1- M. JACOB est maire d’une petite commune depuis peu. Les habitants de la commune, excédés par la montée de la violence au sein de la commune depuis quelques années, ont placé tous leurs espoirs dans ce maire qui a promis qu’il ferait « tout ce qui est en son pouvoir » pour éradiquer toute forme de délinquance.
Récemment, plusieurs vols à l’arraché visant des personnes âgées ont eu lieu en plein centre-ville sans que les délinquants en question n’aient pu être retrouvés.
Fatigué de l’inaction des pouvoirs publics, il convainc le conseil municipal de voter une délibération portant création d’une « garde communale » composée de citoyens volontaires bénévoles, anciens professionnels de la sécurité. La délibération précise que ces citoyens, non armés, seront chargés de faire des déambulations sur la voie publique et d’informer la police municipale ou nationale du moindre incident qu’ils constateraient. 70 retraités de la gendarmerie, de l’armée, de la police ainsi que des anciens pompiers non armés se portent volontaires. Le préfet, estimant, cette délibération illégale, a saisi la justice. Le juge des référés a déjà suspendu l’exécution de cette décision. M. JACOB attend désormais la décision du tribunal administratif au fond.
- Dans quel sens le tribunal administratif risque-t-il de statuer ?
2- Par ailleurs, un braquage de banque vient d’avoir lieu en plein centre-ville. La police s’est rendue sur place et a procédé à plusieurs contrôles d’identité. A l’occasion de ce contrôle, un homme s’est enfui en courant et a finalement été interpellé après une course de quelques minutes.
- Ces évènements relèvent-ils de la police administrative ou de la police judiciaire ?
3- Par ailleurs, M. JACOB, qui a un fils de 19 ans, a été informé par plusieurs jeunes que la fermeture des bars de la ville était fixée à minuit par le préfet dans tout le département. Son fils, Augustin, qui est ami avec le patron d’un des bars concernés, lui demande s’il a la possibilité de reporter la fermeture à 1 heure du matin. M. JACOB, très énervé par tous ses problèmes du moment, lui répond d’un ton sec : « Stop avec ça ! Il est hors de question que je repousse l’heure de fermeture des bars. De toute façon même si je le souhaitais, je n’en ai pas la possibilité ! ».
M. JACOB a-t-il raison ?
Résolution
Monsieur JACOB rencontre plusieurs problèmes qu’il conviendra de voir successivement.
D’abord nous aborderons la question de la légalité de la délibération municipale décidant de la création d’une « garde communale », ensuite, nous nous intéresserons à la question de la qualification de l’opération de police, enfin, nous vérifierons les allégations de M. JACOB arguant de son impossibilité à pouvoir retarder l’heure de fermeture des bars de la commune.
1- Sur délibération municipale décidant de la création d’une garde communale
Faits : Une délibération municipale prévoit la création d’une garde communale composée de citoyens volontaires non armés et chargés de faire des déambulations sur la voie publique et d’informer la police municipale ou nationale des incidents constatés.
Le préfet, estimant l’acte illégal, a saisi le tribunal administratif par un déféré préfectoral afin de demander l’annulation de l’acte.
Problème de droit : Une commune peut-elle confier à des personnes privées une activités de surveillance de la voie publique ?
Solution en droit : La délégation des pouvoirs de police administrative est impossible, l’autorité de police devant l’exercer elle-même (CE, 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary ; CE, 1er avril 1994, Commune de Menton, 144152 et 144241).
Ainsi, une municipalité ne peut abandonner des pouvoirs de police dans les mains d’organisations privées.
Cette interdiction :
- Vise la délégation contractuelle et la délégation unilatérale ;
- Concerne à la fois le transfert d’une activité normative à une personne privée, mais aussi l’habilitation de celle-ci à exercer des activités matérielles de police » (TA Versailles, 17 janv. 1986, Commissaire de la République du département de Seine-et-Marne).
Or la surveillance de la voie publique est une compétence de police administrative générale (CE, 29 déc. 1997, Commune d’Ostricourt, n° 170606). Ainsi surveillance et de gardiennage des immeubles municipaux et du mobilier urbain peuvent être confiées à une entreprise spécialisée mais non des tâches de surveillance de la voie publique (CE, 29 déc. 1997, Commune d’Ostricourt, n°170606).
Plus récemment, le tribunal administratif de Montpellier dans une décision du 5 juillet 2016 a considéré que les tâches de surveillance de la voie publique font partie des missions de la police administrative qui ne sauraient être déléguées et « qu’en dehors de circonstances exceptionnelles qui ne sont en l’espèce ni établies ni même invoquées, le conseil municipal d’une commune, qui règle par ses délibérations les aires de la commune, ne tient d’aucune disposition législative ou règlementaire actuellement en vigueur la compétence pour créer, de sa propre initiative et pour une durée non déterminée, un service opérationnel en vue de confier à des particuliers, nommés ou désignés par le maire en qualité de collaborateurs occasionnels du service public, des missions de surveillance de la voie publique ou des bâtiments publics qui, dans les communes, relèvent de la police municipale et sont exercées par le maire ou par des agents placés sous son autorité et sous le contrôle du représentant de l’État ».
Cet arrêt admet une dérogation en visant des « circonstances exceptionnelles » qui permettraient à des personnes privées d’exercer des missions de surveillance de la voie publique qui ne sont pas retenues en l’espèce.
