
Le développement du commerce et la complexification des relations économiques ont entraîné une explosion du nombre de contrats rédigés de manière standardisée. Cette évolution, dictée par la recherche de rapidité et d’efficacité, a pourtant pour effet pervers d’introduire dans de nombreux contrats des clauses contradictoires ou ambiguës. Ces incohérences contractuelles sont bien souvent le fruit de pratiques de copier-coller non maîtrisées, réalisées par des rédacteurs peu expérimentés, qui utilisent des modèles tout faits sans adaptation suffisante à la situation concrète des parties.
Or, un contrat n’est pas un simple document administratif : il est la loi des parties. Il engage, structure les droits et obligations réciproques, et sa mauvaise rédaction peut avoir des conséquences juridiques majeures, particulièrement en cas de litige. Dès lors, lorsqu’une clause semble contredire une autre, quelle doit être la clause à appliquer ? Autrement dit, qu’est-ce qui prime dans un contrat lorsqu’il y a contradiction entre deux dispositions ?
I. L’origine des contradictions contractuelles : entre standardisation et négligence
Dans la pratique, la source la plus fréquente des contradictions contractuelles réside dans l’utilisation mal encadrée de modèles de contrats préexistants. Bien que ces outils permettent de gagner du temps, ils deviennent un véritable piège lorsque leur contenu n’est pas vérifié avec attention. Il en résulte des formulations redondantes, des incohérences, voire des stipulations qui se contredisent ouvertement.
À titre d’exemple, un contrat de travail ou une police d’assurance peut contenir des conditions générales indiquant une chose, tandis que les conditions particulières stipulent le contraire. Ce type de situation engendre un flou juridique qui rend difficile, voire impossible, la compréhension exacte des droits et obligations de chacune des parties.
Il ne s’agit pas seulement d’un problème de forme : en cas de litige, ces contradictions peuvent engager la responsabilité du professionnel, ou tout au moins l’exposer à une décision de justice défavorable. Le consommateur, ou toute autre partie non professionnelle, pourrait ainsi tirer avantage de cette mauvaise rédaction.
II. Une protection légale accrue pour les non-professionnels
Heureusement, le législateur a prévu des règles spécifiques pour protéger les personnes qui n’ont pas la compétence juridique nécessaire pour déchiffrer des contrats techniques ou confus. Dans les contrats dits de consommation, c’est-à-dire entre un professionnel et un non-professionnel ou un consommateur, le bénéfice du doute revient systématiquement au consommateur.
C’est ce que prévoit explicitement l’article L.211-1 du Code de la consommation français, selon lequel « en cas de doute, les clauses s’interprètent dans le sens le plus favorable au consommateur »[1]. Cette disposition repose sur une logique simple et équitable : celui qui rédige un contrat doit en assumer la clarté. Il est donc tenu de prévoir des clauses compréhensibles, précises et non contradictoires.
De manière parallèle, l’article 1162 du Code civil ivoirien pose une règle analogue en indiquant que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé, et en faveur de celui qui a contracté »[2]. En d’autres termes, c’est celui qui impose un contrat (souvent le professionnel) qui subira les conséquences d’une rédaction confuse ou contradictoire.
III. Le rôle du juge face à une clause ambiguë ou contradictoire
Lorsqu’un contrat contient des formulations incompatibles entre elles, et qu’aucune règle légale spécifique ne permet de trancher automatiquement, c’est au juge qu’il revient d’interpréter le contenu du contrat. Cette tâche d’interprétation n’est pas libre : elle est encadrée par le droit positif.
Le principe fondamental consiste à rechercher la véritable intention des parties au moment de la conclusion du contrat. En France comme en Côte d’Ivoire, cette règle est codifiée à l’article 1188 du Code civil français et 1156 du Code civil ivoirien. Ces articles précisent que le contrat doit être interprété « d’après la commune intention des parties, plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral des termes »[3].
Lorsque cette intention est indéterminable, le juge peut alors s’appuyer sur d’autres éléments, comme l’attitude des parties pendant l’exécution du contrat, ou même des usages et pratiques locales (en vertu de l’article 1159 du Code civil ivoirien)[4]. Il appliquera alors le critère de la personne raisonnable, c’est-à-dire qu’il donnera aux clauses le sens qu’aurait compris une personne sensée placée dans la même situation.
Par ailleurs, les clauses doivent être lues les unes à la lumière des autres, pour garantir une cohérence d’ensemble du contrat (article 1189 C. civ. fr. et 1161 C. civ. iv)[5].
