Romuald a été embauché en qualité de comptable par l’entreprise « CARPLACE » le 1er mars 2019. Le contrat qu’il a conclu prévoit une période d’essai de deux mois ainsi que la possibilité de la renouveler une fois. La convention collective applicable dans l’entreprise autorise le renouvellement de la période d’essai.
Le 30 avril 2019, l’employeur informe Romuald du renouvellement de sa période d’essai pour deux mois supplémentaires. Le 31 mai 2019, l’employeur rompt le contrat de travail de Romuald.
Romuald saisi le tribunal compétent et demande des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Son action a-t-elle des chances d’aboutir ?
Résolution
Faits : Un salarié a conclu un contrat de travail le 1er mars 2019 en qualité de comptable. Son contrat de travail prévoyait une période d’essai de deux mois ainsi que la possibilité de la renouveler une fois. Le 30 avril suivant, la période d’essai du salarié a été renouvelée. Le 31 mai 2019, l’employeur décidait de rompre son contrat de travail.
Le salarié souhaite intenter une action devant le tribunal compétent afin d’obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la validité de la période d’essai et de son renouvellement
1- Sur la validité de la période d’essai
Problème de droit : À quelles conditions une période d’essai peut-elle être valablement imposée au salarié ?
Solution en droit : L’article L. 1221-23 du Code du travail français (article 14.5 alinéa du code du travail ivoirien) précise que la période d’essai et la possibilité de la renouveler ne se présument pas.
Elles sont expressément stipulées dans la lettre d’engagement ou le contrat de travail.
La Cour de cassation ajoute que la période d’essai doit être fixée dans son principe et sa durée par une clause écrite. Elle ne peut pas être implicite (Soc., 19 févr. 1997, n° 93- 44053).
Solution en l’espèce : En l’espèce, la période d’essai est bien prévue par le contrat de travail conclu par le salarié de sorte que cette condition est satisfaite. On suppose par ailleurs qu’elle est fixée dans son principe et dans sa durée par une clause écrite.
Conclusion : La période d’essai de Romuald est valable.
2- Sur la durée de la période d’essai
Problème de droit : Une période d’essai de deux mois stipulée à l’égard d’un salarié relevant de la qualification professionnelle de comptable est-elle valable ?
Solution en droit : Le législateur français encadre la période d’essai en prévoyant des durées maximales qui dépendent de la classification professionnelle du salarié.
Selon l’article L1221-19 du Code du travail français, la période d’essai ne peut dépasser :
- 2 mois pour les ouvriers et les employés ;
- 3 mois pour les agents de maîtrise et les techniciens ;
- 4 mois pour les cadres.
Ces durées légales ont un caractère impératif (Code du travail français art. L1221-22 al 1).
Le législateur ivoirien dans le décret n°96-195 du 7 mars 1996 relatif à l’engagement à l’essai et à la durée de la période d’essai encadre lui aussi la période d’essai en prévoyant des durées maximales qui dépendent de la classification professionnelle du salarié.
Selon l’article 14 alinéa 3 du décret susmentionné, la durée maximale de la période d’essai en droit positif ivoirien est fixé comme suit :
- 8 jours pour les travailleurs payés à l’heure ;
- 1 mois pour les travailleurs payés au mois
- 2 mois pour les agents de maîtrise, techniciens et assimilés ;
- 3 mois pour les ingénieurs, cadres et assimilés ;
- 6 mois pour les cadres supérieurs.
Solution en l’espèce : Le contrat de travail stipulait que la période d’essai de Romuald était d’une durée de deux mois.
En droit positif français, pour la catégorie professionnelle « employé », les textes précisent que la période d’essai initiale est normalement d’une durée de deux mois.
Quant au droit positif ivoirien, pour les travailleurs payés au mois, les textes précisent qu’elle est normalement d’une durée d’un mois et de trois mois pour les cadres.
En l’espèce, par application du droit positif français, Romuald, en tant que « comptable », relève probablement de la catégorie professionnelle « employé » de sorte que la durée de la période d’essai de deux mois semble valable.
3- Sur le renouvellement de la période d’essai
Problème de droit : Une période d’essai de deux mois peut-elle faire l’objet d’un renouvellement pour la même durée ?
Solution en droit : La période d’essai initiale peut faire l’objet d’un renouvellement (Code du travail français, art. L. 1221-21). ( article 4 alinéa 1 du décret ivoirien n°96-195 du 7 mars 1996 relatif à l’engagement à l’essai et à la durée de la période d’essai)
La finalité est de permettre à un employeur, qui estime que les compétences du salarié ne sont pas satisfaisantes, de lui laisser une dernière chance au lieu de rompre la période d’essai.
Plusieurs conditions doivent être toutefois respectées.
D’abord, la période d’essai ne peut être renouvelée qu’« une fois » (Code du travail français, art. L. 1221-21) ( article 2 alinéa 2 du décret ivoirien n°96-195 du 7 mars 1996 relatif à l’engagement à l’essai et à la durée de la période d’essai).
Ensuite, le renouvellement n’est possible que si « un accord de branche étendu le prévoit » (Code du travail français, art. L. 1221-21).
