M. PIGEON est l’heureux récent propriétaire d’une parcelle qui était clôturée par une très belle haie végétale d’une longueur de cinquante mètres, située en bordure d’une route départementale.
La commune, après avoir informé M. PIGEON, que certains véhicules avaient été endommagés en raison de l’existence de cette haie, a fait procéder à son arrachage sur toute sa longueur.
M. PIGEON soutient qu’il n’avait donné son accord que pour un arrachage sur une longueur de dix mètres, et sous réserve d’une participation financière de la commune à l’achat des matériaux nécessaires à la construction d’un mur.
Invoquant l’existence d’une voie de fait, M. PIGEON, qui, selon ses mots refuse de se laisser « pigeonner », a saisi la juridiction judiciaire aux fins de réparation de ses préjudices.
La commune, de son côté, a soulevé une exception d’incompétence au profit d la juridiction administrative. Qu’en pensez-vous ?
Résolution (Droit positif français)
Faits : Le propriétaire d’une parcelle clôturée d’une haie végétale, située en bordure d’une route départementale, d’une longueur de cinquante mètres se voit informer par la commune que certains véhicules avaient été endommagés en raison de l’existence de cette haie.
A la suite d’un accord du propriétaire avec l’autorité communale e portant sur un arrachage sur une longueur de dix mètres, l’autorité communale à a fait procéder à son arrachage sur toute sa longueur.
Il convient d’abord de traiter la question de l’existence ou non d’une voie de fait, avant d’envisager celle de la juridiction compétente en cas de voie de fait.
1. Sur l’existence d’une voie de fait
Problème de droit : L’arrachage par l’autorité communale de végétaux plantés sur le terrain d’une personne privée peut-il constituer une voie de fait ?
Solution en droit : La notion de voie de fait, consacrée par le Tribunal des conflits (TC, 8 avril 1935, Action Française) a récemment été modifiée par une décision du Tribunal des conflits.
En effet, le Tribunal des conflits a modifié les critères permettant de caractériser la voie de fait (TC, 17 juin 2013, M. Bergoend C/ Sté ERDF Annecy Lman).
Désormais, il y a une voie de fait lorsque l’administration :
• (Première hypothèse) – Soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété.
Cette hypothèse vise la voie de fait résultant des conditions d’exécution d’une décision.
• (Deuxième hypothèse) – Soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative.
Cette hypothèse vise la voie de fait résultant d’une décision.
S’agissant de la condition relative à l’extinction (et non une simple atteinte) d’un droit de propriété, la Cour de cassation a jugé que le fait pour une commune de procéder à l’arrachage d’une haie, constituée d’arbres, sur toute sa longueur cause une extinction du droit de propriété des propriétaires de ces végétaux (Civ., 1ère, 5 fév. 2020, 19-11.864).
Par ailleurs, si la voie de fait peut être écartée en raison d’un accord entre la personne publique et les propriétaires sur l’opération portant extinction du droit de propriété de ces derniers, ce n’est qu’à condition que cet accord soit certain ce qui implique que l’autorité communale n’outrepasse pas l’autorisation donnée (même arrêt).
Il semble toutefois que la troisième chambre civile de la Cour de cassation retienne une solution inverse en retenant que « l’abattage, même sans titre, d’une haie implantée sur le terrain d’une personne privée qui en demande la remise en état (…) n’a pas pour effet l’extinction d’un droit de propriété » (Cass. 3e civ., 24 oct. 2019, no 17-13550).
Toutefois, la décision rendue par la première chambre civile semble juridiquement plus cohérente dans la mesure ou des végétaux, arbres ou arbustes, composant une haie sont l’objet d’un droit de propriété immobilière (C. civ., art. 518 ; C. civ., art. 520 ; C. civ., art. 521, a contrario). Or, le titulaire de ce droit sur les végétaux est le propriétaire du fonds sur lequel ils sont plantés. Tout arrachage ou destruction de ces derniers devrait ainsi conduire à une extinction du droit de propriété et non à simple atteinte au droit de propriété.
Solution en l’espèce : En l’espèce, l’autorité communale, en faisant arracher la haie litigieuse sur toute sa longueur, est allée au-delà de l’accord qui avait été convenu avec M. PIGEON (l’accord concernait une surface de dix mètres, or l’autorité communale a arraché toute la longueur de la haie soit cinquante mètres).
L’hypothèse de voie de fait concernée est donc celle de l’exécution d’une décision irrégulière de l’Administration.
Il est donc nécessaire de caractériser une extinction d’un droit de propriété. Or, en l’espèce, M. PIEGEON est le propriétaire de la parcelle sur laquelle se trouve cette haie de sorte que l’arrachage des végétaux entraine une extinction de son droit de propriété.
C’est au demeurant ce qu’a retenu récemment la troisième chambre civile de la Cour de cassation française dans une affaire similaire.
Conclusion : L’existence d’une voie de fait pourra vraisemblablement être caractérisée.
2. Sur la juridiction compétente en cas de voie de fait
Problème de droit : Quelle est la juridiction compétente pour se prononcer sur une situation de voie de fait ?
Solution en droit : En vertu de la séparation des autorités administratives et des autorités judiciaires, le juge judiciaire ne peut connaître certains litiges relatifs à l’administration, ce qui ne signifie toutefois pas que le juge administratif soit le juge de tous les litiges impliquant l’administration.
Ainsi, la notion de voie de fait, consacrée par le Tribunal des conflits (TC, 8 avril 1935, Action Française), permet de retirer la compétence du juge administratif et de retenir celle du juge judiciaire dès lors que l’Administration, par son action, ne satisfait plus une mission d’intérêt général. C’est une exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.
Ainsi, les juridictions judiciaires peuvent ordonner la cessation d’une voie de fait et se prononcer sur la réparation (TC, 17 juin 2013, Bergoend).
Les administrés ont également la possibilité, en cas de voie de fait, de saisir le juge du référé liberté afin de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété (CE, 23 janvier 2013, Commune de Chirongui).
Le référé-liberté (CJA, art. L.521-2), créé par la loi du 30 juin 2000, est une procédure d’urgence qui permet de mettre fin à une mesure administrative de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à l’exercice d’une liberté fondamentale.
Plusieurs conditions sont exigées :
* Il faut une atteinte à une liberté fondamentale. Le droit de propriété ayant le caractère d’une liberté fondamentale (CE, 23 mars 2001, Sté Lidl).
* Il faut une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté en cause.
* Il faut une situation d’urgence, le juge devant statuer dans les 48 heures en raison de l’atteinte à une liberté fondamentale.
Une situation d’urgence est caractérisée lorsque la décision administrative contestée cause un préjudice « de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » (CE, Sect, 19 janv. 2001, Confédération nationale des radios libres).
Solution en l’espèce : En l’espèce, M. PIGEON peut saisir le juge judiciaire afin d’obtenir la réparation du préjudice subi du fait de l’arrachage de sa haie.
Il a également la possibilité d’engager une action en référé devant le juge administratif puisque les trois conditions prévues par l’article L.521-2 du Code français de justice administrative semblent satisfaites (liberté fondamentale et atteinte grave). La condition tenant à l’urgence pourrait être déduite de l’atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété.
Cette voie lui permettrait d’obtenir du juge, une décision dans les 48 heures.
Conclusion : M. PIGEON devra saisir le juge judiciaire afin d’obtenir la réparation de son préjudice. Il pourrait le cas échéant envisager une action devant le juge administratif des référés.