat pour violation de la destination convenue.

L’article 104 de l’AUDCG prĂ©voit que le bail Ă  usage professionnel doit ĂȘtre constatĂ© par Ă©crit. Cette exigence vise Ă  Ă©viter toute contestation ultĂ©rieure sur les obligations respectives des parties.

Le contrat doit mentionner notamment :

  • L’identitĂ© complĂšte des parties ;
  • La description prĂ©cise du local louĂ© ;
  • La destination professionnelle du bien (exemple : cabinet mĂ©dical, agence de conseil, atelier de couture, etc.) ;
  • Le montant du loyer et les modalitĂ©s de rĂ©vision ;
  • La durĂ©e du bail et les conditions de renouvellement ;
  • Les charges et rĂ©parations Ă  la charge de chaque partie.

L’écrit constitue donc une preuve essentielle. En cas de litige, le juge ou l’arbitre se rĂ©fĂšre prioritairement au contrat signĂ©.

L’AUDCG ne fixe pas une durĂ©e minimale ou maximale pour le bail professionnel. Les parties peuvent librement convenir de la durĂ©e du contrat selon leurs besoins et leurs intĂ©rĂȘts.

Le contrat doit également prévoir les modalités de résiliation anticipée, les délais de préavis, et les cas de force majeure permettant une libération anticipée du preneur.

Le montant du loyer est librement fixĂ© par les parties. Il peut ĂȘtre payable mensuellement, trimestriellement ou selon toute autre pĂ©riodicitĂ© convenue. 

Le contrat peut aussi prĂ©voir une clause de rĂ©vision pĂ©riodique du loyer, gĂ©nĂ©ralement annuelle, afin de tenir compte de l’inflation ou de l’évolution de la valeur locative du bien.

Le bailleur peut exiger du preneur :

  • Un dĂ©pĂŽt de garantie ;
  • Une caution;
  • Et Ă©ventuellement, une assurance responsabilitĂ© civile couvrant les dommages causĂ©s au local.

Ces garanties visent à sécuriser la relation contractuelle et à prévenir les impayés.

Le bail à usage professionnel crée un équilibre entre les droits et obligations du bailleur et ceux du preneur. La connaissance précise de ces droits et devoirs est essentielle pour prévenir les litiges et assurer une relation contractuelle harmonieuse.

L’Acte uniforme OHADA prĂ©voit plusieurs obligations pour le bailleur, afin de garantir au preneur la jouissance paisible et sĂ©curisĂ©e du local louĂ© :

  • DĂ©livrance du bien en bon Ă©tat (Art. 105) : Le bailleur doit remettre les locaux en Ă©tat d’usage, aptes Ă  l’activitĂ© professionnelle prĂ©vue. L’absence de rĂ©serves lors de la signature du contrat vaut prĂ©somption de conformitĂ©.
  • Assurer les grosses rĂ©parations (Art. 106) : Le bailleur prend en charge les rĂ©parations structurelles (toiture, murs porteurs, voĂ»tes, murs de soutĂšnement, etc.). Si ces travaux empĂȘchent la jouissance du local, le preneur peut demander la suspension du bail ou sa rĂ©siliation judiciaire.
  • Respect de la destination des lieux (Art. 108) : Le bailleur ne peut pas modifier l’état des locaux ni en restreindre l’usage convenu.
  • ResponsabilitĂ© du trouble de jouissance (Art. 109) : Le bailleur rĂ©pond des perturbations causĂ©es par lui-mĂȘme ou ses reprĂ©sentants, prĂ©servant ainsi le preneur contre tout obstacle Ă  son activitĂ©.
  • ContinuitĂ© du bail en cas de changement de bailleur ou dĂ©cĂšs (Art. 110 et 111) : Le bail continue avec le successeur du bailleur ou du preneur, garantissant la stabilitĂ© de l’exploitation professionnelle.

Le preneur, de son cĂŽtĂ©, doit respecter certaines rĂšgles pour protĂ©ger l’intĂ©rĂȘt du bailleur et maintenir la relation contractuelle :

  • Paiement du loyer (Art. 112) : Le preneur s’engage Ă  payer le loyer aux Ă©chĂ©ances convenues, par voie Ă©lectronique ou tout autre moyen acceptĂ©.
  • Exploitation diligente des locaux (Art. 113) : Le preneur doit utiliser les lieux conformĂ©ment Ă  la destination professionnelle convenue et peut seulement y exercer des activitĂ©s connexes aprĂšs accord exprĂšs du bailleur.
  • Entretien des locaux (Art. 114) : Le preneur prend en charge les rĂ©parations d’entretien et est responsable des dĂ©gradations causĂ©es par un dĂ©faut de soin.
  • IndemnitĂ© d’occupation en cas de maintien abusif (Art. 115) : À l’expiration du bail, le preneur qui reste dans les lieux sans droit doit verser une indemnitĂ© Ă©quivalente au loyer en cours, sans prĂ©judice de dommages et intĂ©rĂȘts.

  • Droit de cession et de sous-location (Arts. 118 Ă  122) : Le preneur peut cĂ©der ou sous-louer le bail, sous rĂ©serve du respect des conditions prĂ©vues par le contrat et de l’accord du bailleur si nĂ©cessaire.
  • Droit au renouvellement (Arts. 123 Ă  127) : Le preneur bĂ©nĂ©ficie d’un droit au renouvellement s’il a exploitĂ© le local conformĂ©ment au bail pendant au moins deux ans. Le bailleur peut s’y opposer uniquement pour des motifs sĂ©rieux ou en cas de reconstruction du bien.
  • Recours en cas de non-respect des obligations (Art. 133) : Tant le bailleur que le preneur peuvent demander la rĂ©siliation judiciaire du bail aprĂšs mise en demeure restĂ©e sans effet, garantissant la protection de leurs droits.

En rĂ©sumĂ©, le bail Ă  usage professionnel crĂ©e une relation contractuelle Ă©quilibrĂ©e : le bailleur assure des locaux adaptĂ©s et sĂ©curisĂ©s, tandis que le preneur s’engage Ă  une exploitation responsable et au respect du loyer et des obligations contractuelles. Cette rĂ©gulation favorise la stabilitĂ© des activitĂ©s Ă©conomiques et prĂ©vient les conflits entre les parties.

Cette section encadre la continuitĂ© et la fin du bail, protĂ©geant Ă  la fois les intĂ©rĂȘts du bailleur et ceux du preneur. Elle rĂ©git le renouvellement, les transferts de bail et la rĂ©siliation pour manquement.

Le preneur bĂ©nĂ©ficie d’un droit au renouvellement s’il a exploitĂ© le local conformĂ©ment au bail pendant une durĂ©e minimale de deux ans.

  • Bail Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ©e : le preneur doit demander le renouvellement au moins trois mois avant l’expiration du bail. PassĂ© ce dĂ©lai, le droit au renouvellement est perdu.
  • Bail Ă  durĂ©e indĂ©terminĂ©e : toute partie qui souhaite rĂ©silier doit donner un congĂ© au moins six mois Ă  l’avance. Le preneur peut contester ce congĂ© dans le mĂȘme dĂ©lai pour prĂ©server son droit au renouvellement.

Le bailleur peut s’opposer au renouvellement uniquement :

  • Pour motif grave et lĂ©gitime (inexĂ©cution du bail, cessation de l’activitĂ©, etc.) ;
  • En cas de reconstruction ou changement de destination du bien, avec versement Ă©ventuel d’une indemnitĂ© d’éviction.

Le preneur peut transférer ses droits ou sous-louer le local, sous réserve des conditions suivantes :

  • Cession totale : le bailleur ne peut s’opposer Ă  la cession.
  • Cession partielle ou avec Ă©lĂ©ments de l’activitĂ© : nĂ©cessite l’accord prĂ©alable du bailleur, qui doit rĂ©pondre dans un dĂ©lai d’un mois. Le silence vaut acceptation.
  • Sous-location : interdite sauf autorisation expresse et notification Ă©crite au bailleur. Si le loyer de la sous-location dĂ©passe celui du bail principal, le bailleur peut exiger une augmentation proportionnelle du loyer principal.

Le bail peut ĂȘtre rĂ©siliĂ© lorsque l’une des parties ne respecte pas ses obligations contractuelles :

  • Une mise en demeure prĂ©alable est obligatoire, indiquant la ou les clauses violĂ©es et accordant un dĂ©lai d’un mois pour s’exĂ©cuter.
  • La juridiction compĂ©tente, statuant Ă  bref dĂ©lai, peut constater la rĂ©siliation et prononcer l’expulsion si nĂ©cessaire.
  • Une clause rĂ©solutoire peut prĂ©voir la rĂ©siliation automatique en cas d’inexĂ©cution par le preneur ou le bailleur, aprĂšs mise en demeure.

  • Le preneur est protĂ©gĂ© par le droit au renouvellement et par des rĂšgles strictes encadrant la rĂ©siliation.
  • Le bailleur est assurĂ© du respect des obligations et du paiement du loyer, et peut s’opposer aux cessions ou sous-locations non conformes.
  • Les contestations sont portĂ©es devant la juridiction compĂ©tente statuant Ă  bref dĂ©lai, assurant une rĂ©solution rapide des litiges.

Le bail Ă  usage professionnel constitue un outil juridique fondamental pour encadrer la location de locaux destinĂ©s Ă  des activitĂ©s commerciales, industrielles, artisanales ou autres usages professionnels. Comme le dĂ©finit l’article 103 de l’Acte uniforme OHADA, ce bail organise la relation entre le bailleur, garant de locaux adaptĂ©s et sĂ©curisĂ©s, et le preneur, responsable de l’exploitation diligente et du respect des obligations contractuelles.

La réglementation prévoit :

  • Une flexibilitĂ© dans la durĂ©e et le renouvellement du bail, permettant aux parties d’adapter la convention Ă  leurs besoins tout en assurant la continuitĂ© de l’activitĂ©.
  • Des droits et obligations clairs pour le bailleur et le preneur, incluant la dĂ©livrance de locaux en bon Ă©tat, la rĂ©alisation des rĂ©parations nĂ©cessaires, le paiement du loyer et le respect de la destination professionnelle.
  • Une protection juridique en matiĂšre de cession, sous-location et rĂ©siliation, garantissant la sĂ©curitĂ© des parties et la rĂ©solution rapide des conflits par la juridiction compĂ©tente.

En pratique, ce cadre juridique offre un Ă©quilibre entre la sĂ©curitĂ© des investissements du bailleur et la stabilitĂ© de l’activitĂ© du preneur, tout en prĂ©venant les litiges et en favorisant la bonne gestion des relations locatives. La connaissance prĂ©cise de ces rĂšgles est indispensable pour toute entreprise ou professionnel souhaitant louer un local Ă  usage professionnel dans l’espace OHADA.

En dĂ©finitive, le bail Ă  usage professionnel n’est pas seulement un contrat de location : c’est un instrument de protection, de prĂ©visibilitĂ© et de sĂ©curitĂ© juridique, indispensable pour soutenir le dĂ©veloppement Ă©conomique et l’activitĂ© professionnelle.


Juda N’Guessan

Juriste Polyvalent – Responsable du DĂ©partement juridique du CABINET LDJ SARL

judanguessan@cabinetldjsarl.com +225 0757646617

Le contrat est conclu. Puis-je changer d’avis ?

