
Dans la vie quotidienne comme dans les affaires, il est fréquent que les parties qui concluent un contrat choisissent de lui attribuer un nom précis. Ainsi, une personne qui achète une voiture signe ce qu’elle appelle un « contrat de vente ». Celle qui loue un appartement signe un « contrat de bail », et celle qui sollicite un prêt signe un « contrat de prêt ». Cette pratique paraît évidente et naturelle. Elle est si ancrée dans les usages qu’elle ne suscite presque jamais d’interrogation.
Cependant, en droit, la question de la dénomination contractuelle dépasse le simple usage linguistique ou commercial. En réalité, donner un nom à son contrat engage des conséquences juridiques importantes, car chaque type contractuel est régi par un ensemble de règles légales spécifiques, parfois impératives, auxquelles les parties ne peuvent se soustraire. Ainsi, attribuer un nom à son contrat revient à appeler un régime juridique et à accepter implicitement l’application des obligations, sanctions et droits correspondants.
Cette problématique revêt un intérêt pratique majeur car elle interroge le rapport entre la volonté déclarée des parties et la réalité objective de leurs engagements. Peut-on échapper à un régime juridique simplement en choisissant une dénomination différente ? La réponse du droit est sans équivoque : le juge n’est jamais lié par la dénomination choisie. Il a l’obligation de rechercher la véritable nature juridique de la convention et de l’interpréter conformément à son objet réel et à ses effets.
I. La dénomination contractuelle : un indice utile mais non décisif
La doctrine comme la jurisprudence enseignent que le nom donné au contrat n’est qu’un indice de la volonté des parties. Il permet de comprendre l’objectif poursuivi par celles-ci et d’orienter l’interprétation de l’acte. Toutefois, cet indice ne saurait être décisif, car il pourrait être utilisé de façon abusive pour dissimuler la réalité juridique.
Selon l’article 1156 du Code civil ivoirien, le juge doit rechercher la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes employés. Cette règle fondamentale impose au juge d’examiner l’ensemble du contrat pour en déduire la véritable qualification[1][2]. De la même manière, l’article 1188 du Code civil français dispose que « le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes ».
Ainsi, même si deux parties désignent leur contrat comme un « prêt », si le contenu de l’accord révèle qu’il s’agit d’une location moyennant loyer, le juge retiendra la qualification de bail et appliquera les règles impératives du bail, notamment celles relatives à la protection du locataire.
En droit civil, les contrats sont classés en contrats nommés, qui disposent d’un régime juridique propre (vente, bail, prêt, dépôt, mandat, entreprise…), et en contrats innommés, qui sont soumis aux règles générales des obligations. Toutefois, même dans les contrats innommés, le juge vérifie toujours si un contrat nommé ne s’y dissimule pas en réalité.
Cette exigence s’explique par la volonté de protéger l’ordre public contractuel, qui interdit aux parties de déroger par des artifices de forme aux règles impératives fixées par la loi, notamment lorsqu’elles visent la protection des parties faibles telles que le consommateur, le salarié ou le locataire[3].
II. L’affaire Mme DUBUZZ : Illustration de la primauté de la réalité sur la dénomination
L’affaire suivante illustre parfaitement cette problématique. Mme DUBUZZ a conclu avec sa nièce un contrat intitulé « prêt de chose immobilière », par lequel sa nièce s’engageait à lui verser chaque mois la somme de 150.000 FCFA en échange de la jouissance d’un studio vide pendant une durée de deux ans. Au terme de ce délai, Mme DUBUZZ, souhaitant louer le studio à un couple d’immigrés nigérians prêts à payer un loyer deux fois supérieur, demande à sa nièce de libérer les lieux. Face au refus de cette dernière, qui n’a pas encore trouvé de logement, Mme DUBUZZ la menace d’expulsion immédiate, arguant que le contrat conclu n’était pas un bail mais un simple « prêt de chose immobilière ».
Si l’on s’en tient à la dénomination, il s’agirait d’un prêt à usage (commodat). Cependant, l’analyse du contenu révèle la présence des trois éléments constitutifs d’un bail :
- La mise à disposition d’une chose : ici, un studio vide mis à la disposition de la nièce.
- Un prix convenu : 150.000 FCFA par mois.
- Une durée déterminée : deux ans.
Or, selon l’article 1709 du Code (ivoirien et francais), le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps et moyennant un certain prix[4].
Le juge, saisi d’une telle affaire, procédera à la requalification du contrat en bail d’habitation. Cette requalification emporte l’application des règles impératives du bail d’habitation prévues par la loi n°2019-576 du 26 juin 2019 en Côte d’Ivoire, laquelle impose notamment pour les locations à usage d’habitation principale, des règles strictes en matière de résiliation et d’expulsion[5].
La France consacre également ce principe dans la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, qui interdit toute stipulation contraire visant à réduire les droits du locataire en matière de durée, de renouvellement et de préavis[6]. Par ailleurs le droit positif français impose notamment une durée minimale de trois ans pour les locations à usage d’habitation principale.
III. Portée et fondements de la requalification
La requalification judiciaire repose sur un principe fondamental : la primauté de la réalité sur l’apparence. La qualification retenue par les parties n’est pas opposable si elle contredit la réalité économique et juridique de l’opération. Ce principe vise à éviter tout détournement de la loi par un abus de qualification visant à échapper à un régime juridique contraignant[7].
Ce principe est utilisé notamment en droit du travail, où le juge requalifie des contrats de prestation de services ou de sous-traitance en contrats de travail lorsque la réalité révèle l’existence d’un lien de subordination juridique[8]. De même, en droit fiscal, l’administration fiscale opère des requalifications pour écarter les montages visant l’optimisation abusive.
IV. Conséquences pratiques pour les parties
Une mauvaise qualification peut entraîner une nullité partielle ou totale du contrat si elle dissimule une fraude ou un objet illicite. Elle peut également engager la responsabilité contractuelle ou délictuelle de la partie à l’origine de la mauvaise qualification.
La rédaction et la qualification d’un contrat nécessitent donc vigilance et compétence juridique. Les parties, notamment lorsqu’elles sont non-professionnelles, doivent se faire accompagner par un avocat ou un juriste expérimenté pour éviter toute erreur ou omission susceptible de remettre en cause la validité et l’efficacité de leur engagement[9].
Conclusion générale
Attribuer un nom à un contrat n’est jamais un acte neutre. La qualification contractuelle engage l’application d’un régime juridique précis, parfois impératif, qui dépasse la simple volonté des parties. Le juge, chargé d’interpréter la véritable nature de l’acte, ne s’arrête pas aux mots utilisés mais examine le contenu réel et l’objet du contrat. Ainsi, la sécurité juridique des parties exige une rédaction soignée et conforme à la réalité de l’opération envisagée.
La prudence commande donc de ne pas se limiter à un intitulé séduisant ou stratégique, mais de veiller à ce que le contrat reflète fidèlement la relation juridique effectivement voulue et à respecter l’ensemble des dispositions légales applicables.
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Me Luc KOUASSI
Juriste Consultant Bilingue | Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.
denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28
[1] Code civil ivoirien, art. 1156
[2] Code civil français, art. 1188.
[3] Ph. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, LGDJ, 12e éd., 2021, p. 121.
[4] Code civil ivoirien, art. 1709.
[5] Loi n°2019-576 du 26 juin 2019 relative au bail d’habitation en Côte d’Ivoire
[6] Loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs en France
[7] Y. Lequette, Droit des contrats, PUF, 2018, p. 102.
[8] B. Teyssié, Droit du travail, LexisNexis, 2020, p. 524.
[9] F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2018, p. 321.