Florent DANGER et Mathilde DANGER vivent une parfaite histoire d’amour depuis quelques années. Ils sont mariés depuis quelques temps et viennent d’avoir un enfant. Florent est aux anges : il a toujours rêvé de construire une vie de famille et voilà que le Bon Dieu lui apporte une petite fille magnifique prénommée Emelyne ! Emelyne a été déclarée à l’état civil comme étant née de Madame Mathilde DANGER et Florent DANGER.
Seulement, quelques jours plus tard, il surprend sa femme, bouleversée, en pleine conversation au téléphone avec un homme lui disant « Tu le sais aussi bien que moi, c’est ma fille, pas celle de ton abruti de mari ! Je vais la reconnaitre, tu ne m’en empêcheras pas ! ». Florent, surpris, demande des explications à sa femme qui lui avoue entretenir une liaison depuis plusieurs années avec Jean FOUTAISE et qu’elle ignore qui de son amant ou de son mari est le véritable père. En tout état de cause, Jean FOUTAISE a procédé à une reconnaissance de Emelyne et, n’ayant pu transcrire cette reconnaissance sur l’acte de naissance de l’enfant, , il a assigné le couple en contestation de la paternité de Florent DANGER et en établissement de sa propre paternité.
L’amant, Jean FOUTAISE, vient vous consulter pour savoir comment il pourrait faire établir sa filiation avec Emelyne.
Résolution
Faits : Une enfant a été déclarée à l’état civil comme étant née du couple marié, formé par ses parents. Un tiers, l’amant de la femme mariée, estimant être le père biologique de l’enfant a procédé à une reconnaissance de l’enfant et souhaite faire établir sa paternité.
Annonce de plan interne : Pour que l’amant puisse faire établir sa paternité, il doit au préalable contester la filiation déjà légalement établie. Il doit également respecter certaines conditions relatives à la contestation de la paternité et à la preuve de la filiation qu’il souhaite faire établir.
Sur la nécessité d’une contestation préalable de la filiation légalement établie.
Problème de droit : La reconnaissance d’une filiation concurrente de celle indiquée sur l’état civil d’un enfant est-elle possible ?
Solution en droit : Une action en contestation de filiation (C. civ. français, art. 332 à 337) (Loi ivoirienne n°2019-571 du 26 juin 2019 relative à la filiation) consiste à remettre en cause le lien de filiation maternelle ou paternelle. Une telle action est nécessaire pour établir une filiation qui vient contredire une filiation légalement établie. En effet, l’article 320 du Code civil français pose un principe chronologique : « Tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ».
Or, l’article 312 du Code civil français (Article 2 de la loi ivoirienne n°2019-571 du 26 juin 2019 relative à la filiation) pose une présomption simple de paternité au bénéfice du mari (« L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari de sa mère »). Ainsi, il suffit que le nom du mari apparaisse dans l’acte de naissance pour que la filiation soit établie à son égard.
Solution en l’espèce : En l’espèce, Florent et Mathilde sont mariés de sorte que la filiation paternelle de Florent a pu être établie au moment de la naissance de leur fille Emelyne. Cette filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation paternelle à l’égard de Jean FOUTAISE qui la contredirait. Ce dernier doit d’abord exercer une action en contestation de la paternité du père déclaré.
Conclusion : Pour que la paternité de Jean FOUTAISE puisse être établie, il est indispensable que celle du mari soit anéantie par le biais d’une action en contestation de la paternité.
Sur les conditions de la contestation
Problème de droit : Quelles sont les conditions permettant de contester la paternité d’une personne bénéficiant d’une présomption de paternité ?
Solution en droit : Les conditions de la contestation dépendent de l’existence ou non d’une possession d’état.
Il faut distinguer deux situations différentes :
- Dans la première hypothèse, il existe un titre (présomption légale, acte de naissance, reconnaissance) corroboré par une possession d’état, c’est-à-dire que le parent s’est comporté à l’égard de l’enfant comme tel. (Loi ivoirienne n°2019-571 du 26 juin 2019 relative à la filiation et le code civil français).
- Dans la seconde hypothèse, il existe un titre (présomption légale, acte de naissance, reconnaissance) non corroboré par une possession d’état, c’est-à-dire que le parent ne s’est pas comporté à l’égard de l’enfant comme tel.