Le droit des obligations repose sur un Ă©quilibre entre libertĂ© et contrainte, entre volontĂ© individuelle et force juridique. Ce balancement trouve sa plus parfaite expression dans le contrat, instrument de la libertĂ© contractuelle par excellence. Le contrat est, selon la cĂ©lĂšbre formule du Code civil ivoirien, la loi des parties : « Les conventions lĂ©galement formĂ©es tiennent lieu de loi Ă  ceux qui les ont faites »[1]. En d’autres termes, une fois le contrat conclu, il s’impose Ă  ses signataires avec la mĂȘme force qu’une norme lĂ©gale ; il ne peut ĂȘtre librement modifiĂ© ni rompu sans le consentement mutuel ou sans cause lĂ©gitime prĂ©vue par la loi[2]. Cette disposition consacre le principe de la force obligatoire du contrat, l’un des piliers du droit civil classique. Elle signifie que la parole donnĂ©e engage juridiquement ; que le contrat fige la volontĂ© exprimĂ©e au moment de sa formation et empĂȘche tout retour unilatĂ©ral en arriĂšre. En ce sens, la stabilitĂ© contractuelle est Ă©rigĂ©e en garantie de la sĂ©curitĂ© juridique et de la confiance Ă©conomique. Les partenaires savent Ă  quoi s’en tenir, et les engagements librement consentis deviennent irrĂ©vocables, sauf accord contraire ou dispositions lĂ©gales expresses[3].

Pourtant, cette rigueur n’est pas absolue. Si la stabilitĂ© du contrat est une exigence de justice et d’efficacitĂ© Ă©conomique, elle se heurte parfois Ă  une autre exigence tout aussi fondamentale : celle du respect de la libertĂ© personnelle et de la volontĂ© rĂ©elle. En effet, un individu peut lĂ©gitimement changer d’avis aprĂšs la conclusion d’un contrat ; ses circonstances, ses besoins ou son information peuvent Ă©voluer. Or, le droit, qui ne saurait ĂȘtre figĂ©, reconnaĂźt que la libertĂ© contractuelle ne saurait s’éteindre au moment mĂȘme oĂč le contrat prend naissance[4]. Ce paradoxe est au cƓur du dilemme contractuel moderne : le contrat, censĂ© cristalliser la volontĂ©, doit-il aussi lui laisser la possibilitĂ© de se rĂ©tracter ? Autrement dit, jusqu’oĂč le droit peut-il admettre qu’une partie revienne sur son engagement, sans ruiner la stabilitĂ© du lien contractuel ?

La distinction entre exĂ©cution du contrat et droit de repentir illustre bien cette tension. L’exĂ©cution suppose le respect strict des engagements ; le repentir, au contraire, traduit la facultĂ© de revenir sur une promesse devenue inopportune. Le premier protĂšge la sĂ©curitĂ© des transactions, le second protĂšge la libertĂ© de la personne. Le droit moderne tente de concilier ces deux exigences : il admet certaines formes de rĂ©tractation, mais les encadre rigoureusement, tantĂŽt par la volontĂ© des parties (comme la clause de dĂ©dit ou les arrhes), tantĂŽt par la loi elle-mĂȘme, notamment dans les contrats de consommation[5]. Ainsi, en CĂŽte d’Ivoire, la loi relative Ă  la consommation reconnaĂźt expressĂ©ment, Ă  travers son article 6 alinĂ©a 3, que « sauf stipulation contraire du contrat, les sommes versĂ©es d’avance sont des arrhes. Chacun des contractants peut revenir sur son engagement, le consommateur en perdant les arrhes, le professionnel en les restituant au double »[6]. Cette disposition, directement inspirĂ©e de l’article L214-1 du Code de la consommation français, illustre la volontĂ© du lĂ©gislateur ivoirien de mĂ©nager une marge de libertĂ© post-contractuelle, tout en maintenant la stabilitĂ© des relations juridiques[7].

Le droit de se rĂ©tracter n’est donc pas une contradiction de la force obligatoire ; il en constitue un tempĂ©rament nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© oĂč l’économie, la technique et l’information Ă©voluent rapidement. En dĂ©finitive, la question n’est pas de savoir si une partie peut revenir sur son engagement, mais dans quelles conditions et dans quelles limites elle peut le faire sans dĂ©sĂ©quilibrer l’économie du contrat et la confiance rĂ©ciproque des cocontractants. C’est autour de cette interrogation que s’articulera notre analyse : dans quelle mesure une partie peut-elle revenir sur son engagement contractuel aprĂšs sa conclusion ?

Le principe de la force obligatoire du contrat, Ă©noncĂ© par l’article 1134 du Code civil ivoirien, semble de prime abord exclure toute possibilitĂ© pour une partie de se dĂ©lier unilatĂ©ralement de son engagement. Cependant, la libertĂ© contractuelle, corollaire de ce principe, permet aux parties d’introduire, dans la structure mĂȘme de leur accord, des mĂ©canismes d’assouplissement destinĂ©s Ă  prĂ©server la souplesse de la relation juridique. Ces mĂ©canismes trouvent leur source dans la volontĂ© commune des cocontractants, qui anticipent l’éventualitĂ© d’un revirement et en dĂ©terminent les modalitĂ©s. Deux formes principales illustrent ce pouvoir d’autonomie : la clause de dĂ©dit, qui institue une facultĂ© de rupture moyennant compensation (A), et les arrhes, qui consacrent juridiquement le droit de se rĂ©tracter sous certaines conditions (B). Ainsi, tandis que la clause de dĂ©dit exprime une libertĂ© contractuelle encadrĂ©e, permettant Ă  l’une des parties de se dĂ©sengager Ă  un prix dĂ©terminĂ©, le versement d’arrhes constitue une manifestation lĂ©gale de cette mĂȘme facultĂ©, dotĂ©e d’un effet protecteur particulier, notamment au profit du consommateur.

La clause de dĂ©dit est une stipulation contractuelle par laquelle une partie, ou parfois les deux, se rĂ©servent la possibilitĂ© de rompre le contrat avant son exĂ©cution, moyennant le paiement d’une indemnitĂ© prĂ©dĂ©terminĂ©e. Elle traduit la volontĂ© des cocontractants d’introduire une marge de flexibilitĂ© dans une relation qui, sans cela, serait rigide et potentiellement contraignante. L’inspiration de cette clause se trouve dans le principe d’autonomie de la volontĂ©, consacrĂ© par l’article 1134 du Code civil ivoirien, selon lequel « les conventions lĂ©galement formĂ©es tiennent lieu de loi Ă  ceux qui les ont faites ». Ce mĂȘme principe, hĂ©ritĂ© du Code NapolĂ©on, implique non seulement la libertĂ© de contracter, mais aussi celle d’amĂ©nager les effets du contrat. Dans cette perspective, la clause de dĂ©dit n’est pas une atteinte Ă  la force obligatoire du contrat ; elle en constitue une modalitĂ© d’exĂ©cution anticipĂ©e, prĂ©vue et consentie par avance par les deux parties[8].

Sur le plan juridique, la clause de dĂ©dit se distingue de la rĂ©solution unilatĂ©rale fautive. Dans cette derniĂšre, une partie rompt le contrat sans y ĂȘtre autorisĂ©e, engageant ainsi sa responsabilitĂ© contractuelle pour inexĂ©cution fautive. À l’inverse, dans la clause de dĂ©dit, le retrait est lĂ©gitimĂ© par la convention elle-mĂȘme : il ne s’agit plus d’une rupture fautive, mais d’un droit contractuel d’y mettre fin, sous rĂ©serve du paiement de la somme convenue. Cette somme a la nature d’une indemnitĂ© de dĂ©dit, dont la fonction est double : compenser le prĂ©judice subi par l’autre partie et dissuader les retraits abusifs. La jurisprudence reconnaĂźt depuis longtemps la validitĂ© de ce mĂ©canisme, mĂȘme lorsqu’aucune contrepartie financiĂšre n’a Ă©tĂ© prĂ©vue. Ainsi, dans un arrĂȘt du 30 octobre 2000, la Cour de cassation française a admis que la facultĂ© de dĂ©dit pouvait ĂȘtre exercĂ©e mĂȘme en l’absence de compensation pĂ©cuniaire, dĂšs lors qu’elle avait Ă©tĂ© prĂ©vue par les parties[9]. Cette approche est transposable en droit ivoirien, oĂč la doctrine considĂšre que l’essence mĂȘme du contrat repose sur la libertĂ© de ses auteurs de dĂ©terminer non seulement les obligations qu’ils souscrivent, mais aussi les conditions de leur rĂ©vocation[10]. Toutefois, cette libertĂ© n’est pas absolue. Elle demeure encadrĂ©e par la bonne foi contractuelle, principe gĂ©nĂ©ral du droit ivoirien consacrĂ© par l’article 1134, alinĂ©a 3, du Code civil. Ainsi, l’exercice de la facultĂ© de dĂ©dit ne doit pas ĂȘtre abusif ou malveillant. La jurisprudence pourrait sanctionner toute rĂ©tractation opĂ©rĂ©e dans un but dilatoire ou contraire Ă  la loyautĂ© contractuelle. Dans cette logique, le dĂ©dit s’analyse moins comme un « caprice juridique » que comme un instrument de rĂ©gulation, Ă©quilibrant stabilitĂ© et adaptabilitĂ©[11].

Sur le plan Ă©conomique et moral, cette clause rĂ©pond Ă  une logique moderne du droit des affaires : elle permet aux contractants d’anticiper les alĂ©as sans compromettre la relation globale. Comme le soulignent Aubert et Savaux, « la libertĂ© contractuelle serait illusoire si elle n’incluait pas la libertĂ© de se dĂ©lier »[12]. En pratique, la clause de dĂ©dit favorise la circulation contractuelle, notamment dans les domaines oĂč la rapiditĂ© des transactions et l’incertitude des marchĂ©s imposent une souplesse juridique : contrats de services, de distribution ou de prestation intellectuelle.

À cĂŽtĂ© du dĂ©dit conventionnel, le droit civil consacre un mĂ©canisme lĂ©gal de rĂ©tractation : celui des arrhes. Le code civil ivoirien, identique Ă  son homologue français, dispose : « Si la promesse de vendre a Ă©tĂ© faite avec des arrhes, chacun des contractants est maĂźtre de s’en dĂ©partir, celui qui les a donnĂ©es, en les perdant, et celui qui les a reçues, en restituant le double. »[13]. Les arrhes se dĂ©finissent ainsi comme une somme d’argent versĂ©e lors de la conclusion d’un contrat en contrepartie de la facultĂ© pour chacune des parties de se dĂ©sengager, moyennant l’abandon ou la restitution doublĂ©e de cette somme. Contrairement Ă  l’acompte, qui constitue une exĂ©cution partielle du contrat et engage dĂ©finitivement les parties, les arrhes ont une valeur libĂ©ratoire : elles permettent de mettre fin Ă  la convention sans faute et sans justification[14].

Cette distinction, fondamentale en droit des obligations, produit des effets pratiques considĂ©rables. En cas de doute sur la nature du versement, le juge devra rechercher l’intention commune des parties. À dĂ©faut d’indication claire, la loi opĂšre une prĂ©somption protectrice : selon l’article 6, alinĂ©a 3 de la loi ivoirienne relative Ă  la consommation, « sauf stipulation contraire du contrat, les sommes versĂ©es d’avance sont des arrhes. Chacun des contractants peut revenir sur son engagement, le consommateur en perdant les arrhes, le professionnel en les restituant au double »[15]. Cette disposition, calquĂ©e sur l’article L214-1 du Code de la consommation français, consacre une prĂ©somption d’arrhes favorable au consommateur et illustre la volontĂ© du lĂ©gislateur ivoirien de protĂ©ger la partie faible du contrat[16].