Le droit positif ivoirien conditionne le renouvellement au fait que le travailleur soit débutant dans l’entreprise ou qu’il n’ait jamais travaillé ( article 2 alinéa 2 du décret ivoirien n°96-195 du 7 mars 1996 relatif à l’engagement à l’essai et à la durée de la période d’essai).
En outre, la possibilité de renouveler la période d’essai ne se présume pas. Elle est expressément stipulée dans la lettre d’engagement ou le contrat de travail (Code du travail français, art. L. 1221-23) (article 14.5 alinéa du code du travail ivoirien).
Enfin, la Cour de cassation décide que le renouvellement ou la prolongation de la période d’essai doit résulter d’un accord exprès des parties et exige une manifestation claire et non équivoque du salarié ; elle ne peut être déduite de la seule apposition de sa signature sur un document établi par l’employeur (Soc., 25 nov. 2009, n° 08-43.008).
Solution en l’espèce : En application du droit positif français, la première condition consistant à ne pouvoir renouveler qu’une seule fois la période d’essai est satisfaite car la période d’essai de Romuald a été renouvelée une fois le 30 avril 2018.
S’agissant de la deuxième condition, un accord de branche prévoit bien la possibilité de renouveler la période d’essai. En revanche, aucune information ne nous est donnée quant au caractère « étendu » de cette convention collective.
En outre, le contrat de travail prévoit bien la possibilité de renouveler la période d’essai. En revanche, la condition tenant au renouvellement de la période d’essai par accord exprès des parties, au cours de la période initiale, n’est pas satisfaite puisqu’aucun accord exprès des parties n’est intervenu, l’employeur ayant unilatéralement décidé de renouveler la période d’essai.
Selon le droit positif ivoirien, le renouvellement de la période d’essai doit être notifié au travailleur par écrit.
Sauf dispositions plus favorables prévues par convention collective, accord d’établissement ou par le contrat de travail, le travailleur doit en être informé dans les délais fixés comme suit :
- 2 jours avant la fin de la période d’essai lorsqu’elle est de 8 jours ;
- 8 jours avant la fin de la période d’essai lorsqu’elle est de un mois ;
- 15 jours avant la fin de la période d’essai lorsqu’elle est de deux ou trois mois.
Lorsque l’employeur n’a pas informé le travailleur du renouvellement de la période d’essai dans le délai indiqué applicable, et sauf le consentement de l’intéressé pour ce renouvellement, la période d’essai prend fin à la date initialement prévue.
Conclusion : Selon les règles susmentionnés en droit positif français, le renouvellement de la période d’essai n’est pas valable et Romuald peut contester la rupture de son contrat de travail.
Sur la rupture du contrat de travail
Problème de droit : La rupture du contrat de travail hors période d’essai permet -t-elle au salarié de demander des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ?
Solution en droit : Le droit du licenciement ne s’applique pas à la rupture de la période d’essai (mais les autres dispositions du Code du travail continuent de s’appliquer) :
« Ces dispositions ne sont pas applicables pendant la période d’essai » (Code du travail français, art. L1231-1) (article 15.9 du code du travail ivoirien)
Ainsi, durant la période d’essai, chacune des parties (salarié et employeur) dispose en principe d’un droit de résiliation unilatéral, sans avoir à alléguer de motifs (Cass, soc., 20 octobre 2010, 08- 40.822) (article 18.1 du code du travail ivoirien).
Lorsque le renouvellement de la période d’essai n’est pas valide, à défaut d’accord exprès entre le salarié et l’employeur au cours de la période initiale, la Cour de cassation juge que « la rupture est intervenue postérieurement à l’expiration de la période d’essai » (Soc., 21 décembre 2006, 05-44.806).
Ainsi, l’employeur ne peut rompre le contrat qu’en respectant la procédure de licenciement, et la rupture intervenue, le cas échéant, s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc., 12 décembre 2018, 17-25716).
En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse le salarié peut demander le bénéficie d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L1235-3 du Code du travail français, indemnité dont le montant varie en fonction du nombre de salariés dans l’entreprise et de l’ancienneté du salarié à la date de la rupture de son contrat.
Selon le droit positif ivoirien, à l’article 6 du décret ivoirien n°96-195 du 7 mars 1996 relatif à l’engagement à l’essai et à la durée de la période d’essai, le travail exécuté pendant la période d’essai doit être payé au taux de la catégorie professionnelle dans laquelle a été engagé le travailleur.
Solution en l’espèce : En l’espèce et par application du droit positif français, Romuald n’a pas donné son accord exprès au renouvellement de sa période d’essai de sorte que celui-ci n’était pas valide. Son contrat de travail était donc définitivement consolidé après la fin de sa période d’essai.
La rupture du contrat de travail sera analysée par les juges comme constituant un licenciement sans cause réelle et sérieuse et Romuald pourra demander notamment une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à son employeur.
En revanche, eu égard à son ancienneté (2 mois), le montant de l’indemnité qu’il pourra obtenir sera faible en application de l’article L1235-3 du Code du travail français (‘article 6 du décret ivoirien n°96-195 du 7 mars 1996 relatif à l’engagement à l’essai et à la durée de la période d’essai)
Selon le droit positif français, son action peut aboutir.
NB : Pour les conclusions en application du droit positif ivoirien, chacun peut vraisemblablement les déduire sur la base des fondements légaux ivoiriens cités dans chaque partie.