En cas de titre non corroboré par une possession d’état, toute personne qui y a intérêt peut agir (C. civ. français, art. 334) et l’action doit être intentée dans les dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame ou qu’elle a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté. Ce délai est suspendu à l’égard de l’enfant durant la minorité (C. civ. français, art. 321).
S’agissant de la preuve, la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père (C. civ. français, art. 332). La preuve se fait par tous moyens (en pratique, souvent par expertise biologique). (Loi ivoirienne n°2019-571 du 26 juin 2019 relative à la filiation).
Si la demande aboutit, la filiation est annulée rétroactivement et le juge peut, dans l’intérêt de l’enfant, fixer les modalités des relations de celui-ci avec la personne qui avait sa charge (C. civ français, art. 337).
La possession d’état est un fait juridique qui consiste, pour un individu, à se comporter comme bénéficiant d’un état, en l’occurrence être l’enfant de tel parent, et d’être considéré comme tel, sans juridiquement disposer de cet état. La possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir (C. civ. français, art. 311 al. 1). Elle requiert trois éléments constitutifs qui ne sont pas nécessairement cumulatifs : le nomen (le nom), le tractatus (le traitement) et la fama (la renommée).
Elle doit réunir certains caractères (C. civ. français, art. 311 al. 2) (Article 10 de la loi ivoirienne n°2019-571 du 26 juin 2019 relative à la filiation) :
- elle doit être continue (la relation doit être établie sur une durée suffisamment significative : Civ. 1ère, 24 mars 1993, 91-18.646), paisible,
- paisible,
- publique,
- et non équivoque.
La possession d’état de l’enfant l’égard du mari de la mère n’est pas paisible lorsque l’amant, ayant reconnu l’enfant moins de trois mois après sa naissance, exerce une action en contestation de paternité (Civ., 1 7 nov. 2018, 17- 26.445).
Solution en l’espèce : En l’espèce, il existe bien un titre établissant la filiation de Florent à l’égard d’Emelyne, mais la possession d’état ne saurait être caractérisée celle-ci n’étant pas paisible au regard de la reconnaissance et de l’action en contestation de paternité que Jean s’apprête à former, quand bien même les éléments constitutifs seraient réunis. Ainsi, Jean a bien un intérêt à agir et devra intenter son action dans les dix ans à compter de la naissance d’Emelyne. Il pourra donc former une action en contestation de paternité.
Sur la preuve de la filiation
Problème de droit : Par quels moyens peut-on prouver et contester une filiation paternelle ?
Solution en droit : L’article 310 alinéa 3 du Code civil français ; Article 14 de la loi ivoirienne n°2019-571 du 26 juin 2019 relative à la filiation prévoit qu’en cas d’action engagée en matière de filiation, la filiation se prouve par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l’action. L’article 322 du même code ajoute que la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père.
En pratique, la preuve prendra souvent la forme d’une expertise biologique (C. civ. français, art. 16 al. 11), celle-ci étant de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder (Ass. plén., 23 nov. 2007, n° 05-17.975, 06-10.039). Elle peut être ordonnée d’office (Civ., 1 , 14 déc. 1990, n° 88-15.809).
Il existe toutefois plusieurs hypothèses dans lesquelles le juge doit refuser de l’ordonner :
– en cas de « motif légitime de ne pas y procéder » (Civ. 1 , 28 mars 2000, n° 98-12.806)
– lorsqu’elle constitue manifestement qu’une manœuvre dilatoire (Civ. 1 , 14 juin 2005, n° 03-19.325).
– lorsque la procédure a été intentée par des personnes non attitrées, c’est-à-dire ne disposant pas du droit d’agir (Civ. 1ere, 14 Juin 2005, n° 02-18.654).
Solution en l’espèce : En l’espèce, Jean FOUTAISE semble bien avoir un motif légitime de procéder à une expertise biologique en raison de la relation qu’il a entretenu durant quelques années avec Mathilde. Puisqu’il est recevable en son action comme il l’a été précédemment démontré, il pourra bénéficier de la preuve par expertise biologique.
Conclusion : L’expertise biologique ordonnée par le juge permettra de déterminer la filiation paternelle d’Emelyne.