Les effets juridiques de ce mĂ©canisme sont clairs : le consommateur peut se rĂ©tracter en abandonnant les arrhes versĂ©es et le professionnel, s’il veut se dĂ©sister, doit restituer le double de la somme reçue. Cette symĂ©trie lĂ©gale vise Ă  Ă©quilibrer les positions contractuelles, en imposant une sanction dissuasive au professionnel qui manquerait Ă  son engagement. La doctrine ivoirienne et française y voient une finalitĂ© Ă  la fois Ă©conomique et morale. Économique, car elle prĂ©serve la fluiditĂ© du marchĂ© en permettant une issue amiable Ă  la rupture ; morale, car elle renforce la loyautĂ© contractuelle en incitant Ă  la prudence avant toute conclusion[17]. En cela, les arrhes ne traduisent pas une faiblesse du contrat, mais une maturitĂ© du systĂšme juridique, capable de concilier fermetĂ© des engagements et souplesse des comportements.

L’affaire hypothĂ©tique M. INFOR c/ SociĂ©tĂ© MATIQUE illustre parfaitement ce mĂ©canisme. Le versement prĂ©alable effectuĂ© par M. INFOR avant l’intervention du prestataire n’ayant pas Ă©tĂ© qualifiĂ© dans le contrat, il revient au juge de dĂ©terminer s’il s’agissait d’un acompte ou d’arrhes. En vertu de la loi ivoirienne sur la consommation, et en l’absence de stipulation contraire, la somme doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme des arrhes, confĂ©rant ainsi au consommateur un droit de rĂ©tractation lĂ©gitime. En consĂ©quence, M. INFOR pouvait valablement renoncer au contrat en abandonnant la somme versĂ©e, tandis que le professionnel ne pouvait exiger l’exĂ©cution forcĂ©e[18]. Cette solution, conforme Ă  la logique du droit moderne de la consommation, traduit une Ă©volution vers un droit contractuel plus Ă©quilibrĂ©, oĂč la rigueur de la force obligatoire cĂšde partiellement la place Ă  la protection du consentement Ă©clairĂ©.

NB : Cas Ă  voir plus en dĂ©tail dans les sections suivantes.

Si la libertĂ© contractuelle permet aux parties de prĂ©voir elles-mĂȘmes des modalitĂ©s de rĂ©tractation, la loi est intervenue pour garantir cette facultĂ© dans certaines hypothĂšses spĂ©cifiques, notamment lorsque le consommateur se trouve en position de faiblesse face au professionnel. En effet, dans les contrats conclus Ă  distance, hors Ă©tablissement ou dans un contexte d’asymĂ©trie d’information, la rapiditĂ© de la conclusion et le manque de discernement peuvent compromettre un consentement libre et Ă©clairĂ©. C’est pour cette raison que le lĂ©gislateur, tant en CĂŽte d’Ivoire qu’en France, a instituĂ© un droit lĂ©gal de rĂ©tractation au profit du consommateur, destinĂ© Ă  corriger les dĂ©sĂ©quilibres structurels des relations de consommation.

Ce droit, Ă  la fois protecteur et d’ordre public, repose sur une double logique : offrir au consommateur une pĂ©riode de rĂ©flexion aprĂšs la conclusion du contrat, tout en imposant au professionnel un devoir de transparence et de loyautĂ©. Nous Ă©tudierons d’abord la consĂ©cration lĂ©gale de ce droit et ses modalitĂ©s d’exercice (A), avant d’en examiner les limites et les exclusions qui garantissent l’équilibre Ă©conomique et la sĂ©curitĂ© des Ă©changes (B).

Le droit de rĂ©tractation trouve son fondement dans la volontĂ© du lĂ©gislateur de protĂ©ger le consentement du consommateur contre les pressions commerciales et les dĂ©cisions impulsives. En CĂŽte d’Ivoire, cette protection dĂ©coule directement de la loi n° 2016-412 du 15 juin 2016 relative Ă  la consommation, qui encadre les relations entre professionnels et consommateurs. L’article 6 de cette loi fixe un principe gĂ©nĂ©ral : sauf stipulation contraire, les sommes versĂ©es d’avance sont des arrhes, permettant au consommateur de se dĂ©sengager du contrat en perdant la somme versĂ©e, et au professionnel de se retirer en la restituant au double[19]. Ce mĂ©canisme, inspirĂ© de l’article L214-1 du Code français de la consommation, constitue la forme la plus Ă©lĂ©mentaire de rĂ©tractation. Mais la loi ivoirienne va plus loin. Ses articles 10 et 11 introduisent expressĂ©ment un dĂ©lai de rĂ©tractation de dix (10) jours dans les contrats conclus Ă  distance ou hors Ă©tablissement, tels que les ventes par correspondance, sur Internet ou lors de dĂ©marchages Ă  domicile. Ce droit permet au consommateur, sans justification ni pĂ©nalitĂ©, de renoncer Ă  son engagement par une simple notification adressĂ©e au professionnel dans le dĂ©lai imparti[20]. En France, le mĂȘme principe est consacrĂ© par les articles L. 221-18 et suivants du Code de la consommation, qui accordent un dĂ©lai de quatorze (14) jours pour se rĂ©tracter, tant pour les ventes Ă  distance que pour les prestations de services. Cette diffĂ©rence de durĂ©e ne remet pas en cause la convergence des deux lĂ©gislations, qui poursuivent le mĂȘme objectif : assurer une protection effective du consentement et Ă©viter que la hĂąte ou la mĂ©connaissance du consommateur ne soient exploitĂ©es[21].

Par ailleurs, le droit de rĂ©tractation est un droit d’ordre public, ce qui signifie qu’aucune clause contractuelle ne peut en restreindre ou en supprimer l’exercice. Il s’agit d’un vĂ©ritable droit potestatif, exercĂ© unilatĂ©ralement par le consommateur, sans qu’il ait Ă  justifier sa dĂ©cision. Sa mise en Ɠuvre entraĂźne l’anĂ©antissement du contrat rĂ©troactivement, obligeant les parties Ă  restituer les prestations Ă©changĂ©es. Ainsi, lorsque le consommateur exerce son droit dans le dĂ©lai lĂ©gal, le professionnel est tenu de rembourser les sommes perçues, et le consommateur doit restituer les biens reçus dans leur Ă©tat d’origine. L’article 11 de la loi ivoirienne prĂ©voit expressĂ©ment que le remboursement doit intervenir dans un dĂ©lai raisonnable, sans frais ni pĂ©nalitĂ©[22]. Par ailleurs, la doctrine souligne que cette facultĂ© de rĂ©tractation, en plus de son effet juridique, revĂȘt une dimension morale et Ă©conomique : elle favorise la confiance dans les Ă©changes commerciaux et renforce la loyautĂ© des pratiques professionnelles[23]. Comme le note le professeur Assi-Esso, « le consommateur ivoirien, longtemps perçu comme une partie Ă©conomiquement vulnĂ©rable, voit dĂ©sormais sa libertĂ© de consentement consolidĂ©e par des outils normatifs clairs et impĂ©ratifs »[24].

En pratique, le consommateur ivoirien dispose d’un dĂ©lai de dix jours Ă  compter de la rĂ©ception du bien ou de la conclusion du contrat pour notifier sa rĂ©tractation. La notification peut ĂȘtre faite par tout moyen confĂ©rant date certaine : courrier recommandĂ©, e-mail ou formulaire de rĂ©tractation. En France, le dĂ©lai est de quatorze jours (art. L. 221-18), et son point de dĂ©part varie selon la nature du contrat : livraison du bien, conclusion du contrat de service, ou acceptation d’une offre numĂ©rique. Cette extension du dĂ©lai, issue de la directive europĂ©enne 2011/83/UE, vise Ă  harmoniser la protection des consommateurs sur le marchĂ© intĂ©rieur. En cas de rĂ©tractation, aucune pĂ©nalitĂ© ni frais de dossier ne peuvent ĂȘtre imputĂ©s au consommateur, sauf si celui-ci a expressĂ©ment demandĂ© l’exĂ©cution du service avant la fin du dĂ©lai. Cette prĂ©cision rejoint l’esprit de l’article 6 alinĂ©a 3 de la loi ivoirienne, qui confĂšre au consommateur un choix rĂ©flĂ©chi et sans contrainte.

Si la rĂ©tractation est un instrument essentiel de protection, elle ne peut ĂȘtre exercĂ©e sans limites. Le lĂ©gislateur a prĂ©vu des exclusions afin de prĂ©server la sĂ©curitĂ© juridique et la stabilitĂ© Ă©conomique des Ă©changes. En effet, certaines catĂ©gories de contrats Ă©chappent au droit de rĂ©tractation. L’article 10 de la loi ivoirienne, tout comme l’article L214-3 du Code français de la consommation, exclut les commandes spĂ©ciales ou les produits personnalisĂ©s. En effet, il serait injuste de permettre au consommateur de se dĂ©dire lorsque le professionnel a engagĂ© des frais pour fabriquer un bien unique ou sur mesure. De mĂȘme, la loi ivoirienne prĂ©voit que le droit de rĂ©tractation ne s’applique pas lorsque la prestation de service a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© pleinement exĂ©cutĂ©e avec l’accord du consommateur avant l’expiration du dĂ©lai[25]. Cette exception vise Ă  Ă©viter les comportements opportunistes qui porteraient atteinte Ă  la bonne foi contractuelle.

Il importe Ă©galement de distinguer le dĂ©lai de rĂ©flexion, accordĂ© avant la conclusion du contrat, du dĂ©lai de repentir, exercĂ© aprĂšs la conclusion. Le premier empĂȘche le consommateur de s’engager trop rapidement, tandis que le second lui permet de revenir sur un engagement dĂ©jĂ  pris. Le droit de rĂ©tractation relĂšve de la seconde catĂ©gorie : il suspend les effets du contrat jusqu’à l’expiration du dĂ©lai lĂ©gal[26]. Cette distinction, analysĂ©e par la doctrine française et reprise par la jurisprudence, traduit une conception moderne du consentement, considĂ©rĂ© non plus comme un acte ponctuel, mais comme un processus de maturation.

Enfin, l’article 2 de la loi ivoirienne relative Ă  la consommation confĂšre Ă  l’ensemble de ses dispositions un caractĂšre d’ordre public, interdisant toute dĂ©rogation contractuelle contraire Ă  la protection du consommateur. Cette rĂšgle rejoint l’article L. 214-4 du Code de la consommation français, qui dĂ©clare d’ordre public les dispositions relatives au droit de rĂ©tractation. En effet, la jurisprudence, en CĂŽte d’Ivoire comme en France, veille Ă  sanctionner la nullitĂ© des clauses contractuelles qui excluraient ou restreindraient ce droit. Les tribunaux ivoiriens, suivant la doctrine de la Cour de cassation française, considĂšrent qu’une telle clause est rĂ©putĂ©e non Ă©crite, car contraire Ă  la finalitĂ© protectrice de la loi[27]. Ainsi, loin d’ĂȘtre un simple privilĂšge, le droit de rĂ©tractation est devenu un principe directeur du droit de la consommation, participant d’un ordre public Ă©conomique orientĂ© vers la protection de la partie faible.

