« Muriel, parieuse invétérée, a été hospitalisée le 1er février 2013 alors que se tenait le jour même la plus grande course hippique de l’année. Fortement malheureuse à l’idée de ne pas pouvoir parier sur ses chevaux préférés et voir la probabilité de gagner le pactole s’éloigner, elle demande, la mort dans l’âme à son neveu Dimitri d’aller jouer ses numéros au bistrot de son quartier où elle est si bien connue de tous.
Dimitri accepte, mais il lui impose une condition : si elle gagne, alors ils partageront la somme en deux parts égales ; après tout, si elle veut remporter l’entière somme, qu’elle y aille toute seule. Muriel accepte verbalement, lui sert la main chaleureusement et lui donne la combinaison des numéros à parier ainsi que la somme d’argent y afférant.
L’après-midi même, la course a lieu et c’est Muriel qui est la plus heureuse des femmes : elle a gagné ! Heureuse oui, mais surtout elle oublie la promesse qu’elle a faite à son neveu le matin même… Il se retrouve comme on dit « le bec dans l’eau ».
Quelques jours plus tard, Muriel, sortie de l’hôpital, reçoit la visite de Paulette sa vieille amie de toujours. Celle-ci a eu ouï-dire que Muriel souhaitait vendre son appartement pour partir vivre la belle vie aux Baléares. Elle se propose donc de lui acheter son appartement. Toutefois, Muriel a déjà conclu un pacte de préférence avec Jean-Luc, son frère qui souhaite s’en prévaloir pour le cas où Muriel déciderait de vendre.
Paulette en a connaissance, mais elle décide tout de même de convaincre Muriel qui finit par céder. « Marché conclu, mon amie ! » s’écrit-elle. Elle viole donc le pacte…
Martine, fortement embêtée pour son fils et son mari, vient vous voir et vous demande ce qui peut être fait à l’encontre de Muriel. »
Conseils pratiques
À la lecture de ce cas pratique, on voit bien deux situations se profiler : d’abord, le non-respect de la promesse et ensuite la violation du pacte de préférence. Passez donc les détails inutiles qui vous sont donnés dans ce cas pratique (mais aussi dans tous ceux que vous étudierez). Ne prenez que ce qui va vous servir à le/les résoudre et uniquement ceux-ci ! Parfois d’ailleurs, on vous dira de ne pas reprendre les faits et de directement passer à la phase de rédaction. Chacun sa méthode. Ce qu’il faut, c’est respecter ce qui vous est demandé en fonction du correcteur qui aura à juger de votre copie.
On voit donc deux qualifications juridiques en l’espèce : le non-respect de l’obligation naturelle et la violation du pacte de préférence. Nous répondrons donc en deux temps. Notez bien la date à laquelle les faits ont lieu… Par exemple, en pensant à la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance français de février 2016 : elle ne s’appliquera pas ici ! D’où l’utilité de connaître le droit antérieur… et surtout, de porter une attention toute particulière aux dates. N’hésitez donc pas à faire une frise sur votre brouillon pour vous y retrouver surtout en présence de nombreuses dates !
Résolution du cas pratique
1. Muriel a promis à Dimitri que s’il allait parier ses numéros au lieu et place de Muriel et que celle-ci gagnait, alors tous deux partageront la somme en deux parts égales. Toutefois, après avoir parié les bons numéros et avoir emporté la mise, Muriel se désiste.
L’obligation naturelle n’est pas susceptible d’exécution forcée puisqu’elle s’apparente véritablement au devoir moral. Mais lorsque le seuil juridique est atteint, alors celle-ci pourra faire l’objet d’une exécution forcée.
Quand l’obligation naturelle s’élève-t-elle à la vie juridique ?
Depuis l’arrêt de principe rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 10 octobre 1995, l’obligation naturelle constitue la reconnaissance de la part du juge d’un devoir moral ou d’un devoir de conscience. Ainsi, l’obligation naturelle est indépendante d’une obligation civile et il n’est pas nécessaire que celle-ci ait avorté ou dégénéré. La transformation du devoir moral en obligation naturelle puis en obligation civile dépend de la manifestation de volonté du débiteur et de son engagement pris unilatéralement en connaissance de cause.
Ainsi, il convient de prouver l’engagement avec une volonté ferme et précise : il convient d’être sûr que le débiteur a eu la volonté certaine de s’engager unilatéralement et que cette déclaration se suffise à elle-même pour faire naître une dette à la charge du débiteur.
L’objet doit être déterminé et son bénéficiaire doit avoir légitimement cru à l’efficacité de la déclaration de volonté.
Dans le cas d’espèce, l’objet de l’engagement est déterminé et Dimitri a bel et bien pu légitimement croire à l’efficacité de la déclaration de volonté de sa tante celle-ci ayant accepté verbalement sa proposition et lui ayant serré la main « chaleureusement ».
Muriel est donc débitrice d’une obligation naturelle qui a accédé à la vie juridique : elle est donc débitrice d’une obligation civile. Elle engage sa responsabilité civile à l’égard de son créancier : Dimitri.
Voyez donc ici qu’il vous faut démontrer par A + B pourquoi vous concluez ainsi et quel a été votre raisonnement pour parvenir à cette conclusion plutôt qu’à une autre.
2. Muriel a contracté avec son frère Jean-Luc un pacte de préférence. Elle a donc octroyé un rang préférentiel à son frère dans l’éventuelle conclusion du contrat pour le cas où elle décide de vendre. Cependant, Muriel conclut avec Paulette le contrat projeté avec son frère.
Quand y a-t-il violation d’un pacte de préférence ?
Il y a violation du pacte de préférence lorsque le promettant conclut directement avec un tiers le contrat qui été projeté entre lui et le bénéficiaire sans avoir fait jouer la préférence pourtant accordée.
En l’espèce, Muriel en tant que promettant a directement conclu avec Paulette. Elle n’a pas fait jouer la préférence pourtant accordée à son frère. Comment cette méconnaissance sera-t-elle sanctionnée ?
Pour le cas où le promettant d’un pacte de préférence méconnait la préférence qui est accordée au bénéficiaire du pacte, alors le promettant s’expose au versement de dommages et intérêts.
Muriel s’expose donc au versement de dommages et intérêts.
Il est possible pour le bénéficiaire du pacte de demander l’annulation du contrat conclu avec un tiers. Il doit néanmoins apporter la preuve que le tiers connaissait l’existence du pacte et que ce tiers avait connaissance de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir et donc de préempter.
Jean-Luc pourra donc demander l’annulation du contrat conclu entre Muriel et Paulette, celle-ci ayant eu connaissance du pacte et savait que Jean-Luc souhaitait s’en prévaloir.
Il est finalement possible pour le bénéficiaire de demander sa substitution au tiers depuis l‘arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation en date du 26 mai 2006.
Jean-Luc pourra donc s’il le souhaite demander la substitution au tiers et donc à Paulette.