Corentin, au moment du lancement de son entreprise, a fait l’acquisition d’un véhicule utilitaire pour le transport de sa marchandise. Plein d’ambition à cette époque et persuadé qu’il rentabiliserait très vite ses dépenses, il avait choisi l’un des véhicules les plus chers de la gamme Volsvagen (Volkswagen eCrafter) d’une valeur d’environ 70.000.000 FCFA.
Aujourd’hui, démoralisé, il décide de mettre fin à son activité et de vendre son véhicule. Il vend, le 20 octobre 2020, son véhicule pour 10.000.000 FCFA (qui n’a que 1.000 km au compteur) à une connaissance. Il constate, quelques jours après la vente, que cette connaissance a mis en vente le véhicule utilitaire sur leboncoin pour une valeur de 65.000.000 FCFA…
Furieux, il souhaite obtenir l’annulation du contrat de vente.
Résolution
Faits : Un homme vend un véhicule utilitaire presque neuf 10.000.000 FCFA alors qu’il en a fait l’acquisition peu de temps avant pour une valeur de 70.000. 000 FCA. Après coup, s’estimant lésé, il souhaite obtenir l’annulation du contrat de vente ainsi conclu.
À titre liminaire, il convient de déterminer la loi applicable au contrat litigieux. Selon l’article 9 de l’ordonnance française du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, les contrats conclus avant le 1er octobre demeurent soumis à la loi ancienne et les dispositions de l’ordonnance entrent en vigueur le 1er octobre 2016.
En l’espèce, le contrat ayant été conclu en octobre 2020 soit postérieurement au 1 octobre 2016, il est soumis aux nouvelles dispositions.
Il faut s’interroger sur les moyens dont dispose un vendeur pour remettre en cause le contrat prévoyant la vente d’un bien mobilier à un prix très inférieur à sa valeur réelle.
Au regard des conditions de validité du contrat, telles que prévues par l’article 1128 du Code civil français (Article 1108 du code civil en droit positif ivoirien), Corentin pourrait envisager de remettre en question le contrat sur le fondement de l’obligation précontractuelle d’information, de l’erreur et du dol. Le fondement de la lésion (déséquilibre objectif des prestations au jour de la formation du contrat) ne sera pas envisagé car elle n’est en principe pas sanctionnée sauf si un texte spécial le prévoit (Code civil français, art. 1168) (Droit positif ivoirien, article 1313 du code civil) ce qui n’est pas le cas pour la vente d’un bien meuble.
Sur le fondement de l’obligation précontractuelle d’information
Problème de droit : Un vendeur peut-il solliciter l’annulation d’un contrat de vente sur le fondement d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information aux motifs que le bien a été vendu à un prix inférieur à sa valeur ?
Solution en droit : La réforme a consacré l’obligation précontractuelle d’information stricto sensu à l’article L1112-1 du Code civil français disposant : « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».
Plusieurs conditions sont posées par le texte :
- Première condition : L’information doit être déterminante c’est-à-dire porter sur un élément qui pourrait avoir une incidence sur le consentement du créancier (alinéa 1) (de nature à conduire le créancier à modifier son comportement) ;
- Deuxième condition : Le débiteur de l’obligation devait avoir connaissance de l’information ;
- Troisième condition : Le créancier de l’obligation doit ignorer légitimement l’information ou légitimement faire confiance à son cocontractant.
Le texte précise que l’obligation ne saurait porter sur l’estimation de la valeur de la prestation (alinéa 2). Cette disposition consacre la jurisprudence Baldus (Civ., 1 , 3 mai 2000) qui a refusé de consacrer une obligation précontractuelle d’information portant sur la valeur du bien vendu au bénéfice du vendeur. La jurisprudence antérieure à la réforme avait toutefois consacré une information précontractuelle, non sur la valeur, mais sur les qualités substantielles de la chose lorsque l’une des parties n’a pu avoir l’information à la disposition de son interlocuteur. Ainsi, si l’erreur directe sur la valeur n’est pas sanctionnée, l’erreur sur la valeur peut être indirectement sanctionnée lorsqu’elle est une conséquence d’une erreur sur les qualités essentielles.