L’exercice du droit de rĂ©tractation n’éteint pas seulement le lien contractuel : il ouvre une phase nouvelle, celle de la restitution et, le cas Ă©chĂ©ant, du paiement d’intĂ©rĂȘts compensatoires. En effet, la protection du consommateur serait incomplĂšte si elle ne garantissait pas, aprĂšs l’annulation du contrat, la rĂ©cupĂ©ration effective des sommes versĂ©es et la rĂ©paration du prĂ©judice nĂ© d’un retard dans la restitution. Or, cette Ă©tape pose des questions essentielles : quels intĂ©rĂȘts sont dus en cas de retard ? Quelles garanties assurent au consommateur un remboursement rapide ? Et, surtout, quelle est la portĂ©e impĂ©rative de ces rĂšgles ? Ces interrogations trouvent leur rĂ©ponse dans un double mouvement lĂ©gislatif et doctrinal. D’une part, un rĂ©gime juridique des intĂ©rĂȘts et des restitutions s’est progressivement affirmĂ©, combinant dispositions civiles et textes spĂ©ciaux de protection du consommateur. D’autre part, un renforcement du caractĂšre d’ordre public de ces normes empĂȘche toute dĂ©rogation contractuelle dĂ©favorable au consommateur. Ces deux aspects structurent notre analyse : d’abord le rĂ©gime des intĂ©rĂȘts en cas de retard ou de restitution (A), puis le caractĂšre impĂ©ratif et d’ordre public de la protection du consommateur (B).

Le Code français de la consommation consacre expressĂ©ment, Ă  son article L. 214-2, un rĂ©gime d’intĂ©rĂȘts en cas de restitution tardive des sommes versĂ©es par le consommateur. Ce texte dispose que « toute somme versĂ©e d’avance sur le prix, quels que soient la nature de ce versement et le nom qui lui est donnĂ©, est productive, au taux lĂ©gal en matiĂšre civile, d’intĂ©rĂȘts qui commencent Ă  courir Ă  l’expiration d’un dĂ©lai de trois mois Ă  compter du versement jusqu’à la livraison ». Ainsi, le lĂ©gislateur français impose une double obligation au professionnel : d’une part, livrer le bien ou exĂ©cuter la prestation dans les dĂ©lais convenus ; d’autre part, verser des intĂ©rĂȘts moratoires en cas de retard. Ces intĂ©rĂȘts ont une fonction rĂ©paratrice, mais aussi dissuasive : ils incitent les professionnels Ă  respecter leurs engagements temporels et protĂšgent la trĂ©sorerie des consommateurs, souvent fragilisĂ©s par les avances de paiement[28]. En outre, cette disposition s’applique non seulement aux ventes de biens, mais Ă©galement aux prestations de services, assurant une uniformitĂ© de traitement. La jurisprudence française, fidĂšle Ă  cette logique, a constamment rappelĂ© que l’obligation de restitution en cas de rĂ©tractation devait ĂȘtre exĂ©cutĂ©e dans un dĂ©lai raisonnable, sous peine de majoration automatique d’intĂ©rĂȘts[29].

Le droit ivoirien, bien que dĂ©pourvu d’un texte Ă©quivalent Ă  l’article L. 214-2, offre un cadre juridique cohĂ©rent Ă  travers la combinaison du Code civil et de la loi n° 2016-412 du 15 juin 2016 relative Ă  la consommation. D’abord, l’article 1153 du Code civil ivoirien Ă©nonce une rĂšgle gĂ©nĂ©rale en matiĂšre d’intĂ©rĂȘts moratoires : « Dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages et intĂ©rĂȘts rĂ©sultant du retard dans l’exĂ©cution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intĂ©rĂȘts fixĂ©s par la loi ». Ainsi, toute somme indĂ»ment conservĂ©e par un professionnel aprĂšs la rĂ©tractation du consommateur produit de plein droit des intĂ©rĂȘts lĂ©gaux, sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure expresse[30]. Ensuite, les articles 3 et 6 de la loi sur la consommation imposent au professionnel une obligation de livraison ou d’exĂ©cution dans les dĂ©lais convenus, Ă  dĂ©faut de quoi le consommateur peut demander soit la rĂ©solution du contrat, soit le remboursement des sommes versĂ©es. En combinant ces dispositions, le consommateur ivoirien bĂ©nĂ©ficie d’une protection Ă©quivalente Ă  celle du consommateur français, mĂȘme si elle rĂ©sulte d’un jeu de textes gĂ©nĂ©raux plutĂŽt que d’un article spĂ©cifique[31]. En pratique, lorsque le professionnel tarde Ă  restituer les sommes aprĂšs une rĂ©tractation, le consommateur peut rĂ©clamer, outre le principal, les intĂ©rĂȘts au taux lĂ©gal ainsi que des dommages-intĂ©rĂȘts complĂ©mentaires s’il prouve un prĂ©judice particulier (perte d’opportunitĂ©, frais de transfert, etc.). Cette facultĂ© renforce la portĂ©e compensatoire du mĂ©canisme et enracine la responsabilitĂ© Ă©conomique du professionnel.

Si la France et la CĂŽte d’Ivoire divergent quant Ă  la prĂ©cision de leurs textes, leurs systĂšmes juridiques tendent vers une harmonisation de finalitĂ©. Dans les deux ordres juridiques, la restitution rapide et intĂ©grale constitue une exigence de bonne foi et une manifestation du principe de loyautĂ© contractuelle. Les auteurs ivoiriens, tels que Assi-Esso et Draman Coulibaly, soulignent que l’absence de disposition expresse dans la loi de 2016 ne crĂ©e pas de vide juridique, car le Code civil joue un rĂŽle supplĂ©tif. Toutefois, la codification d’un rĂ©gime spĂ©cifique des intĂ©rĂȘts de retard dans les contrats de consommation serait souhaitable pour renforcer la lisibilitĂ© et la prĂ©visibilitĂ© du droit ivoirien[32]. Cette perspective d’harmonisation s’inscrit dans une dynamique rĂ©gionale initiĂ©e par la CIMA et l’UEMOA, qui promeuvent la convergence des normes de protection Ă©conomique. La reconnaissance explicite d’intĂ©rĂȘts lĂ©gaux automatiques, Ă  l’image du modĂšle français, renforcerait la confiance des consommateurs et stimulerait la discipline contractuelle des opĂ©rateurs Ă©conomiques.

La loi ivoirienne sur la consommation revĂȘt un caractĂšre impĂ©ratif affirmĂ© dĂšs son article 2 : « La prĂ©sente loi a pour objet la protection du consommateur en CĂŽte d’Ivoire. Elle est applicable Ă  toutes les transactions en matiĂšre de consommation ». Cette portĂ©e gĂ©nĂ©rale traduit l’intention du lĂ©gislateur de faire de la protection du consommateur un ordre public Ă©conomique, c’est-Ă -dire un ensemble de rĂšgles auxquelles il est interdit de dĂ©roger, mĂȘme par accord des parties. Autrement dit, toute clause contractuelle qui tendrait Ă  supprimer, restreindre ou conditionner le droit de rĂ©tractation ou la restitution due serait nulle de plein droit[33]. La doctrine considĂšre d’ailleurs que l’ordre public de protection s’impose non seulement au professionnel, mais Ă©galement au juge, qui doit en assurer l’application d’office. Cette approche, inspirĂ©e du droit français, marque une Ă©volution majeure du droit privĂ© africain vers un modĂšle plus interventionniste et socialement orientĂ©, oĂč la libertĂ© contractuelle est tempĂ©rĂ©e par l’impĂ©ratif de justice Ă©conomique[34].

Aussi, le Code français de la consommation, en son article L214-4, qualifie-t-il expressĂ©ment les dispositions relatives aux arrhes et Ă  la rĂ©tractation de rĂšgles d’ordre public. Ce caractĂšre impĂ©ratif interdit toute clause contraire et confĂšre au consommateur une garantie absolue. La jurisprudence française a, Ă  plusieurs reprises, annulĂ© des stipulations contractuelles visant Ă  exclure la rĂ©tractation ou Ă  imposer des pĂ©nalitĂ©s excessives au consommateur qui s’en prĂ©vaudrait[35]. Cette convergence entre les deux droits manifeste la montĂ©e en puissance d’un ordre public Ă©conomique trans-systĂ©mique, orientĂ© vers la protection de la partie faible. Comme le souligne F. TerrĂ©, « le contrat de consommation n’est plus seulement un instrument d’échange, mais un lieu de rééquilibrage social oĂč la puissance publique intervient pour garantir l’équitĂ© des rapports privĂ©s »[36].

Sur le plan pratique, la consĂ©cration de ce caractĂšre d’ordre public produit plusieurs effets majeurs :

  • Elle interdit aux professionnels d’insĂ©rer dans leurs contrats des clauses limitatives ou exonĂ©ratoires de responsabilitĂ© portant sur la rĂ©tractation ;
  • Elle protĂšge le consommateur contre les pressions Ă©conomiques ou psychologiques visant Ă  le dissuader d’exercer ses droits ;
  • Elle impose aux juges une surveillance renforcĂ©e des pratiques contractuelles, en autorisant le contrĂŽle d’office des clauses abusives.

Ce dispositif, en conjuguant la restitution intĂ©grale, les intĂ©rĂȘts lĂ©gaux et la nullitĂ© des clauses contraires, confĂšre Ă  la rĂ©tractation une effectivitĂ© juridique rĂ©elle. Il consacre une vision moderne du droit des contrats : non plus un espace de stricte autonomie, mais un instrument de rĂ©gulation Ă©thique et Ă©conomique au service de l’équilibre social.

L’évolution du droit contractuel moderne, et particuliĂšrement celle du droit de rĂ©tractation, traduit une transformation profonde de la philosophie du contrat. Autrefois centrĂ© sur la rigiditĂ© du lien contractuel, perçu comme l’expression d’une volontĂ© libre et dĂ©finitive, le droit contemporain tend Ă  reconnaĂźtre la fragilitĂ© du consentement humain et Ă  lui accorder une protection accrue (A). Ce mouvement, amorcĂ© en Europe et dĂ©sormais bien ancrĂ© en Afrique francophone, dont la CĂŽte d’Ivoire, tĂ©moigne d’un tournant humaniste du droit des obligations : la force obligatoire du contrat demeure, mais elle se trouve dĂ©sormais contrebalancĂ©e par des exigences de justice, d’équitĂ© et de proportionnalitĂ©. Ce changement paradigmatique invite Ă  une analyse critique du rĂ©gime actuel de la rĂ©tractation et Ă  une rĂ©flexion prospective sur son Ă©volution, notamment en contexte ivoirien (B). Le droit de se rĂ©tracter consacre la libertĂ© de revenir sur son engagement dans des conditions strictement encadrĂ©es ; il devient un instrument de rĂ©gulation de la volontĂ© contractuelle (C). Toutefois, si la loi ivoirienne sur la consommation de 2016 reprĂ©sente une avancĂ©e majeure, certaines imperfections structurelles persistent, appelant Ă  des ajustements lĂ©gislatifs et Ă  une harmonisation rĂ©gionale (D).