Enfin, et cela est capital, si une clause est claire et non ambiguë, le juge ne peut pas l’interpréter à sa manière : il doit s’en tenir à son sens littéral, conformément à l’article 1192 du Code civil français[6]. Ce principe vise à respecter la volonté des parties, lorsque celle-ci est exprimée de manière explicite.
IV. L’exemple de M. ZAMANA : contradiction entre conditions générales et particulières
Prenons un cas concret pour illustrer les implications juridiques d’un contrat contenant des clauses contradictoires.
M. ZAMANA, salarié ivoirien, avait souscrit une assurance perte d’emploi, dans le but d’être indemnisé en cas de licenciement. Malheureusement, il fut effectivement licencié pour motif personnel, sans que cela soit dû à une faute. Il se tourne donc vers son assureur pour demander une indemnisation.
L’assureur lui oppose le fait que les conditions générales du contrat prévoient que seules les pertes d’emploi pour motif économique sont indemnisables. Mais en consultant les conditions particulières, M. ZAMANA y lit pourtant une clause différente : en cas de licenciement pour motif personnel, une indemnisation réduite à 30 % est possible sauf en cas de faute lourde.
La question est donc de savoir quelle clause prévaut. La jurisprudence et la doctrine sont constantes : les conditions particulières priment sur les conditions générales, car elles sont censées personnaliser le contrat[7]. Dès lors, l’assureur ne peut pas faire abstraction de la clause spécifique qui prévoit une indemnisation partielle.
De plus, en cas de doute, la clause la plus favorable à l’assuré (ici M. ZAMANA) doit s’appliquer, notamment si celui-ci a souscrit le contrat en tant que consommateur ou non-professionnel. L’article L.211-1 du Code de la consommation, combiné à l’article 1162 du Code civil ivoirien, renforce cette logique protectrice.
M. ZAMANA est donc fondé à revendiquer une indemnisation partielle, comme le stipulent les conditions particulières. Le refus de l’assureur apparaît dès lors juridiquement infondé.
V. Une responsabilité accrue du professionnel : la clarté contractuelle n’est pas une option
Il ressort clairement de ce qui précède qu’un professionnel ne peut pas se réfugier derrière la complexité ou la contradiction de ses contrats pour échapper à ses responsabilités. L’article 1602 du Code civil, applicable en droit ivoirien comme en droit français, est catégorique : « Le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige. Tout pacte obscur ou ambigu s’interprète contre le vendeur »[8].
Ce principe est applicable à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur. Il impose au rédacteur de veiller à la cohérence et à la lisibilité de son document. En cas de litige, ce manquement peut entraîner la nullité partielle ou totale du contrat, ou son interprétation contre les intérêts du professionnel.
Cette exigence rejoint une tendance plus large du droit moderne, tant en France qu’en Côte d’Ivoire, qui vise à moraliser les pratiques contractuelles et à équilibrer les rapports de force entre parties.
Conclusion
La présence de clauses contradictoires dans un contrat n’est pas une fatalité, mais elle constitue une faille juridique sérieuse. Elle expose le professionnel à des interprétations défavorables et renforce la position du consommateur ou du cocontractant faible. Le droit positif, en France comme en Côte d’Ivoire, fournit des outils efficaces pour interpréter les clauses ambigües : présomption d’intention commune, lecture cohérente des stipulations, faveur au débiteur ou au consommateur, etc.
Mais au-delà de la réponse juridique, cette problématique invite à une réflexion de fond : rédiger un contrat est un acte sérieux, qui engage moralement, économiquement et juridiquement. La rigueur, la clarté et la personnalisation des clauses ne doivent jamais être sacrifiées sur l’autel de la facilité.
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Me Luc KOUASSI
Juriste Consultant Bilingue | Formateur | Spécialiste en rédaction de contrats, d’actes extrajudiciaires, d’articles juridiques et des questions relatives au droit du travail | Politiste | Bénévole humanitaire.
denisjunior690@gmail.com / +225 07 795 704 35 / +90 539 115 55 28
[1] Code de la consommation français, art. L.211-1.
[2] Code civil ivoirien, art. 1162.
[3] Code civil français, art. 1188 ; Code civil ivoirien, art. 1156.
[4] Code civil ivoirien, art. 1159.
[5] Code civil français, art. 1189 ; Code civil ivoirien, art. 1161.
[6] Code civil français, art. 1192.
[7] Voir : Ph. Malaurie et L. Aynès, Les Obligations, LGDJ, 12e éd., 2021, p. 256 ; Y. Lequette, Droit des contrats, PUF, 2018.
[8] Code civil français et ivoirien, art. 1602.