Il est temps d’aborder avec franchise l’un des enjeux les plus sensibles de notre pays : la perte de la nationalité ivoirienne. Ce débat, bien que crucial, reste méconnu et entouré d’une certaine opacité juridique qui pénalise des milliers de nos compatriotes, souvent sans qu’ils en aient pleinement conscience.
I. Connaître la loi, un droit pour tous
« Nul n’est censé ignorer la loi », dit-on souvent. Mais comment appliquer cette maxime si l’État et ses représentants n’assument pas pleinement leur responsabilité d’informer les citoyens sur les règles régissant notre République ? La question de la perte de la nationalité ivoirienne illustre parfaitement ce paradoxe.
En tant que Député, il est de mon devoir républicain de porter ces questions sur la place publique, afin de trouver des solutions conformes aux aspirations des Ivoiriens d’ici et de la diaspora.
II. La double nationalité en Côte d’Ivoire : une exception limitée
La législation ivoirienne en matière de nationalité est claire : la double nationalité n’est reconnue que dans un cadre bien précis, celui de la « double nationalité subie ». Cette situation concerne les enfants qui, à leur naissance, se retrouvent automatiquement citoyens ivoiriens et d’un autre pays, en raison de l’origine étrangère d’un de leurs parents.
Prenons, par exemple, le cas bien connu de Michel Gbagbo. Fils d’un père ivoirien et d’une mère française, Michel Gbagbo est à la fois Ivoirien et Français depuis sa naissance. Dans son cas, la loi lui garantit le droit de conserver ces deux nationalités, puisqu’il n’a jamais eu à choisir : cette double nationalité lui a été imposée par sa naissance.
Cependant, pour tout Ivoirien qui, une fois majeur, choisit volontairement d’acquérir une autre nationalité ou de reconnaître officiellement une nationalité étrangère, les conséquences sont tout autres.
III. Une perte automatique et méconnu
Selon l’article 48, alinéa 1, de la Loi Numéro 61-415 du 14 décembre 1961 relative au Code de la nationalité ivoirienne :
« Perd la nationalité ivoirienne, l’Ivoirien majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère, ou qui déclare reconnaître une telle nationalité. »
Cette disposition, bien que légale, reste largement ignorée par la majorité des citoyens. À travers mes enquêtes, j’ai découvert une réalité préoccupante : nombreux sont les Ivoiriens ayant acquis une autre nationalité qui, en revenant au pays pour renouveler leurs papiers ou effectuer d’autres démarches administratives, découvrent avec stupeur qu’ils ne sont plus considérés comme Ivoiriens.
Ces compatriotes, désormais apatrides dans les faits, repartent souvent dans leur pays de résidence, sans solution immédiate pour régulariser leur situation.
IV. La réintégration, une procédure lourde et restrictive
Pour un Ivoirien ayant perdu sa nationalité, il existe une seule voie pour la recouvrer : la procédure de réintégration. Cette démarche, qui requiert un décret du Président de la République, est longue, coûteuse, et souvent inaccessible pour de nombreux concernés.
En attendant la validation d’un tel décret, ces Ivoiriens restent déchus de leur nationalité et, par conséquent, de leurs droits en tant que citoyens ivoiriens, notamment leur droit de vote ou l’accès à des documents administratifs.
V. Un impact majeur sur la diaspora ivoirienne
Cette situation est particulièrement problématique pour les milliers d’Ivoiriens vivant à l’étranger. Nombreux sont ceux qui, pour faciliter leur insertion dans leur pays d’accueil, choisissent de prendre une autre nationalité, sans savoir qu’ils perdent automatiquement leur nationalité ivoirienne.
Si nous voulons nous doter d’une liste électorale crédible et débarrassée des inscriptions irrégulières, il est évident que bon nombre de ces Ivoiriens ne pourront plus y figurer, étant donné leur statut actuel.
VI. Un appel à la réforme
Face à cette réalité, il est impératif de réviser la loi de 1961 sur la nationalité. Une législation datant de plus de six décennies ne peut répondre aux enjeux modernes d’une Côte d’Ivoire en pleine mutation.
La réforme doit notamment :
- Assurer une meilleure sensibilisation : L’État doit informer les citoyens, en Côte d’Ivoire comme à l’étranger, des conséquences juridiques de l’acquisition d’une autre nationalité.
- Simplifier la procédure de réintégration : Il est crucial de rendre cette démarche plus accessible, avec des délais raisonnables et des coûts réduits.
- Réviser les dispositions sur la perte de la nationalité : La perte automatique de la nationalité pourrait être remplacée par une procédure de renonciation volontaire, pour éviter les injustices subies par des citoyens souvent mal informés.
Conclusion : Une Côte d’Ivoire plus juste et inclusive
La question de la nationalité n’est pas un simple détail administratif. Elle touche à l’identité, aux droits fondamentaux et à l’appartenance à une nation. En tant que Député, je m’engage à porter ce débat au cœur de nos institutions, pour qu’enfin, chaque Ivoirien puisse bénéficier d’une législation adaptée à ses besoins et à sa réalité.
Depuis Koyekro, sous-préfecture de Morokro, département de Tiassalé, je lance cet appel à mes collègues, aux juristes, et à tous les citoyens : mettons fin à cette injustice et œuvrons pour une Côte d’Ivoire plus juste et inclusive.
Par Assalé Tiémoko Antoine, Député de la Nation