Le droit de se rĂ©tracter illustre de maniĂšre Ă©loquente le passage d’un droit des contrats purement volontariste Ă  un droit humaniste et protecteur du consentement. LĂ  oĂč la rĂšgle classique « pacta sunt servanda » imposait une fidĂ©litĂ© inconditionnelle Ă  la parole donnĂ©e, le lĂ©gislateur moderne reconnaĂźt que la libertĂ© contractuelle ne saurait ĂȘtre absolue sans trahir son essence : elle doit inclure le droit de se repentir dans des situations oĂč la dĂ©cision a Ă©tĂ© prĂ©cipitĂ©e ou viciĂ©e par un dĂ©sĂ©quilibre d’information. Comme le souligne Fages, « la libertĂ© contractuelle ne serait qu’une illusion si elle ne comportait pas, en contrepoint, la libertĂ© de se dĂ©lier »[37]. Cette rĂ©flexion rĂ©sume le cƓur de la mutation du droit contemporain : l’accent n’est plus uniquement mis sur la stabilitĂ© du contrat, mais aussi sur la protection de la volontĂ© rĂ©elle de la partie la plus vulnĂ©rable.

En CĂŽte d’Ivoire, cette orientation humaniste s’est traduite par la loi n° 2016-412 sur la consommation, qui accorde au consommateur un droit de rĂ©tractation sans motif, une prĂ©somption d’arrhes protectrice, et des sanctions financiĂšres dissuasives en cas de manquement du professionnel. En France, la rĂ©forme du droit des contrats de 2016 a consacrĂ© cette mĂȘme approche dans le Code civil (notamment Ă  travers les articles 1128 Ă  1188 sur le consentement) et dans le Code de la consommation, en Ă©largissant le champ d’application du droit de rĂ©tractation et en clarifiant ses effets juridiques[38]. Ce mouvement de convergence n’est pas anodin : il traduit la montĂ©e d’un droit social du contrat, oĂč la protection de la personne prime sur la logique marchande. Il s’agit moins de nier la force obligatoire du contrat que de la civiliser au service d’un Ă©quilibre Ă©thique.

La CĂŽte d’Ivoire s’est dotĂ©e, avec la loi de 2016, d’un instrument lĂ©gislatif de grande portĂ©e, inspirĂ© des standards internationaux. Toutefois, si le texte marque un progrĂšs indĂ©niable, il souffre encore de lacunes techniques et conceptuelles. D’abord, l’absence d’un rĂ©gime d’intĂ©rĂȘts automatiques en cas de restitution tardive, contrairement Ă  l’article L.214-2 du Code français de la consommation, crĂ©e une fragilitĂ© pratique : le consommateur ivoirien, bien que protĂ©gĂ© sur le principe, dĂ©pend de la diligence du professionnel et, parfois, de la lenteur judiciaire[39]. L’intĂ©gration d’une disposition imposant la capitalisation automatique des intĂ©rĂȘts aprĂšs un certain dĂ©lai renforcerait considĂ©rablement l’effectivitĂ© du droit de rĂ©tractation.

Ensuite, la prĂ©cision des dĂ©lais demeure perfectible. La loi fixe un dĂ©lai de dix jours pour la rĂ©tractation, mais sans toujours dĂ©finir clairement le point de dĂ©part du calcul selon le type de contrat (livraison du bien, conclusion de la prestation, signature Ă©lectronique, etc.). Cette incertitude peut gĂ©nĂ©rer des contentieux d’interprĂ©tation et fragiliser la position du consommateur[40]. Enfin, la vulnĂ©rabilitĂ© numĂ©rique du consommateur ivoirien soulĂšve de nouveaux dĂ©fis : contrats conclus par voie Ă©lectronique, abonnements numĂ©riques, plateformes d’e-commerce transnationales
 Autant de contextes dans lesquels la loi actuelle reste silencieuse. Une rĂ©vision du Code civil ivoirien, Ă  l’image de la rĂ©forme française de 2016, pourrait introduire une rĂ©tractation Ă©lectronique normalisĂ©e et des dispositifs de mĂ©diation prĂ©contractuelle, afin d’assurer une meilleure protection du consentement digitalisĂ©.

En France, la rĂ©forme du 10 fĂ©vrier 2016 portant sur le droit des contrats, du rĂ©gime gĂ©nĂ©ral et de la preuve des obligations a permis de clarifier la distinction entre arrhes, acompte et droit de rĂ©tractation, rĂ©duisant les ambiguĂŻtĂ©s terminologiques et les incertitudes jurisprudentielles. Cette codification a aussi renforcĂ© la cohĂ©rence entre le Code civil et le Code de la consommation, en harmonisant les principes de bonne foi, de transparence et d’exĂ©cution conforme. Elle a fait Ă©merger un modĂšle oĂč la prĂ©visibilitĂ© juridique est devenue un vecteur de confiance contractuelle[41].

Le lĂ©gislateur ivoirien pourrait s’inspirer de cette rationalisation pour refondre son corpus contractuel, encore largement hĂ©ritĂ© du Code NapolĂ©on de 1804, et l’adapter Ă  la dynamique des Ă©changes contemporains. Une telle rĂ©forme permettrait de systĂ©matiser les notions de rĂ©tractation, nullitĂ©, restitution et sanction, tout en intĂ©grant les spĂ©cificitĂ©s socioculturelles et Ă©conomiques ivoiriennes.

L’avenir du droit de la rĂ©tractation en CĂŽte d’Ivoire ne peut ĂȘtre envisagĂ© isolĂ©ment. Dans un contexte d’intĂ©gration juridique croissante, l’harmonisation rĂ©gionale apparaĂźt comme une nĂ©cessitĂ©. La CEDEAO et l’UEMOA travaillent dĂ©jĂ  Ă  l’adoption de directives communes en matiĂšre de protection du consommateur, inspirĂ©es du modĂšle europĂ©en. Une telle harmonisation permettrait non seulement d’assurer une cohĂ©rence lĂ©gislative entre les États membres, mais aussi de renforcer la sĂ©curitĂ© des transactions transfrontaliĂšres, notamment dans le commerce Ă©lectronique africain en pleine expansion[42].

La modernisation future du droit ivoirien devrait donc viser un double objectif :

  • Unifier les rĂšgles rĂ©gissant la rĂ©tractation dans tous les contrats de consommation, qu’ils soient physiques ou numĂ©riques ;
  • Introduire des mĂ©canismes de mĂ©diation prĂ©contractuelle et de rĂšglement amiable des litiges, afin d’éviter la judiciarisation systĂ©matique des conflits de consommation.

Ainsi, la rĂ©tractation ne serait plus seulement une voie de sortie du contrat, mais un outil de prĂ©vention et d’équilibre dans la relation contractuelle. Le droit de rĂ©tractation marque une rupture historique avec la vision classique du contrat. En CĂŽte d’Ivoire, comme en France, il incarne la transformation d’un droit libĂ©ral en un droit protecteur, humanisĂ© et adaptatif. Toutefois, sa pleine effectivitĂ© dĂ©pendra de la capacitĂ© du lĂ©gislateur ivoirien Ă  consolider les garanties procĂ©durales, Ă  moderniser les textes et Ă  inscrire cette Ă©volution dans un cadre rĂ©gional cohĂ©rent. L’avenir du droit contractuel africain passe par une conciliation entre la libertĂ© Ă©conomique et la dignitĂ© contractuelle autrement dit, par l’affirmation d’un contrat au service de l’homme et non d’un homme au service du contrat.

  • ExposĂ© du cas : M. INFOR vient d’acheter, pour ses moments de loisirs, un ordinateur ultra puissant qu’il a du mal Ă  faire fonctionner. Compte tenu du prix Ă©levĂ© investi dans cet objet, il a pris la dĂ©cision de faire venir chez lui un technicien afin qu’il lui explique de maniĂšre dĂ©taillĂ©e son fonctionnement. Dans cette optique, il a fait appel Ă  la sociĂ©tĂ© MATIQUE, qui lui a demandĂ© de lui verser, avant toute intervention, une somme de 500 000 FCFA. AprĂšs avoir expĂ©diĂ© le chĂšque, il s’aperçut qu’une association locale dispensait gratuitement aux riverains des cours d’informatique assez poussĂ©s. M. INFOR, bien dĂ©cidĂ© Ă  profiter de cette aubaine, prit la dĂ©cision de rompre le contrat conclu avec la sociĂ©tĂ© MATIQUE, dont la prestation Ă©tait facturĂ©e 1 500 000 FCFA. Cette derniĂšre, visiblement mĂ©contente, refusa de considĂ©rer le contrat comme rompu et exigea son exĂ©cution, en arguant que la somme initialement versĂ©e devait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un acompte compte tenu de son caractĂšre relativement modique.
  • Analyse juridique : Si le versement d’un acompte constitue une exĂ©cution partielle du contrat, auquel il ne peut normalement pas ĂȘtre mis fin, il est difficilement concevable de dĂ©duire son existence du seul caractĂšre « modique » de la somme concernĂ©e. À moins que les parties n’aient clairement indiquĂ© qu’il s’agissait d’un acompte, le juge apprĂ©ciera souverainement leur intention. Au demeurant, dans les rapports qu’entretiennent les professionnels et les consommateurs, le Code de la consommation dispose qu’à dĂ©faut d’indication contraire, toutes sommes versĂ©es d’avance par le consommateur sont des arrhes. En l’espĂšce, la sociĂ©tĂ© MATIQUE ne se rĂ©fĂšre pas aux conditions prĂ©vues dans le contrat pour Ă©noncer que la somme versĂ©e constitue un acompte. Il est donc fortement probable que le contrat n’envisage rien Ă  cet Ă©gard. Étant donnĂ© qu’il a Ă©tĂ© conclu entre un professionnel et un consommateur (l’ordinateur avait Ă©tĂ© achetĂ© par M. INFOR pour ses besoins personnels puisqu’il Ă©tait question de ses « loisirs »), le Code de la consommation a vocation Ă  s’appliquer. Faute d’indication dans le contrat, la somme versĂ©e ne doit pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un acompte mais comme des arrhes, permettant ainsi Ă  M. INFOR, en sa qualitĂ© de consommateur, de renoncer valablement au contrat en abandonnant cette somme Ă  la sociĂ©tĂ© MATIQUE.

Le contrat, pierre angulaire du droit des obligations, incarne Ă  la fois la stabilitĂ© des engagements et la libertĂ© du consentement. Il est le reflet d’un Ă©quilibre subtil entre la rigueur de la rĂšgle et la souplesse de la volontĂ©, entre la sĂ©curitĂ© juridique et l’équitĂ© sociale. L’étude du droit de rĂ©tractation, qu’il soit conventionnel (clause de dĂ©dit ou arrhes) ou lĂ©gal (protection du consommateur), rĂ©vĂšle cette tension fondamentale. D’un cĂŽtĂ©, la force obligatoire du contrat, consacrĂ©e par les articles 1134 du Code civil ivoirien et 1103 du Code civil français, assure la stabilitĂ© des relations Ă©conomiques et la prĂ©visibilitĂ© des Ă©changes. De l’autre, la possibilitĂ© de revenir sur un engagement, mĂȘme limitĂ© dans le temps et dans ses conditions, exprime une conception renouvelĂ©e du contrat, non plus comme un carcan, mais comme un instrument vivant du consentement Ă©clairĂ©.