Solution en l’espèce : La délibération de la commune municipale prévoit de confier à des personnes privées (des citoyens volontaires composés d’anciens professionnels de la sécurité) une mission de surveillance de la voie public. Or, il ressort de la loi et il est de jurisprudence constante que ce type de mission constitue une compétence de police administrative. Or, d’après le Conseil d’État la délégation des pouvoirs de police administrative est impossible, l’autorité de police devant l’exercer elle-même.
Seulement quelques tribunaux administratifs dont celui de Montpellier ont pu considérer que des circonstances exceptionnelles permettraient à des personnes privées d’exercer des missions de surveillance de la voie publique. Mais cette exception doit être envisagée avec prudence s’agissant de la faible portée attachée à une décision de première instance. En tout état de cause, M. JACOB ne semble pas évoquer des circonstances exceptionnelles en l’espèce.
Conclusion : Le juge administratif prononcera la nullité de la délibération municipale et enjoindra au maire de mettre fin à toute action ou démarche visant à procéder à la mise en place opérationnelle de cette garde communale.
2- Sur la qualification de l’opération de police
Faits : A la suite d’un braquage de banque, différentes opérations de police ont été réalisées.
Problème de droit : Comment qualifier une opération de police ?
Solution en droit : La police administrative est l’« ensemble des moyens juridiques et matériels ayant pour but d’assurer le maintien de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publique ». Le but est la préservation de l’ordre public.
La police administrative inclut donc à la fois :
• Les opérations de police matérielle exercée par des personnes ;
• L’activité de règlementation des autorités administratives nationales et locales.
Elle se distingue de la notion de police judiciaire.
Le critère de distinction n’est pas organique (la nature de l’autorité qui effectue l’opération de police n’est pas prise en compte, car ce sont les mêmes autorités et agents qui agissent au titre de la police judiciaire et de la police administrative), mais finaliste. On regarde la finalité de l’opération de police.
Si l’opération a une finalité préventive, c’est-à-dire qu’elle vise à prévenir les atteintes à l’ordre public, il s’agit de la police administrative. Les opérations ne visant pas à la répression d’une infraction pénale déterminée, mais à la réalisation d’une mission de contrôle et de surveillance relèvent de la police administrative (T. confl., 7 juin 1951, Noualek).
En revanche, si l’opération a une finalité répressive, c’est-à-dire qu’elle vise à rechercher les auteurs d’infractions, il s’agit de la police judiciaire. Toute opération de recherche des infractions et de poursuite de leurs auteurs est une opération de police judiciaire (CE, Sect., 11 mai 1951, Baud).
Solution en l’espèce : En l’espèce, on peut distinguer deux opérations de police différentes.
- La première opération concerne des contrôles d’identité. Il semble que ces contrôles soient effectués par la police afin de rechercher et interpeller les auteurs présumés des infractions résultant d’un braquage de banque. Dans ce cas, il s’agirait d’une opération de police judicaire.
Mais il est possible de penser également que ces contrôles d’identité ont pour but de sécuriser le centre-ville de la commune à la suite du braquage. L’objet des contrôles d’identité serait donc de prévenir les atteintes à l’ordre public dans le cadre d’une mission de contrôle. Dans ce cas, il s’agirait d’une opération de police administrative.
- La deuxième opération concerne la poursuite et l’interpellation d’une personne ayant cherché à se soustraire à un contrôle d’identité. En poursuivant et en interpellant cette personne, il semble que les agents de police ont manifesté leur intention d’interpeller cette personne en raison de sa fuite laissant supposer un lien avec le braquage. Il s’agirait alors d’une opération de police judiciaire.
Conclusion : Selon les différentes opérations de police réalisées, les qualifications sont susceptibles de varier.
3- Sur l’impossibilité du maire à pouvoir retarder l’heure de fermeture des bars de la commune
Faits : Un maire refuse de retarder l’heure de fermeture des bars dans la commune fixée par le préfet à minuit dans tout le département.
Problème de droit : Un maire a-t-il le pouvoir de reporter la fermeture des bars de la commune fixée par le préfet dans le département ?
Solution en droit : En raison de la diversité et du nombre d’autorités de police, des conflits de compétences peuvent survenir entre plusieurs autorités de police.
En cas de concurrence entre plusieurs autorités de police générale, le Conseil d’État a jugé que les décisions prises au niveau national s’imposent aux autorités locales (CE, 8 août 1919, Labonne), mais l’autorité locale peut ajouter des prescriptions uniquement :
- si les circonstances locales le justifient ;
- et si ces prescriptions sont plus rigoureuses, c’est-à-dire qu’elles doivent renforcer les mesures prises au niveau central. Si la loi autorise le préfet à faire des règlements de police municipale pour toutes les communes du département ou pour plusieurs d’entre elles, aucune disposition n’interdit au maire d’une commune de prendre sur le même objet et pour sa commune, par des motifs propres à cette localité, des mesures plus rigoureuses ; (CE, 18 avr. 1902, Commune de Néris-les-Bains).
Solution en l’espèce : En l’espèce, il y a un concours de compétence entre deux polices administratives générales à savoir entre le préfet et le maire.
Le maire, autorité inférieure, ne peut que prendre des mesures plus rigoureuses que celles prises par le préfet. En d’autres termes, s’il peut le cas échéant prévoir une heure de fermeture plus avancée, il ne peut retarder l’heure de fermeture.
Conclusion : M. JACOB a raison lorsqu’il explique à son fils que, même s’il le souhaitait, il n’aurait pas la possibilité de retarder l’heure de fermeture des bars dans la commune.