Jean PIGEON travaille en tant qu’ingénieur dans une grande entreprise depuis le 2 avril 2018. Avec son collègue, Corentin PACONTENT ils trouvent qu’ils travaillent trop et qu’ils n’ont pas assez de vacances : « 5 semaines de congés payés par an, c’est insuffisant ! » s’énervent fréquemment les deux collègues.
Coup de chance, Emmanuel Macron, après de longues discussions avec des représentants des Gilets Jaune vient de céder à une de leur revendication : accorder aux salariés du secteur privé une sixième semaine de congé payé. Le Parlement vote cette loi qui entre en vigueur le 1er septembre 2020.
Mais la joie de Jean PIGEON et de Corentin PACONTENT n’est que de courte durée puisqu’ils reçoivent un courrier de leur entreprise leur expliquant que leur contrat de travail ayant été conclu avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi, la sixième semaine de congés payés ne leur sera pas applicable en vertu, d’après le directeur des ressources humaines, du principe de « survie de la loi ancienne ».
Le Directeur des ressources humaines a-t-il raison ?
Résolution
Faits : Un contrat de travail conclu en 2018 prévoit l’attribution de 5 semaines de congés payés conformément aux dispositions législatives en vigueur au moment de la conclusion du contrat. Une loi entrée en vigueur le 1er septembre 2020 prévoit l’attribution d’une sixième semaine de congés payés pour les salariés du secteur privé. L’employeur refuse d’appliquer la nouvelle loi en se prévalant du principe de « survie de la loi ancienne ».
Problème de droit : Une loi entrée en vigueur postérieurement à la conclusion d’un contrat est-elle d’application immédiate ?
Solution en droit : L’article 2 du Code civil (droits positifs ivoirien et français) prévoit que « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».
En vertu de cet article toute loi est en principe d’application immédiate et régit soit les situations en cours de constitution ou d’extinction, mais non d’ores et déjà constituées ou éteintes, soit les effets futurs des situations en cours
Toutefois, en matière contractuelle, une exception est admise selon laquelle la loi ancienne « survit » c’est-à-dire que la loi ancienne s’applique pendant toute la durée du contrat, même si les effets continuent à se réaliser après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Ce principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle a été consacré dans un arrêt en date du 3 juillet 1979 (arrêt de principe « Dame Museli c/ SCI Le Panorama » 3 Civ., 3 juill. 1979, n°77 15552) dans lequel la Cour de cassation a jugé que : « Les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle, même s’ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions sous l’empire desquelles ils ont été passés ».
Cette règle connait elle-même une exception (« l’exception de l’exception »). En effet, le principe de survie de la loi ancienne ne s’applique pas en matière contractuelle:
- Soit lorsque le législateur prévoit expressément que la loi sera d’application immédiate
- Soit lorsque le juge écarte la survie de la loi ancienne (le principe de survie de la loi ancienne n’ayant que valeur jurisprudentielle).
Dans ce deuxième cas, le juge peut écarter la survie de la loi ancienne en matière contractuelle :
- Soit que le caractère d’ordre public particulièrement impérieux de la loi nouvelle justifie son application immédiate aux effets futurs d’un contrat (Cass., Com., 3 mars 2009).
- Soit que le contenu du contrat est si impérativement fixé par la loi que le contrat doit être assimilé à une situation légale, justifiant que ses effets futurs soient régis par la loi nouvelle (Cass, avis, 16 févr. 2015, n°15/002).
Dans un tel cas, la loi sera d’application immédiate quand bien même le contrat a été conclu antérieurement à son entrée en vigueur.
Solution en l’espèce : En l’espèce, nous sommes en matière contractuelle puisqu’il s’agit d’un contrat de travail de sorte qu’il est possible de s’interroger sur la survie ou non de la loi ancienne.
Aucune disposition de la loi n’indique expressément qu’elle est d’application immédiate.
En revanche, une loi consacrant une sixième semaine de congés payés répond bien à des considérations d’ordre public particulièrement impérieuses dans la mesure où une grande partie de la doctrine semble considérer que l’ordre public social impose l’application immédiate aux contrats de travail en cours et conclus avant leur entrée en vigueur des lois nouvelles ayant pour objet d’améliorer la condition ou la protection des salariés.
Conclusion : Le Directeur des ressources humaines se trompe en affirmant que les contrats de travail doivent rester soumis à la loi ancienne et que la loi nouvelle n’est pas d’application immédiate.