S’agissant de la sanction de l’obligation précontractuelle d’information, l’article prévoit que celui qui n’a pas correctement informé son futur cocontractant engage sa responsabilité́ civile extracontractuelle mais, pour pouvoir entrainer l’annulation du contrat, la méconnaissance de cette obligation doit entrainer un vice du consentement.
Solution en l’espèce : En l’espèce, sans qu’il soit besoin de s’interroger sur les conditions de l’obligation précontractuelle d’information, l’exclusion par l’article 1112-1 du Code civil français de l’estimation de la valeur de la prestation au titre de l’obligation d’information ne permettra pas à Corentin de se prévaloir d’un manquement à cette obligation. En effet, l’information, à supposer qu’elle soit due à Corentin, porte directement sur la valeur du véhicule utilitaire et non sur ses qualités essentielles (comme par exemple la puissance du moteur ou les options intégrées au véhicule) de sorte que Corentin ne peut pas invoquer ce texte.
En tout état de cause, Corentin souhaite obtenir l’annulation du contrat et non simplement des dommages et intérêts, or la nullité du contrat n’est pas encourue par la seule preuve de l’inexécution d’une obligation d’information.
Il faut donc vérifier si les fondements de l’erreur et du dol lui permettraient d’obtenir une telle annulation.
Sur le fondement de l’erreur
Problème de droit : Un vendeur peut-il solliciter l’annulation d’un contrat de vente sur le fondement de l’erreur aux motifs que le bien a été vendu à un prix manifestement inferieur à sa valeur ?
Solution en droit : Selon les articles 1132 et suivants du code civil français (article 1110 du code civil en droit positif ivoirien), la victime de l’erreur souhaitant invoquer un vice du consentement, susceptible d’emporter la nullité́ du contrat, doit apporter la preuve de l’existence d’une erreur qui porte sur une qualité essentielle de la prestation due, cette qualité devant être déterminante du consentement et devant avoir été expressément ou tacitement convenue par les parties et que l’erreur commise ne soit pas inexcusable.
S’agissant de la première condition relative à l’établissement de l’existence d’une erreur, il faut démontrer une discordance entre la croyance de l’errans et la réalité. Il faut préciser que l’erreur peut porter sur la prestation du cocontractant mais aussi sur la prestation que l’on est soi-même tenu d’exécuter (« l’erreur est une cause de nullité lorsqu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie » : Code civil français, art. 1133, al. 2) (article 1110 alinéa 1 du code civil en droit positif ivoirien).
S’agissant de la deuxième condition, il faut démontrer que l’erreur porte sur une qualité essentielle de la prestation. Cette exigence se subdivise.
D’abord, l’erreur doit être déterminante du consentement de l’errans ce qui implique de démontrer que l’erreur sur les qualités essentielles de la chose ont déterminé la volonté de l’errans de contracter et qu’en l’absence d’erreur il n’aurait pas contracté.
Ensuite, la qualité doit avoir été expressément ou tacitement prévue entre les parties c’est à dire que la qualité défaillante doit être « entrée dans le champ contractuel ». Le cocontractant de l’errans doit avoir su que la qualité en cause était déterminante du consentement de celui qui s’est trompé.
Sur ce point, il faut noter que certaines erreurs sont dites « indifférentes » en ce qu’elles ne permettent pas d’obtenir la nullité du contrat. Ainsi, en est-il de l’erreur directe sur la valeur c’est-à-dire l’erreur sur l’évaluation économique de l’objet du contrat (Code civil français, art. 1136 : « L’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité »).
L’erreur sur la valeur peut seulement être indirectement sanctionnée lorsqu’elle est une conséquence d’une erreur sur les qualités essentielles.
