Dans le monde des contrats, il est fréquent que les parties, emportées par l’urgence, la confiance mutuelle ou l’inexpérience juridique, concluent un accord sans en préciser tous les détails pratiques. Cette situation suscite une question importante : que se passe-t-il lorsque le contrat omet certaines précisions ? Qui supporte alors les obligations ? Quelles règles s’appliquent ?
En principe, le contrat est censé contenir l’ensemble des droits et obligations des parties, puisque celles-ci l’ont librement négocié et accepté. Cependant, il serait irréaliste d’exiger que chaque contrat détaille toutes les hypothèses possibles, tant la vie économique et sociale est pleine d’imprévus. Aucun rédacteur, aussi compétent soit-il, ne peut prévoir à l’avance la totalité des situations susceptibles d’intervenir au cours de l’exécution d’un contrat. Comme le rappelle la doctrine, « la vie contractuelle déborde toujours la volonté des parties »[1].
I. L’impossibilité de tout prévoir : limites pratiques et juridiques
Même si les parties essaient d’anticiper un maximum de situations, elles ne peuvent matériellement pas tout envisager. Certaines hypothèses apparaîtront a posteriori, au fur et à mesure de l’exécution du contrat. La pratique montre que l’omission de stipulations essentielles provient :
- De la rédaction hâtive et approximative du contrat, notamment entre particuliers.
- De l’utilisation de modèles types sans adaptation à la situation précise.
- De la confiance excessive entre les parties qui renoncent à toute formalisation détaillée.
- De l’inexpérience ou l’ignorance des règles supplétives qui s’appliquent en l’absence de stipulations spécifiques.
Ainsi, comme l’enseignent les grands auteurs du droit des contrats, « la prévoyance absolue est impossible ; c’est pourquoi la loi complète toujours la volonté des parties »[2].
Face à l’imprécision du contrat, la loi joue un rôle de base. Elle prévoit un ensemble de règles dites « supplétives », c’est-à-dire des dispositions qui s’appliquent automatiquement lorsque le contrat reste silencieux sur un point précis. Ces règles supplétives viennent combler le vide contractuel et garantissent la sécurité juridique.
En matière de vente, par exemple, l’article 1651 du Code civil ivoirien et français prévoit que, sauf stipulation contraire, le prix doit être payé au moment de la délivrance[3]. De même, en matière de bail, l’article 1728 du Code civil ivoirien impose au locataire de payer le loyer même si le contrat n’a pas précisé la date exacte de paiement[4].
Ces règles supplétives sont nombreuses et couvrent tous les domaines du droit des contrats : vente, bail, prêt, mandat, etc. Elles permettent aux relations contractuelles de s’exécuter même lorsque le contrat n’est pas parfaitement rédigé.
II. Illustration pratique : la vente de la bibliothèque des retraités à l’étudiant en droit
Présentation du cas :Un couple de retraités vivant à Abidjan a décidé de vendre l’intégralité des livres de sa bibliothèque à un jeune étudiant en droit pour la somme de 550 000 FCFA. L’accord a été conclu rapidement, sans consultation d’un juriste, et la livraison des livres a été fixée à une semaine après la signature du contrat. Cependant, aucune clause n’a précisé les modalités de paiement de cette somme importante.
Les vendeurs, bien que confiants en la bonne foi de l’étudiant, s’interrogent sur leurs droits en l’absence de stipulation contractuelle claire concernant le paiement. L’acheteur doit-il payer avant la livraison, à la livraison, ou après ?
Analyse juridique : La réponse se trouve dans l’article 1651 du Code civil ivoirien, qui dispose que « le paiement du prix doit être fait au moment où la délivrance se fait »[5]. Cette disposition a un caractère supplétif. Cela signifie qu’elle s’applique uniquement si les parties n’en ont pas décidé autrement.
