Rien ne va plus dans le couple de Corentin ! Celui-ci, marié depuis quelques années, est sur le point de divorcer. Sur les conseils de son meilleur ami, il s’est mis en tête de trouver une autre femme grâce à une agence de courtage matrimonial réputée fiable. « Tu verras, tu trouveras le véritable amour grâce à cette agence ! » lui conseille son ami. Après quelques recherches, le 20 septembre 2020, l’agence le met en relation avec Svetlana, esthéticienne russe, âgée de 20 ans de moins que lui.
Quelques semaines plus tard, Corentin regrette son choix et confie à son ami « finalement, j’aimerais arranger les choses avec ma femme, elle a son caractère… mais je crois que je l’aime encore… ».
Il souhaite obtenir l’annulation du contrat conclu avec l’agence qui lui a tout de même coûté quelques milliers de FCFA.
Résolution
Faits : Un homme, encore marié mais en voie de divorce, conclu un contrat de courtage matrimonial avec une agence matrimonial. Il souhaite obtenir l’annulation de ce contrat.
À titre liminaire, il convient de déterminer la loi applicable au contrat litigieux. Selon l’article 9 de l’ordonnance français du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, les contrats conclus avant le 1er octobre demeurent soumis à la loi ancienne et les dispositions de l’ordonnance entrent en vigueur le 1er octobre 2016.
En l’espèce, le contrat ayant été conclu le 20 septembre 2020, soit postérieurement au 1er octobre 2016, il est soumis aux nouvelles dispositions.
Ensuite, il s’agit de déterminer s’il est possible de solliciter l’annulation du contrat (sanction judiciaire du manquement à l’une des conditions de validité du contrat entrainant son anéantissement rétroactif) en établissant qu’une de ses conditions de validité fait défaut.
Dans notre cas, on peut d’ores et déjà exclure les vices du consentement et s’intéresser au caractère licite du contrat car c’est sur ce point que le but de la convention peut poser problème, Corentin étant marié. En effet, le contrat conclu avec l’agence de courtage matrimonial, en ce qu’il viole l’un des devoirs du mariage (Code civil français, art. 212 et article 45 de la loi ivoirienne n°2019-570 du 26 juin 2019, relative au mariage), pourrait poser problème.
Problème de droit : Un contrat de courtage matrimonial conclu par un homme marié peut-il être annulé pour illicéité ?
Solution en droit : Selon l’article 1162 du Code civil français (article 1133 du code civil en droit positif ivoirien) : « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ». Cet article est complété par l’article 1102 (1123 du code civil en droit positif ivoirien) qui prévoit expressément, en son alinéa 2, comme limite à la liberté contractuelle les règles intéressant l’ordre public et par l’article 6 du code civil des droits positifs français et ivoirien, selon lequel « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ».
Ainsi, le but et les stipulations du contrat doivent être conformes à l’ordre public.
L’exigence de licéité des stipulations du contrat vise la matière du contrat c’est-à-dire la chose, la prestation, l’opération contractuelle ou les clauses du contrat. Cette exigence implique la licéité de la chose objet de la prestation contractuelle (dans le droit antérieur à la réforme cette exigence de licéité était assurée via la notion « d’objet de l’obligation », l’ancien article 1128 du Code civil français (article 1128 actuel du code civil en droit positif ivoirien) prévoyant « Il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions »).
Le « but » du contrat renvoie à la notion de « cause subjective » ou « cause du contrat » qui servait, dans le droit antérieur à la réforme, à contrôler l’objectif poursuivi par les parties, les mobiles animant les contractants. L’utilité de cette notion est de contrôler les intentions animant les parties au moment de la conclusion du contrat dans les hypothèses ou le recours à l’exigence de licéité des stipulations ne le permet pas.
Cette exigence d’un but licite opère une reprise des solutions jurisprudentielles antérieures à la réforme rendues sur le fondement de la cause subjective.
- Les conditions de l’annulation pour illicéité du but du contrat
Plusieurs conditions sont nécessaires pour que le but soit une cause de nullité du contrat.