S’agissant de la troisième condition relative au caractère nécessairement excusable de l’erreur, il faut démontrer que l’errans n’avait pas les moyens de s’informer de lui-même pour éviter de commettre une erreur. Le caractère excusable est apprécié in concreto en fonction des qualités, des connaissances et de la profession de l’errans (par exemple : Civ. 1re, 8 décembre
2009). Deux éléments ont pour effet d’entrainer plus facilement le caractère inexcusable de l’erreur :
- Lorsque l’erreur est commise par un professionnel ;
- Lorsque l’erreur porte sur la propre prestation de l’errans (Civ., 1 , 9 avr. 2015, 13-24.772).
Solution en l’espèce : En l’espèce, Corentin a vendu son véhicule utilitaire en pensant qu’il ne valait pas plus de 10.000.000 FCFA et a découvert par la suite qu’il pouvait être vendu 65.000.000 FCFA. Il y a bien une discordance entre la croyance de Corentin (le véhicule ne vaut pas plus de 10.000.000 FCFA) et la réalité (le véhicule peut valoir 65.000.000 FCFA) de sorte qu’une erreur peut être caractérisée.
Ensuite, l’erreur porte bien une qualité essentielle de la prestation puisqu’elle porte sur la valeur du bien qui est une condition essentielle du contrat de vente selon l’article 1583 du Code civil français (même article en droit positif ivoirien). Corentin n’aurait certainement pas accepté de conclure le contrat à ces conditions là, s’il avait su que le véhicule utilitaire pouvait valoir 65.000.000 FCFA. L’erreur est bien déterminante de son consentement.
Toutefois, il faut noter que l’erreur de Corentin ne porte pas sur les caractéristiques du véhicule mais sur la valeur du bien. Il s’agit donc d’une erreur directe sur la valeur de sorte, erreur considérée comme indifférente par l’article 1136 du Code civil français, de sorte qu’il ne peut s’en prévaloir pour demander la nullité du contrat.
Enfin, le caractère excusable de l’erreur est également susceptible de poser problème pour deux raisons. D’abord car Corentin a proposé à une connaissance ce véhicule à un prix de vente inferieur à sa valeur réelle alors qu’il l’avait acheté neuf depuis peu à une somme bien supérieure. En outre, car en tant que professionnel qui exerce une profession nécessitant des déplacements de marchandises il ne pouvait ignorer ou il pouvait aisément se renseigner sur la valeur marchande de ce type de bien.
Conclusion : Ainsi, d’une part parce que l’erreur de Corentin porte directement sur la valeur de la prestation et d’autre part car son erreur paraît inexcusable, il ne pourra vraisemblablement pas obtenir la nullité du contrat sur le fondement de l’erreur.
Il faut envisager le fondement du dol car les erreurs considérées comme indifférentes sur le fondement de l’erreur sont prises en compte sur le fondement du dol.
Sur le fondement du dol
Problème de droit : Un vendeur peut-il solliciter l’annulation d’un contrat de vente sur le fondement du dol aux motifs que le bien a été vendu à un prix inférieur à sa valeur ?
Solution en droit : L’établissement d’un dol suppose la réunion de plusieurs conditions. Il faut prouver l’élément matériel et l’élément intentionnel du dol, que l’origine du dol provient du cocontractant de l’errans et que le dol a entrainé une erreur déterminante du consentement de la victime.
S’agissant de l’erreur déterminante du consentement, il faut prouver une erreur qui, selon l’article 1139 du Code civil français, lorsqu’elle résulte d’un dol est toujours excusable, et est une cause de nullité même si elle porte sur la valeur de la prestation. Le caractère déterminant signifie que sans le dol la victime « n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes » (Code civil français, art. 1130) (Code civil, article 1116 en droit positif ivoirien).
