Dans la vie quotidienne, des désaccords peuvent survenir entre deux personnes, une entreprise et un client, un employeur et un salarié, un vendeur et un acheteur… Ces différends, parfois inévitables, peuvent conduire à un procès. Mais dès lors qu’on envisage d’engager une action en justice, une question essentielle se pose : où aura lieu le procès ? Peut-on librement choisir le tribunal devant lequel on va se plaindre ? Ou, au contraire, est-on obligé de s’adresser à un tribunal bien précis ?
Il est fondamental de comprendre que la localisation du tribunal compétent n’est pas toujours laissée à la libre volonté des parties. Le droit, qu’il soit ivoirien ou français, encadre cette question de manière rigoureuse. Toutefois, selon la nature du litige, des exceptions, voire des dérogations contractuelles, peuvent modifier la règle générale.
I. Le principe fondamental : le procès se tient au lieu du domicile de la personne que l’on attaque
Dans la majorité des cas, le lieu du procès est déterminé par le domicile du défendeur, c’est-à-dire la personne contre laquelle on agit en justice.
En termes simples, cela signifie que si vous souhaitez assigner quelqu’un en justice, vous devez le faire devant le tribunal du lieu où il habite. S’il n’a pas de domicile connu, le critère de la résidence sera utilisé.
Ce principe ne vaut pas seulement pour les personnes physiques (les individus). Il s’applique aussi aux personnes morales, c’est-à-dire les entreprises, les associations, les sociétés commerciales, etc. Dans leur cas, le lieu du siège social est assimilé à leur domicile. Ce siège social est mentionné dans leurs statuts et est en général connu des tiers (il figure souvent dans les documents administratifs ou sur les sites internet des entreprises).
Quand plusieurs personnes sont attaquées ensemble dans une même procédure (par exemple, deux débiteurs ou plusieurs co-auteurs d’un dommage), le demandeur peut choisir parmi les domiciles des différents défendeurs celui qui lui convient le mieux pour lancer son action.
Ce principe général est prévu par l’article 11 du Code de procédure civile, commerciale et administrative ivoirien. Il s’agit donc d’une règle de base dans le système judiciaire ivoirien, mais qui connaît plusieurs exceptions notables, en fonction du type de litige.
II. Les exceptions au principe : quand la nature du litige impose une autre juridiction
Certaines situations exigent que le procès se tienne dans un lieu bien déterminé, indépendamment du domicile du défendeur. Ces exceptions sont prévues pour répondre aux particularités de certains types de conflits.
- Les litiges immobiliers
C’est l’exemple classique d’exception : dans les affaires portant sur un bien immobilier (propriété, servitude, litige de voisinage lié à un terrain, etc.), le tribunal compétent est celui du lieu où se trouve l’immeuble.
Aucune autre juridiction ne peut être saisie. Il s’agit d’une règle impérative, qui ne peut être contournée, ni par la volonté des parties, ni par une clause dans un contrat.
III. Les règles spécifiques en matière contractuelle : quand plusieurs choix sont possibles
Lorsqu’un conflit découle d’un contrat, les règles sont un peu plus souples, surtout en droit français. À côté du tribunal du domicile du défendeur (la règle générale), d’autres juridictions peuvent être valablement saisies.
Selon l’article 46 du Code de procédure civile français, en matière contractuelle, le demandeur a plusieurs options :
- Il peut saisir le tribunal du lieu où le contrat a été conclu ;
- Le tribunal du lieu où la chose a été livrée (dans un contrat de vente) ;
- Ou encore le tribunal du lieu où le service prévu dans le contrat a été exécuté.
Cette souplesse vise à faciliter l’accès au juge pour les parties et à tenir compte de la réalité économique et géographique de la relation contractuelle.
IV. La clause attributive de compétence : peut-on choisir librement le tribunal dans un contrat ?
Oui, il est tout à fait possible d’anticiper un éventuel litige en prévoyant, dans le contrat, le tribunal qui sera compétent en cas de différend. C’est ce qu’on appelle une clause attributive de compétence territoriale.
Cependant, la liberté contractuelle n’est pas totale. Le législateur impose des conditions strictes pour la validité d’une telle clause :
- Toutes les parties au contrat doivent être des commerçants.
Le commerçant est celui qui exerce des actes de commerce de manière habituelle et en son nom propre. Il est présumé commerçant dès lors qu’il est inscrit au registre du commerce et des sociétés. - La clause doit être rédigée de manière très apparente dans le contrat, pour que chacune des parties soit pleinement consciente de son existence.