Le droit ivoirien, notamment Ă  travers la loi n° 2016-412 relative Ă  la consommation, marque une avancĂ©e dĂ©cisive vers un droit contractuel plus Ă©quilibrĂ© et plus protecteur. Le consommateur, longtemps laissĂ© sans vĂ©ritable recours face Ă  la puissance Ă©conomique du professionnel, dispose dĂ©sormais d’un droit de rĂ©tractation effectif, d’une prĂ©somption d’arrhes favorable et d’un encadrement juridique des restitutions. Ces mĂ©canismes participent d’une dynamique de justice contractuelle et d’un alignement progressif sur les standards internationaux. Toutefois, des zones d’ombre subsistent : l’absence d’un rĂ©gime d’intĂ©rĂȘts automatiques, le manque de clartĂ© quant aux dĂ©lais de restitution ou encore la faible prise en compte des contrats numĂ©riques tĂ©moignent de la nĂ©cessitĂ© d’une modernisation continue. Ainsi, le droit de se rĂ©tracter constitue bien plus qu’un simple correctif juridique : il est devenu le symbole d’un contrat humanisĂ©, oĂč la volontĂ© individuelle, loin d’ĂȘtre figĂ©e, reste modulable dans le respect de la sĂ©curitĂ© des engagements.

Le dĂ©fi des prochaines annĂ©es consistera Ă  adapter ce droit Ă  la digitalisation croissante des transactions. Les contrats conclus en ligne, les abonnements dĂ©matĂ©rialisĂ©s, les plateformes transfrontaliĂšres de commerce Ă©lectronique et les technologies d’intelligence artificielle bouleversent les cadres traditionnels de la volontĂ© contractuelle. Face Ă  cette mutation, la CĂŽte d’Ivoire, Ă  l’instar de ses partenaires de l’UEMOA et de la CEDEAO, devra engager une rĂ©forme du Code civil intĂ©grant les mĂ©canismes de rĂ©tractation Ă©lectronique, la mĂ©diation prĂ©contractuelle et la transparence numĂ©rique. L’harmonisation rĂ©gionale du droit de la consommation apparaĂźt alors comme un impĂ©ratif pour garantir la protection du consommateur africain dans l’économie numĂ©rique globale. Ainsi, le droit de rĂ©tractation, loin d’ĂȘtre une exception Ă  la stabilitĂ© contractuelle, s’impose comme une condition de sa lĂ©gitimitĂ© : un Ă©quilibre entre la fidĂ©litĂ© Ă  la parole donnĂ©e et la sauvegarde de la libertĂ© de se reprendre.


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Me Luc KOUASSI

Juriste Consultant Polyglotte| Formateur | SpĂ©cialiste en rĂ©daction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | BĂ©nĂ©vole humanitaire.

denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28


[1] Code civil ivoirien, art. 1134 (reproduisant l’article 1103 du Code civil français).

[2] Assi-Esso, A.-M. H., Cours de droit civil : Les obligations, Abidjan, Cours polycopiĂ©, 2023, p. 21.

[3] TerrĂ©, F., Simler et Ph., Lequette, Y., Droit civil : Les obligations, Dalloz, 12ᔉ Ă©d., 2018, p. 343.

[4] Malaurie, Ph.,  AynĂšs, L. et Stoffel-Munck, Ph., Droit des obligations, LGDJ, 13ᔉ Ă©d., 2024, p. 274.

[5] Fages, B., Droit des obligations, LGDJ, 9ᔉ Ă©d., 2019, p. 225.

[6] Loi ivoirienne n° 2016-412 du 15 juin 2016 relative à la consommation, art. 6, al. 3.

[7] Code de la consommation français, art. L214-1.

[8] Terré, F., Simler et Ph., Lequette, Y., Op. cit., p. 343.

[9] Cass. com., 30 oct. 2000, n°98-11224 : Bull. civ. IV, n°155.

[10] Assi-Esso, A.-M. H., Op. cit., p. 27.

[11] Fages, B., Op. cit., p. 237.

[12] Aubert, J.-L. et Savaux, E., Droit civil : Les obligations, l’acte juridique, 18e Ă©dition, Sirey, 2024, p. 460.

[13] Code civil ivoirien, art. 1590.

[14] Malaurie, Ph. et AynĂšs, L., Les obligations, LGDJ, 11ᔉ Ă©d., 2021, p. 287.

[15] Loi ivoirienne n° 2016-412, art. 6, al. 3.

[16] Code de la consommation français, art. L214-1.

[17] Ghestin, J., TraitĂ© de droit civil : La formation du contrat, LGDJ, 4e Ă©dition, 2013, p. 542.

[18] Adaptation du cas hypothétique inspiré de la pratique jurisprudentielle ; v. aussi Droit-Afrique, Commentaire de la loi ivoirienne sur la consommation, 2018.

[19] Loi ivoirienne n°2016-412, art. 6.

[20] Loi ivoirienne n°2016-412., art. 10 et 11.

[21] Code de la consommation français, art. L221-18 à L221-21.

[22] Loi ivoirienne n°2016-412, art. 11.

[23] Fages, B., Op. cit., p. 237.

[24] Assi-Esso, A.-M. H., Op. cit., p. 32.

[25] Loi ivoirienne n°2016-412, art. 10 et 12 ; Code de la consommation fr., art. L214-3.

[26] TerrĂ©, F., Simler et Ph., Lequette, Y., Op. cit., p. 368 ; Malaurie, Ph. et AynĂšs, Op. cit., p. 296.

[27] Cass. civ. 1Êłá”‰, 25 nov. 2010, n°09-70.493

[28] Code de la consommation français, art. L214-2.

[29] Cass. civ. 1re, 16 nov. 2004, n° 02-19.431 : Bull. civ. I, n° 292.

[30] Code civil ivoirien, art. 1153.

[31] Loi ivoirienne n° 2016-412, art. 3 et 6.

[32] Assi-Esso, A.-M. H., Op. cit., p. 40.

[33] Loi ivoirienne n° 2016-412, art. 2.

[34] Aubert, J.-L. et Savaux, E., Op. cit., p. 467.

[35] Cass. civ. 1Êłá”‰, 25 nov. 2010, n° 09-70.493 ; v. Ă©galement, CA Paris, 26 mars 2019, n° 17/13847.

[36] Terré, F., Simler et Ph., Lequette, Y., Op. cit., p. 372.

[37] Fages, B., Op. cit., p. 245.

[38] Ordonnance française n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

[39] Code civil ivoirien, art. 1153 ; v. aussi loi n°2016-412, art. 3 et 6.

[40] Assi-Esso, A.-M. H., Op. cit., p. 40.

[41] Terré, F., Simler et Ph., Lequette, Y., Op. cit., p. 389.

[42] CEDEAO, Projet de directive sur la protection des consommateurs en Afrique de l’Ouest, Rapport technique, 2022, https://erca-arcc.org/lautorite-regionale-de-la-concurrence-de-la-cedeao-arcc-soccupe-des-questions-de-protection-des-consommateurs/?lang=fr, ConsultĂ© le 09 novembre 2025.

Le cas pratique

Le cas pratique est un exercice juridique qui consiste Ă  prĂ©senter Ă  un Ă©tudiant une situation de fait dissimulant plusieurs problĂšmes juridiques devant ĂȘtre rĂ©solus avec la mĂ©thode du syllogisme (raisonnement juridique en trois Ă©tapes : une majeure, une mineure et une conclusion). Vous devez maitriser la mĂ©thodologie du cas pratique pour au moins deux raisons :

  • Il s’agit d’un exercice juridique incontournable faisant l’objet de nombreux partiels,
  • On reproche souvent Ă  l’universitĂ© d’ĂȘtre dĂ©connectĂ©e de la pratique
 mais il s’agit de l’exercice juridique qui se rapproche le plus de la pratique professionnelle ! Que vous soyez avocat, juge, huissier
 vous devrez utiliser la mĂ©thodologie du cas pratique pour rĂ©soudre des problĂšmes de droit.

Dans cette section, nous allons voir :

  • La mĂ©thodologie complĂšte du cas pratique et de la consultation,
  • Un exemple de barĂšme utilisĂ© par les correcteurs Ă  l’universitĂ© pour noter un cas pratique,
  • Les principales difficultĂ©s rencontrĂ©es par les Ă©tudiants,
  • Tous les conseils pour devenir incollable!

Il importe de bien distinguer la consultation du cas pratique.

  • Le cas pratique

C’est un exercice juridique qui consiste Ă  prĂ©senter Ă  un Ă©tudiant une situation de fait dissimulant plusieurs problĂšmes juridiques devant ĂȘtre rĂ©solus avec la mĂ©thode du syllogisme (raisonnement juridique en trois Ă©tapes : une majeure, une mineure et une conclusion). L’exercice consiste Ă  se mettre dans la position du juge. Vous devez chronologiquement :

  1. Trouver le ou les problÚmes juridiques dissimulés dans les faits à moins que les problÚmes soient clairement indiqués ;
  2. Apporter une rĂ©ponse argumentĂ©e Ă  la question posĂ©e en tranchant vous-mĂȘme dans le sens qu’il convient.
  • La consultation

C’est un exercice juridique qui consiste Ă  prĂ©senter Ă  un Ă©tudiant une situation de fait dissimulant des problĂšmes juridiques devant ĂȘtre rĂ©solus avec la mĂ©thode du syllogisme. Mais la personne qui vous consulte a gĂ©nĂ©ralement un objectif bien prĂ©cis et vous demande de rendre compte de l’état du droit positif en fonction de cet objectif.

L’objectif est d’éclairer celui qui vous consulte soit pour l’informer (l’exercice se rapproche alors du cas pratique) soit pour l’aider Ă  atteindre un objectif (l’exercice consiste donc Ă  orienter ses arguments juridiques dans un sens prĂ©cis). Dans ce dernier cas, l’exercice est plus dĂ©licat puisqu’il consiste Ă  se mettre dans la position de l’avocat (dans le cadre de sa fonction de conseil juridique).

Exemple de consultation

« Les Secundus vous chargent d’une consultation sur les forces et faiblesses de leur dossier, dĂ©sireux Ă  la fois de bloquer le paiement du reliquat du prix de vente et se faire rembourser les sommes dĂ©jĂ Ì€ versĂ©es, en anĂ©antissant ce contrat, par tous moyens que vous trouverez ; ils entendent Ă©galement rĂ©sister Ă  Immofisca, Ă  laquelle ils n’ont pas encore rĂ©glĂ©Ì toutes les sommes qu’ils lui doivent (il reste 20 000 000 FCFA Ă  lui verser) et qui vient de les assigner en paiement devant le tribunal de grande instance de Nice. Ils veulent Ă©galement mettre en jeu sa responsabilitĂ©Ì, Ă  l’exclusion de celle du notaire, qui est une relation de famille ».

S’il est intĂ©ressant de connaitre cette distinction, il est en revanche cette distinction, il est en revanche inutile de les aborder avec une mĂ©thode diffĂ©rente. Vous trouverez gĂ©nĂ©ralement Ă  la fin du sujet la consigne qui vous permet de savoir ce que le correcteur attend exactement de vous.

Mais que vous soyez dans le cadre d’une consultation ou d’un cas pratique vous devrez de toute maniĂšre rĂ©pondre juridiquement Ă  un problĂšme de droit pour en tirer une conclusion.

NB : le cas pratique et la consultation sont des exercices qui portent généralement sur des questions juridiques relevant du droit en vigueur.

Cependant, il peut arriver que l’exercice ait pour objectif d’évaluer les connaissances de l’étudiant sur du droit prospectif. L’exercice peut se rĂ©vĂ©ler alors beaucoup plus dĂ©licat
.

  • Buts du cas pratique

Pour obtenir la meilleure note possible vous devez comprendre ce que les correcteurs attendent de vous à travers cet exercice. En effet, cet exercice vise à évaluer votre aptitude à : votre aptitude à :

  • Identifier et formuler des problĂšmes juridiques dissimulĂ©s derriĂšre des faits souvent confus;
  • RĂ©pondre juridiquement aux problĂšmes dĂ©gagĂ©s pour en tirer une conclusion;
  • Organiser vos idĂ©es de la maniĂšre la plus claire possible.

