En Côte d’Ivoire, les régimes matrimoniaux sont des mécanismes légaux qui définissent la manière dont les biens d’un couple sont gérés pendant et après le mariage. Selon l’article 58 de la loi de 2019 relative au mariage, Le régime matrimonial peut être défini comme l’ensemble des règles relatives aux rapports pécuniaires des époux entre eux et avec les tiers. Le choix du régime matrimonial joue un rôle essentiel dans la vie conjugale, offrant des options qu’il convient d’explorer plus en profondeur. Laissez-nous vous emmener par cet article ,dans un voyage à travers le temps, de 1964 à 2019, pour explorer comment ce droit a évolué depuis l’indépendance de la Côte d’Ivoire.
Le régime matrimonial sous l’empire de la loi de 1964 sur le mariage
La loi de 1964 relative au mariage a pour effet de créer un régime unique, celui de la communauté des biens réduite aux acquêts sans possibilité d’option.
Dans ce régime, le mari est traditionnellement considéré comme le chef de famille et gère les biens communs ainsi que les biens personnels. Cependant, la femme peut prendre ce rôle en l’absence du mari pour diverses raisons. Les salaires, revenus, et les biens acquis pendant le mariage sont mis en commun, de même que les biens donnés ou légués aux deux époux. Des obligations mutuelles comme la fidélité, le soutien, l’assistance, et la cohabitation sont présentes. Aussi, la femme était-elle considérée comme une mineure dans la mesure où elle avait besoin de l’autorisation de son mari pour accomplir les actes anodins tels que l’ouverture d’un compte en banque, l’exercice d’une profession distincte de celle de leur mari, le choix du domicile conjugal, ou la gestion des affaires domestiques.
En dépit de tout ceci, la communauté de biens vise à protéger la femme en lui offrant des droits après la dissolution du mariage, lui permettant de récupérer ses biens personnels et de partager équitablement les biens communs. Cela représente un changement par rapport aux coutumes antérieures, où la femme pouvait se retrouver sans ressources après un divorce. Cette approche était largement critiquée pour son caractère « sexiste » en accordant aux femmes mariées un statut de « mineure » et ces nombreuses critiques ont conduit à l’adoption de la loi n°83-800 du 2 août 1983 relative au mariage, marquant un tournant majeur.
Le régime matrimonial avec la loi de 1983 relative au mariage
La loi du 2 août 1983 intervient donc pour combler les lacunes de la première en tenant compte de l’évolution des mentalités. Elle stipule notamment que les époux ont maintenant le choix entre le régime de la communauté réduite aux acquêts, qui est le régime de droit commun, et le régime de la séparation des biens pour lequel il faut opter. Dans ce cas, chacun des époux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels et il est propriétaire du bien acquis par lui pendant le mariage. À la dissolution de ce dernier, aucune liquidation ou partage n’a lieu, chacun reprenant ses biens personnels.
Le législateur autorise, en outre, à changer de régime au cours du mariage, mais seulement apres deux ans d’application du régime adopté et à condition que le changement soit conforme à l’intérêt de la famille. On remarque avec cette loi que:
À part l’introduction d’un nouveau régime de séparation des biens, la loi de 1964 a été maintenue dans la plupart de ces dispositions et seuls certains points ont été aménagés pour les rendre conformes à l’évolution des mentalités et des mœurs. 15
On assiste par exemple au maintien de l’article 59 de la loi n° 64-375 qui fait peser les charges du mariage à titre principal sur le mari, ce qui est sans nul doute contradictoire avec le principe d’égalité des droits et de réciprocité.
Le mari reste également l’administrateur des biens communs. Mais cette prérogative est contrebalancée par le fait que la femme garde quand même l’administration de ses biens réservés (salaires).
Sous l’empire de l’ancienne loi, la femme mariée ne pouvait exercer la profession de son choix sans l’accord préalable de son conjoint. Mais avec la nouvelle loi de 1983, en son l’article 67 nouveau : « La femme peut exercer une profession séparée de celle de son mari à moins qu’il soit judiciairement établi que l’exercice de cette profession est contraire à l’intérêt de la famille.»
En 2013, la Côte d’Ivoire apporte des innovations au régime matrimonial avec la loi de 2013 sur le mariage.
Le régime matrimonial sous l’autorité de la loi de 2013 portant sur le mariage
En 2013, la loi n°2013-33 du 25 janvier 2013 relative au mariage a apporté d’autres réformes pour promouvoir l’égalité entre les conjoints. Le mari n’est plus le chef de la famille mais lui et sa femme gèrent conjointement le ménage, se partagent les charges dans la mesure de leur facultés contributives respectives. La femme pouvant également exercer librement la profession de son choix n’est plus soumise à l’autorisation du mari. De plus, les époux ont obtenu le droit de choisir ensemble leur domicile conjugal. Sous cette loi, le régime de la communauté de biens et le régime de la séparation de biens étaient les deux régimes dont les époux disposaient pour opérer un choix. Mais avec la dernière réforme de 2019, les époux avaient le choix entre 3 régimes: celui de la communauté des biens réduite aux acquêts , celui de la séparation des biens et le régime conventionnel.
Le régime matrimonial avec les nouvelles réformes de la loi de 2019 sur le mariage
L’année 2019 a été marquée par des changements encore plus significatifs avec la loi n°2019-570 du 26 juin 2019 relative au mariage. Cette loi a introduit un nouveau régime matrimonial, le « régime conventionnel »ou « contrat de mariage » et a aboli le statut privilégié de la communauté de biens en tant que régime de droit commun, plaçant tous les régimes matrimoniaux sur un pied d’égalité. Le contrat de mariage par acte notarié est une convention par laquelle les futurs époux règlent les effets patrimoniaux de leur mariage (art. 59), convention faite par devant notaire et les effets à compter de la date de la célébration du mariage. Ce régime a consacré le principe de la liberté de choix de profession pour les époux, permettant même à la femme de s’opposer à l’exercice d’une profession par son mari dans l’intérêt de la famille, ce qui était antérieurement impossible. Les biens communs réservés ont également été supprimés.
Entre 1964 et 2019, le droit des régimes matrimoniaux en Côte d’Ivoire a subi une évolution majeure, marquée par un renforcement significatif des droits des époux et l’établissement d’une réelle parité entre les conjoints au sein du mariage.
Corinne THIO, juriste privatiste, rédactrice à LDJ