Dans le cas contraire si l’une des parties n’est pas commerçante, par exemple un consommateur, ou si la clause est noyée dans les petites lignes, la clause est inopposable.
Il est courant que la partie la plus puissante au moment de la signature du contrat impose le choix du tribunal, souvent par stratégie :
- Par commodité géographique (tribunal proche de son siège) ;
- Ou pour dissuader l’autre partie d’engager un procès (par exemple, en désignant un tribunal très éloigné).
👉 D’où la nécessité de lire attentivement les contrats avant de les signer, car une clause mal comprise ou inapplicable peut entraîner des pertes de temps et des frais juridiques inutiles.
V. Les règles spéciales en droit du travail : la compétence du tribunal dépend du lieu de travail
Dans le cadre des relations de travail, les règles diffèrent. Le Code du travail ivoirien prévoit des dispositions particulières, impératives, auxquelles on ne peut déroger par contrat.
Le tribunal compétent est :
- Soit celui du lieu où se situe l’établissement où le travail est accompli ;
- Soit celui du domicile du salarié, lorsque le travail est accompli à son domicile ou en dehors de tout établissement de l’employeur.
Le droit français va encore plus loin en faveur du salarié. Ce dernier peut, au choix :
- Saisir le conseil de prud’hommes du lieu de travail ;
- Saisir celui du lieu où le contrat a été signé ;
- Ou encore celui du siège de l’entreprise.
Ce système donne au salarié plusieurs options, dans une logique de protection et d’égalité des armes dans la procédure.
VI. Cas pratique : Mme ACHETE et la société VENTOU
Prenons un exemple concret pour illustrer les règles ci-dessus.
Mme ACHETE vit à Toumodi. Elle achète une cuisine équipée auprès de la société VENTOU, une entreprise inscrite au registre du commerce et du crédit mobilier d’Abidjan. Cette cuisine est destinée à son usage personnel, donc à sa consommation privée.
Une fois la cuisine livrée et installée à son domicile, Mme ACHETE constate que plusieurs éléments sont défectueux : le four ne fonctionne pas, la machine à laver la vaisselle est en panne… Elle contacte la société, qui refuse d’intervenir.
Mme ACHETE décide donc d’assigner la société VENTOU en justice pour faire valoir ses droits. Seulement, le contrat qu’elle a signé contient une clause précisant que « les juridictions d’Abidjan sont seules compétentes ».
Face à cette clause, elle s’interroge : devra-t-elle réellement engager une procédure à Abidjan, avec les frais et déplacements que cela suppose ?
La réponse est non. En sa qualité de consommatrice, Mme ACHETE n’est pas liée par cette clause attributive de compétence.
Pourquoi ?
- Parce qu’elle n’est pas commerçante ;
- Parce que la clause, même si elle figure dans le contrat, ne peut s’appliquer qu’aux relations entre professionnels ;
- Et surtout parce qu’elle a plusieurs options légales pour agir en justice.
Elle peut :
- Soit saisir le tribunal d’Abidjan, lieu du siège de la société VENTOU (domicile du défendeur) ;
- Soit, plus avantageusement, saisir le tribunal de Toumodi, lieu de livraison de la cuisine, qui est aussi son lieu de résidence.
Ce choix est parfaitement légal et repose sur les règles générales et les exceptions prévues dans le droit ivoirien et français.
VI. En conclusion
La question de la compétence territoriale en matière civile est plus complexe qu’il n’y paraît. Si la règle de base agir au domicile du défendeur est simple, les exceptions sont nombreuses et parfois impératives.
Il faut toujours tenir compte :
- De la nature du litige (immobilier, contractuel, travail, etc.) ;
- De la qualité des parties (commerçant, consommateur, salarié…) ;
- Des clauses éventuelles du contrat, mais sans oublier que certaines sont inapplicables dans des relations déséquilibrées (comme entre un professionnel et un particulier).
Pour vos besoins en la matière, veuillez contacter le Cabinet LDJ SARL : (+225) 27 23 23 21 64 / 01 52 90 45 19 / 05 96 11 90 94 / 07 05 06 67 04 (WhatsApp).
Achetez le Kit LDJ SMART PRO (+1000 Modèles de contrats, lettres, courriers…) au prix de 20500 FCFA en suivant ce lien : https://cabinetldjsarl.com/formation/kit-ldj-smart-pro-1000-modeles-de-contrats-lettres-courriers/
Luc KOUASSI
Juriste Consultant Bilingue | Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.