(1) D’abord, il faut identifier un motif illicite. Le but doit être contraire à la loi ou aux bonnes mœurs. S’agissant des bonnes mœurs, cette notion est particulièrement évolutive.
Dans un premier temps, la Cour de cassation a fait application de la notion de bonnes mœurs en matière d’acte à titre gratuit (libéralités entre concubins). Elle avait d’abord décidé que lorsque la donation avait pour but d’instaurer ou de maintenir une relation de concubinage la cause était immorale (il était contraire aux bonnes mœurs de gratifier une personne en vue d’établir une relation sexuelle). Elle avait par la suite fait évoluer sa jurisprudence dans un arrêt de 1999 en considérant que « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir une relation adultère qu’il entretien avec le bénéficiaire » (A.P., 29 oct. 2004, 03-11.238).
Dans un second temps, la Cour de cassation s’est prononcée en matière de contrats conclus à titre onéreux. Elle a jugé qu’un contrat de courtage matrimonial, conclu en vue de la réalisation d’un mariage par une personne mariée, n’a pas de cause contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, tant que l’union n’a pas été réalisée (Civ. 1 , 4 nov. 2011, 10-20.114). Jusqu’à cette décision, le contrat de courtage matrimonial conclu par une personne encore mariée était nul pour cause illicite ou immorale (ex. : TI Chartres, 12 oct. 1976 ; Dijon, 1re ch., 2e sect., 22 mars 1996).
(2) Ensuite, il faut que le caractère déterminant du motif soit établi. Le motif doit constituer
la « cause impulsive et déterminante » de l’opération et non pas un mobile accessoire pour être retenu comme cause de nullité. Les juges doivent sélectionner, parmi les différents mobiles, celui sans lequel la partie n’aurait pas conclu le contrat.
L’illicéité ou l’immoralité s’apprécie au jour de la conclusion du contrat (Ex. : Civ. 1 , 7 oct. 1998, 96- 14.359).
(3) Enfin, si pendant un temps la Cour de cassation jugeait que l’illicéité de la cause devait être connue des deux parties en présence d’un contrat conclu à titre onéreux, elle est revenue sur cette solution en jugeant que l’illicéité de la cause n’a pas à être connue des deux parties (Ex. : Civ. 1 , 7 oct. 1998, 96-14.359). Cette solution a été reprise par l’article 1162 du Code civil français (article 1133 du code civil en droit positif ivoirien) qui précise qu’il est indifférent que le but du contrat ait été connu ou non par toutes les parties.
- La preuve et la sanction de l’illicéité
Celui qui invoque l’illicéité ou l’immoralité de la cause doit la prouver conformément au droit commun de la preuve et, s’agissant d’un fait juridique, les mobiles peuvent être prouvés par tous moyens.
L’ordonnance français ne précise pas la sanction encourue en cas de « but » contraire à l’OP mais s’agissant d’une condition de validité du contrat, la sanction sera la nullité (Code civil français, art. 1178 nouveau) absolue (Code civil français, art. 1179 nouveau). (article 1109 et suivants du code civil en droit positif ivoirien).
Solution en l’espèce : En l’espèce, l’objectif principal de Corentin lorsqu’il a contracté était de trouver une nouvelle femme alors qu’il était déjà marié. Le motif déterminant de la conclusion du contrat réside donc dans la volonté de trouver un nouveau partenaire en contradiction avec le devoir de fidélité qui découle du mariage.
Toutefois, sans qu’il soit besoin de vérifier l’ensemble des conditions tenant à l’illicéité du but du contrat, le mobile de Corentin n’est plus jugé comme étant contraire aux bonnes mœurs de sorte que le contrat ne pourra pas être annulé.
Conclusion : Corentin ne pourra pas être libéré de son engagement sur ce fondement et n’obtiendra pas la restitution des sommes qu’il a versé en application du contrat de courtage matrimonial.
NB : Analyse fondée sur les droits positifs français et ivoirien mais prioritairement sur le droit positif français.