Stéphanie A., 34 ans, a donné naissance, le 21 octobre 2018, à une enfant prénommée Gabrielle. Cette dernière, née avec une écharpe du cordon ombilical, a dû être réanimée à plusieurs reprises, et souffre depuis lors, en raison de lésions cérébrales, d’un grave handicap physique et de déficience mentale.
Il a été établi par deux expertises concordantes que Louise Y., 41 ans, sage-femme, ayant assisté Stéphanie A. pendant qu’elle mettait son enfant au monde, n’a pas su reconnaître « les signes évidents de bradycardie » qui figuraient sur le monitoring, a « mis hors de fonctionnement cet appareil durant les 20 dernières minutes de l’accouchement, ce qui l’a privée de la possibilité de surveiller les bruits du cœur fœtal », et a « omis d’appeler le médecin à temps malgré l’évolution négative du travail ».
Ces mêmes expertises, enfin, ont toutes deux conclu que, si les lésions subies par l’enfant « sont avant tout attribuables à l’écharpe du cordon ombilical », une « prise en charge médicale plus correcte aurait cependant permis d’éviter les dommages constatés ».
Stéphanie A. estime que Louise Y. s’est rendue coupable de délit selon le Code pénal. De quel article du code s’agit-il ? Vous vous attacherez à démontrer que la responsabilité pénale de la sage-femme peut effectivement être engagée sur ce fondement.
Tentative de résolution
Faits : Stéphanie, jeune maman, a donné naissance à sa fille le 21 octobre 2018 avec l’aide de sa sage-femme, Louise. Toutefois, sa fille est née avec une écharpe du cordon ombilical qui a eu pour conséquence de devoir réanimer à plusieurs reprises le nouveau-né qui souffre depuis de lésions cérébrales, d’un grave handicap physique et de déficience mentale. Deux expertises ont donc été réalisées et elles s’accordent à dire que la sage-femme n’a pas su reconnaître « les signes évidents de bradycardie » qui figuraient sur le monitoring, a « mis hors de fonctionnement cet appareil durant les 20 dernières minutes de l’accouchement, ce qui l’a privée de la possibilité de surveiller les bruits du cœur fœtal », et a « omis d’appeler le médecin à temps malgré l’évolution négative du travail » malgré son statut professionnel. Ces mêmes expertises ont également conclu que si les lésions subies par l’enfant « sont avant tout attribuables à l’écharpe du cordon ombilical », une « prise en charge médicale plus correcte aurait cependant permis d’éviter les dommages constatés ».
Les faits susceptibles de revêtir une qualification pénale sont les agissements de Louise qui n’a pas su reconnaître les signes de bradycardie, mis hors de fonctionnement un appareil nécessaire à la surveillance du cœur du fœtus et n’a pas appelé un médecin. Tout cela peut s’apparenter à des blessures involontaires.
Il conviendra d’envisager alors la responsabilité de Louise dans cette affaire en vertu de l’article 392 du code pénal ivoirien (article 222-19 du Code pénal français).
Sur la responsabilité de Louise
En matière d’infractions non intentionnelles, on raisonne à partir de trois composantes qui sont le résultat, la faute et le lien de causalité.
Le résultat
Il n’est pas fondé d’en faire un syllogisme complet puisque le résultat, soit les lésions cérébrales, un grave handicap physique et une déficience mentale sont avérés.
Conformément à l’article 392 du code pénal ivoirien (article 222-19 du Code pénal français) qui condamne les blessures involontaires, l’enfant qui se retrouve handicapé, avec des lésions, est effectivement blessé.
Il faut cependant que ce résultat soit survenu en raison de la faute de Louise. Il faut donc établir sa faute et le lien de causalité entre les deux.
La faute
Solution en droit : Il faut ensuite s’interroger sur la faute d’imprudence commise. En matière d’infraction non intentionnelle, il existe trois fautes distinctes. Graduellement, soit de la moins grave à la plus grave, les fautes sont les suivantes :
- la faute simple
- la faute caractérisée
- la faute délibérée
Premièrement, l’article 121-3 alinéa 3 du Code pénal français donne une définition de la faute simple : il s’agit de la “faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait”. La faute simple peut donc être caractérisée par un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit un acte administratif. Elle peut également se traduire par une “imprudence” ou une “négligence”. Mais pour qu’une faute simple soit constituée, il faut que “l’auteur des faits n’a[it] pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait”. Il faut donc que l’auteur d’une faute simple n’ait pas agi selon un certain modèle de conduite. En d’autres termes, que dans une même situation, la norme n’aurait pas agi de cette manière.
Ensuite, il existe les fautes qualifiées qui correspondent aux fautes caractérisées et délibérées. C’est la loi Fauchon de 2000 (loi française) qui a consacré une définition des fautes qualifiées comme la faute caractérisée et la faute délibérée.
La faute caractérisée correspond, en vertu de l’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal français (article 393 nouveau du code pénal ivoirien), au fait d’exposer autrui à un risque d’une particulière gravité que l’on ne peut ignorer. Autrement dit, l’auteur ne pouvait ignorer le danger auquel il exposait autrui, que cela soit le fruit d’une imprudence ou d’une négligence.
Enfin, la faute délibérée est aussi prévue par le même article 393 nouveau du code pénal ivoirien (même alinéa de l’article 121-3 du Code pénal français) ; elle correspond à une violation “manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement”.
Dans cette hypothèse, l’auteur de la faute va méconnaître de façon délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Il faut donc qu’existe en amont une loi ou un règlement, et c’est de la violation de celle-ci que découle le préjudice. Cependant, malgré que la violation soit manifeste donc volontaire, la faute délibérée s’inscrit dans les infractions non intentionnelles puisque l’auteur n’espérait pas la survenance du résultat.