La rĂ©daction d’un cas pratique nĂ©cessite le respect de plusieurs Ă©tapes. Vous devez, dans l’ordre chronologique, rĂ©diger les faits (A) annoncer le plan (B), Ă©voquer le problĂšme de droit (C), la solution en droit (D) puis la solution en l’espĂšce (E) et enfin la conclusion (F).

  • Faits

Vous devez, parmi tous les faits qui vont sont présentés, déceler ceux qui sont pertinents (ceux nécessaires à la rédaction de votre solution en droit et de maniÚre générale à la résolution de votre cas pratique) et les formuler en termes juridiques.

La difficultĂ©Ì principale Ă  cette Ă©tape de la rĂ©daction est de rĂ©ussir Ă  dĂ©celer, parmi tous les faits, ceux qui sont nĂ©cessaires Ă  la rĂ©daction du cas pratique. Il est possible et frĂ©quent que le sujet fasse plus d’une page et que les faits devant figurer dans la rĂ©daction du cas ne fasse que quelques lignes.

  • Annonce de plan et plan

Vous devez trouver un plan pour organiser votre dĂ©monstration de la maniĂšre la plus claire possible. La construction d’un plan dans le cadre d’un cas pratique ne rĂ©pond pas aux mĂȘmes rĂšgles que dans le cadre d’une dissertation ou d’un commentaire d’arrĂȘt.

Il faut tout d’abord bien s’entendre sur ce qu’on appelle « plan ». D’une part vous devez rĂ©diger un plan sur chaque cas qui vous est soumis. Par exemple si le cas pratique vous invite Ă  rĂ©pondre Ă  plusieurs questions juridiques concernant plusieurs personnes (Laura, Caroline, Michel) vous devrez dĂ©couper votre cas pratique de la maniĂšre suivante :

  • « I. Le cas de Laura / II. Le cas de Caroline /III. Le cas de Michel ».

Il faut ajouter que gĂ©nĂ©ralement le thĂšme de la partie doit ĂȘtre prĂ©cisĂ©. Par exemple, si le cas pratique vous dit que Laura a Ă©tĂ© licenciĂ© votre partie sera :

  • « I. Le licenciement de Laura ».

Ensuite Ă  l’intĂ©rieur de vos parties vous pourrez avoir plusieurs questions juridiques. Par exemple :

  • Le licenciement de Laura est-il nul?
  • Le licenciement de Laura est-il sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse?
  • La preuve du licenciement est-elle recevable ?

D’autre part, Ă  l’intĂ©rieur d’une question juridique en particulier, vous devez Ă©galement rĂ©diger votre solution en droit en tenant compte d’un plan. GĂ©nĂ©ralement le plan de cas pratique sera :

  • « I. Conditions / II. Effets ou I. Qualification / II. RĂ©gime ».

Par exemple, dans le cas d’une partie « I. Le licenciement de Laura » vous commencerez par Ă©voquer les conditions du licenciement avant d’évoquer les effets du licenciement pour que votre dĂ©monstration soit claire pour le correcteur.

Retenez toutefois que ce plan n’a pas Ă  ĂȘtre apparent dans votre copie. L’annonce de plan est nĂ©cessaire lorsque le cas pratique est complexe et que les problĂšmes soulevĂ©s sont multiples.

  • ProblĂšme de droit

Vous devez formuler en termes juridiques le problĂšme soulevĂ© par le cas ou par la personne dans le cas d’une consultation.

À mon sens, il est prĂ©fĂ©rable de formuler le problĂšme de droit sous forme interrogative pour faciliter la lecture du correcteur mais aucune rĂšgle n’existe sur ce point (renseignez-vous sur les consignes donnĂ©es par le chargĂ© de travaux dirigĂ©s).

  • Solution en droit

Cette partie implique de connaitre son cours mais ce n’est pas suffisant. Il s’agit Ă©galement d’utiliser ses connaissances de maniĂšre :

→ Utile

Il est tentant, lorsqu’on connait bien son cours, de le retranscrire en intĂ©gralitĂ© dans la solution en droit. Vous devez apprendre Ă  mentionner uniquement les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă  la rĂ©solution du cas.

Cette erreur peut se produire frĂ©quemment en droit des obligations. Par exemple, si vous devez traiter un problĂšme relatif Ă  l’erreur (vice de consentement) vous devez faire de consentement) vous devez faire attention Ă  ne pas dĂ©tailler les points qui ne sont pas nĂ©cessaires pour la rĂ©solution du cas.

Plusieurs conditions doivent ĂȘtre satisfaites lorsqu’on invoque une erreur afin d’obtenir la nullitĂ© d’un contrat.

  • Il faut Ă©tablir une erreur (premiĂšre condition),
  • Portant sur une qualitĂ© essentielle de la prestation (deuxiĂšme condition)
  • Qui doit ĂȘtre dĂ©terminante du consentement (troisiĂšme condition)
  • Et ĂȘtre excusable (quatriĂšme condition).

Si le cas invite Ă  s’interroger par exemple sur le caractĂšre excusable ou non de l’erreur, il faudra alors Ă©viter de dĂ©tailler longuement les autres conditions.

→ OrganisĂ©e et logique

Vous devez prĂ©senter les Ă©lĂ©ments juridiques de maniĂšre organisĂ©e. Vous devez d’abord traiter les conditions puis les effets, le domaine puis le rĂ©gime etc.

  • Solution en l’espĂšce

Vous devez confronter les faits du cas pratique aux rĂšgles de droit que vous avez dĂ©crites Si la que vous avez dĂ©crites. Si la solution vous paraĂźt Ă©vidente n’oubliez pas que vous devez en tout Ă©tat de cause vĂ©rifier mĂ©thodiquement que chaque condition de la rĂšgle de droit est satisfaite en l’espĂšce.

Sur ce point, je vous invite à relire la partie ci-dessus « La tendance naturelle à sauter les étapes pour aller directement à la solution ».

  • Conclusion

N’oubliez pas, une fois que vous avez rĂ©digĂ© la solution en l’espĂšce, de rĂ©diger une brĂšve phrase de conclusion.

Exemples :

  • « Gautier pourra donc demander l’annulation du contrat en justice et obtenir, en outre, des dommages et intĂ©rĂȘts en rĂ©paration de son prĂ©judice ».
  • « Alexandra pourra faire reconnaĂźtre, devant le Conseil de prud’homme, l’absence de bien fondĂ© de son licenciement et obtenir des indemnitĂ©s pour licenciement sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse ».

  • Le manque de temps

Une des difficultĂ©s principales du cas pratique rĂ©side dans le temps imparti pour rĂ©diger intĂ©gralement votre dĂ©monstration. Il est nĂ©cessaire d’utiliser chaque minute dont vous disposez de la maniĂšre la plus pertinente possible afin de terminer l’examen dans les temps. Afin de gagner du temps appliquez ces quelques conseils :

Premier conseil : entrainez-vous avec des annales et obtenez une correction ;

Ce conseil peut paraitre Ă©vident Ce conseil peut paraitre Ă©vident mais bien souvent la plupart des Ă©tudiants ne s’entrainent pas en dehors des partiels. Des entrainements dans des conditions identiques Ă  celle de l’examen suffisent bien souvent Ă  corriger vos plus gros dĂ©fauts (mĂȘme si vous avez l’impression de n’avoir pas assez de temps Ă  consacrer aux entrainements je vous assure que c’est FONDAMENTAL).

À chaque entrainement, notez vos difficultĂ©s et essayer d’y remĂ©dier pour la prochaine fois.

DeuxiĂšme conseil : apprenez les corrections de cas pratiques ayant dĂ©jĂ  fait l’objet d’un examen ; Plus vous en apprenez, plus le cas pratique vous paraĂźtra simple car vous serez Ă  mĂȘme de deviner les barĂšmes de correction attendus.

TroisiÚme conseil : entrainez-vous à écrire plus vite (cherchez sur YouTube il y a des vidéos qui expliquent comment faire)

QuatriĂšme conseil : soyez concentrĂ© au maximum dĂšs le dĂ©but de l’épreuve ; La concentration est un facteur fondamental que vous pouvez contrĂŽler avec un peu d’entraĂźnement.

CinquiĂšme conseil : Faites le cas Ă©chĂ©ant des belles annonces de plan ; Les annonces de plan permettent d’organiser ses idĂ©es de la maniĂšre la plus pertinente possible et d’éviter les rĂ©pĂ©titions inutiles.

SixiĂšme conseil : faites des renvois si nĂ©cessaire ; Lorsque vous avez dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© des rĂšgles de droit et que vous devez les rĂ©utiliser dans une autre partie, n’hĂ©sitez pas Ă  utiliser des phrases du type « comme il l’a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© ci- dessus 
 ».

  • La tendance naturelle Ă  sauter les Ă©tapes pour aller directement Ă  la solution

En cas pratique, vous devez appliquer la mĂ©thode dite du syllogisme. Vous devez vĂ©rifier, aprĂšs avoir Ă©noncĂ© des rĂšgles de droit, que les faits du cas correspondent aux rĂšgles juridiques Ă©noncĂ©es. Ce raisonnement est mathĂ©matique. Si la rĂšgle de droit exige plusieurs conditions pour ĂȘtre applicable, vous devez vĂ©rifier que chacune des conditions est satisfaite avant de conclure dans tel ou tel sens.

Retenir une solution sans vĂ©rifier minutieusement les conditions, quand bien mĂȘme votre solution serait juste, conduira inĂ©vitablement Ă  une mauvaise note, puisque c’est l’esprit mĂȘme de l’exercice qui n’est pas compris : mener une rĂ©flexion juridique claire et organisĂ©e.

Si vous voyez, dĂšs la lecture des faits, quelle sera vraisemblablement la solution du cas faites attention Ă  ne pas sauter les Ă©tapes et Ă  respecter scrupuleusement la mĂ©thode : comme en mathĂ©matique, trouver une solution juste sans dĂ©montrer comment vous y ĂȘtes parvenu, ne permet pas d’obtenir une bonne note.

Exemple :

Gautier a Ă©tĂ© embauchĂ© il y a quelques annĂ©es en tant qu’« assistant comptable ». Lorsqu’il a Ă©tĂ© embauchĂ© il Ă©tait prĂ©vu qu’il devait assister le comptable de l’entreprise dans l’exĂ©cution de ses tĂąches. A vrai dire, ce fut le cas pendant plus de trois ans. Cependant, depuis plusieurs mois, Ă  la suite du dĂ©part de l’entreprise du comptable, son employeur lui demande de gĂ©rer la totalitĂ© de la comptabilitĂ© de l’entreprise. Gautier commet rĂ©guliĂšrement des Gautier commet rĂ©guliĂšrement des erreurs ce qui agace terriblement son employeur. À la suite d’une Ă©niĂšme erreur, il est finalement licenciĂ© pour insuffisance professionnelle.

Il vient vous voir en vous demandant de l’aide et vous explique qu’il ne comprend pas pourquoi il a Ă©tĂ© licenciĂ© : « moi qui ne faisait que de la saisie pendant plusieurs annĂ©es, de la simple paperasse, on m’a demandĂ©Ì du jour au lendemain d’assurer la totalitĂ© de la comptabilitĂ© de l’entreprise. J’ai pourtant demandĂ© Ă  mon employeur si je pouvais suivre une formation afin d’ĂȘtre plus efficace
 ».