En l’espèce, le contrat étant silencieux, la règle légale supplétive s’appliquera. Ainsi, le jeune étudiant en droit n’a pour l’instant aucune obligation de payer tant que la livraison des livres n’a pas été effectuée. Le paiement sera donc exigible au moment où les vendeurs lui remettront effectivement les livres.
Cette situation révèle l’importance de rédiger un contrat complet et précis, même pour des transactions entre particuliers. Si les retraités avaient souhaité un paiement avant la livraison, il leur aurait fallu insérer une clause expresse à cet effet. La loi supplétive, protectrice de l’équilibre contractuel, impose en l’absence de précision un paiement concomitant à la délivrance.
III. L’intervention du juge en cas d’imprécision contractuelle
Lorsque le contrat est imprécis ou lacunaire, le juge est habilité à interpréter la volonté des parties. Comme le dispose l’article 1156 du Code civil ivoirien, « On doit dans les conventions, rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes»[6]. Le juge devra donc rechercher ce que les parties ont réellement voulu au moment de la conclusion du contrat, même si cela n’a pas été formulé clairement.
Cette interprétation prend en compte :
- Les usages locaux ou professionnels applicables.
- Le comportement antérieur des parties.
- La nature de l’opération contractuelle.
- L’équité, en cas de silence complet et d’impossibilité d’identifier l’intention commune.
Si l’interprétation du juge ne permet pas de résoudre la difficulté, celui-ci peut compléter le contrat en y intégrant les obligations prévues par la loi. Comme l’expliquent les professeurs Terré, Simler et Lequette, «la loi supplée aux défaillances de la volonté pour assurer l’efficacité du contrat»[7].
Dans le cas de la vente de la bibliothèque, si un litige naissait concernant le paiement, le juge appliquerait la règle supplétive de l’article 1651. Il pourrait également apprécier la bonne foi des parties, principe général du droit des contrats (article 1104 du Code civil français et article 1134 alinéa 3 du Code civil ivoirien), pour sanctionner une partie qui agirait de manière abusive ou dilatoire.
IV. L’importance de la précision contractuelle : conseils pratiques
Pour éviter les incertitudes et l’intervention du juge, il est recommandé de :
- Lister toutes les obligations principales et accessoires dans le contrat.
- Préciser les modalités de paiement, de livraison et de sanction en cas d’inexécution.
- Faire relire le projet de contrat par un juriste professionnel, même pour des ventes entre particuliers.
- Insérer des clauses supplétives utiles, comme la date précise de paiement, les intérêts en cas de retard, et les modalités de résiliation anticipée.
Toute personne concluant un contrat doit connaître les règles supplétives applicables au type de contrat en cause. Ces règles varient selon qu’il s’agit d’une vente, d’un bail, d’un prêt ou d’un mandat. Les ouvrages doctrinaux, tels que Les obligations de Ph. Malaurie et L. Aynès, apportent un éclairage précieux à ce sujet[8].
V. Conclusion
L’imprécision contractuelle n’est jamais fatale. Le droit des contrats a prévu des mécanismes destinés à assurer la continuité et l’efficacité des relations juridiques : règles supplétives, pouvoir d’interprétation du juge, et principes généraux comme la bonne foi et l’équité. Toutefois, il reste préférable de rédiger des contrats complets et précis pour éviter toute insécurité juridique. La consultation d’un professionnel du droit demeure un investissement indispensable pour prévenir tout contentieux ultérieur.
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Me Luc KOUASSI
Juriste Consultant Bilingue | Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.
denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28
[1] F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2018, p. 312.
[2] G. Cornu, Droit civil – Les obligations, Montchrestien, 14e éd., 2012, p. 124.
[3] Code civil ivoirien & français, art. 1651.
[4] Code civil ivoirien, art. 1728.
[5] Code civil ivoirien, art. 1651.
[6] Code civil ivoirien, art. 1156.
[7] F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, op. cit., p. 319.
[8] Ph. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, LGDJ, 12e éd., 2021, p. 111.