S’agissant de l’origine du dol, les manœuvres dolosives ayant provoqué l’erreur doivent émaner du cocontractant de l’errans (Code civil français, art. 1138 al. 1) ou de son représentant sauf certaines exceptions.
Ensuite, il faut établir l’élément matériel et psychologique du dol. L’élément matériel peut résulter soit d’actes positifs comme des manœuvres et des mensonges soit du silence lorsqu’il s’agit d’une réticence dolosive.
Avant la réforme française, la Cour de cassation exigeait, pour que la cassation exigeait, pour que la réticence dolosive puisse être caractérisée, que la partie ait intentionnellement manqué à une obligation d’information mais décidait que l’acquéreur non professionnel n’a aucune obligation d’informer l’acheteur sur la valeur du bien vendu (Civ. 1 , 3 mai 2000 « Baldus ») de même lorsque l’acquéreur était professionnel et que le vendeur était profane (Civ. 3 , 17 janv. 2007).
La réforme revient sur ces solutions puisqu’elle définit la réticence dolosive comme « la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie » (Code civil français, art. 1137 al. 2) sans subordonner la réticence dolosive à l’existence d’une obligation d’information. Désormais, le demandeur doit seulement établir que le contractant a dissimulé une information qui était déterminante de son consentement (élément matériel) et qu’elle l’a fait intentionnellement (élément intentionnel).
Au regard de cette formulation, on pouvait penser, après la réforme de l’ordonnance française de 2016, que la réticence dolosive permettait de sanctionner la dissimulation intentionnelle d’une information portant sur la valeur de la prestation déterminante du consentement de son cocontractant via le dol. Toutefois, la loi française de ratification de 2018 (LOI n°2018-287 du 20 avril 2018 – art. 5) a ajouté un alinéa à l’article 1137 en prévoyant que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».
Solution en l’espèce : S’agissant de l’erreur déterminante du consentement, il a déjà été démontré précédemment que Corentin avait commis une erreur directe sur la valeur de son véhicule utilitaire. L’erreur sur la valeur est toujours excusable et est une cause de nullité même si elle porte sur la valeur de la prestation de sorte que cette erreur peut être prise en compte. Il a également été démontré que cette erreur était déterminante de son consentement.
S’agissant de l’origine du dol, cette condition ne pose pas problème car si des manœuvres dolosives peuvent être établies, elles seraient nécessairement le fait du cocontractant de Corentin.
S’agissant de l’acte matériel, il n’y a eu a priori aucune manœuvre dolosive ou mensonge de la part de l’acheteur. En revanche, Corentin pourrait tenter de lui reprocher d’avoir gardé le silence sur la véritable valeur du bien.
En l’espèce, le nouvel article sanctionne la « dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». Or, ici, l’information porte sur la valeur du bien qui, en tant que condition essentielle du contrat de vente, est nécessairement déterminante du consentement. Toutefois, sans qu’il ne soit besoin de s’interroger sur le caractère intentionnel de cette dissimulation, le dol ne saurait être pris en compte dans la mesure où l’information dont il est question porte sur l’estimation de la valeur de la prestation.
Ainsi, le cocontractant de Corentin n’était pas tenu de le renseigner sur la valeur du véhicule utilitaire de sorte que le dol ne peut être retenu.
Conclusion : Corentin ne pourra remettre en cause la validité du contrat de vente du véhicule utilitaire Volkswagen sur le fondement du dol.
Certains correcteurs pourraient s’attendre à ce que l’étudiant envisage également le cas de la contrepartie dérisoire prévue à l’article 1169 du Code civil français reprenant la jurisprudence sur l’ancienne notion de cause par laquelle la Cour de cassation sanctionnait de nullité les contrats dans lesquels la contrepartie était dérisoire ou illusoire (Ex. : Civ. 3 , 14 fév. 2019, 17-30.942). Mais ici la contrepartie n’étant pas complètement dérisoire (10.000.000 FCFA), on pourrait à mon sens exclure ce fondement dès le début du cas.