Résolution

Vous savez qu’une des conditions de fond d’un licenciement pour insuffisance professionnelle est que l’insuffisance reprochĂ©e concerne effectivement la qualification ou les fonctions du salariĂ©.

  • Une mauvaise rĂ©daction serait :

Solution en droit : pour qu’un licenciement pour insuffisance professionnelle soit fondĂ© les faits reprochĂ©s doivent ĂȘtre en lien avec la qualification du salariĂ©.

Solution en l’espĂšce : En l’espĂšce, le salariĂ© a Ă©tĂ© licenciĂ© pour des faits qui ne correspondent pas Ă  sa qualification de sorte que le licenciement n’a pas de cause rĂ©elle et sĂ©rieuse.

Conclusion : Gautier pourra obtenir des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

  • Une bonne rĂ©daction serait :

Solution en droit : Pour qu’un licenciement pour insuffisance professionnelle soit fondĂ© plusieurs conditions doivent ĂȘtre rĂ©unies.

  • D’abord les faits reprochĂ©s doivent ĂȘtre en lien avec la qualification du salariĂ©.
  • Ensuite les objectifs donnĂ©s par l’employeur doivent ĂȘtre rĂ©alistes.
  • Enfin l’insuffisance doit ĂȘtre imputable Ă  une incompĂ©tence du salariĂ© et non Ă  un manque de moyen humain ou matĂ©riel.

Ici vous distinguez bien l’ensemble des conditions quand bien mĂȘme vous savez que la condition qui posera problĂšme sera la premiĂšre.

Solution en l’espĂšce : En l’espĂšce, aucune information n’est donnĂ©e sur les objectifs donnĂ©s par l’employeur ou sur l’éventuel manque de moyen humain ou matĂ©riel de l’entreprise.

Cependant, le salariĂ© a Ă©tĂ© Cependant, le salariĂ© a Ă©tĂ© embauchĂ© avec la qualification « d’assistant comptable » et il Ă©tait prĂ©vu lors de son embauche que son travail soit cantonnĂ© principalement Ă  de la simple saisie.

Or les faits qui lui sont reprochĂ© concernent la gestion de la comptabilitĂ© au niveau de l’entreprise. Cette derniĂšre fonction n’entre manifestement pas dans sa qualification.

En outre, l’employeur n’a pas tentĂ© de remĂ©dier aux insuffisances de son salariĂ© en lui permettant de suivre une formation.

Ainsi, les faits qui lui sont reprochĂ©s ne sont pas en rapport avec sa qualification de sorte que son licenciement pour insuffisance professionnelle n’est pas fondĂ©.

Conclusion : Gautier pourra obtenir des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Vous avez expliquĂ©Ì pourquoi la condition fait dĂ©faut. Dans les deux cas la solution est la mĂȘme. Mais dans la deuxiĂšme rĂ©daction vous avez confrontĂ©Ì Ă  la rĂšgle de droit les faits du cas pratique.

  • Le dĂ©calage entre le cours et la confrontation au cas pratique

Une autre difficulté du cas pratique est que la connaissance de votre cours ne suffit généralement pas à obtenir une bonne note.

Le dĂ©calage peut ĂȘtre important entre ce que vous avez appris et ce qui est attendu.

Prenons un exemple en droit des obligations (cas pratique portant sur la question de la clause pénale) :

Gautier souhaite faire refaire sa cuisine. Il souhaite mettre en place une « table / bar Ă  l’amĂ©ricaine ». Gautier souhaite que sa table soit confectionnĂ©e sur mesure avec des matiĂšres trĂšs spĂ©cifiques et fait appel Ă  M. Jean, professionnel spĂ©cialisĂ© dans la confection de tables amĂ©ricaines, pour confectionner la table.

M. Jean n’exĂ©cute pas son obligation et vient vous consulter pour vous demander les risques encourus. Il vous prĂ©cise que le contrat conclu avec GAUTIER stipulait qu’une somme de 10 000 euros (80 % du prix) serait due par la partie au contrat qui n’exĂ©cuterait pas son obligation.

Ce cas pratique porte sur la question de la clause pénale.

L’étudiant mal averti aura tendance Ă  directement Ă©voquer les rĂšgles de rĂ©vision d’une clause pĂ©nale en expliquant que le juge peut rĂ©viser la clause pĂ©nale sur le fondement de l’article 1231-5, alinĂ©a 2, du Code civil si celle-ci est manifestement excessive ou dĂ©risoire.

Pourtant, avant mĂȘme d’évoquer la question de la rĂ©vision et de l’éventuel prix excessif vous devez vĂ©rifier qu’il s’agit bien d’une clause pĂ©nale.

L’article 1231-5 nous dit que cette rĂ©vision est possible lorsque le contrat « stipule que celui qui manquera de l’exĂ©cuter paiera une certaine somme Ă  titre de dommages et intĂ©rĂȘts ». Pour pouvoir qualifier une stipulation de clause pĂ©nale l’objet de la clause doit ĂȘtre de rĂ©aliser une Ă©valuation conventionnelle du dommage, de sanctionner l’inexĂ©cution d’une obligation par le dĂ©biteur et d’ĂȘtre attribuĂ©e Ă  titre compensatoire.

En cas pratique vous devriez donc :

  • D’abord qualifier la clause de clause pĂ©nale en vĂ©rifiant que chacun des critĂšres de dĂ©finition de la clause pĂ©nale sont satisfaits
  • Avant de pouvoir Ă©voquer son rĂ©gime.

Pourtant, le cours n’est gĂ©nĂ©ralement pas aussi clair sur la mĂ©thode Ă  adopter en cas pratique.

  • Avoir un raisonnement juridique juste mais qui ne correspond pas au barĂšme attendu

Le droit n’est pas une science exacte et deviner le barùme de correction est parfois difficile.

Premier conseil : soignez la forme de votre copie : Ă©crivez en noir, sautez des lignes et faites un alinĂ©a entre chaque partie (faits, problĂšme de droit, solution en l’espĂšce, solution en droit)

DeuxiĂšme conseil : pensez Ă  travailler systĂ©matiquement avec votre code et Ă  repĂ©rer les articles et jurisprudences susceptibles de faire l’objet d’un examen. Cette prĂ©paration est essentielle pour vous faire gagner du temps le jour de l’épreuve.

TroisiĂšme conseil : apprenez PAR COEUR les corrections des annales de la matiĂšre que vous avez en examen. Presque systĂ©matiquement des Ă©lĂ©ments vus les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes font Ă  nouveau l’objet d’un examen.

QuatriĂšme conseil : comme pour tous les exercices juridiques, entrainez-vous plusieurs fois dans les MÊMES conditions que le jour de l’examen (mĂȘme temps, mĂȘme stylo, mĂȘme code etc.) et obtenez une correction. Prenez pleinement conscience de vos dĂ©fauts pour les corriger.

Cas : Stacy NAIVE n’a jamais eu de chances en amour. Elle tombe systĂ©matiquement sur des hommes qui la rendent malheureuse. Elle pensait pourtant avoir trouvĂ© l’amour avec Dilan LECHARO avec qui elle Ă©tait en couple depuis plus d’un an. Celui-ci l’avait mĂȘme demandĂ© en mariage il y a six mois. Mais il vient de lui apprendre par SMS qu’il la quittait. TrĂšs sĂ©rieusement, il lui a envoyĂ© le message suivant : « J’ai trouvĂ© une autre fille que j’aime plus que toi. Je suis dĂ©solĂ©, mais il va falloir annuler le mariage. Bonne continuation Ă  toi, je suis sĂ»r que tu t’en remettras. Sans rancune. Dilan ». Dans l’entourage de Stacy, personne ne s’attendait Ă  une telle rupture, Dilan LECHARO n’ayant jamais montrĂ© un signe de sa volontĂ© de quitter Stacy NAIVE. Le mariage Ă©tait prĂ©vu pour dans quelques semaines seulement, et Stacy NAIVE avait dĂ©jĂ  engagĂ© des frais importants : location d’une chapelle, robe de mariĂ©, costume pour Dilan, voyage de noces


Elle vient vous consulter pour savoir si elle peut engager une action contre Dilan LECHARO pour obtenir des dommages et intĂ©rĂȘts.

Résolution

Faits : Un homme a mis fin aux fiançailles par SMS quelques semaines avant la date prĂ©vue pour le mariage.

ProblĂšme de droit : Le fiancĂ© rompant les fiançailles peut-il ĂȘtre condamnĂ© au versement de dommages et intĂ©rĂȘts ?

Solution en droit : Les fiançailles se distinguent du mariage. Elles constituent simplement une promesse rĂ©ciproque de mariage, mais ne crĂ©ent pas d’obligation juridique entre les futurs Ă©poux.

En principe, les fiancĂ©s sont libres de rompre leurs fiançailles en vertu du principe de libertĂ© matrimoniale prĂ©vu par l’article 12 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales. Ainsi, la Cour de cassation juge que « la rupture d’une promesse de mariage n’est pas, Ă  elle seule, gĂ©nĂ©ratrice de dommages-intĂ©rĂȘts » (Civ. 1 , 4 janv. 1995, n° 92- 21.767 et arrĂȘt de principe « Bouvier » du 30 mai 1838).

Par exception, la rupture fautive des fiançailles permet d’engager la responsabilitĂ© civile de son auteur sur le fondement de l’article 1382 du code civil en droit positif ivoirien (article 1240 du code civil en droit positif français). Il faut prouver un prĂ©judice (matĂ©riel ou moral), un lien de causalitĂ© et une faute.

S’agissant de la faute, il ressort de la jurisprudence qu’elle provient souvent, comme en matiĂšre de cessation de pourparlers contractuels, de la rupture brutale des fiançailles peu de temps avant la cĂ©rĂ©monie du mariage. À titre d’exemple, une Cour d’appel a retenu une faute pour une rupture intervenue Ă  l’initiative de du fiancĂ© seulement 23 jours avant le mariage, alors que les fiançailles remontaient Ă  prĂšs de huit mois, qu’elles avaient Ă©tĂ© mĂ»rement rĂ©flĂ©chies, ayant Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©es d’une relation de deux annĂ©es, et que les fiancĂ©s avaient acquis, depuis prĂšs d’un mois, une maison en indivision dans la perspective de s’y installer (CA, Colmar, 3 mai 2019, n° 17/03733).

S’agissant du prĂ©judice, le ou la fiancĂ©(e) Ă©conduit(e) devra prouver le prĂ©judice matĂ©riel (frais engagĂ©s pour le mariage) et/ou moral.

Solution en l’espĂšce : En l’espĂšce, Dilan LECHARO a mis fin aux fiançailles de maniĂšre brutale puisqu’il a procĂ©dĂ© par SMS sans donner d’explication sur les causes de cette rupture et peu de temps avant la cĂ©rĂ©monie du mariage. La faute pourrait donc ĂȘtre caractĂ©risĂ©e. S’agissant du prĂ©judice, il est indiquĂ© que Stacy NAIVE avait dĂ©jĂ  engagĂ© des frais importants (location d’une chapelle, robe de mariĂ©, costume pour Dilan, voyage de noces). Ce prĂ©judice est sans aucun doute en lien avec la faute.

Conclusion : Stacy NAIVE pourra engager la responsabilitĂ© civile de Dilan LECHARO et obtenir des dommages et intĂ©rĂȘts en rĂ©paration de son prĂ©judice.

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