De plus, l’article 392 du code pénal ivoirien (article 222-19 du Code pénal français), dans son alinéa premier, punit “le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3 du code pénal français, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant six jours (droit positif ivoirien) ; plus de trois mois (droit positif français)”. Et il est établi dans l’article R 4127-325 du Code de la santé publique français qu’une “sage-femme s’engage à assurer personnellement avec conscience et dévouement les soins conformes aux données scientifiques du moment que requièrent la patiente et le nouveau-né”. Cela découle de ses missions au vu de sa fonction.
Solution en l’espèce : En l’espèce, Louise a effectivement fait preuve d’imprudence, de négligence et de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Elle n’a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient au vu de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont elle disposait.
On pourra conclure à une faute simple d’imprudence mais au-delà de la simple faute ordinaire, la sage femme a exposé autrui, soit le bébé, à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer en vertu de sa profession, donc des missions qui pesaient sur elle.
La faute peut reposer sur un acte positif ou négatif. En l’espèce, les deux sont constitués. Elle a omis d’appeler le médecin à temps, n’a pas su reconnaître les signes de bradycardie “évidents” (acte négatif) et a mis hors de fonctionnement un appareil indispensable à la surveillance de la santé du nouveau-né pendant un long moment (acte positif). Au regard des faits, Louise n’aurait pas dû méconnaître l’état de santé du bébé et avoir connaissance des complications qui se manifestaient et qui étaient d’une particulière gravité. Cependant, il est évident qu’elle n’a pas violé de façon manifeste et délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Elle l’a fait de manière involontaire et imprudente. Elle ne pouvait cependant pas l’ignorer.
Conclusion : Le cumul des fautes commises par la sage-femme est constitutif d’un manquement grave à une obligation de prudence ou de sécurité, soit une faute caractérisée. Elle a exposé le bébé à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer conformément à sa profession. Il pesait sur elle des obligations et elle n’a pas accompli les diligences normales et l’article précité du Code de la santé publique prouve qu’il était de son ressort de surveiller l’évolution de la santé du bébé.
Le lien de causalité
Solution en droit : Le lien de causalité, en matière d’infractions non-intentionnelles, doit être certain, et direct ou indirect.
La doctrine consacre plusieurs théories autour du lien de causalité. Par exemple, Merle et Vitu exposent trois différentes théories de la causalité :
- La théorie de l’équivalence des conditions : toute faute pénale ayant contribué à la survenance du dommage doit être considérée comme causale
- La théorie de la causa proxima : les causes trop éloignées du résultat doivent être écartées
- La théorie de la causalité adéquate : le lien de causalité doit être établi entre le dommage et l’évènement qui a le plus probablement contribué de manière naturelle à sa survenance (c’est une vision objective).
Cependant, ces mêmes auteurs considèrent que les juges ont une appréciation à faire quant au lien de causalité. En effet, aucune jurisprudence n’a expressément consacré l’une de ces théories ; il ne demeure que le critère certain et direct ou indirect du lien de causalité. Les deux caractéristiques doivent être réunies, sinon quoi, le lien de causalité ne sera pas caractérisé entre la faute et le dommage.
Concernant le côté certain du lien de causalité, la faute doit figurer dans l’enchaînement des événements intervenant en amont du résultat.
Ensuite, on distingue la causalité directe (qui est la consécration de la faute comme paramètre déterminant ou cause essentielle et déterminante à la survenance du dommage) de la causalité indirecte (ou la faute a créé, contribué à créer la situation ou n’a pas pris les mesures nécessaires). Bien que la causalité directe n’ait pas de définition donnée par le législateur, la causalité indirecte est consacrée à l’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal français. Il faut également savoir que pour l’auteur direct, une faute simple suffit à engager sa responsabilité tandis que pour l’auteur indirect, il faut au moins une faute qualifiée (soit une faute caractérisée ou délibérée).
Solution en l’espèce : En l’espèce, les agissements de Louise sont bien inscrits dans l’enchaînement direct des choses qui ont conduit à la survenance du dommage. En effet, l’omission d’appeler un médecin à temps, la mise hors service pendant plus de 20 minutes de la machine permettant de surveiller le bruit du cœur du fœtus et l’impossibilité de reconnaître la bradycardie du nouveau-né permet de façon très correcte d’établir que la faute de la sage-femme a, à la fois contribué à créer la situation mais n’a également pas pris les mesures nécessaires en appelant trop tard le médecin.
Cela peut s’apparenter à une causalité indirecte. Le bébé est né avec une écharpe du cordon ombilical mais Louise aurait pu empêcher le handicap et les lésions en agissant autrement. Cependant, bien que cela me semble moins correct, il serait possible d’envisager une causalité directe puisqu’il est soutenable de dire que la faute de Louise est un paramètre déterminant dans la survenance du dommage.
Conclusion : Peu important que la causalité soit directe ou indirecte puisque Louise a commis une faute caractérisée et le lien entre le dommage et la faute est bien certain. Louise est donc susceptible de voir sa responsabilité engagée sur le fondement de blessures involontaires, conformément à l’article 392 du code pénal ivoirien (article 222-19 du Code pénal français)
La répression
En droit positif ivoirien, conformément à l’article 392 du code pénal, Louise encourt une peine »de trois mois à trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 de FCFA.
Quant aux dispositions du droit positif français, conformément à l’article 222-19 du Code pénal, elle encourt une peine “de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende”.